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Plusieurs types de contraintes conditionnent « l’agir » des conseils citoyens. Elles affectent pour la plupart leurs modalités de fonctionnement et d’organisation mais interviennent aussi sur leur capacité d’action.

7.2.1. Planifier et composer les réunions : entre verticalité et interaction

En interne, les conseils citoyens sont confrontés aux difficultés de planification (dates des séances plénières, des groupes de travail, ordre du jour). Cette planification est également contrainte par l’agenda du contrat de ville qui garde la maîtrise du calendrier opérationnel, matérialisé en grande partie par les réunions du comité de pilotage et dans une moindre me- sure, celles des comités techniques (classe 8).

« On a désigné ici au sein du conseil-citoyen des personnes qui vont représenter le

conseil-citoyen au niveau des instances de la politique de la ville qui sont le comité

de pilotage, la cellule opérationnelle et les bureaux de quartier » (homme, conseil ci-

toyen Trois Cocus/ La Vache, février 2016, classe 8)

Ces instances fixent un certain nombre d’objectifs auxquels les conseils citoyens doivent être en mesure de répondre (thèmes prioritaires, propositions de projets pour le quartier, suivi du calendrier des interventions, etc.) et pour lesquelles il est nécessaire de désigner des représen- tants qui sont chargés à la fois de porter la parole du conseil citoyen et de faire un compte- rendu aux autres membres lors des plénières. Si initialement les instances demandaient à ce que les représentants soient fixes, cette exigence s’est abaissée devant la volonté de certains conseils citoyens de favoriser une rotation.

« Alors en tant que représentante donc qui va siéger en comité de pilotage le 21 juin

on nous a demandé de faire passer au départ des projets et ensuite ça s’est transfor-

mé en simples idées et ensuite, du coup, dans l’urgence […] » (femme, Conseil ci-

toyen Bellefontaine/Milan, mai 2016, classe 8)

Il n’en demeure pas moins qu’en gardant la maîtrise des dates et du contenu des réunions, le dispositif de pilotage contraint considérablement les paroles autorisées dans le cadre des réu- nions plénières.

« En tout cas voilà, il y a la réunion de la COR [(Cellule Opérationnelle Restreinte)]

le 29, ce que je vous propose c’est de fixer l’ordre du jour de la prochaine réunion et de fixer la date de la prochaine réunion » (femme, conseil citoyen Reynerie – Mirail

Université, septembre 2016, classe 2)

Mais planifier les réunions met également en évidence le problème crucial de l’articulation des temporalités, d’une part entre professionnels et bénévoles et entre bénévoles d’autre part. La participation aux conseils citoyens demande un investissement en temps qui peut être con- sidérable, entre les activités des conseils et l’assistance aux réunions des instances de « pilo- tage », ce dont témoigne le segment suivant :

« […] les comités de pilotage, les suivis opérationnels, les groupes de travail, pour

qu’on puisse à la fin de l’année quantifier le temps qu’on a consacré au conseil-

citoyen » (femme, conseil citoyen Trois-Cocus/ La Vache, décembre 2015, classe 8)

Par ailleurs, les dates et heures de réunion décidées collectivement font systématiquement l’objet de négociations voire de renégociations car si les dates et heures conviennent à la ma- jorité des présents elles peuvent exclure des membres qui ne sont jamais disponibles sur ces créneaux horaires.

Le recours à des outils de sondages en ligne (« Doodle », classe 12), adopté par un conseil présente l’avantage d’associer les absents à la décision tout en l’externalisant du temps de la plénière. Il présente néanmoins deux inconvénients, la décision se trouve reportée et repose sur l’investissement d’une personne, il peut aussi contribuer à accentuer une certaine fracture numérique notamment chez les plus âgés. Une autre solution a été d’alterner les jours et heures de réunions, enfin, un conseil a fait le choix d’établir un jour et une heure fixe, à cha- cun de se libérer ou non. Entre désintérêt pour les activités du conseil et incapacité à assister aux réunions plénières, le prosaïsme de la contrainte soulève deux des difficultés majeures de la participation, la disponibilité et l’assiduité. Il met aussi en évidence des différences de re- présentations considérables sur le conseil citoyen : doit-il s’adapter pour que chacun puisse y trouver sa place ? Ou revient-il à la responsabilité et l’engagement de chacun de s’adapter au conseil citoyen ?

7.2.2. Communiquer, être informé et s’institutionnaliser

La gestion de la communication essentiellement mais non exclusivement par voie électro- nique, se trouve associée à la gestion des formalités administratives du conseil, par exemple,

la déclaration en préfecture. Cette proximité semble indiquer que la gestion de la communica- tion participe du processus d’institutionnalisation des conseils citoyens, comme le résume très bien la phrase suivante, prononcée par une des membres du conseil-citoyen des quartiers Reynerie-Mirail-Université « L’information, c’est le pouvoir ». Les informations des ins- tances de pilotage et celles propres au conseil doivent pouvoir circuler auprès de chacun des membres et cette nécessité est conditionnée par la création de listes de contacts mises à jour, en éliminant les démissionnaires, sans quoi la légitimité même du conseil citoyen et celle des instances de pilotage peuvent s’en trouver mises à mal. Les conseils citoyens contraints par- fois d’« aller à la pêche aux informations » ont pu parfois nourrir une forme de défiance en- vers les « intermédiaires », accusés de « manipulation » (classe 18).

S’agissant de l’information en interne, la question s’est posée avec une acuité particulière à l’occasion de la démission d’une personne ayant été élue au « bureau » d’un des conseils. Si le statut importait assez peu pour les membres qui considéraient cette élection comme une simple formalité administrative liée à la nécessité de pouvoir afficher une personnalité morale (statut d’association loi 1901) et recevoir les informations, sans répercussion sur le fonction- nement collégial du conseil, la démission a rouvert les négociations sur les statuts, le rôle du bureau, le règlement intérieur et la gestion de la circulation de l’information.

« Il faut un petit bout de papier comme quoi le bureau s’est réuni le tant et à telle

heure et qu’il a désigné le vice-président en fonction du président intérimaire en rem- placement de l’ancien président démissionnaire » (homme, conseil citoyen Reynerie -

Mirail Université, juin 2016, extrait du concordancier de la forme « bureau » classe 18).

« Il y a besoin d’aller au coup de force, quand on dit qu’il faut le bureau au niveau

des institutions, naturellement ils vont envoyer la convocation au président, au bureau, naturellement » (homme, conseil citoyen Reynerie -Mirail Université, mai 2016, ex-

trait du concordancier de la forme « bureau », classe 18).

7.2.3. Le cadrage interne du processus délibératoire : Animation, régulation, gestion de l’ordre du jour

Selon les conseils, plusieurs rôles font l’objet de désignation sur la base du volontariat. Outre les représentants aux instances, des secrétaires, animateurs de séances sont désignés à chaque séance. Le degré de formalisation de cette répartition des rôles est sujet à variations d’un con- seil à l’autre. Leur mission réside dans la prise de note, la gestion de l’ordre du jour, la répar- tition des temps de parole et parfois leur régulation, en veillant à ce que les échanges ne ver- sent pas dans un registre émotionnel trop prononcé (ex. : « les gardiens du ressenti ») se con- formant ainsi implicitement aux injonctions de rationalité du débat démocratique.

« Moi je trouve ça parfaitement démocratique de permettre à quelqu'un, donner un

temps de 10 minutes un quart d’heure à la réunion, poser sa question, essayer de trouver des réponses et puis en terminer, la, voilà, je trouve que c’est une proposi- tion » (homme, conseil citoyen Trois Cocus La Vache, décembre 2015, classe 12).

« Donc on s’est dit que vu le timing, il doit y avoir 10 minutes globalement on fait une

pause et vous faites un signe si vous avez des questions à poser » (femme, conseil ci-

toyen de Bellefontaine Milan, mars 2016, classe 12).

Si chacun est a priori libre de s’exprimer, la définition du périmètre de ce qu’il est pertinent ou non d’évoquer au cours des séances donne lieu à des désaccords :

« Alors maintenant la question que tu poses moi je pourrais y répondre je n’ai pas

peur mais je pense qu’on a autre chose à faire que de s’étendre sur un truc comme ça, donc ta question n’est pas bienvenue » (femme, conseil citoyen Bellefontaine Milan,

février 2016, classe 12).

Toutes les questions ne sont donc pas bienvenues et les contraintes du « timing » ainsi que les compréhensions disparates du rôle du conseil citoyen peuvent venir limiter voire censurer ce qu’il faut aborder en séance ou au contraire, laisser de côté. Par ailleurs, le segment ci-dessus laisse entrevoir l’existence de confrontations, plus ou moins apaisées.

Des éléments lexicaux témoignent directement de l’existence de débats comme « accord », « excusez-moi » ou « poser des questions » ou encore « laisser parler » (classe 12 et 14). L’écoute et le respect de la parole d’autrui font ainsi partie des règles, plus ou moins tacites et plus ou moins respectées, régissant le fonctionnement des plénières qui apparaissent dès lors comme des espaces dans lesquels la discussion est possible. Celle-ci peut, ou non, déboucher sur une prise de décision collective qui est, ou non, entérinée par un vote (classe 9). Si la te- nue d’un vote peut être un argument pour ne pas rouvrir la discussion ultérieurement, ce n’est pas pour autant systématique.

Ceci étant dit, le processus délibératoire ne se réduit pas aux séances plénières car des « groupes de travail » et commissions internes sont formés, (ce qui n’a pas été sans négocia- tion dans certains conseils) pour approfondir les sujets jugés importants voire prioritaires. Les travaux des « groupes de travail » sont par la suite régulièrement présentés à l’ensemble des membres présents lors des séances plénières.

En parallèle à des groupes internes aux conseils citoyens, d’autres « groupes de travail » sont constitués par l’instance de pilotage du contrat de ville, ici Toulouse métropole, comme le « comité de pilotage », mais aussi un groupe plus informel chargé de réfléchir spécifiquement à la question de la participation des habitants. Les travaux des sous-groupes sont restitués et mis en discussion au cours des séances plénières. Du « Copil »73 aux groupes de travail, la délibération apparaît donc ici comme un processus échelonné, cadré et conditionné en partie par la connaissance et la compréhension du contrat de ville.

7.2.4. Comprendre le contrat de ville et y trouver sa place

Un des éléments ayant le plus accaparé les temps de discussion concerne le contrat de ville et la fonction des conseils citoyens. Cette compréhension du contrat de ville, d’abord définition- nelle, peut être amenée par des interventions de personnes extérieures, des chargés de mission politique de la ville, des animateurs comme la Ligue de l’Enseignement. Mais elle passe aussi par la capacité des membres à identifier les bons interlocuteurs (associations, bailleurs so- ciaux, maires de quartier, etc.) et à construire un projet susceptible d’être entendu en comité de pilotage et recevoir un écho positif de la part des décideurs.

« Il y un contrat qui doit servir pour les habitants des quartiers prioritaires, l’objectif

c’est ça, les habitants sont-ils concernés sont-ils impliqués par la politique de la

ville ? » (femme, conseil citoyen Soupetard - La Gloire, juin 2016, classe 1).

« Et là il est marqué en dernier, le tout dernier paragraphe « dans une logique de co-

construction et de dialogue avec les partenaires du contrat de ville, le rôle de la mis- sion est de mobiliser les acteurs locaux ressources sur les thèmes que chaque conseil

souhaite aborder » (femme, conseil citoyen Soupetard - La Gloire, juin 2016, classe 1).

« On a bien refixé samedi lors des ateliers qu’il fallait bien rester dans le cadre du

contrat de ville et du renouvellement urbain parce que c’est vrai qu’on avait dévié

sur commission de quartier, etc. » (femme, conseil citoyen Bellefontaine Milan, oc-

tobre 2016, classe 1).

Rester dans le cadre, comprendre le fonctionnement de la démocratie locale, que les missions du conseil citoyen n’y sont pas tout à fait réductibles, a été un processus d’apprentissage, couplé d’une appropriation des contraintes perçues dans ce cas comme nécessaires pour me- ner à bien les actions du conseil. Il faut se focaliser sur le renouvellement urbain et le contrat de ville, les partenaires et les ressources locales.

Dans ce contexte, les lieux de rencontres et de partage, les tiers lieux, la dynamisation de la vie associative, l’emploi local et l’implantation de services publics (permanence à la mission locale, accueil jour et nuit pour les mineurs) dans le quartier sont les projets qui semblent les plus investis par les conseils. Ils répondent aux objectifs fixés par le contrat de ville en ma- tière de mixité, de cohésion sociale et de dynamisation du quartier.

« La réunion du 3 mars on a défini quelles étaient nos priorités dans la cohésion so-

ciale, la première des priorités c’était de réfléchir sur un lieu de rencontre et

d’échange animé par les associations et ouvert aux habitants » (femme, conseil ci-

toyen Soupetard - La Gloire, juin 2016, classe 10).

« Alors mixité sur l’espace public, on demandera aux associations d’occuper

l’espace public dans, lors des manifestations […] » (femme, conseil citoyen Belle-

fontaine-Milan, septembre 2016, classe 10).

La scolarité occupe ici aussi un rôle important comme en témoigne le contenu de la classe 13. Si la thématique du décrochage scolaire figure parmi les priorités de trois conseils citoyens,

selon des modalités différentes (décrochage, accompagnement scolaire, lutte contre l’errance des jeunes) qui s’inscrivent dans le cadre de l’axe jeunesse du contrat de ville, cette classe est également liée à deux controverses locales. L’une concerne les manuels scolaires, qui n’avaient pas été distribués à temps à tous les élèves. Cette controverse, spécifique au conseil Reynerie-Mirail-Université a été portée par un membre du conseil également investi en tant que membre d’une association de parents d’élèves.

« Oui au collège, tous les élèves n’ont pas de manuel scolaire, on remonte ça en tant

qu’association de parents d’élèves on a remonté ça » (homme, conseil citoyen Reyne-

rie –Mirail-Université, avril 2016, classe 13).

La seconde controverse concerne un projet porté par le Conseil Départemental de « mixité sociale » au collège, indépendamment du contrat de ville. Celle-ci a particulièrement affecté les quartiers Bellefontaine - Milan et Reynerie -Mirail-Université, dans la mesure où ce projet prévoyait d’envoyer des élèves des collèges « défavorisés » étudier dans les collèges « favori- sés » du centre-ville et vice-versa. En parallèle, un établissement, implanté dans les quartiers concernés était menacé de fermeture.

« Ils ont parlé de quoi, ils ont parlé de la mixité au niveau scolaire, les probléma-

tiques qu’il y avait entre le public et le privé, les différentes classes sociales, les élèves sont issus de différentes classes sociales » (homme, conseil citoyen Reynerie-Mirail-

Université, septembre 2016, classe 13)

« Après franchement, la fermeture du collège pour moi dans ma compréhension per-

sonnelle, donc j’engage que moi, elle est dans le prolongement de cette question de

mixité sociale » (femme, conseil citoyen Reynerie-Mirail-Université, octobre 2016,

extrait du concordancier de la forme « mixité », classe 13).

« Un autre point quand même que j’ai trouvé pervers, c’est un mot un peu fort mais

bon, dans le discours des politiques qui étaient là, revenait souvent comme argument, sur la non mixité de nos collèges » (femme, conseil citoyen Bellefontaine Milan, oc-

tobre 2016, extrait du concordancier de la forme « mixité », classe 13).

Les membres des conseils citoyens ont considéré qu’il était dans leur mission de se position- ner sur cette réforme et ils s’en sont donnés les moyens, en organisant des réunions avec élus et professionnels en charge du projet, associations de parents d’élèves, favorables ou défavo- rables au projet, enseignants et chefs d’établissements. Ils ont également assisté aux réunions d’information prévues par le Conseil Départemental et ont pris part aux phases de concerta- tion.

La scolarité et ses enjeux connexes apparaissent ainsi comme une thématique transversale qui rend cependant compte de contradictions inhérentes à l’architecture de la gouvernance urbaine et à la répartition des compétences entre collectivités territoriales. Les compétences des ins- tances participatives, enchâssées dans cet enchevêtrement administratif, lui-même complexi- fié par les incessantes réformes, dépendent ainsi directement de l’articulation des dispositifs administratifs.

L’appropriation des enjeux de la politique de la ville pour les quartiers soulève donc des inter- rogations importantes sur les missions mêmes des conseils citoyens, en tant que partenaire du contrat de ville et en tant qu’instance indépendante dont le déploiement est national. C’est dès lors une réflexion sur les conseils citoyens qui est engagée. Peuvent-ils être porteurs de pro- jets ? Quels sont les dispositifs d’accompagnement et de formation prévus par la loi et le con- trat de ville ? Quels sont les engagements mutuels à respecter ? Leur mission principale se réduit-elle au suivi de la mise en œuvre des opérations d’aménagement de l’espace urbain ? Cette montée en généralité, embryonnaire dans le cadre de cette étude, laisse cependant entre- voir les conditions d’une politisation des conseils citoyens qui s’inscrirait dans la construction de relations entre conseils citoyens74, sur le territoire métropolitain et au-delà, en parallèle plutôt qu’en opposition avec les contrats de ville et la politique de la ville. Toutefois, dans la temporalité de cette étude, une forme de politisation plus discrète semble plutôt se déployer en deçà du contrat de ville, comme condition préalable à l’action des conseils citoyens.

7.3.UN « AGIR COMMUNICATIONNEL » EN DEÇA DU CONTRAT DE VILLE : HORIZONTALITE ET

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