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RANGUEIL

Comme nous disposions d’une séquence assez longue d’éditions pour les titres Les Coursives

d’Empalot et Les Echos de Rangueil, nous avons souhaité les soumettre à une analyse chrono-

logique afin de déterminer si des ruptures discursives, voire narratives (Raoul, 2013) pou- vaient s’observer statistiquement à partir du lexique. Pour cela nous avons procédé à la consti- tution de deux sous-corpus à partir des métadonnées. Nous en présenterons brièvement les résultats. Cette approche par sous-corpus nous permet d’affiner leur description thématique et de questionner la nature de l’événementialité de l’information, avec des titres dont la parution n’est pas quotidienne, mais mensuelle pour Les Coursives d’Empalot, et trimestrielle pour les

Echos de Rangueil. Nous ne détaillerons pas le contenu des classifications pour éviter les re-

dondances et livrons à l’observation un graphique de synthèse, réalisé à partir du pourcentage de segments par classe et de notre propre interprétation du contenu lexical des classes, sous formes de thématiques (en légende).

Figure 23 : Distribution chronologique des classes thématiques (en % de segments) du sous- corpus « Coursives d’Empalot »

Le sous-corpus composé à partir des Coursives d’Empalot nous permet de voir apparaître d’abord, des thématiques jusqu’à présent peu visibles. C’est le cas de la classe relative à la catastrophe d’AZF117, survenue en 2001, qui a lourdement et durablement pesé sur le quartier d’Empalot. On remarque également que la classe 4 de la précédente classification apparaît ici scindée en deux classes, l’une consacrée à l’insertion, la formation et l’emploi, l’autre aux aides sociales, mesures de prévention, socio-éducatives. Enfin, certaines thématiques connais- sent des fluctuations, c’est le cas de la classe consacrée à AZF, dont la part diminue progres- sivement, mais aussi des témoignages divers, non dépendants de l’éditorialisation, bien plus présents en 2005, 2006, 2007 et 2008, en d’autres termes, lors des années qui ont suivi les émeutes de 2005. Enfin, la classe consacrée au GPV118 et projets d’urbanisme, fluctue au gré des opérations de rénovation prévues sur le quartier, qui se sont accompagnées d’épisodes de concertation, notamment s’agissant des immeubles à conserver ou à détruire.

117 L’usine d’AZF (usine d’Azotes Fertilisants), futdétruite le 21 septembre 2001par l’explosion d’un stock de

nitrate d'ammonium, entraînant la mort de trente et une personnes, deux mille cinq cents blessés et de lourds dégâts matériels.

Figure 24 : Distribution chronologique des classes thématiques (en % de segments) du sous- corpus « Les Echos de Rangueil »

La distribution chronologique des Echos de Rangueil est plus stable, hormis la classe relative aux infrastructures de transport. Elle est en effet particulièrement liée à la mise en place de la ligne de métro desservant le quartier, achevée en 2007, année qui correspond au premier pic d’occurrences, et ayant fait l’objet de projets de doublement et/ou de prolongement. Ce projet a été soumis à une consultation publique en 2012, animée par la Commission Nationale du Débat Public, avant d’être abandonné au profit d’une troisième ligne de métro, sujette à con- troverses locales.

La classe relative aux aides à l’emploi, particulièrement présente au tournant des années 1999, 2000 diminue ensuite pour se stabiliser. Ce pic est lié à la présentation effectuée par Les

Echos de Rangueil des « Restos du Coeur » et de l’hôpital de Rangueil, dans leur rubrique

« Mieux Connaître » (n°17, février 1998). La parution trimestrielle est probablement un des facteurs explicatifs de ce traitement « apaisé » de l’information.

L’information micro-locale transmise dans ces journaux est ainsi susceptible de connaître des variations, en fonction des événements et projets affectant le quartier et de la fréquence de parution des titres. Bien qu’il ne soit pas possible de tirer des conclusions à l’échelle de deux quartiers, nous pouvons néanmoins discerner un traitement plus apaisé dans un quartier certes périphérique mais plutôt aisé, qui contraste avec les variations du second titre, implanté dans un quartier prioritaire. Si les deux quartiers ont été affectés par la catastrophe d’AZF, et si les deux titres mentionnent les dégâts, les chaînes de solidarité mises en place, les collectifs de défense des victimes, le traitement effectué par Les Coursives d’Empalot renvoie l’image d’un quartier meurtri par une catastrophe industrielle, en partie en raison de son emplacement périphérique, à proximité des lieux. L’impact d’AZF auquel nous pourrions ajouter, d’autres éléments évoqués dans cette classe comme la proximité du périphérique qui génère des nui-

sances en termes de bruit et de santé chez les habitants, donne à voir des quartiers dans les- quels les inégalités sociales peuvent prendre une dimension spatiale et environnementale (Emelianoff, 2008) préoccupantes et font l’objet de dénonciation. À cet événement s’ajoute le besoin de donner la parole aux habitants après les émeutes, à l’instar du Bondy Blog (Sedel, 2011) et de la séquentialité des travaux urbanistiques. La vie du quartier, agitée par ces se- cousses, n’est pas la même dans tous les quartiers.

La presse associative de quartier rend ainsi manifeste l’existence d’une autre forme de partici- pation citoyenne, spontanée et conquise, focalisée sur la production d’images et d’imaginaires différents du quartier. En investissant directement le terrain de la production de discours sur le quartier, cette forme de participation locale confère à « l’agir communicationnel » une portée pluridimensionnelle, qui n’est pas exclusivement dédiée à la production d’un horizon de sens commun. En effet, les journaux n’ont pas tout à fait la même fonction et n’adoptent pas tout à fait les mêmes stratégies, selon les caractéristiques des instances qui les produisent (associa- tions d’éducation populaire/comités de quartier) et les objectifs que leurs membres ont attri- bués aux journaux. Trois fonctions principales sont ainsi identifiables :

- une fonction d’interpellation vis-à-vis des pouvoirs locaux et des habitants quant aux aménagements et équipements sur le quartier ;

- une fonction de transmission de savoirs et de médiatisation de la vie du quartier pour et par ses occupants ;

- une fonction d’inversion de stigmate et d’émancipation, en donnant la parole à celles et ceux qui ne l’ont que rarement et en portant des revendications de justice sociale et d’accès au droit commun.

Si ces trois fonctions peuvent apparaître dans la plupart des journaux, elles n’en demeurent pas moins investies de façon distincte, certains privilégiant l’une plutôt que l’autre. L’action de terrain des associations éditrices est ainsi susceptible de mettre en évidence des représenta- tions différenciées du rôle et des missions de la presse associative de quartier. L’engagement dont elles relèvent y est abordé de deux façons très différentes l'une de l'autre. Pour la presse émanant de comités de quartiers non prioritaires, l'engagement citoyen réside dans l'améliora- tion des conditions du « vivre-ensemble », du cadre de vie, par la participation à la gouver- nance locale et le maintien d’une socialité, d’une culture propre au quartier ou dans laquelle il s’insère. Pour la presse associative implantée dans les quartiers prioritaires, non issue de co- mité de quartier, l'angle d'approche principal est celui de l'accès : accès à l’expression, accès à l’emploi, aux droits fondamentaux. Cet accès se fait corollaire de la lutte contre les exclusions, les discriminations et exprime la volonté de créer des espaces d'expressivité, de partage et de solidarité entre et pour les habitants.

En outre, les différences lexicales et l’évolution de certaines thématiques au fil des années rendent manifestes des relations plus ou moins apaisées ou conflictuelles qui entrent en con- tradiction avec les principes d’une gouvernance urbaine qui serait fondamentalement orientée vers des horizons de sens, d’attentes et d’actions communs et dans lesquels les partenaires de la société civile organisée joueraient un rôle univoque. Dans cette presse associative, ce sont

les associations et les habitants qui apparaissent comme les acteurs clés du quartier. Les jour- naux contribuent ainsi à promouvoir le rôle de ces derniers dans l’animation de la vie locale. Après ce panorama des horizons discursifs auxquels le quartier pouvait être associé à travers les discours produits dans trois types de configurations médiatiques différentes, c’est précisé- ment aux représentations du « citoyen » et de « l’habitant » en contexte local auxquelles nous avons souhaité nous intéresser. A cette fin, nous interrogeons la variance de ces deux objets discursifs, au sein des deux dispositifs dont nous avons présenté la nature participative : la presse associative de quartier et les conseils citoyens.

C

HAPITRE

11.

V

ARIATIONS DES OBJETS DISCURSIFS

«

CITOYEN

»

ET

«

HABI-

TANT

»

EN CONTEXTE LOCAL

L’habitant est de plus en plus sollicité, comme si participer à la vie locale, en tant qu’habitant prenait la forme d’une véritable injonction civique (Vedel, 2000). La figure de l’habitant- citoyen, en raison principalement de la multiplication des initiatives participatives en contexte local, présente ainsi des contours flous (Ibid.) et par conséquent des défis analytiques. Ces figures ou catégories d’acteurs ont dès lors donné lieu à des publications visant à en clarifier les contours, les contextes, les fonctions, rôles et représentations qui y sont associées (Sau- vage, 1992, Fourniau, 2007 ; Neveu, 2003, 2011).

L’appellation « conseil citoyen » utilisée pour désigner une instance dont le rôle est largement corrélé à des usages et fonctions propres à « l’habiter », tend à rendre ces contours moins sai- sissables, comme si la consubstantialité entre l’habitant et le citoyen tendait à devenir syno- nymique. Pourtant l’acquisition de la citoyenneté reste dépendante de la nationalité et corres- pond à un statut politique non réductible à « l’habiter ». La montée en puissance de la figure de l’habitant et les ambiguïtés qui existent entre les usages sociaux de l’habitant et du citoyen invitent à les appréhender en contexte car il semble vain, compte-tenu des transformations de la citoyenneté évoquées plus haut d’en réduire le périmètre à une définition strictement juri- dique (Neveu 2003, 2011).

À ce titre, la dialectique entre citoyenneté et « citadinité » (Boure & Lefebvre, 2003 ; Rampon, 2013) est susceptible d’éclairer les convergences opérées par les dispositifs et les divergences lexicales observées. Au citoyen correspondrait un être abstrait et transcendant ; au citadin, le quotidien et l’ordinaire de la ville (Rampon, 2013). La ville et a fortiori, le quartier, pren- draient la forme d’un bien commun, localisé et circonscrit, celle d’« un lieu concret, la ville,

qui renvoie à des formes particulières d’occupation, d’organisation et de représentation de l’espace, et qui plus est de l’espace vécu et pratiqué » (Boure & Lefebvre, 2003, p. 68). Ainsi,

les formes de la vie urbaine, l’organisation et la gestion des territoires sont des thèmes qui, dans un monde de plus en plus urbanisé, intéressent la majorité des citoyens et renvoient à des pratiques quotidiennes et familières (Bacqué & Gauthier, 2011).

Pour contribuer à ces réflexions nous avons cherché à circonscrire lexicalement les appari- tions des formes « habitant » et « citoyen » dans les corpus des conseils citoyens et de la presse associative de quartier. Nous souhaitions en effet questionner spécifiquement la rela- tion entre les apparitions lexicales de ces figures et deux types de dispositifs participatifs, l’un octroyé, l’autre conquis.

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