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Les disciplines académiques ont investi l’objet participation selon des temporalités, des de- grés et des modalités variées, en fonction des domaines, des aires disciplinaires et géogra- phiques. Les recherches en matière d’urbanisme (Bacqué & Gauthier, 2011) et celles relatives à l’analyse des mouvements sociaux ont le plus précocement intégré la dimension participa- tive, dès les années 1960. A contrario, sa légitimité académique tarde à s’imposer dans d’autres domaines disciplines, comme en administration ou en droit public (Blondiaux & Fourniau, 2011). Dans le numéro de la revue Participations consacré à un bilan des études, L.

Blondiaux et J.-M. Fourniau (2011) identifient plusieurs paramètres qui peuvent rendre compte de la diversité des recherches sur la participation, en premier lieu, « l’histoire externe des savoirs » (Blondiaux & Fourniau, 2011, p.13).

En étudiant la périodicité des recherches, les auteurs ont mis en évidence une corrélation entre les « temps forts » des mobilisations sociales autour de la participation et de la mise en place de dispositifs de consultation et de concertation par divers gouvernements locaux et nationaux. Ainsi, aux « premières grandes heures des années 1960 et 1970 » correspond le début des re- cherches sur la participation, dans les études urbaines et en science politique. Au « retour de flamme » des années 1995 et 2000 fait écho la cristallisation des recherches sur ce thème dans l’ensemble des champs considérés. La « grande éclipse » de la participation au cours des an- nées 1980 a quant à elle entraîné une diminution considérable des publications au cours de cette décennie (Ibid., p.13).

Le deuxième paramètre renvoie aux modalités de financement de la recherche par les pou- voirs publics et la production juridique qui accompagne l’institutionnalisation des dispositifs participatifs. Cette variable peut en effet expliquer que la majorité des études en matière de participation se focalise sur une participation institutionnalisée, « d’élevage », négligeant la « démocratie sauvage » (Mermet, 2007).

Enfin, la participation est travaillée par les enjeux épistémologiques et l’histoire interne propres à chaque domaine de savoir. Ces derniers se structurent par ailleurs de façon diffé- rente selon les aires géographiques. En effet, l’histoire des sciences et plus largement les cou- rants de recherches produisant une approche sociohistorique des phénomènes, ont montré que les « savoirs sont l’expression d’époques et de contextes spécifiques ». « Ils se construisent en

même temps que se formulent les « problèmes » auxquels ils sont censés répondre » (Bacqué

& Gauthier, 2011, p. 44-45 ; Desrosières, 2014), si bien qu’il serait impossible de penser l’émergence des théories de la délibération en philosophie sans y voir une réponse aux théo- ries du choix rationnel (Bacqué & Sintomer, 2011). De la même manière, il serait difficile- ment concevable de penser les études sur la participation dans les mouvements sociaux en dehors des évolutions de la recherche en sociologie des mobilisations (Neveu, 2011). Enfin, l’appréhension des recherches sur la participation des publics est tributaire de celles menées en sociologie des sciences, autour des travaux de Bruno Latour et de Michel Callon (Pestre, 2011).

« Dans chacun des champs considérés, la littérature sur la participation se trouve

prise dans des controverses localisées, aux effets plus ou moins sensibles hors con- texte » (Blondiaux & Fourniau, 2011, p.14).

En dépit de ces différences, L. Blondiaux et J.-M. Fourniau observent une succession de trois phases : d’abord normative, ensuite descriptive. La troisième, plus contemporaine, semble se manifester par un mouvement de convergence entre description et théorisation, autour d’une approche communicationnelle praxéologique, interactionniste et situationniste en sciences sociales.

La première phase se caractérise par ce qu’ils nomment une « inflation normative initiale » (Ibid., p.15). Dans ce contexte,

« les phénomènes de participation font l’objet de discours antagonistes qui relèvent

souvent plus de la projection que du constat. Les uns mettent en avant les effets posi- tifs attendus de la mise en place de procédures participatives sur la démocratie, les autres leurs effets pervers. Entre idéalisation et stigmatisation, l’objet participatif reste à ce stade le plus souvent méconnu en lui-même » (Ibid., p.15).

Cette phase initiale met en évidence une opposition forte entre deux appréhensions de la par- ticipation institutionnalisée (Blondiaux, 2008). La première relève d’une vision idéalisée de la démocratie participative dans laquelle seraient placés les espoirs d’une démocratisation de la vie locale et le renouvellement des pratiques urbanistiques. La seconde, désenchantée, qui serait portée par les « ultra-critiques » met l’accent sur « l’instrumentalisation des dispositifs

par les pouvoirs publics et la généralisation d’une rationalité néolibérale […] » (Bacqué &

Gauthier, 2011, p. 56).

A ce moment initial de théorisation, qui cristallise des postures, succède un second temps, descriptif, que les auteurs désignent comme un temps de « refroidissement de l’objet » (Blon- diaux & Fourniau, 2011, p.15). Il correspond à une période au cours de laquelle la recherche s’est consacrée principalement à décrire les dispositifs participatifs, « en situation et pour eux-

mêmes » (Ibid., p.15), permettant ainsi d’accumuler connaissances et exemples par l’analyse

des processus et l’observation concrète. La notion de démocratie participative a d’ailleurs tendance à être abandonnée, « comme si cette notion gigogne constituait désormais une en-

trave plus qu’une aide à l’analyse » (Ibid., p.15)54. À l’étude de la démocratie participative

succèderait ainsi l’étude des dispositifs de participation octroyée (ou institutionnalisée) et conquise (ou spontanée). Étudier la participation, en privilégiant une posture descriptive, permettrait ainsi de lui conférer le rôle « d’un analyseur fécond des phénomènes sociaux et

politiques plus larges qui la rendent possible et la contraignent » (Ibid., p.10).

Ainsi désormais, il semble qu’il importe moins de définir à quel type de démocratie les dispo- sitifs renvoient, en déclinant à « l’infini de l’idéal démocratique » (Ibid., p.15) que de com- prendre :

- la façon dont les dispositifs institués façonnent les publics ; - les modalités d’action susceptibles de s’y déployer ;

- les transformations qu’ils peuvent ou non induire, selon les contextes et les configurations, qu’elles concernent les institutions et leur manière d’intégrer cet « impératif délibératif »

54 Les auteurs précisent cependant que cet abandon, dans la recherche française, peut correspondre à l’utilisation

de ce syntagme dans le contexte des élections présidentielles françaises de 2007, par la candidate Ségolène Royal et son appel à une VIème République. Devenue argument politique, la communauté scientifique a probablement cru bon de se tenir éloignée de cette notion.

(Blondiaux, 2001 ; Blatrix, 2002 ; Blondiaux et Sintomer, 2002, Breux et al., 2004 ; Breux, 2006), ou les professionnels qui les animent (Mazeaud & Nonjon, 2018) ou les partici- pants qui leur donnent consistance (Talpin, 2006 ; Berger, 2011 ; Mabi, 2013).

Malgré ses limites, ce clivage continue de structurer les débats autour de la participation et tient pour beaucoup à l’investissement politique et normatif dont il est porteur. Il révèle ainsi des postures différenciées qui façonnent la multiplicité des approches et des discours scienti- fiques en matière de participation. Cette polarité est singulièrement visible s’agissant de la définition de critères d’évaluation des dispositifs participatifs, tout particulièrement en sciences politiques où l’opposition entre une dimension managériale et une dimension critique est particulièrement prononcée. Ainsi, la participation est tantôt abordée comme un instru- ment de modernisation, de gestion et de régulation de l’action publique, tantôt, en vertu de la critique sociale dont elle est aussi porteuse, comme force d’émancipation et de transformation sociale et politique. D’autres chercheurs, enfin, assument une certaine proximité avec les ins- tances décisionnaires, et situent plutôt l’enjeu prioritaire des dispositifs participatifs dans leur capacité à légitimer la décision et à contribuer à l’amélioration de « l’ordre social » en le dé- mocratisant (Blondiaux & Fourniau, 2011, p.16).

Cette polarisation reproduit très largement les conflits qui traversent les mondes sociaux de la participation. Elle fait écho aux représentations hétérogènes de la démocratie qui coexistent, à des conflits d’usages des dispositifs participatifs et à la façon dont elles instrumentent à pré- sent de façon différente les politiques publiques. La prendre en compte permet par conséquent d’appréhender les antagonismes qui structurent les rapports de force, dans des configurations politiques à géométrie variable (Lefebvre & Nonjon, 2003 ; Gourgues, 2012 ; Mazeaud, 2012). Les tensions qui agitent les définitions, les usages et les pratiques de la participation ainsi que de la démocratie participative sont par conséquent susceptibles de révéler l’existence de re- présentations concurrentes du politique, du social et des cultures institutionnelles qui les dé- passent.

5.2.LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE : UN SYNTAGME EMPLI DE PARADOXES ET

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