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Nous l’avons vu, les médias sont une des composantes essentielles de l’espace public qui permet la circulation des opinions, selon une approche politique de la communication. Les publications institutionnelles répondent quant à elles à une visée plus instrumentale de la communication car leur rôle est principalement celui d’informer les administrés sur les ser- vices mis à leur disposition et les démarches afférentes, ainsi que de participer à la promotion des orientations politiques locales. Enfin, la presse associative tendrait à répondre à des lo- giques à la fois instrumentales, politiques et praxéologiques dans la mesure où elles fournis- sent aux lecteurs des informations sur la vie et les enjeux des quartiers tout en contribuant à

promouvoir le travail des associations locales et invitent les lecteurs à prendre part soit à l’association soit à la vie du quartier.

8.2.1. La presse nationale et la presse infranationale : des médiatisations différentes du territoire

Le contexte historique de la presse française se caractérise par un fort centralisme de la pro- duction et de la diffusion d’information (Bousquet & Smyrnaois, 2013 ; Bousquet, 2015) à l’exception toutefois de la presse quotidienne qui a très vite mis en place un système d’information décentralisé et a supplanté l’offre nationale. Cette dernière, préfé- rant « l’événement au processus » (Tétu, 1995, p.42), tend à se focaliser, sur la transmission d’une information produite à partir de l’actualité et à sa mise en intelligibilité en relation avec des enjeux sociaux prédominants. S’agissant de la médiatisation des territoires locaux, les éléments saillants susceptibles de rompre le quotidien prennent majoritairement la forme de faits divers :

« l’image d’une ville donnée pourra […] être considérée comme produit

d’occurrences de traitement liées à l’actualité conjoncturelle où la ville est évoquée comme lieu de faits « divers » : de faits, qui, dans leur diversité, contribuent à forger l’image d’un lieu et la représentation que l’on peut en avoir, notamment à l’extérieur de celui-ci » (Noyer, 2013, p.162).

Ainsi, tel que J. Noyer (2013) l’observe dans le cas du traitement médiatique national de l’actualité roubaisienne, les « remontées nationales » (Noyer, 2013, p.171) de l’actualité lo- cale s’effectuent la plupart du temps autour de « faits divers ». Si le travail de cadrage journa- listique tend à les mettre en résonnance avec des problèmes sociaux d’envergure nationale, ils « n’en sont pas moins une composante récurrente d’une actualité locale dont on peut suppo-

ser qu’elle n’est pas sans laisser une forme d’empreinte, plus ou moins pérenne, sur l’image que les publics de ces médias peuvent se faire de cette ville » (Noyer, 2013, p.172).

Les médias favorisent ainsi « le partage de représentations qui participent à la structuration

d’un « imaginaire » relatif à tel lieu, non exempt bien souvent d’éléments stéréotypiques ré- currents » (Moscovici, 1961 ; Noyer, 2013, p. 165).

À un niveau local, la presse écrite, en particulier la presse quotidienne régionale (PQR) joue un rôle central de production et de diffusion d’information de proximité (Pailliart, 1993 ; Bousquet & Smyrnaios, 2013). Elle est de fait, la seule à disposer et entretenir un réseau de correspondants capables de faire remonter les informations de chaque échelon territorial.

« Monopolistique sur son territoire, elle est également devenue une institution, c’est-

à-dire que chaque titre est sur son aire de diffusion synonyme d’information. Son rap- port au territoire s’organise selon trois niveaux : la nation, la région et la commune dans les aires urbaines, remplacée par le canton dans les zones rurales » (Bousquet &

Cette presse tend à médiatiser le territoire « comme un lieu dont le sens est donné par les

liens » (Bousquet, 2015, p. 171 ; Boure & Lefevbre, 2000) en se faisant volontiers le relais

des autorités (information vitrine), qui en retirent légitimité, ou des acteurs culturels et éco- nomiques qui donnent vie au territoire (information service) (Noyer et al., ,2013 ; Bousquet, 2015). Ces informations cohabitent avec la médiatisation de certaines controverses et enjeux locaux ainsi que des faits divers. Elle se caractériserait néanmoins par une information prag- matique plus consensuelle (Tétu, 1994,1995) que la presse nationale.

Toutefois, l’arrivée de nouveaux acteurs numériques bouleverse l’information locale et ten- drait à annoncer la fin de la situation monopolistique de la PQR au niveau local (Bousquet & Smyrnaios, 2013). Des « pure players » se sont en effet progressivement développés, dans les interstices laissés par la PQR, en fonction de configurations locales, soit qu’ils se spécialisent sur la production d’une actualité « tiède », ou « froide » nourrie d’événements, d’animations culturelles ou institutionnelles , proche d’une couverture « magazine », notamment dans les territoires ruraux, soit qu’ils se concentrent, forts de la relative indépendance financière par- fois permise par le web, sur l’investigation, alimentant ainsi les controverses locales, large- ment laissées dans l’ombre par la PQR82. La presse locale aurait cependant tendance à ne re- tenir qu’une information superficielle faite d’une juxtaposition de micro-événements sans contexte, sans cause ni conséquence (Pailliart, 2013). En somme, elle détourne le regard et l’attention de la profondeur et de la diversité de la société pour l’attirer sur une construction des rapports sociaux simplifiée à l’extrême. Que ce soit sous l’effet des choix éditoriaux, ou des contraintes socio-économiques, la production discursive de la presse quotidienne régio- nale tend à produire un décalage entre le territoire et sa médiatisation. Ce décalage met en évidence les processus de cadrage à l’œuvre, marqués par des enjeux politiques locaux et na- tionaux. Il révèle ainsi des interstices dans lesquels des médias numériques (blogs, sites inter- net d’associations locales, presse numérique indépendante) ou papier peuvent s’insérer afin de publiciser un discours alternatif qui n’est pas nécessairement soumis aux mêmes contraintes que la PQR et qui répond à des stratégies de mise en visibilité différentes. Ils concourent ainsi à la configuration du hors-médias en pointant les manques qui sont autant d’opportunité de mise en visibilité de discours alternatifs.

8.2.2. La presse institutionnelle issue des collectivités et la presse associative de quartier : une origine commune, des finalités distinctes

Les journaux municipaux se caractérisent quant à eux par la transmission d’une information vitrine, composée d’éléments utiles sur les services à destination des administrés et se livre à

82 La création récente du « pure players » « Médiacité », implanté à l’échelle de quatre métropoles françaises

(Lille, Lyon, Nantes, Toulouse) est particulièrement révélatrice de ce phénomène. L’échelle territoriale choisie, celle de la métropole, accompagne le rééchelonnement du pouvoir autant qu’elle contribue à reconfigurer les aires géographiques, en abolissant paradoxalement une frontière entre rural et urbain. Ce média, à édition heb- domadaire, privilégie l’investigation et par conséquent introduit la prise en compte de controverses et enjeux locaux dans la vie des sociétés locales. Voir : https://www.mediacites.fr/

une promotion des actions mises en œuvres par la municipalité. Ils viennent aussi, selon les configurations, répondre aux débats locaux et aux revendications des habitants, en complétant les structures permanentes ou éphémères mises en place dans le cadre de dispositifs participa- tifs (débats publics, commissions, consultations, etc) et/ou d’expositions. Leur existence est ainsi en partie liée à l’impératif délibératif.

« Le développement de l’information et de la communication des collectivités territo-

riales trouve son origine dans les revendications urbaines, c’est-à-dire à partir de la constitution d’un espace public politique consacré au territoire urbain. Ici donc, « ce ne sont pas tant les médias qui publicisent le territoire que la publicisation des ques- tions liées au territoire qui amène la construction de supports médiatiques » (Gadras

& Pailliart, p.33).

Dans le domaine de l’aménagement urbain ou du développement local, les pouvoirs locaux ont mis également en place des structures et dispositifs d’information et de communication qui s’intègrent dans un processus de participation, de consultation, de concertation, ou de dé- libération. Informer, sensibiliser est ainsi une étape du processus délibératif caractérisée par la diversité des formes et modalités qui cherchent à mettre en évidence le bien fondé du rapport à la décision. Dans le cadre des procédures participatives descendantes susceptibles d’être médiatisées par les autorités locales, les modalités de publicisation de ces questions se heur- tent d’une part à l’imposition de cadres et de procédures par les pouvoirs locaux, et d’autre part à la faible autonomie des médias vis-à-vis de ces pouvoirs (Ibid.).

Verticalement opposée à cette communication institutionnelle, la presse associative de quar- tier renvoie aux dispositifs de médiatisation mis en place par des associations locales, comité de quartiers ou associations culturelles et/ou d’éducation populaire. Les journaux s’inscrivent par conséquent, bien que les modalités puissent varier et évoluer, dans un répertoire d’action visant à rendre le local signifiant vis-à-vis des habitants et de la municipalité. Développer et travailler l’imaginaire du territoire est ainsi une façon d’agir et de participer à la vie locale, par le discours. En cela, l’histoire de la presse de quartier croise celle de la participation des habitants aux décisions affectant l’aménagement et la vie des quartiers et celle des comités de quartier, qui émergent pour les premiers dans les années 1970 (Neveu, 2003 ; Noyer & Raoul, 2008 ; Raoul, 2009). Ils participent donc de ce mouvement qui concourt à l’institution du lo- cal comme enjeu de participation et de politique, à partir du quotidien, du terrain. Elle produit des discours qui visent à promouvoir les actions associatives et utilisent le journal comme levier de visibilité pour les enjeux afférant au quartier. Ces publications, souvent produites par des associations d’éducation populaire et/ou d’habitants (comités de quartiers par exemple) peuvent ainsi avoir pour but d’informer, de rendre publics des éléments de compréhension des dossiers urbanistiques, de favoriser l’expression de points de vue, ou se mobiliser (Rui & Vil- lechaise-Dupont, 2005, 2006). Les associations de quartier, grâce à leur journal, produit par des acteurs qui ne sont souvent pas des journalistes professionnels (Ferron, 2016), contribuent directement à la production et à la diffusion d’informations dans le quartier et au-delà, partici- pant ainsi au « procès général d’informationnalisation (Miège, 2007) » (Blanchard, 2013, p. 261).

Ils effectuent une couverture qui se veut exhaustive de ce qui se passe et ce qui affecte le quartier (moments de vie, d’animation, commerces, pratiques, aménagements, etc). Ils contri- buent à la production d’une image, plutôt positive du quartier à travers la mise en scène du « lien-social » pour le développement ou la consolidation duquel les habitants s’investissent. Ils se positionnent ainsi en médiateurs des informations relatives à un espace géographique qui ne recoupe pas nécessairement les entités délimitées administrativement mais celles qui correspondent au territoire vécu et usité.

Leur vocation principale affichée est de construire une parole publique collective (celle des habitants) à propos des problèmes et projets du quartier, et de porter cette parole dans l’espace public, à l’intention notamment, au-delà de la cible habitante, de la municipalité, entre adhé- sion distanciée (Rui & Villechaise-Dupont, 2005) et interpellation (Cossart & Talpin, 2015). Revendiquant une indépendance financière et symbolique vis-à-vis des pouvoirs locaux, ils pratiquent une auto-publication (Blanchard, 2013), y compris lorsqu’ils bénéficient, parfois de subventions pour le faire. Ces journaux de quartier peuvent être caractérisés par des régimes discursifs susceptibles d’évolution, comme le montre B. Raoul (2009, 2011, 2013) à propos des journaux du quartier de l’Épeule à Roubaix. Ils seraient ainsi passés au fil des années d’un « régime discursif » correspondant à une posture militante à un « régime narratif » focalisé sur une fonction d’animation et d’information quant aux réunions et événements ayant lieu sur le quartier. L’auteur identifiait ce passage comme « un signe de délitement d’une médiation cri-

tique » (2013, p. 68). Les journaux de quartiers sont ainsi pris entre des logiques de médiatisa-

tion « miroir » et « vitrine », proches de l’information service, mais B. Raoul (2009, 2011) a montré la place qu’ils pouvaient avoir dans la production d’images et d’imaginaires de quar- tier.

Il leur confère ainsi un rôle central s’agissant de l’institution d’un espace public local. L’étude de cette presse associative et souvent non professionnelle (Ferron, 2016) permettrait de saisir

« ce par quoi […] le local est « périmétré » et mis en scène et en sens et, ce faisant « insti- tué » en espace public, c’est-à-dire en espace de l’interaction et du débat public » à l’échelle

et à propos du quartier (Raoul, 2013, p. 70).

Ce faisant, étudier cette production médiatique permettrait de déterminer en quoi elle contri- bue à établir, entretenir, reproduire le quartier comme espace public, en rendant compte des espaces publics physiques (rue, habitat, voierie, etc.) et les problèmes y afférant comme objets de préoccupations commune à un certain nombre d’individus résidant dans un périmètre géo- graphique de proximité. Ces publications véhiculent un discours par lequel il s’agit :

« au-delà de rendre compte du quartier et de sa réalité sociale, de le faire ressortir

comme forme spatiale et de le construire ou de l’entretenir comme entité singulière socio-spatiale et investir un sens fédérateur pour ceux qui y vivent, ainsi que d’en donner à voir une certaine image » (Ibid., p.68).

Ces productions médiatiques permettent de saisir la « matérialité discursive » (Charaudeau, 2011) qui contribue à (re)-présenter le(s) territoires dans lesquels ces dispositifs se déploient.

Mais l’existence de ces journaux de quartier et des collectifs qui les produisent témoigne aussi, au-delà de l’affichage d’une appartenance à un quartier en tant qu’espace support d’une iden- tité spécifique, d’une volonté :

« d’affirmer la nécessité de rester actif, de conserver et d’entretenir des espaces de contact, d’échanges et de réflexion collective permettant de lutter contre l’isolement et la marginalisation sociale, de transformer les conditions de vie des habitants, et de leur donner un poids plus important dans la prise de décision locale » (Neveu, 2003,

p. 63).

Les statuts et légitimités d’habitants et de citoyens se trouvent ainsi entremêlés dans les ques- tions locales qui sont aussi des questions sociales ancrées dans un environnement particulier qui est celui du quartier, dont on a vu qu’il était porteur de propriétés sociales symboliques indéniables et parfois problématiques. Le territoire est ainsi un cadre de signification qui fait sens pour l’engagement politique et il peut être posé comme un micro-problème public. Cette constitution du quartier en catégorie du politique (Neveu, 2007) s’inscrirait dans la continuité d’un changement paradigmatique repérable au cours des années 1970 à travers « le mouve-

ment du retour au local » (Raoul, 2013, p.79), qui prend dans les années 1980 la forme d’une

injonction à la participation à la vie du quartier.

L’existence de ces trois configurations médiatiques rend compte ainsi de la façon dont les médias travaillent le territoire et la manière dont ils concourent à diffuser des représentations, parfois antagonistes de ces derniers. Dans un contexte de concurrence accrue entre les terri- toires, la maîtrise des façons dont le territoire est communiqué devient un enjeu crucial pour des collectivités en quête d’attractivité.

8.3.COMMUNICATION PUBLIQUE ET TERRITOIRES : ENTRE COMMUNICATION CHOISIE ET

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