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DE L’OBJET FRONTIERE

1. LE CONCEPT DE REFERENTIEL

1.3. Dans le champ des sciences de l’Education

1.3.1. Détour historique : l’exemple du CAP

Premier diplôme attestant d’une qualification professionnelle, le CAP (Certification d’Aptitudes Professionnelles) a été créé en 1911156. L’étude de quelques exemples de textes réglementaires permet de mieux saisir l’évolution des conceptions, des formalisations et l’introduction du terme de référentiel.

En 1966, les textes définissant par exemple le CAP Commis vendeur en charcuterie157 compren- nent un arrêté de création, un règlement d’examen permettant de définir les différentes épreuves et donnant aussi pour chacune d’entre elles le programme d’enseignement. Ce dernier constitue implicitement pour les enseignants comme pour les responsables des épreuves un référentiel. Dans les années 1970, apparaît le terme de monographie de métier. Ainsi en 1973, Le CAP de graveur sur pierre est délivré à la suite d’un examen à caractère professionnel basé sur un potentiel de connaissances pratiques, théoriques et générales. À l’issue de la formation, le titulaire de ce diplôme possède les connaissances, les méthodes et la formation pratique qui le rendent capable de lire, de comprendre et d’interpréter les différents types d’alphabets, de tra- cer de façon très précise des lettres dans le mot en respectant des espacements harmonieux, de préparer et utiliser correctement les mixtions, vernis et dorures, d’affûter et d’entretenir l’outillage… Sont répertoriées dans cette monographie une quinzaine de tâches ou activités très pratiques. Deux ans plus tard, sans abandonner le terme de monographie, les textes réglemen- taires comportent une fiche d’activité158 qui caractérise le titulaire du diplôme et précise succinc- tement ce que le candidat doit connaître, ce qu’il doit posséder (des notions théoriques) et ce qu’il doit être capable d’exécuter. Une telle formulation préfigure sans la nommer explicitement l’approche par les compétences. En 1985159, le mot référentiel fait son apparition dans les textes réglementaires. Ainsi par exemple, le CAP agent de la qualité de l’eau publié en 1991 comporte

156 Il a pris cette appellation avec la loi Astier (1919). Il se nommait au départ Certificat de Capacité Professionnelle et rele-

vait d’une initiative du monde professionnel, et non de celui de l’école, considérant nécessaire de répondre aux besoins des employeurs et souhaitant contrôler ce diplôme. Cette difficulté à choisir entre capacité et aptitude est largement entrete- nue par les employeurs. Ils estiment que la délivrance d’un diplôme ne peut que garantir l’aptitude d’une personne et non une capacité dont seule l’activité en conditions réelles peut en vérifier l’atteinte (G.BRUCY, 2012, p. 10). Accepter l’attestation de la capacité les obligerait à reconsidérer la rémunération des jeunes diplômés. Sous l’impulsion de la direc- tion de l’enseignement technique, il devient dans les années 1926 - 1930 le témoin d’une qualification transférable sur l’ensemble du marché du travail national avec pour visée « d’affranchir l’ouvrier des contraintes économiques qui pèsent sur le salariat en le munissant de connaissances et des savoir-faire constitutifs d’un métier et indépendants des réalités singu- lières d’une entreprise particulière » (p. 11). Ainsi, la direction de l’enseignement technique impose l’outillage scolaire : programme, épreuves d’examen tout en reconnaissant la place prépondérante des professionnels dans la formation et les examens. Cela aboutit à la création d’un règlement général d’examen et l’identification d’une centaine de métiers indus- triels. Dans les années 1930 - 1940, le CAP devient la qualification de référence dans les conventions collectives, l’état re- présente l’instance de délivrance alors que l’école devient le premier lieu de formation.

157 In C.A.P des commerces de l’alimentation. (1966). Institut pédagogique national : Paris.

158 C’est le cas par exemple du CAP de bronzier créé en 1975, in www2.cndp.fr/outils-doc/ consulté le 22 juillet 2011. 159 Les premières démarches interviennent au début des années 1980 avant qu’il soit systématisé avec l’introduction en

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un texte précisant le sens et l’usage d’un référentiel de diplôme160. Pour le ministère de l’Education Nationale, il s’agit d’un document définissant les compétences attendues des candi- dats à un diplôme donné. Il précise les connaissances et les savoir-faire à acquérir ainsi que le niveau d’exigence requis. Après avoir précisé la méthode d’élaboration, le texte indique les usages possibles du référentiel de diplôme :

 donner aux formateurs et aux personnes en formation les objectifs de formation à pour- suivre ainsi que les moyens de les réaliser,

 proposer un support privilégié d’évaluation des acquis quel que soit le mode d’accès au diplôme et quel que soit le mode d’évaluation,

 repérer, en vue de leur évaluation, les compétences les plus significatives afin d’éviter une évaluation systématique.

Cette rupture historique entre le principe d’une formation méthodique et complète comme as- sise de préparation à un diplôme et l’idée d’une norme de certification vise une définition plus pragmatique des diplômes professionnels. Les référentiels de chacun d’entre eux se doivent d’être proches de l’activité réelle du travail tout en étant facilement exploitables par tout un chacun. Si la notion de référentiel s’est largement répandue dans le monde de la formation et du travail, son introduction dans le milieu scolaire est dans le même temps une véritable innovation (F. MAILLARD, 2003, p. 64). Tout en bouleversant le modèle des programmes et des disciplines pensées et conduites généralement de façon individuelle, l’approche par les référentiels intro- duit un basculement. Les visées et les objectifs d’un diplôme orientent et conditionnent les con- tenus de formation. Ces derniers peuvent s’organiser très différemment voire pour certains su- jets ne pas faire l’objet d’un enseignement traditionnel. Si une majorité des candidats à un di- plôme professionnel proviennent d’un cursus de formation initiale, une partie non négligeable d’entre eux se présentent sous d’autres statuts : stagiaires de la formation continue, candidats bénéficiant de la validation des acquis de l’expérience, candidats libres. Cette diversité, bien que spécifiques aux diplômes de l’enseignement professionnel, est selon F. MAILLARD (ibid., p. 65) souvent occultée dans les référentiels. Centrés sur le champ scolaire, ils maintiennent une dis- tance avec le monde du travail. Or, il est bon de rappeler que le ministère de l’Education Natio- nale a fondé le choix de ce nouveau mode de conception et de gestion des diplômes sur la prise en compte de l’hétérogénéité des publics et de la multiplicité des parcours d’accès à un diplôme. Outre l’idée de codifier, de standardiser et de moderniser l’outil, le ministère cherche à montrer sa capacité à s’adapter aux évolutions et à se positionner dans le débat permanent auquel se

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livrent l’état et les représentants des employeurs, des entreprises. C’est ainsi que l’Etat généra- lise l’usage des référentiels au moment où les branches professionnelles créent leur propre sys- tème de certification (avec en particulier la mise en place de titres tels que les CQP : Certificats de Qualification Professionnelle) et où l’approche par les compétences devient un outil central de la gestion des ressources humaines.