• Aucun résultat trouvé

74. La notion de sentence arbitrale ne bénéficie pas d’une définition univoque et précise autour de laquelle se réunirait le consensus des régimes juridiques nationaux – ou même doctrinal115. Le

positionnement des droits français et iranien est à cet égard le même. En droit iranien, les références à l’arbitrage, c’est-à-dire essentiellement la Loi d’arbitrage de 1997, mentionnent la sentence arbitrale, sans cependant en donner la définition. De même, en France, ni les articles 1478 à 1486 CPC relatifs à l’arbitrage interne, ni les articles 1509 à 1513 CPC relatifs à l’arbitrage international, bien qu’évoquant largement et explicitement la sentence arbitrale, ne la définissent.

75. Au niveau international, les Conventions et autres actes internationaux portant sur l’arbitrage s’abstiennent dans leur grande majorité de fournir une définition de la sentence arbitrale et de la sentence finale. C’est ainsi que la Convention pour l’exécution des sentences arbitrales étrangères, adoptée à Genève le 26 septembre 1927, se limite à préciser que la sentence arbitrale doit être reconnue comme telle dans le territoire où elle est rendue116. La Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères de New York énonce en son article I (2) qu’« [o]n entend par “sentences arbitrales” non seulement les sentences rendues par les arbitres nommés pour des cas déterminés, mais également celles qui sont rendues par les organes d’arbitrage permanents auxquels les parties se sont soumises ». La loi- type de CNUDCI, dont est inspirée la Loi d’arbitrage iranienne, procède selon la même logique. Il est cependant vrai qu’une définition de la sentence arbitrale fut proposée au cours des travaux préparatoires, dans les termes suivants :

« Le mot “sentence” doit s’entendre d’une sentence définitive qui tranche toutes les questions soumises au tribunal arbitral et de toute autre décision du tribunal arbitral qui règle

115Il a cependant pu être avancé l’utilisation d’un triple test pour déterminer la qualité de sentence arbitrale : la sentence doit résulter d’une convention d’arbitrage ; la sentence doit posséder certaines caractéristiques minimales inhérentes au concept de « sentence » (un critère qui présente une certaine tautologie) ; la sentence doit résoudre un différend substantiel et non une difficulté procédurale. V. G. B. BORN, International

Arbitration : Law and Practice, Kluwer Law International, 2012, p. 278.

116 L’article premier de cette convention prévoit que : « Dans les territoires relevant de l’une des Hautes Parties contractantes auxquels s’applique la présente Convention, l’autorité d’une sentence arbitrale rendue à la suite d’un compromis ou d’une clause compromissoire (…) sera reconnue et l’exécution de cette sentence sera accordée, conformément aux règles de procédure suivies dans le territoire où la sentence est invoquée, lorsque cette sentence aura été rendue dans un territoire relevant de l’une des Hautes Parties contractantes auxquels s’applique la présente Convention et entre personnes soumises à la juridiction de l’une des Hautes Parties contractantes ». La Convention européenne sur l’arbitrage commercial international, signée à Genève le 21 avril 196l et la Convention interaméricaine sur l’arbitrage commercial international, signée à Panama le 30 janvier 1975, adoptent une solution identique.

définitivement une question de fond quelconque ou la question de sa compétence ou toute autre question de procédure, mais, dans le dernier cas, seulement si le tribunal arbitral qualifie sa décision de sentence ».

Toutefois, cette définition fut finalement écartée et ne figure pas dans le texte définitif117. 76. Faute d’une définition précise de la sentence arbitrale fondée sur la loi ou les conventions

internationales118, la doctrine iranienne a proposé diverses définitions, qui toutes partagent une certaine incomplétude. Certains ont ainsi jugé la sentence arbitrale comme l’objectif de l’institution ou de la technique d’arbitrage119. D’autres ont suggéré que la définition

primordiale était celle d’arbitrage, la décision prise dans ce cadre constituant la sentence arbitrale120. Selon une autre hypothèse, les décisions de l’arbitre prises au fond mériteraient seules la qualification de sentences arbitrales, les décisions relatives à la forme ne consistant qu’en de simples ordonnances121. En d’autres termes, de ce point de vue, la sentence est la

décision de l’instance arbitrale sur le fond du litige, une fois la procédure achevée. Enfin, une autre définition plus globale de la sentence arbitrale décrit cette dernière comme « la décision

117 La définition de la sentence arbitrale et la question de savoir si les décisions des arbitres relatives à la compétence du tribunal arbitral ou à la procédure y sont assimilables devaient être originellement intégrées à la loi-type. Elles suscitèrent néanmoins des controverses si vives que les auteurs de la loi-type renoncèrent finalement, purement et simplement, à toute définition. V. sur cette question Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 74, n° 1350. V. également F. KNOEPFLER, P. SCHWEIZER, « Making of Awards and Termination of Proceedings », in P. ŠARCEVIC (dir.), Essaysoninternationalcommercialarbitration, Londres et Boston, Graham & Trotman/M. Nijhoff, 1989, p. 160 et s. ; H. M. HOLTZMANN, J. E. NEUHAUS, A Guide to the

UNCITRAL Model Law on International Commercial Arbitration : Legislative History and Commentary, Deventer, Kluwer Law and Taxation Publishers, 1989, p. 154.Certains considèrent que l’impact de cette définition abandonnée reste décelable dans l’article 32 (1) de la loi-type relatif à la clôture de la procédure. V. en ce sens Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 749, n° 1350. Le législateur iranien a fidèlement repris la solution de la loi-type dans la Loi d’arbitrage, dont l’article 31 est tout à fait similaire à l’article 32 (1) de la loi-type : « La procédure arbitrale est close par le prononcé de la sentence définitive ou par une ordonnance rendue par l’arbitre dans les cas suivants : (…) ».

118 V. pour un constat similaire J. KIRBY, « Finality and Arbitral Rules : Saying An Award Is Final Does Not Necessarily Make It So », Journal of International Arbitration, 2012, n° 1, p. 119-120 ; G. B. BORN,

International Commercial Arbitration, Austin etc., Kluwer Law International, 2009, p. 2348–2349.

119 L. DJONEIDI, L’exécution des sentences arbitrales commerciales étrangères* [یج خ ی ت ی ی آ ی ج ], Téhéran, Institut des études et des recherches juridiques de Téhéran, 2002, p. 24. Il semble que cette définition soit inspirée de l’opinion d’A. REDFERN sur l’objectif de l’arbitrage. Celui-ci, sous le titre « Objectif de l’arbitrage », a affirmé que l’objectif de l’arbitrage, comme celui de la procédure, est de rendre une décision finale et contraignante à l’image de la sentence arbitrale qui est à exécuter par les tribunaux juridiques internes ou internationaux, si la partie perdante ne fait pas diligence dans son exécution. V. A. REDFERN, « Jurisdiction Denied : The Pyramid Collapses », Journal of Business Law, 1986, p. 15.

120 Selon cette opinion, comme il n’existe pas de définition de la sentence arbitrale dans la plupart des conventions internationales et des lois nationales, il est préférable de déterminer prioritairement la notion d’arbitrage afin de pouvoir décrire la décision rendue à son issue, c’est-à-dire la sentence arbitrale. V. en ce sens M. GHARAII ZEREHCOURAN, La reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales commerciales étrangères,

notamment dans la perspective de la Convention de New York* [ ب دیک ت ب یج خ ین گ ب ی ء آ ی ج یی س ش 1985 ک ویوین یپ.], Mémoire de Master 2 en droit privé à l’Université de Téhéran, 1997, p. 2.

121 A. MOEZZI, L’arbitrage international dans les litiges commerciaux* [ی ت ی ه وع ی ل نیب ی ], Téhéran, Dadgostar, 2008, p. 460 ; A. JAVITASH, L’annulation de la sentence arbitrale dans le Code de procédure civile et dans la Loi iranienne d’arbitrage commercial international* [ یس نییآ ی ی ل ب

ی ل ل نیب ی ت ی ون ق یندم], Mémoire de maîtrise en droit privé à l’Université de Chahid Behechti, 1999, p. 4.

finale et contraignanteprise par un tiers élu par les parties, celui dont la compétence est basée sur l’accord de celles-ci et qui rend sa décision en vue de trancher le litige après avoir entendu les arguments des parties »122.

77. Ces différentes définitions souffrent cependant d’une carence commune parce qu’elles reposent sur la notion d’« arbitrage » et sur la finalité de celui-ci, de sorte qu’elles présentent des ambiguïtés et un caractère tautologique. D’une part, les difficultés définitionnelles rencontrées en droit interne en vue de distinguer l’arbitrage d’institutions ou de mécanismes proches de celui-ci sont encore aggravées en matière internationale, en raison des variations de qualification entre systèmes juridiques nationaux. D’autre part, les opérateurs du commerce international, plus encore que dans leurs relations internes, imaginent des méthodes de prévention, d’apaisement, de règlement des litiges et d’adaptation des contrats qui se prêtent mal au jeu rigide des critères théoriques123.

78. La définition décrivant les décisions prises par l’arbitre sur le fond comme la sentence arbitrale et celles sur la forme comme les ordonnances124, suscite une critique sérieuse : certaines des décisions de l’arbitre, notamment celle relative à sa compétence, ne portent pas sur le fond, mais n’en possèdent pas moins le caractère d’une sentence arbitrale « partielle ». Compte tenu du silence des lois et de la jurisprudence en Iran ainsi que des lacunes des définitions proposées par la doctrine, l’élaboration d’une définition univoque et globale de la notion de « sentence arbitrale » paraît donc malaisée. Néanmoins, en raison d’une proximité structurelle entre les systèmes iranien et français, il apparaît que certaines des définitions élaborées en France pourraient être transposables en Iran – sous réserve de quelques ajustements.

79. La doctrine française retient des critères divers pour appréhender la réalité de la sentence arbitrale. Certains y voient « l’aboutissement de la procédure arbitrale »125, prenant appui sur

la nature juridictionnelle de la sentence ; d’autres la perçoivent comme l’acte par lequel les arbitres tranchent les litiges qui leur sont soumis dans le cadre des pouvoirs qui leur sont

122 M. GHARAII ZEREHCOURAN, op. cit. note 120, p. 4 (notre traduction). 123 Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 12, n° 8.

124 Il apparaît que cette approche est influencée par l’objet de l’article 299 du Code de procédure des tribunaux généraux et de révolution d’Iran, qui distingue les décisions des tribunaux entre le « jugement » et « l’ordonnance » : si la décision du tribunal est prise sur le fond, qu’elle mette totalement ou partiellement fin à l’affaire, elle sera qualifiée de « jugement » ; dans les autres cas, il s’agira d’une « ordonnance ».

accordés par la convention arbitrale126. La définition la plus proche de la jurisprudence, et qui l’a sans doute inspirée, est certainement celle élaborée par Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD et B. GOLDMAN qui considèrent que la sentence est « l’acte des arbitres qui tranche de manière définitive, tout ou partie du litige qui leur est soumis, que ce soit le fond, la compétence ou un motif de procédure qui les conduit à mettre fin à l’instance»127. La Cour d’appel de Paris, dans

son arrêt Sardisud du 25 mars 1994, avait en effet affirmé que les sentences sont « les actes des arbitres qui tranchent de manière définitive, en tout ou partie, le litige qui leur a été soumis, que ce soit sur le fond, sur la compétence ou sur un moyen de procédure qui les conduit à mettre fin à l’instance »128. Elle avait précisé plus tard que la sentence est « la

décision motivée par laquelle les arbitres ont (…) après l’examen des thèses contradictoires des différentes parties, et appréciation minutieuse de leur bien-fondé, tranché de manière définitive la contestation qui opposait les parties (…) et mis fin au litige »129. Ainsi, dans le

régime français, le terme « sentence » est réservé à la décision motivée par laquelle les arbitres tranchent définitivement les questions soumises à l’arbitrage par les parties, une fois vérifiés les éléments contradictoires130. Par conséquent, la sentence arbitrale définitive est différente des instructions procédurales qui autorisent l’avancement de l’arbitrage sans permettre le règlement du litige131.

80. Cette définition est assurément applicable dans le régime juridique iranien, moyennant une légère modification d’inspiration doctrinale. Il s’agirait de la décision motivée et contraignante de l’arbitre qui tranche de manière définitive tout ou partie du litige qui lui a été soumis dans le cadre de la convention d’arbitrage. Cette solution permet d’intégrer deux aspects essentiels. D’un côté, elle combine les deux composantes juridictionnelle et conventionnelle qui apparaissent dans l’article 1 (a) de la Loi d’arbitrage132. De l’autre côté,

elle inclut une exigence de motivation, à l’instar de ce que prévoient l’article 482 du nouveau

126 M.-Cl.RONDEAU-RIVIER, « Arbitrage – La sentence arbitrale », Jur.-Cl. Proc. civ., fasc. n° 1042. 127 Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 750, n° 1352.

128C.A. Paris, 25 mars 1994, Sardisud, Rev. arb., 1994, p. 391, note Ch. JARROSSON. V. également Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 751, n° 1353.

129 C.A. Paris, 1er juillet 1999, Brasoil, Rev. arb., 1999, p. 834, note Ch. JARROSSON.

130 Quant à l’éventualité d’un recours juridictionnel contre les décisions de procédure, v. S. JARVIN, « Les décisions de procédure des arbitres peuvent-elles faire l’objet d’un recours juridictionnel ? », Rev. arb., 1998, p. 611 et s.

131 A. REDFERN, M. HUNTER, Law and Practice of International Commercial Arbitration, 3e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 1999, p. 365, n° 8-07.

132 En vertu de l’article 1 (a) de la Loi d’arbitrage, « [l]’“arbitrage” désigne le règlement extrajudiciaire des différends entre les parties par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, désignées d’un commun accord ou nommées à cette fin » (notre traduction).

Code de procédure civile iranien en matière d’arbitrage interne133 et l’article 30 (2) de la Loi

d’arbitrage en matière d’arbitrage international134. Enfin, la définition proposée souligne le

caractère obligatoire de la sentence à exécuter. L’identification de la notion de sentence permet de déqualifier les autres décisions de l’arbitre et de les écarter conséquemment du régime de la reconnaissance et de l’exécution.

PARAGRAPHE 2

Outline

Documents relatifs