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LA RIGIDITE DU CRITERE DE LA NATIONALITE RETENU PAR LE DROIT IRANIEN

A. Un critère peu opportun

152. L’approche retenue par la loi-type de la CNUDCI pour définir l’arbitrage international relève d’une « méthode conflictuelle »325, dont la Loi d’arbitrage de 1997 s’est inspirée. Cependant,

au lieu de puiser parmi les multiples éléments mentionnés dans l’article 1 (3) de la loi-type326,

l’Iran n’a pris en compte que le seul critère de la nationalité étrangère, restreignant de la sorte considérablement son champ d’application par rapport à la loi-type – une solution qui a suscité de vives critiques en doctrine327. C’est ainsi que l’article 1 (b) de la Loi d’arbitrage précise que l’« “arbitrage international” désigne l’arbitrage où, au moment de la conclusion de la convention d’arbitrage, l’une des parties n’est pas considérée comme ressortissant iranien conformément au droit iranien ».

153. La solution, loin d’être progressiste, traduit au contraire une forme de conservatisme qui ne s’accorde guère à la tendance perceptible dans les instruments internationaux. Le critère de la nationalité avait certes été retenu par le Protocole de Genève de 1923, lequel énonce en son article 1 qu’il s’applique aux conventions d’arbitrage conclues « entre parties soumises

325 M. DE BOISSESON, op. cit. note 113, p. 423, n° 519.

326 La loi-type énonce ainsi en son article 1(3) qu’« [u]n arbitrage est international si : a) Les parties à une convention d’arbitrage ont, au moment de la conclusion de ladite convention, leur établissement dans des États différents ; ou b) Un des lieux ci-après est situé hors de l’État dans lequel les parties ont leur établissement : i) Le lieu de l’arbitrage, s’il est stipulé dans la convention d’arbitrage ou déterminé en vertu de cette convention ; ii) Tout lieu où doit être exécutée une partie substantielle des obligations issues de la relation commerciale ou le lieu avec lequel l’objet du différend a le lien le plus étroit ; ou c) Les parties sont convenues expressément que l’objet de la convention d’arbitrage a des liens avec plus d’un pays ». V. S. JARVIN, « La loi-type de la C.N.U.D.C.I. sur l’arbitrage commercial international », Rev. arb., 1986, p. 514.

327 L. DJONEIDI, Étude critique et comparative de la Loi d’arbitrage international adoptée le 17 juillet 1997*,

op. cit. note 25, p. 38 ; M. DJAAFARIAN, « Considérations sur le projet de loi d’arbitrage commercial international »*, [ ی ﻔعج . ،ی ی آ ی ج یی س ش،م پ ش ب،ی ل نیب ی ت ی هحیا ب یت حام], Majlis et

Pajouhech, 1995, n° 17, p. 257-259 ;H.SAFAII, « A propos des originalités

et des lacunesde la loi iranienne d’arbitrage commercial international »* [ ی ه یی س ن ه ی آون ی ب د چ ی س ل ل نیب ی ت ی ون ق

respectivement à la juridiction d’États contractants différents »328. Mais il avait été écarté plus

tard par la Convention européenne sur l’arbitrage commercial international de 1961 qui lui avait préféré celui de « résidence habituelle » pour les personnes physiques et de « siège » pour les personnes morales329. La loi-type de la CNUDCI s’inscrit également dans ce refus de considérer la nationalité comme un critère pertinent de l’évaluation de l’internationalité de l’arbitrage, ainsi que révélé par la liste de critères alternatifs, d’ailleurs plus élaborés que ceux de la Convention européenne, dressée par son article 1 (3) (a).

154. Les critères retenus par la loi-type de la CNUDCI n’ont cependant pas échappé à la critique, notamment en raison d’un certain « laxisme »330. Quant au critère mentionné à l’alinéa (a) de

l’article 1 (3) – l’établissement des parties dans des États différents –, il est sensiblement identique à celui de la Convention européenne de 1961331. Il constitue à n’en pas douter le critère essentiel de l’internationalité.Toutefois, cette sévérité est tempérée par le fait que l’article 1 (3) (b) ouvre la possibilité d’établir cette internationalité par d’autres biais lorsqu’un « des lieux ci-après est situé hors de l’État dans lequel les parties ont leur établissement ». En d’autres termes, dans l’hypothèse où les parties auraient leur établissement dans le même pays, il resterait possible de considérer l’arbitrage comme international si l’un des deux critères proposés par l’alternative était rempli. D’abord, il est fait mention du « lieu de l’arbitrage, s’il est stipulé dans la convention d’arbitrage ou déterminé en vertu de cette convention ». S’il s’agit d’un critère classique, il a ici perdu de sa prépondérance332. Surtout, il est empreint de subjectivité puisque c’est la volonté des parties qui internationalise l’arbitrage.

155. La solution appelle certaines réserves : la fixation à l’étranger du lieu de l’arbitrage, dans le cas où la relation des parties est purement interne, paraît internationaliser celui-ci artificiellement333. Ensuite, quant au second critère de l’alternative, il est certainement fondé de considérer l’arbitrage comme international si le contrat doit être exécuté pour une part

328 Protocole relatif aux clauses d’arbitrage, Genève, 24 septembre 1923, R.T.S.N., 1924, vol. 27, p. 158 et s., art. 1.

329Convention européenne sur l’arbitrage commercial international, Genève, 21 avril 1961, R.T.N.U., 1964, vol. 484, p. 349 et s., art. 1 (1) (a). L’article 1 (2) (c) précise par ailleurs que le « siège » doit être entendu comme « le lieu où est situé l’établissement qui a conclu la convention d’arbitrage ».

330 Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 56, n° 103.

331Par ailleurs, certains ont relevé que le critère du lieu de commerce (ou centre d’activité) avait déjà été retenu dès 1980 par la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises. L’article 1 (1) précise en effet que « [l]a présente Convention s’applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des États différents ». V. L. DJONEIDI, Étude critique et comparative de la

Loi d’arbitrage international adoptée le 17 juillet 1997*, op. cit. note 25, p. 38.

332 M. de BOISSESON, op. cit. note 113, p. 423, n° 519.

substantielle dans un État tiers334. Enfin, la loi-type vise de façon autonome le cas où « [l]es parties sont convenues expressément que l’objet de la convention d’arbitrage a des liens avec plus d’un pays ». Ressurgit donc le subjectivisme, puisque là encore, par leur seule volonté, les parties peuvent internationaliser l’arbitrage. La possibilité est assurément libérale, mais elle génère en même temps des difficultés. Il a ainsi été relevé qu’

« il n’appartient pas aux parties de convenir que leur arbitrage “ait des liens avec plus d’un pays” pour le soumettre ainsi à des règles spécifiques, plus libérales que celles de l’arbitrage interne. On autorise ainsi, sinon la fraude à la loi normalement compétente, du moins une évasion devant cette loi qui n’est pas justifiée objectivement par les nécessitées du commerce international »335.

En somme, la loi-type de la CNUDCI adopte une approche juridique conflictuelle consistant à identifier les éléments d’extranéité d’un litige, à rechercher ses points de contact avec un pays déterminé et, au moyen de cette méthode conflictuelle, à le rattacher à un ordre juridique étatique – une démarche parfois délicate en raison de la diversité des points de rattachement336. En tout état de cause, le texte contourne la notion de nationalité des parties, dont la définition au plan international demeure délicate et parfois incertaine.

156. En revanche, la nationalité constitue le seul critère de l’internationalité de l’arbitrage dans la Loi d’arbitrage iranienne, de sorte que certains arbitrages réellement internationaux ne sont pas couverts par elle. À titre d’exemple, un litige survenu entre deux entreprises iraniennes établies à l’intérieur du pays, mais dont le contrat objet du litige porte sur des opérations dont l’exécution doit être réalisée hors des frontières iraniennes, ne sera pas soumis à la Loi d’arbitrage – et il en sera de même de la sentence rendue à l’issue d’un arbitrage organisé dans ce cadre337. Inversement, si un litige venait à surgir entre un ou plusieurs Iraniens d’une part et un ou plusieurs ressortissants étrangers résidents iraniens d’autre part à propos d’un contrat dont l’exécution aura été accomplie dans les limites des frontières iraniennes, dont il est prévu qu’il sera réglé par voie d’arbitrage en Iran et dont les règles y applicables seront exclusivement celles du système juridique iranien, l’arbitrage rendu dans ce cadre sera considéré comme international.

157. La solution s’inscrit en faux par rapport à l’approche généralement retenue consistant à considérer l’arbitrage comme international si l’un de ses éléments, de fait ou de droit, dépasse

334Ibid.

335 Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 56, n° 103. 336 M. DE BOISSESON, op. cit. note 113, p. 423, n° 519.

337 Cependant, si la sentence est rendue en dehors des frontières iraniennes, et sous réserve de conformité aux deux conditions de commercialité et de réciprocité, elle sera considérée comme étrangère en Iran et par conséquent couverte par la Convention de New York.

les frontières d’un seul pays338. Le choix législatif iranien, qui promeut une forme de

préférence en faveur de l’apparence de l’internationalité plutôt qu’une certaine matérialité, explique les critiques constantes exprimées à l’égard de l’article 1(b) de la Loi d’arbitrage et les vœux formulés en vue de sa modification339.

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