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La distinction entre la sentence arbitrale définitive et les autres décisions de l’arbitre

LA DIVERSITE DES SENTENCES ARBITRALES

A. La distinction entre la sentence arbitrale définitive et les autres décisions de l’arbitre

82. L’essentiel de la mission de l’arbitre est de rendre une ou plusieurs décisions sur le litige qui lui est soumis. De même que « l’arbitre est libre, sous réserve des stipulations procédurales des parties, d’organiser l’instance arbitrale de la manière qui lui semble la plus appropriée, il peut, tout à sa guise, rendre une ou plusieurs sentences »137. En réalité, il apparaît que la majorité des décisions de l’arbitre n’appartiennent pas à la catégorie de celles produisant les effets juridictionnels de la sentence arbitrale138, c’est-à-dire le dessaisissement de l’arbitre, l’autorité de la chose jugée et l’éventualité d’un recours direct139. Certaines d’entre elles

portent ainsi sur les dimensions administratives ou d’inspection qui permettent de préparer la sentence définitive – mesures d’intérim, provisoires, d’instruction et d’expertise notamment140.

83. La notion de sentence définitive a donné lieu à de nombreuses controverses doctrinales141,

ouvertes ou implicites142. L’expression est en effet utilisée dans des sens très variables, qui peuvent être systématisés selon deux axes143. En premier lieu, elle est employée pour désigner une sentence qui statue sur l’ensemble des points en litige et qui, par conséquent, emporte le complet dessaisissement des arbitres. Selon cette terminologie, les sentences définitives s’opposent aux sentences « intérimaires », « interlocutoires » ou « partielles », dont aucune ne met fin à la mission des arbitres. C’est en ce sens que les termes ont été utilisés au cours des travaux préparatoires de la loi-type de la CNUDCI – dont il a été vu que les divergences suscitées à cette occasion entre délégations ont conduit à son abandon144. Il subsiste néanmoins une trace de cette perception dans la loi-type elle-même qui dispose, en son article 32 (1) et (2), que la sentence définitive est celle qui clôt la procédure arbitrale :

137 M. DE BOISSESON, op. cit. note 113, p. 286, n° 782.

138 V. dans le même sens G. B. BORN, International Arbitration : Law and Practice, op. cit. note 115, p. 279. 139 Dans ce domaine, la situation est tout à fait comparable à celle prévalant en matière de décisions des juges d’État, lesquelles comprennent les décisions juridictionnelles et les décisions administratives. V. en ce sens A. CHAMS, Le Code de procédure civile*, op. cit. note 133, vol. 3, p. 241, n° 269 ; A. MATIN DAFTARI,Procédure civile et commerciale*, op. cit. note 70, p. 352.

140 Sur la différence d’appréciation opérée par les juridictions nationales à cet égard, v. J. KIRBY, op. cit. note 118, p. 122-123.

141 Une approche purement formelle n’est en effet pas suffisante pour qualifier une sentence de définitive : les juridictions nationales ne sont pas liées par les qualifications retenues par l’arbitre. En ce sens, ce n’est pas parce que figurera sur la sentence le libellé « finale » que le juge la considèrera comme telle. V. en ce sens G. B. BORN, International Arbitration : Law and Practice, op. cit. note 115, p. 279-280 ; J. KIRBY, op. cit. note 118, p. 119 et s.

142 Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 748, n° 1358 et p. 753, n° 1359.

143 V. dans le même sens G. B. BORN, International Arbitration : Law and Practice, op. cit. note 115, p. 286. 144 V. supra n° 75.

« 1. La procédure arbitrale est close par le prononcé de la sentence définitive ou par une ordonnance de clôture rendue par le tribunal arbitral conformément au paragraphe 2 du présent article.

2. Le tribunal arbitral ordonne la clôture de la procédure arbitrale lorsque :

a) Le demandeur retire sa demande, à moins que le défendeur y fasse objection et que le tribunal arbitral reconnaisse qu’il a légitimement intérêt à ce que le différend soit définitivement réglé ; b) Les parties conviennent de clore la procédure ;

c) Le tribunal arbitral constate que la poursuite de la procédure est, pour toute autre raison, devenue superflue ou impossible ».

84. Une approche similaire est décelable dans le régime juridique britannique, lequel prescrit qu’une sentence définitive est une sentence « finale ». Cette dernière désigne généralement la sentence qui statue sur l’ensemble des points en litige et qui par conséquent met fin à la mission du tribunal arbitral. Les arbitres cessent alors d’être compétents et ne doivent rendre de sentence définitive que lorsqu’ils estiment avoir achevé leur mission145. Or, selon cette

conception, la sentence définitive s’oppose à une sentence (ou à une simple mesure d’instruction) intérimaire, provisoire et partielle, lesquelles ne mettent pas fin à la procédure. La sentence définitive n’est donc pas nécessairement celle portant sur l’ensemble du litige. Une sentence sur la compétence ou sur la convention d’arbitrage, par exemple, constitue une sentence définitive, sans mettre fin à la mission des arbitres146.

85. En second lieu, l’expression « sentence arbitrale définitive » est employée, selon une acception plus réaliste et davantage compatible avec la procédure, pour désigner une sentence qui met, en tout ou partie, un terme au différend147. En ce sens, une sentence définitive n’est pas nécessairement une sentence portant sur l’ensemble du différend et ne s’oppose donc pas à la sentence partielle148– « une sentence statuant sur une question de responsabilité, mais laissant de côté l’évaluation du préjudice en vue d’une sentence ultérieure, est une sentence finale partielle »149. En revanche, elle exclut les mesures d’instruction ou préparatoires, qui ne mettent fin à aucun des aspects de la procédure. Par conséquent, le tribunal arbitral, en rendant une sentence définitive, tranche une contestation de telle manière qu’il est, en principe, dessaist de tout pouvoir de juridiction relativement à cette contestation.

145 A. REDFERN, M. HUNTER, op. cit. note 131, p. 379, n° 8-33.

146 Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 753, n° 1359. 147Ibid.

148 Pour éviter toute confusion, il est suggéré d’opposer les sentences partielles aux sentences globales, et non aux sentences définitives. V. en ce sens Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 754, n° 1359.

149 P. SANDERS, A. J. VAN DEN BERG, The Netherlands Arbitration Act 1986, Deventer, Kluwer law and taxation,1987, p. 80.

86. Cette solution est celle qui prévaut en droit français : l’article 1484 CPC relatif à l’arbitrage interne dispose que « [l]a sentence arbitrale a, dès qu’elle est rendue, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’elle tranche »150. Il est vrai que la loi ne vise

expressément que les seules décisions de dessaisissement et non celles rendues en cours d’instance151. Pourtant, il ne faut pas douter que, même dans le silence de la loi, les arbitres

peuvent rendre des sentences incidentes, préalables ou partielles152. En somme, les décisions de l’arbitre portant sur les questions de compétence, de validité du contrat ou de responsabilité sont dans cette perspective des sentences définitives même si elles n’entraînent pas le règlement complet de l’objet du litige153.

87. En ce qui concerne le droit iranien, l’article 31 de la Loi d’arbitrage dispose que « la procédure arbitrale est close par le prononcé de la sentence définitive », de sorte qu’il semble s’inscrire dans la première conception préalablement identifiée. Dans la mesure où la jurisprudence iranienne n’a pas décortiqué cette question, les précisions et développements sont venus de la doctrine. Pour certains, la sentence définitive est celle qui, « d’une part, (…) met fin à toutes les questions soumises aux arbitres, et [qui] d’autre part, (…) n’est pas opposable, susceptible de recours de révision ou d’annulation, ou de renvoi ou, de tout autre recours mettant en cause son autorité »154. Pour d’autres, elle est la sentence qui met fin à la mission des arbitres155. Sans doute ces définitions prennent-elles en considération la première partie de l’article 31 de la Loi d’arbitrage ; elles écartent en revanche l’hypothèse des sentences partielles qui règlent définitivement une partie du litige soumis à l’arbitre. Dans cette perspective, une sentence statuant sur une question de responsabilité, mais laissant de côté l’évaluation du préjudice par l’expert en vue d’une sentence ultérieure, parce qu’elle ne met pas fin à l’instance arbitrale, ne sera pas qualifiée de sentence définitive, alors même qu’elle est bien une sentence finale partielle156.

88. Il semble que cette conception soit confortée par d’autres dispositions de la Loi d’arbitrage qui évoquent indirectement les pouvoirs de l’arbitre en vue de prononcer une sentence

150 La formulation est à cet égard la même que celle qui prévalait avant la réforme de 2011 dans l’ancien article 1476 CPC. V. M. DE BOISSESON, op. cit. note 113, p. 807, n° 784.

151 Aux termes de l’article 1485, al. 1 CPC, « [l]a sentence dessaisit le tribunal arbitral de la contestation qu’elle tranche ».

152 J.-F. POUDRET, S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, Bruxelles/Zürich/Paris, Bruylant/Schulthess/LGDJ, 2002, p. 669, n° 721.

153 P. SANDERS, A. J. VAN DEN BERG, op. cit. note 149, p. 80.

154 L.DJONEIDI, L’exécution des sentences arbitrales commerciales étrangères*, op. cit. note 119, p. 26 (notre traduction).

155 A.MOEZZI, op. cit. note 121, p. 460.

partielle. L’article 13 (3), qui s’inscrit dans les motifs et procédures de récusation de l’arbitre, prévoit par exemple que l’échec de la procédure de récusation, y compris le refus de l’arbitre de se récuser, est susceptible de recours devant les tribunaux compétents. Dans l’attente de leur décision, l’arbitre peut poursuivre la procédure arbitrale et rendre une décision dans ce cadre157. L’article 16 dispose quant à lui en son paragraphe 3 que la décision de l’arbitre qui reconnaît sa compétence est susceptible de recours devant les tribunaux compétents. Il prescrit, de même que l’article 13 (3), que dans l’attente de cette décision, l’arbitre peut poursuivre la procédure arbitrale158. Par conséquent, la sentence rendue sur la base de l’article 16 est une sentence partielle qui ne met pas fin à l’arbitrage. Au final, si la Loi d’arbitrage mentionne la sentence qui met fin à l’arbitrage, elle envisage également explicitement les pouvoirs de l’arbitre pour prendre diverses décisions, dont certaines, en raison de leurs effets, doivent être regardées comme des sentences partielles159.

89. La position du droit iranien se rapproche de celles d’autres États, comme la Suisse160, les

Pays-Bas161 ou la Belgique162, ainsi que d’un certain nombre de règlements d’arbitrage163. Ces

textes ont dans leur ensemble prévu l’hypothèse du prononcé de la sentence partielle. En visant cette hypothèse, certes de façon implicite, le droit iranien paraît donc admettre le caractère définitif de ce type de sentences, en tant qu’elles sont susceptibles de recours et

157 L’article 13 (3) dispose en effet que, « [s]i une demande de récusation conforme à la procédure mentionnée aux paragraphes 1 et 2 du présent article échoue, la partie récusante peut, dans un délai de trente (30) jours suivant la communication de la décision de rejet, demander à l’autorité visée à l’article 6 de prendre une décision sur la récusation. Dans l’attente de cette décision, l’arbitre peut poursuivre la procédure arbitrale et rendre une sentence » (notre traduction).

158 L’article 16 (3) se lit dans ses parties ici utiles comme suit : « Si l’arbitre détermine à titre préliminaire qu’il est compétent, l’une ou l’autre partie peut, dans un délai de trente (30) jours après avoir été avisée de cette décision, demander à l’autorité visée à l’article 6 d’instruire et de décider ce point. En attendant qu’il soit statué sur cette demande, l’arbitre est libre de poursuivre la procédure arbitrale et de rendre une sentence » (notre traduction).

159Quant aux pouvoirs de l’arbitre, l’article 17 de la Loi d’arbitrage énonce qu’il peut « ordonner toute mesure provisoire ou conservatoire en ce qui concerne l’objet du différend à propos d’éléments nécessitant une décision rapide » (notre traduction). L’article 25 de cette même Loi précise par ailleurs que « l’arbitre peut, lorsqu’il l’estime nécessaire, soumettre la question à expertise » (notre traduction). Ces divers éléments confirment que l’arbitre, en plus des pouvoirs mentionnés à l’article 31 relatifs au prononcé de la sentence arbitrale finale, peut également prendre de nombreuses décisions.

160 L’article 188 du Code de droit international privé suisse dispose que « [s]auf précision contraire, le tribunal arbitral peut rendre une sentence partielle ».

161V. l’article 1049 du Code de procédure civile des Pays-Bas. 162 V. l’article 1699 du Code judiciaire belge.

163 V. par ex. l’article 28 (1) du règlement d’arbitrage de la CCI relatif aux mesures conservatoires. L’article 26 (7) du règlement d’arbitrage de la LCIA est encore plus explicite. Il prescrit que « [l]e Tribunal arbitral peut rendre des sentences séparées sur différentes questions à des moments différents. De telles sentences auront les mêmes statut et effet que toute autre sentence rendue par le Tribunal arbitral » (pour la version anglaise originale : « The Arbitral Tribunal may make separate awards on different issues at different times. Such awards

shall have the same status and effect as any other award made by the Arbitral Tribunal »). De même, l’article 34 (1) du règlement d’arbitrage CNUDCI énonce que « [l]e tribunal arbitral peut rendre des sentences séparées sur différentes questions à des moments différents ».

d’exécution164. Par conséquent, il est possible de définir la sentence arbitrale définitive en

droit iranien comme celle mettant un terme à tout ou partie d’un différend, qu’elle intervienne sur le fond ou sur la compétence, et qui s’oppose à la simple mesure d’instruction ou de procédure.

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