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LA RIGIDITE DU CRITERE DE LA NATIONALITE RETENU PAR LE DROIT IRANIEN

B. Un critère emportant des difficultés pratiques

158. Puisque l’arbitrage international est, selon la loi iranienne, celui qui désigne un arbitrage où, au moment de la conclusion de la convention d’arbitrage, au moins l’une des parties n’est pas ressortissant iranien au regard du droit iranien, il s’ensuit la nécessité de déterminer cette nationalité étrangère. Or, l’expression même de « Tâbeiyat » (nationalité) n’est usitée dans la langue persane que depuis une centaine d’années. Avant 1906, il n’existait pas de véritable réglementation sur la nationalité, les mesures prises à cet effet émanant uniquement de décrets royaux. Ce n’est qu’en 1929, après l’instauration du régime constitutionnel340, qu’une loi de

nationalité fut adoptée par le Parlement, laquelle incluait, en ses dix articles, les notions de jus

soli et de jus sanguini. Deux autres articles furent ajoutés le 21 octobre 1930 et, en 1934, lors de l’adoption du second volume du Code civil sur les personnes physiques, le législateur inséra la loi sur la nationalité telle que modifiée. Désormais, les dispositions concernant la nationalité sont inscrites en 16 articles (articles 976 à 991) au sein du second volume du Code civil341. Après la révolution islamique de 1979, la Constitution, à travers ses articles 41 et 42, consacra du reste la reconnaissance de la nationalité comme un droit, les conditions d’octroi de la nationalité iranienne aux étrangers et les limites des pouvoirs de l’État dans la privation de la nationalité342.

338 Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 65-66, n° 118 et 122.

339 V. en ce sens L. DJONEIDI, La loi applicable aux arbitrages commerciaux internationaux*, op. cit. note 59, p. 38 ; M. DJAAFARIAN, « Considérations sur le projet de loi d’arbitrage international »*, n° 17, op. cit. note 327, p. 257-259 ; H. SAFAII, « A propos des inventions et des vices de la loi iranienne d’arbitrage commercial international »*, op. cit. note 327, p. 8.

340 Après l’instauration du régime constitutionnel en Iran, l’article 24 de la Constitution a consacré les conditions de l’obtention de la nationalité pour les étrangers.

341 Sur cette question, v. A. MARACHI, La nationalité en Iran* [ ی تیعب ت], Téhéran,Thèse de fin d’études, 1937, p. 5-17 ; Mohammad NASSIRI, Droit international privé* [یصوﺼخ ل ل نیب قوقح], Téhéran, Agah, 1993, p. 57 et s. ; J. MADANI, Droit international privé* [یصوﺼخ ی ل نیب قوقح], Téhéran, Ahmadi, 2009, p. 67 et s. ; M. SALDJOUGHI, Les considérations du droit privé international* [یصوﺼخ ل ل نیب قوقحب یت حام], Téhéran, Mizan, 2001, p. 70 et s. ; B. ARFANIA, Droit international privé* [یصوﺼخ ل ل نیب قوقح], Téhéran, Ayandeh, 1995, p. 39 et s. ; J. AMERI, Droit international privé* [یصوﺼخ ل ل نیب قوقح], Téhéran, Agah, 1984, p. 33 ; M. DANAYE ELMI, « Les effets négatifs de la réforme du Code civil sur la question de la nationalité »* [ یﻔ م ثآ تیعب ت وضوم ب یندم ون ق اص ], Chargh, 5 août 2006, n° 826, p. 3 et s.

342 L’article 41 de la Constitution dispose que la nationalité iranienne est un droit inaliénable appartenant à chaque Iranien et que le Gouvernement ne peut l’en priver que s’il en fait lui-même la demande ou acquiert la nationalité d’un autre pays. L’article 42 prévoit quant à lui que les ressortissants étrangers peuvent acquérir la

159. Le déficit de réglementations précises sur la nationalité et le fait que les dispositions pertinentes du Code civil soient peu adaptées – ne serait-ce que par leur ancienneté et leur inscription dans un texte visant essentiellement les droits privés là où la nationalité relève du droit commun –, militent en faveur de l’adoption d’une loi spéciale sur la nationalité iranienne, à l’instar de ce qui fut réalisé en France en 1927343. Par ailleurs, la loi reste muette

quant à la définition même de la nationalité, de sorte qu’elle fut développée par la doctrine qui, majoritairement, la considère comme le rapport politique et affectif d’une personne avec un État déterminé344. En prenant appui sur cette définition classique, une partie de la doctrine soutient que « la nationalité est le rapport qui lie une personne physique, morale ou un objet à un État déterminé »345. Par conséquent, la nationalité doit être considérée comme une relation à la fois juridique et politique qui trouve sa source dans le droit de l’État de la déterminer et de la conditionner. En dépit de cette absence de définition légale, les critères issus de la loi doivent permettre l’identification des personnes physiques (1) et morales (2) dont la nationalité iranienne est reconnue et autoriser la définition en creux de la nationalité étrangère.

1. La nationalité des personnes physiques

160. L’article 976 du Code civil iranien, parce qu’il mentionne l’ensemble des voies d’acquisition de la nationalité iranienne346, constitue la disposition la plus importante dans la perspective de détermination de cette nationalité. Aux termes de cet article,

« Les personnes suivantes sont considérées comme iraniennes :

1- Toutes les personnes résidant en Iran, à l’exception de celles dont la nationalité étrangère est établie ; la nationalité étrangère de ces personnes est considérée comme établie si leurs documents de nationalité n’ont pas été contestés par le Gouvernement d’Iran.

2- Celles nées en Iran ou à l’étranger de pères iraniens. 3- Celles nées en Iran de parents inconnus.

4- Les personnes nées en Iran de parents étrangers, dont l’un est né en Iran.

5- Les personnes nées en Iran d’un père de nationalité étrangère qui a résidé au moins une année en Iran immédiatement après avoir atteint l’âge de 18 ans ; dans les autres cas, leur nationalité iranienne dans les limites de la loi. Il est ajouté que la nationalité peut être retirée à ces personnes si un autre État les reconnaît comme ses nationaux ou s’ils en font la demande.

343Les dispositions légales relatives à la nationalité française ont été d’abord réunies dans le Code civil le 10 août 1927. La loi du 19 octobre 1945 consacre les dispositions légales à cet effet portant titre de « Code de la nationalité ».

344 C’est d’abord un rapport politique car il trouve son origine dans le pouvoir étatique qui s’approprie la personne – ce qui explique que certains États, à l’instar de l’Iran, inscrivent certaines dispositions y relatives dans leur Constitution. C’est ensuite un rapport affectif car il n’est pas territorialement limité : un Iranien se trouvant dans n’importe quel lieu dans le monde demeure Iranien. V. en ce sens Mohammad NASSIRI, op. cit. note 341, p. 26-27 ; B. ARFANIA, op. cit. note 341, p. 39 et s.

345 J. MADANI, Droit international privé*, op. cit. note 341, p. 32.

naturalisation en tant que sujets iraniens sera soumise aux dispositions relatives à l’acquisition de la nationalité iranienne prévues par la loi.

6- Toute femme de nationalité étrangère qui épouse un Iranien. 7- Tout étranger qui a obtenu la nationalité iranienne.

Note - Les enfants nés de représentants diplomatiques ou consulaires ne sont pas soumis aux paragraphes 4 et 5 du présent article » (notre traduction).

Par conséquent, la loi consacre trois façons d’acquérir la nationalité iranienne : premièrement, par la voie du jus soli et du jus sanguini, qui ressortent de la nationalité d’origine, (paragraphes 1, 2, 3, 4 et 5) ; deuxièmement, par la voie du mariage (paragraphe 6) ; troisièmement, par la voie des prescriptions légales en matière de naturalisation (paragraphe 7). Les étrangers sont consécutivement tous ceux qui ne relèvent d’aucune des situations mentionnées par l’article 976. Le régime juridique iranien établit donc la catégorie des « étrangers » par simple exclusion et ne prend pas véritablement position sur la qualité de ce caractère « étranger ». Il s’ensuit que cette qualité ne signifie pas que la personne considérée ne puisse pas avoir un autre type de nationalité – soit qu’elle ait déjà été ressortissant iranien et privée ensuite de sa nationalité iranienne, soit que la nationalité iranienne n’ait jamais été établie à son sujet347. Inversement, la qualité d’étranger ne signifie

pas non plus que la personne a nécessairement la nationalité d’un autre État ; il est possible qu’elle soit sans nationalité348.

161. Concernant plus particulièrement les personnes possédant la nationalité d’un autre État, l’identification de l’État dont elles ressortissent dépend des prescriptions légales dont elles se réclament. Elles peuvent établir la preuve de leur nationalité via des documents qui n’auront pas été contestés par le Gouvernement d’Iran selon la lettre du paragraphe 1 de l’article 976. Parmi ces documents figure naturellement le passeport dont la forme plus ou moins identique dans tous les pays lui confère une valeur internationale particulière. Il convient à cet égard de souligner cependant qu’en vertu de l’article 31 de la Loi relative au passeport, les autorités sont autorisées à délivrer un visa de transit aux étrangers qui n’ont pas réussi à obtenir le visa auprès de leur pays d’origine, une fois obtenu l’accord des ministères iraniens des renseignements et des affaires étrangères. Dans cette hypothèse, il faut établir en même temps la qualité « étrangère » de la personne et son pays d’origine. C’est sans doute une exception

347 L’établissement de la qualité d’étranger selon la première hypothèse s’opère par la production de documents attestant la perte ou le rejet de la nationalité iranienne (art. 8 du Règlement de nationalité de 1935) qui doivent être enregistrés sur les registres de l’état civil et certifiés par le ministère des Affaires étrangères (article 37 de la loi d’état civil). Concernant les étrangers qui n’ont jamais été titulaires de la nationalité iranienne, il suffit d’établir qu’aucun des critères de la nationalité iranienne ne leur correspond. V. M. SALDJOUGHI, op. cit. note 341, p. 111.

348Selon la loi, ces personnes peuvent obtenir un visa de transit avec l’accord du ministère iranien des Affaires étrangères. V. M. SALDJOUGHI, op. cit. note 341, p. 111.

en ce que les pouvoirs de délivrance des documents de nationalité appartiennent normalement au pays d’origine349.

162. Il apparaît ainsi que l’établissement de la nationalité étrangère des personnes physiques, pourtant nécessaire dans la perspective de qualification d’un arbitrage international et d’une sentence arbitrale internationale, est difficile dans le cadre du droit iranien, une difficulté qui s’affirme également quant à la détermination de la nationalité des personnes morales.

2. La nationalité des personnes morales

163. Aux termes de l’article 588 du Code du commerce iranien, « les personnes morales et physiques ont les mêmes droits et obligations (…), à l’exception de ceux en rapport avec la nature même de l’homme, comme les droits et obligations parentaux ou de filiation » (notre traduction). Par conséquent, le droit iranien admet parfaitement le principe même de la nationalité des personnes morales. S’il ne définit pas à proprement parler la conception applicable à la nationalité des personnes morales, il désigne cependant le critère de sa détermination : c’est ainsi le « siège social » qui permet d’identifier la nationalité des personnes morales (article 591 du Code de commerce)350.

164. Divers principes ont pu être dégagés quant à la détermination de la nationalité des personnes morales. C’est ainsi qu’il est généralement admis que la nationalité de l’entreprise s’adapte à celle de ses associés et actionnaires, qu’elle dépend de la volonté des fondateurs de l’entreprise et que le lieu de la création de l’entreprise, le lieu de l’engagement des paiements de la valeur des actions, le lieu d’activité de l’entreprise et de son siège social doivent être pris en compte351. Le droit iranien privilégie quant à lui la domiciliation des personnes morales comme critère de rattachement, l’article 591 du Code du commerce énonçant que « les personnes morales ont la nationalité du pays où elles résident ». Il s’ensuit la nécessité de déterminer le « domicile » des personnes morales au sens du droit iranien. Or, en raison de l’existence de deux définitions différentes au sein du droit positif iranien, l’identification du domicile pertinent est sujette à controverse. L’article 590 du Code de commerce retient en

349 V. M. SALDJOUGHI, op. cit. note 341, p. 111. 350Ibid., p. 190.

351 H. TEHRANI SOTOUDEH, Droit commercial* [ین ت وتس. ،ت ت قوقح], Téhéran, Presses universitaires de Téhéran, 1968, vol. 1, p. 182 ; K. KIANI, Droit commercial*[ین یک.ک ،ین گ ب قوقح], Téhéran, Teheran, 1976, vol. 1, p. 116 ; R.ESKINI, Droit du commerce* [ت تقوقح], 11eéd., Téhéran, Organisation d’étude et de rédaction des livres de sciences humaines pour les universités (SAMT), 2007, vol. 1, p. 131.

effet le siège social alors que l’article 1002 du Code civil renvoie au « centre d’exploitation »352, deux notions qui ont pu être distinguées353.

165. La résolution de cette contradiction divise la doctrine. Certains considèrent que le critère contenu dans l’article 1002 du Code civil – le centre d’exploitation – doit prévaloir, tirant argument de son adoption postérieure au Code du commerce354. D’autres estiment que c’est l’article 590 du Code de commerce qui prévoit le domicile administratif, l’article 1002 du Code civil ne déterminant que le « domicile civil »355. L’hypothèse la plus répandue auprès de la doctrine est cependant qu’il n’existe pas de véritable contradiction entre les deux articles : lorsque le législateur mentionne le « centre principal des affaires » dans l’article 1002 du Code civil, il entendrait le centre de gestion de la personne morale et non le lieu d’exécution de ses opérations356. Deux éléments supplémentaires soutiennent cette solution. D’abord, le Code de commerce, en tant que loi spéciale, devrait être appliqué prioritairement au Code civil pour la détermination du domicile des personnes morales357. Ensuite, l’article 1er de la loi

d’enregistrement des entreprises, selon lequel « toute société créée en Iran et dont le siège social est situé en Iran est de nationalité iranienne »358, recourt au même critère que l’article 590 du Code du commerce. Par conséquent, puisque la nationalité de la société est liée à son domicile et que celui-ci doit être regardé comme son siège social, c’est ce dernier critère qui permet le rattachement de la personne morale à l’État.

166. En tout état de cause, il apparaît que la détermination de la nationalité étrangère des parties à la convention d’arbitrage, ou au moins de l’une d’elles, est à la fois confuse et rigide dans la

352 L’article 590 du Code de commerce précise que « le domicile de la personne morale est à son siège social » (notre traduction). L’article 1002 du Code civil dispose quant à lui que « le domicile de chaque personne est le lieu où elle réside et où se situe également le centre principal de ses affaires. Si le lieu de résidence est différent du lieu du centre principal de ses affaires, ce dernier sera considéré comme son domicile » (notre traduction). Par conséquent, le domicile des personnes morales est le lieu où se déroulent leurs activités.

353 Selon une partie de la doctrine iranienne, les notions de « siège social » et de « centre d’affaires » doivent être distinguées. Le siège social de la personne morale désignerait le lieu où sont réunies les institutions de décision et gestion (comme le conseil d’administration). En revanche, le « centre des affaires » renverrait au lieu où se déroulent les activités commerciales et de production. V. en ce sens A. SHAYEGAN, Le Code civil* [یندم قوقح], Téhéran, Bina-Bita, 1957, vol. 1, p. 348 ; M. SALDJOUGHI, op. cit. note 341, p. 190 ; N. KATOUZIAN, Le Code

civil dans le régime juridique actuel*[ینو کیقوقحم ن یندم ون ق], Téhéran, Agah, Dadgostar, 1998, p. 623. 354 Le Code de commerce d’Iran a été adopté en 1933, le 4e volume du Code civil le 16 février 1935. 355 V. Mohammad NASSIRI, op. cit. note 338, p. 132 ; H. TEHRANI SOTOUDEH, op. cit. note 351, p. 182.

356 V. N. KATOUZIAN, Le Code civil dans le régime juridique actuel*, op. cit. note 353, p. 625 ; H. EMAMI, Droit

civil* [یندم قوقح], Téhéran, Eslamieh, 1996, vol. 4, p. 261.

357 Pour plus de précisions, v. H. TEHRANI SOTOUDEH, op. cit. note 351, p. 182 ; K. KIANI, op. cit. note 351, p. 116 ; R.ESKINI,Droit du commerce*, op. cit. note 351, p. 64 et s. ; Morteza NASSIRI, Droit multinational* [ه یتی مد چ قوقح], Téhéran, Danechamooz, 1991, p. 131.

358 M. DAMIRTCHI, A. HATAMI, M. GHARAII, Le Code de commerce dans l’ordre juridique actuel* [ ت ت ون ق ینو ک قوقح م ن], 5e éd., Téhéran, Missagh-e-Edalat, 2007, p. 944.

perspective du droit iranien. La comparaison avec le régime juridique français souligne davantage encore les carences de la Loi d’arbitrage iranienne.

PARAGRAPHE 2

LA SOUPLESSE DU CRITERE ECONOMIQUE RETENU PAR LE DROIT

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