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DE L’OBJET FRONTIERE

4. LE REFERENTIEL PERSONNEL : UN OBJET MIS A L’EPREUVE

4.5. Agir et/ou comprendre sur, hors et dans l’action ou l’activité ?

4.5.4. Dans le contexte de la recherche : l’activité pédagogique

L’activité pédagogique comme toute activité humaine est conditionnée par nombre de variables inhérentes au contexte et à la situation dans lesquels elle se situe. Elle est également largement orientée et influencée par de multiples interactions209. Ainsi, l’activité pédagogique peut être considérée comme un espace de rencontre de plusieurs histoires : celles d’une institution, du métier, de l’individu, de l’établissement… Le sujet, enseignant/formateur, tente d’y construire « des rapports aux prescriptions, à la tâche à réaliser, aux autres (ses collègues, l’administration,

les élèves…), aux valeurs et à lui-même » (R. AMIGUES, 2003, p. 9). Cette activité n’est pas réduc-

tible à l’action pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les motifs de l’une ne correspondent pas au

209 Toute activité humaine relevant du travail combine une interaction avec un contexte matériel (une matière à transfor-

mer, des outils, un système de production,…) et avec un environnement psychosocial (des collègues, des usagers, des clients,…). D’un métier à l’autre, la part de l’un et de l’autre fluctue (D. FAULX et L. PETIT, 2011, pp. 431-432). Certains mé- tiers privilégient l’aspect opératoire alors que d’autres ont pour base une interaction sociale. Les métiers de la relation humaine ont, par ailleurs, une autre particularité puisque les éléments psychosociaux font partie intégrante des aspects opératoires en faisant de leurs transformations un objet de travail.

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but de l’autre. Les motifs de l’activité pédagogique relèvent de la construction du sens, de l’élaboration de significations sur des objets tels que le développement des compétences, la formation d’un esprit critique, l’adhésion à des valeurs… alors que le but de l’action porte sur les apprentissages des apprenants. Ensuite, les champs spatio-temporels de l’une et de l’autre ne présentent pas les mêmes limites. Comme nous l’avons précisé plus haut, l’activité pédagogique précède et prolonge l’action d’enseigner. La troisième raison porte sur la tension entre le pres- crit et le réel. R. AMIGUES (ibid., p. 9)210 estime qu’en matière d’enseignement la tâche prescrite reste floue et nécessite un important travail d’interprétations, de redéfinitions en fonction des projets, des situations, des acteurs (enseignants/formateurs, élèves…). Plus la tâche prescrite est imprécise, plus l’activité de redéfinition, pour soi et pour les autres, s’avère importante. Elle con- siste à clarifier « ce qu’il convient de faire » mais aussi et surtout « comment le faire ». Enfin, il convient de prendre en compte la dimension créatrice du travail effectif qui postule qu’il y a toujours plus dans l’activité que dans la tâche à réaliser (I. VINATIER, 2013, p. 28).

Une fois redéfinie, la tâche devient le support d’une activité spécifique de conception de la tâche à proposer aux apprenants ; tâche dont les apprenants vont eux-mêmes accompagner et réguler la réalisation. L’activité consiste donc à mettre en relation trois domaines d’ordre didactique, pédagogique et pragmatique : la conception, l’organisation et de la conduite d’une séance ou d’une séquence de cours. L’activité est trompeuse, faussement facile car, comme le souligne P. MAYEN (2007, p. 54), le travail consiste à agir pour et avec autrui dans des situations qui sont pour les uns « des formes de vie sociale ordinaires et familières » et pour les autres des situations professionnelles. De surcroît, elle semble « facile » à autrui parce qu’en l’ayant vue se dérouler devant lui ou en n’en étant lui-même la cible, il n’en voit que quelques aspects comme il ignore la plupart du temps la face cachée du travail de l’enseignant.

L’activité de l’enseignant/formateur s’avère également faussement facile car elle intègre de fait une dimension souvent occultée, la co-activité. Le travail consiste à produire et à proposer un service à autrui en postulant que ce dernier en ait besoin. De son côté, l’apprenant peut choisir d’y souscrire comme il peut considérer le service proposé comme une contrainte. Le besoin s’avère objet de compromis. L’apprenant a besoin de l’enseignant/formateur pour apprendre à faire ce qu’il ne sait pas faire. A l’inverse, tout enseignant/formateur a besoin d’autrui parce qu’il est l’objet même de son travail (P. MAYEN, 2007, p. 58).

210 L’auteur considère que l’écart récurrent entre le prescrit et le réalisé incite le prescripteur à ajouter des prescriptions

complémentaires. Cet écart devient tension quand l’un repère des défauts d’action, des incompréhensions, voire de l’incompétence et que l’autre met en avant des questions de choix, de décision, de compromis, d’incertitude, de prise de risque… (p. 7).

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La notion de co-activité émane aussi du fait que l’activité de l’enseignant/formateur est indisso- ciable de l’activité de l’apprenant. En reprenant la théorie instrumentale de P. RABARDEL (1995), on peut considérer que l’apprentissage est une activité combinant une activité productive et une activité constructive (P. PASTRE, 2007, p. 84). Ces deux formes sont indissolublement liées, mais leur relation de subordination peut s’inverser. En situation d’apprentissage, l’activité productive – la réalisation d’une tâche — est un moyen pour apprendre. L’activité constructive, quant à elle, représente le but c’est-à-dire l’apprentissage en jeu et le savoir associé. Dans le travail de l’enseignant, l’activité productrice représente le but de l’action alors que l’activité constructive est un effet non intentionnel et plus ou moins fort de l’activité productrice. Cette symétrie d’activités a pour P. PASTRE (ibid., pp. 84-90) plusieurs conséquences. Tout apprentissage fonc- tionne selon deux registres. Le premier, nommé pragmatique, est le registre de la réussite de la tâche. Le second, relatif à la compréhension et à la conceptualisation, est qualifié d’épistémique. L’activité enseignante incite l’apprenant à passer du registre pragmatique au registre épisté- mique. De plus, l’enseignant/formateur ne pouvant pas décrypter l’ensemble de l’activité des apprenants, il est à l’affût d’indices à partir desquels il fonde une activité d’inférence. Des réus- sites, des erreurs, des non-réalisations, des blocages l’aident à inférer et à agir dans l’incertitude sur l’activité non observable des apprenants. La troisième conséquence relève de la capacité de l’enseignant/formateur à s’ajuster à l’activité des apprenants. Ainsi, tout en ayant planifié le cheminement d’une séance ou d’une séquence, il faut savoir l’interrompre ou le modifier pour prendre en compte ce qui émerge de l’activité des apprenants : une remarque, une question, une réflexion, un témoignage, une demande d’explication… Plus précisément, l’ajustement est partagé. Comme l’enseignant/formateur s’ajuste à l’activité d’un ou plusieurs apprenants, au même moment ces derniers s’ajustent à l’activité de l’enseignant et/ou à celle de leurs pairs (D. BUCHETON, 2009, p. 64).

4.5.5. En définitive

Les concepts d’action et d’activité relèvent de l’agir humain. Les approches philosophiques, so- ciologiques semblent donner la primauté au concept d’action. De leurs côtés, les biologistes, les psychologues, les ergonomes font de l’activité un concept central. L’objet de recherche, l’outillage conceptuel mobilisé et la méthode de recherche développée font que notre travail s’inscrit dans le champ de l’analyse de l’activité. Dans cette perspective, nous pourrions ad- mettre que le RPAP aide à agir et/ou à comprendre sur, hors et/ou dans l’action et l’activité. Nous maintenons dans la formulation de sa définition le terme d’action pour les raisons sui- vantes. Premièrement, la succincte investigation bibliographique sur les deux concepts montre

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leur forte imbrication. La figure ci-dessous tente de le mettre en évidence. L’activité est un agir en situation dans un contexte donné. Elle consiste à situer et à se situer, à appréhender et se représenter un contexte, à construire et à produire, à faire et/ou à ne pas faire, à transformer et à se transformer… En amont de sa réalisation, elle comprend une action nommée dans la figure A1 qui contribue à la conception et à l’organisation de l’activité, à sa projection dans un futur proche, à sa représentation et, pendant sa réalisation, une action d’effectuation nommée A2. L’activité effectivement réalisée ne représente qu’une partie du réel de l’activité. Ainsi, le terme d’action renvoie à une unité significative d’activités (J-M BARBIER, 2000a, p. 83). Nous considé- rons qu’elle contribue à donner du sens à l’activité.

Figure 7 - Action et activité d’un sujet en situation d’agir

Secondement, notre recherche relève du champ de la pratique réflexive où le plus souvent l’objet de la réflexion est l’action. Ainsi, D-A SCHÖN (1984) développe l’idée d’une « réflexion

hors de l’action » et « d’une réflexion dans l’action », Y. SAINT ARNAUD (2001) propose une mé-

thode d’apprentissage de la « réflexion dans l’action ». P. PERRENOUD (2001) reprend et rend plus explicites les deux formulations de D-A. SCHÖN en distinguant « la réflexion dans le feu de

l’action » et la « réflexion hors du feu de l’action ». Leurs objets d’étude et de recherche portent

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