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La société civile quant à elle revêt des contours plus flous car elle fait l’objet de définitions hétérogènes sinon concurrentes. Les analystes s’accordent cependant à dire que son émer- gence est liée au développement des démocraties modernes libérales (Chartier, 1990 ; Beau- vois, 2005 ; Duchastel, 2004) et qu’elle repose sur un principe de séparation entre l’État et la politique d’un côté, et le « civil » de l’autre. En droit, le civil est par définition ce qui ne re- lève ni du droit public, ni du droit commercial, ni de la justice militaire. C’est un principe de division entre des sphères de l’activité humaine, politique, sociale, économique et culturelle qui garantit l’existence et le maintien des espaces public et privé. Selon les traditions philoso- phiques, elle peut apparaître comme un contre-pouvoir pluraliste face à un Etat absolutiste (Montesquieu, 1748 ; Rousseau, 1762) et le lieu de production et d’émancipation du citoyen dans sa diversité (Kant, 1785 ; Fichte, 1813). Cette conception fondée sur la philosophie révo- lutionnaire du droit naturel, se traduira dans la Déclaration des droits de l’homme et du ci- toyen en France et dans l’American Bill of Rights aux États-Unis qui auront pour effet de garantir les droits et de définir l’unité de base de la société, le citoyen. Elle est également au fondement de la théorie de l’espace public et de la délibération développée par Habermas, nous y reviendrons. Mais la société civile peut aussi revêtir une dimension économique, comme c’est le cas dans la traduction héritée des Lumières écossaises (Ferguson, 1767 ; Smith, 1776 ; Hume 1777), fondatrice du libéralisme économique. Cette définition de la so- ciété civile fusionne ainsi le social et l’économique contre l’État et les affaires politiques, con- férant à la société civile une dimension plus matérielle. Elle est le lieu d’expression des inté- rêts particuliers que seul le marché serait en mesure de réguler de façon optimale.

C’est chez Hegel (1821) que l’on trouve une théorisation systématique de la société civile qui sert encore de référence en philosophie politique. Puisant dans ces trois traditions, il conçoit le fonctionnement de la société civile dans le cadre d’une régulation gouvernementale, étatique. Elle est selon lui, la seule forme de régulation permettant, par le truchement des corporations et le travail médiatique, d’accomplir un travail d’intégration des individus et d’accommoder les intérêts particuliers.

« La société civile qui se loge entre la famille et l’État, est divisée en deux : d’un côté

le système des besoins assuré par l’économie, de l’autre les diverses institutions assu- rant la solidarité et la participation. Le système économique intègre les individus par les systèmes des besoins, du travail et de la stratification. Mais, l’intégration y est dé- ficiente. Les corporations, les assemblées et l’opinion publique assurent de manière

plus positive l’intégration en faisant participer les individus et en permettant l’expression de leurs besoins et de leurs intérêts particuliers » (Duchastel, 2004, p.22).

Pourtant, c’est dans le contexte d’un affaiblissement de l’État, voire d’une régulation en de- hors des Etats, par le biais de la gouvernance, que la société civile tend à être convoquée, au cours de la décennie quatre-vingt-dix, pour pallier les déficits de représentativité et de légiti- mité qui minent les instances nationales et supranationales. La participation de la société ci- vile permettrait d’insuffler une forme de pluralisme aux prises de décisions. Mais la société civile à laquelle il est fait appel est bien particulière puisqu’elle est perçue comme « organi- sée ». Les organes de l’ONU, et par la suite, les instances européennes ont de fait défini et catégorisé la société civile en autant de branches qu’il existe de catégories sociales ou de pro- blèmes sociaux. Les associations, groupes de pression, ONG, etc., se sont ainsi vues dotées des attributs de porte-paroles, sans que ce rôle ait été avalisé par une mandature expresse. Ils sont consultés pour rendre compte des intérêts particuliers afférant à chacun des groupes ou problèmes sociaux identifiés.

De plus, nous l’avons vu, la gouvernance évacue la base du modèle de gouvernement au pro- fit d’une approche gestionnaire. Le principe consiste à permettre aux différentes parties y ayant intérêt à intervenir à un niveau ou à l’autre du processus décisionnel. La société civile transnationale n’est pas, dès lors, pensée comme fondement d’un gouvernement démocratique, mais elle est vue comme la somme des formes de vies associatives liées à des situations ou des intérêts particuliers. Ainsi, ce qui qualifie l’acteur de la gouvernance, c’est le fait de déte- nir, non pas des droits, mais des intérêts. Contrairement à l’essence de la citoyenneté, la socié- té civile animée par la gouvernance néolibérale, mobilise fondamentalement une dimension corporative, partenariale et collaborative.

Cette vision partenariale vient bouleverser le principe de représentation politique, au nom de la complexification des sociétés et de la multiplication des niveaux de pouvoirs. La complexi- fication des sociétés justifierait en effet de privilégier l’association, en tant que partenaires de la gestion du pouvoir, d’une multitude d’organisations différentes tant sur le plan de l’étendue du contrôle de leurs activités (niveau local, régional, national, transnational, supranational, multilatéral…) que sur le plan de leur nature (pouvoir publics, firmes privées marchandes, syndicats, associations caritatives, acteurs religieux…) (Duchastel, 2004). La gouvernance ainsi entendue déplacerait la question de la légitimité du pouvoir qui émergerait, non plus du peuple – que l’existence d’instances représentatives tente de plus en plus difficilement de rendre palpable dans sa pluralité et sa conflictualité – mais d’une forme de société civile orga- nisée en réseaux d’intérêts particuliers qu’il convient cependant de faire converger vers des horizons d’attente communs (Gobin, 2002, 2004). Cette formalisation de la société civile est particulièrement observable dès lors que l’on s’intéresse aux discours circulant dans cet es- pace transnational particulier que constitue l’Union Européenne (UE).

4.4.LE ROLE DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNE DANS LA DIFFUSION DU MODELE DE LA

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