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L’évolution de la législation iranienne en fonction d’un contexte historique particulier

L’EVOLUTION DE LA LEGISLATION ET LA MODERNISATION DU SYSTEME D’ARBITRAGEDANS L’ORDRE JURIDIQUE IRANIEN

B. L’évolution de la législation iranienne en fonction d’un contexte historique particulier

63. En sus de ces facteurs, il faut ajouter le mouvement législatif amorcé après l’avènement de la révolution islamique de 1979. À cette époque, la révision des contrats internes et internationaux conclus avant 1979 a perturbé le processus d’exécution de ces contrats et de nouveaux litiges sont nés. Ainsi l’arbitrage s’est-il trouvé sur le devant de la scène pour régler les litiges issus des changements révolutionnaires. Au demeurant, la prise en otage du personnel diplomatique et consulaire des États-Unis le 4 novembre 1979 par les étudiants révolutionnaires a aggravé les relations entre l’Iran et les États-Unis99. Dans la foulée, la

guerre avec l’Irak, laquelle a duré plus de huit ans, a retardé à son tour l’exécution des contrats et plusieurs autres différends ont résulté de cette situation100. Puisque la plupart des contrats en cause contenaient des clauses compromissoires, le règlement des litiges par la voie de l’arbitrage est devenu la solution prioritaire. C’est seulement à ce stade que les dirigeants et les acteurs économiques se sont rendus compte de l’insuffisance du Code de procédure civile iranien du 17 septembre 1939.

64. C’est ainsi que la République islamique d’Iran, répondant aux attentes internes et sous la poussée de considérations circonstancielles, s’est dotée d’une Loi sur l’arbitrage commercial international qui est entrée en vigueur le 5 novembre 1997 et a été ratifiée la même année par le Conseil des gardiens. La nouvelle Loi iranienne est inspirée de la loi-type de la CNUDCI et s’organise en 9 chapitres et 36 articles. Cette Loi traduit la récente volonté de libéralisation politique et juridique des dirigeants iraniens et mérite d’être soutenue parce qu’elle symbolise le retour de l’Iran sur la scène juridique internationale après plus de trois décennies d’un ostracisme généré par la révolution iranienne et la guerre contre l’Irak. En adhérant à une loi- type conçue par certains comme un chef d’œuvre pacifiste et le point commun du consensus

98Sur les causes de l’adoption de la Loi d’arbitrage commercial international d’Iran, v. M. DJAAFARIAN, op. cit. note 88,,n° 14,, p. 111-112 ; H.SAFAII, op. cit. note 95, p. 133 et s ; G. EFTEKHAR DJAHROMI, op. cit. note 70, p. 25 ; L. DJONEIDI, op. cit. note 25, p. 17 et s.

99 C’est pour régler les litiges nés de cette situation que le Tribunal des réclamations irano-américaines a été créé en vertu des Accords d’Alger de 1981 conclus entre l’Iran et les États-Unis. V. le site de Tribunal des réclamations irano-américaines à l’adresse <www.iusct.net>.

arbitral international101, l’Iran a démontré son vœu de rejoindre les autres nations dans un mouvement généralisé. En modernisant sa Loi d’arbitrage, l’Iran a considérablement amélioré le cadre juridique de l’arbitrage – même si la comparaison avec la loi-type de la CNUDCI révèle quelques écarts injustifiés de la part du législateur iranien102.

65. Parallèlement aux évolutions législatives dans les autres parties du monde, l’Iran a facilité le recours à l’arbitrage en adhérant à la Convention de New York de 1958 sur la reconnaissance et l’exécution des sentences étrangères et en s’inspirant de la loi-type de la CNUDCI. En se dotant de moyens juridiques modernes, l’Iran se replace au niveau de sa longue histoire d’arbitrage. Cependant, la question de la reconnaissance et de l’exécution des sentences non soumises à la Convention de New York reste toujours irrésolue. À vrai dire, la Loi iranienne est silencieuse sur ce point. Il est évident que le rôle de la jurisprudence, à côté de celui de la doctrine, sont déterminants pour résoudre ce problème. C’est la jurisprudence qui peut poser les fondements d’un droit futur pour la reconnaissance et l’exécution de telles sentences, un droit qui aiderait à écarter les règles internes contraignantes au profit de règles matérielles plus performantes, en vue de promouvoir l’efficacité du fonctionnement de l’arbitrage international en Iran103.

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66. L’arbitrage en France a aussi connu une histoire tumultueuse. Les auteurs distinguent deux grandes périodes, dont la première s’étend de l’Antiquité à la Révolution104. Elle connaît trois

phases : la Haute Antiquité, le droit romain, l’Ancien Régime. La seconde période, quant à

101 Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 394. En effet, « [l]a loi-type codifie sur de nombreux points les coutumes et pratiques courantes de l’arbitrage international de droit privé. Mais la loi-type est également présentée comme une “œuvre transactionnelle” ou représentant “le plus petit dénominateur commun du consensus international sur l’arbitrage” ». V. N. NAJJAR, op. cit. note 33, p. 45, n° 72.

102V. H. SAFAII, Recueil des articles sur le droit international et l’arbitrage international*, op. cit. note 95, p. 133 et s. ; M. DJAAFARIAN, « Observationssur le projet de loi d’arbitrage commercial international »*, n° 14,

op. cit. note 88, p. 111-112 ; M. ASSADINEJAD, op. cit. note 33, p. 44 et s. Sur leurs caractéristiques, v. J. SEIFI, « The New International Commercial Arbitration Act of Iran, Towards Harmony with the UNCITRAL Model Law », op. cit. note 83, p. 5-35 ; M. TAVASSOLI NAEENI, op. cit. note 70, p. 394-405.

103 La loi d’adhésion de la République islamique d’Iran à la Convention de New York date du 13 avril 2001. Aux termes des paragraphes 1er et 3 de l’article unique de la loi, les conditions de « commercialité » et de « réciprocité » ont été maintenues. Ainsi, la question de la reconnaissance et de l’exécution des sentences non commerciales et de celles rendues dans des pays non parties à la Convention de New York n’est toujours pas tranchée. V. M. DANAYE ELMI, « Les raisons de la modernisation et des évolutions du droit de l’arbitrage en Iran »*, op. cit. note 95, p. 23-26.

104 V. en ce sens X. LINANT DE BELLEFONDS,L’arbitrage, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », p. 15 et s. Sur l’histoire de l’arbitrage interne en France, v. J. RUBELLIN-DEVICHI, « L’arbitrage », Jur.-Cl., Proc. civ., fasc. n° 1010.

elle, s’étendrait de la Révolution à la réforme de 2011 et comporterait quatre étapes : le droit intermédiaire, la loi du 31 décembre 1925, la réforme de 1980-1981 et la réforme de 2011. 67. C’est au cours de la « période intermédiaire » que l’arbitrage a vu son importance croître de

manière significative. Les révolutionnaires ont ainsi manifesté leur hostilité envers l’ancien personnel en exaltant l’arbitrage105 et en érigeant le droit de recourir à l’arbitre en principe

constitutionnel106. De même, les voies de recours étaient singulièrement étroites et les cas d’arbitrage forcé nombreux. Ces excès ont, au lieu d’assurer la pérennité de l’arbitrage, conduit le législateur à lui manifester par la suite une profonde hostilité. De même, le juge a-t- il, dans un arrêt du 10 juillet 1843 rendu par la Cour de cassation, instauré l’interdiction de principe de la clause compromissoire107. En raison des difficultés pratiques engendrées par cette prohibition – et du frein économique qu’elle constituait –, il fut tenté d’en limiter les effets par voie d’interprétation restrictive. Finalement, le 31 décembre 1925, le Code du commerce admit la validité de la clause compromissoire en matière commerciale à son article 631, sans qu’il soit distingué entre arbitrage interne et arbitrage international. D’autres ajustements ponctuels furent mis en œuvre108 jusqu’à, finalement, la réforme d’ensemble de

1980-1981.

68. Il est certain que la particularité du droit de l’arbitrage français réside dans son origine et son enracinement jurisprudentiels109: avant 1981, il n’existait tout simplement aucun texte spécifiquement relatif à l’arbitrage international et il convenait, dans ce domaine, de se

105Les décrets des 16 et 24 août 1790 portant sur l’organisation judiciaire conféraient par exemple aux juges d’État le titre d’« arbitres publics ».

106 V. la Constitution du 3 septembre 1791.

107 V., sur ces prémices, J. ROBERT, L’arbitrage : droit interne, droit international, 5e éd., Paris, Dalloz, 1983, Avant-propos, p. xi-xii.

108 Notamment, en 1972, furent introduites dans le Code civil de nouvelles dispositions, pour partie transposées du Code de procédure civile, et qui portaient sur le domaine de l’arbitrage et la prohibition de principe de la clause compromissoire. La transposition a occasionné une vive controverse. À propos des brevets d’invention, de nouvelles dispositions ont été ajoutées à l’article 6 de la loi de 2 juillet 1968, selon lesquelles les tribunaux de grande instance et les cours d’appel étaient obligés d’empêcher le recours à l’arbitrage dans les conditions énumérées par les articles 2059 à 2600 du Code civil. L’article 3 de la loi du 27 juillet 1972 a permis aux coopératives agricoles dont l’objet était civil d’insérer la clause compromissoire dans les contrats conclus avec les fournisseurs tiers. V. sur ce point Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 74-75, n° 133-135.

109C’est en effet « sans l’appui du moindre texte que la jurisprudence posa les fondements d’un droit français propre à l’arbitrage international, puis le construisit peu à peu. L’apport le plus notable de la jurisprudence au droit français de l’arbitrage international est certainement constitué par une série d’arrêts rendus par la 1re chambre civile de la Cour de cassation dans les années 1960 et 1970, par lesquels la haute juridiction, écartant plusieurs règles restrictives du droit interne, a dicté, pour les seuls arbitrages internationaux, des règles matérielles spécifiques, toutes destinées à renforcer leur efficacité. Ces règles ont spécialement porté sur la convention d’arbitrage international et ont notamment affirmé son autonomie par rapport au contrat principal, la validité de la convention d’arbitrage international conclue par un État ou une personne morale de droit public, la validité du principe de la clause compromissoire en matière internationale ». J. ROBERT, L’arbitrage : droit

satisfaire des dispositions contractuelles et de la jurisprudence110. En ce sens, la réforme de 1981 fut perçue comme une petite révolution. Là encore cependant, certains ajustements subséquents furent nécessaires111. En définitive, il fut choisi de procéder à une nouvelle refonte générale. Le décret de 2011, tout en maintenant une certaine tradition, vise à améliorer les solutions françaises :

« (…) après trente ans de pratique, il est apparu nécessaire de réformer ce texte, afin, d’une part, de consolider une partie des acquis de la jurisprudence qui s’est développée sur cette base, d’autre part, d’apporter des compléments à ce texte afin d’en améliorer l’efficacité et, enfin, d’y intégrer des dispositions inspirées par certains droits étrangers dont la pratique a prouvé l’utilité »112.

69. Ainsi, bien qu’adoptant une démarche différente, les deux ordres juridiques français et iranien ont cherché à instaurer des règles plus favorables pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales. L’Iran en s’inspirant de la loi-type de la CNUDCI, s’est doté du meilleur moyen législatif à sa disposition pour moderniser ses règles sur l’arbitrage international. Mais, contrairement au droit français, les réglementations relatives à l’arbitrage organisé à l’étranger font toujours défaut. Par conséquent, la sentence étrangère, dans les cas où elle n’est pas soumise à la Convention de New York, voit sa reconnaissance et son exécution entravées en raison de l’adoption des réserves de « commercialité » et de « réciprocité ». Afin d’améliorer la certitude juridique, l’Iran devrait sans doute poursuivre son effort de réformation et adopter des règles propres régissant les arbitrages internationaux et étrangers.

110 Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 82, n° 150.

111Après les réformes du 12 mai 1981, deux mouvements législatifs retiennent l’attention. D’abord, l’article 9 de la loi de 19 août 1986 permet à l’État et aux établissements et organismes publics d’inclure une clause compromissoire dans les contrats conclus avec les sociétés étrangères, en vue de garantir les intérêts nationaux quand un litige survient. V., pour les critiques formulées à l’encontre de cette loi, Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit. note 2, p. 336, n° 544. Ensuite, la loi du 2 juillet 1991 a prévu que les demandes de reconnaissance et d’exequatur, pour les sentences arbitrales françaises ou étrangères, peuvent être adressées aux tribunaux de grande instance statuant à juge unique.

112Rapport au Premier ministre relatif au décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage,J.O. du 14 janvier 2011, p. 773.

PARTIE I

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