• Aucun résultat trouvé

Compte tenu des études récentes déjà menées sur le cadrage médiatique des quartiers, et no- tamment les quartiers prioritaires, nous présenterons rapidement nos propres résultats qui cor- roborent largement les études menées précédemment (Turpin, 2015).

9.3.1 La PQN : enjeux politiques, images de marques et violences urbaines. Un trai- tement différencié des quartiers

Avant de nous intéresser aux divergences observables dans le cadrage médiatique opéré par la PQN sur les quartiers, l’ADS ci-dessus met en évidence les zones de convergence lexicale les plus manifestes. Elle permet de voir se dégager de grands espaces thématiques qui structurent la médiatisation du quartier dans la presse nationale. A gauche, deux réseaux de cooccurrence lexicale font références à la politique institutionnelle, plus haut en violet, ce sont les politiques et les débats sociétaux qui sont représentés. Les deux réseaux symbolisés en bleu et en vert sont très liés aux quartiers et semblent dédiés principalement à la description des faits divers qui s'y déroulent et leur lot de témoignages. La forme « jeune » occupe dans ce contexte une place centrale. Nous pouvons dès lors affirmer que la figure du jeune est principalement asso- ciée aux faits divers dans les quartiers. Symétriquement, le cadrage de l’objet discursif « quar- tier » est en partie lié aux faits de violence en contexte urbain, dans lesquels la figure du « jeune » est placée sur le devant de la scène.

Le dernier réseau, moins lisible, rassemble de nombreuses formes verbales utilisées principa- lement dans le contexte de commentaires et d'analyse. Elle nous permet de constater que notre corpus comporte deux types de discours bien définis, l'un plutôt descriptif et narratif, l'autre plutôt argumentatif.

Afin d'approfondir la connaissance thématique du corpus, nous avons procédé à une Classifi- cation Hiérarchique Descendante en conservant un maximum de segments de texte.

Figure 8 : Classification Hiérarchique Descendante en 20 classes terminales, corpus de PQN (99,75 % de segments classés) (IRaMuTeQ),

Cette classification en 20 classes lexicales donne la possibilité de lire finement le contenu lexical du corpus en dégageant les grands « mondes lexicaux » (Reinert, 1993) structurant le corpus ainsi que leurs subdivisions. Toutefois, certaines classes apparaissent plus pertinentes que d'autres, au regard de notre objet d’étude, comme nous allons le préciser ci-après.

Nous voyons se dégager de cette classification 2 ensembles, eux-mêmes divisés en 2 sous- ensembles.

Le premier, à gauche de la classification rassemble les segments du corpus renvoyant au fonc- tionnement du monde social, structuré par des débats, des enjeux et problèmes de société, l'exercice de la démocratie représentative et la justice. Il est divisé en deux sous-ensembles rassemblant les classes 19, 15, 10, 9, 6, 5, 11 puis 17, 13 et 12.

Le premier sous-ensemble comporte essentiellement des classes ayant trait à des enjeux de politique intérieure et de société. La classe 19 est ainsi consacrée au logement, la classe 15 à l'enseignement, la classe 11 à la santé, la classe 5 au travail, la classe 6 aux valeurs nationales et à la citoyenneté, la classe 10, plus marginale99 à l'exercice du culte catholique100 et la classe 9 aux problèmes sociaux, plus particulièrement l'immigration, la délinquance et la ségrégation ethnique.

Le second sous-ensemble, rattaché à ces descriptions sociétales mais s'en dissociant assez rapidement est composé des classes 17, 13 et 12. La classe 17 rassemble des segments se rap- portant au débat politique institutionnel gauche/droite, notamment lors des épisodes électo- raux, la classe 13 renvoie aux affaires internationales, plus particulièrement le conflit syrien et la classe 12 à des affaires judiciaires.

Le second ensemble comporte des segments se caractérisant par un discours descriptif sur des quartiers, banlieues et cités. Il se divise en deux sous-ensembles, le premier, à droite, est com- posé des classes 16, 8, 1 et 2, tandis que le second rassemble les classes 18, 14, 4, 3 et 7. La classe 20, qui se détache très rapidement de l'analyse comporte des informations paratex- tuelles inutiles à l'interprétation.

Le premier de ces sous-ensembles renvoie aux composantes culturelles et spatiales de la ville. La classe 16 est consacrée au secteur culturel, la classe 8 à la banlieue parisienne, la classe 1, à l'immobilier et au patrimoine bâti et la classe 2, au monde de la restauration.

Le second est plus spécifiquement associé aux faits divers et à divers types de témoignages. La classe 18 décrit les circonstances des faits divers, la classe 14 renvoie à des trajectoires familiales, la classes 3 est composée de témoignages plus ou moins connectés aux faits divers, la classe 4 à des descriptions physiques accompagnant ces témoignages et la classe 7 au con- texte d’énonciation journaliste.

Ces classes ne sont pas proportionnellement investies de la même manière en fonction des journaux, ces choix relevant directement des lignes éditoriales et du lectorat ciblé par chacun. Le graphique ci-dessous rend observables des différences de cadrages de l’information liée aux quartiers.

99 En raison de sa taille réduite

Figure 9 : coefficient de liaison (chi2) de la variable « source » aux classes lexicales, corpus de PQN (IRaMuTeQ)

Voici, un tableau récapitulatif des thématiques les plus investies et sous-investies par journal :

Journaux Thématiques et classes surinvesties Thématiques et classes

sous-investies

Le Figaro Commerces, patrimoine bâti (classes 1, 2) Témoignages (classes 3 et 14)

La Croix Vie politique et Citoyenneté et valeurs, vie de l’Église catholique (classes 6 et 10), scolarité, santé, accès aux soins, immobilier (11, 15, 19)

Commerces, violences ur- baines (Classes 2 et 18)

L’Humanité Monde du travail et dialogue social, élections et clivages gauche/droite (classes 6 et 7)

Patrimoine bâti, com- merces, violences urbaines (classes 1, 2 et 18)

Libération Témoignages et récits de vie, violences urbaines (classe 3, 14, 4, 18)

Politiques, citoyenneté et valeurs, monde du travail et immobilier (classes 5, 6 et 19)

Tableau 7 : Synthèse des cadrages thématiques les plus investis par journaux

Le Figaro investit ainsi spécifiquement les classes liées au marché de l’immobilier, aux com-

merces et au patrimoine (1, 2 et 20) et sous-investit significativement les classes faisant appa- raître des témoignages (3 et 14). La Croix s’illustre particulièrement dans les classes consa- crées à la politique, la citoyenneté et ses valeurs et celle relative à la vie de l’Église catholique (6, 10) et dans une moindre mesure, dans les classes relatives à la scolarité, à la santé et l’accès aux soins et l’immobilier (15, 11 et 19). Elle est sous représentée dans les classes liées au récit des violences urbaines et aux commerces (2 et 18). Libération privilégie très signifi- cativement le lexique relatif aux témoignages et récits de vie (classe 3, 14, 4) et celui ayant trait aux récits des violences urbaines, (classe 18). Il sous-investit les classes relatives à la citoyenneté et aux valeurs, au monde du travail et à l’immobilier (19, 6 et 5). Enfin, l’Humanité est particulièrement associé à la classe consacrée au monde du travail et au dia- logue social et celle qui regroupe les segments consacrés au clivage gauche/droite et au débat politique (classes 6 et 17). Il est particulièrement sous représenté dans les classes relatives à l’immobilier et au patrimoine.

Ces classes ne font pas non plus l’objet d’un investissement chronologique homogène, ce qui nous renseigne d’une part sur l’existence de transformations des cadrages médiatiques et d’autres part, sur les modalités de ces évolutions s’agissant de l’objet discursif « quartiers ».

Figure 10 : coefficient de liaison (chi2) de la variable « date » aux classes lexicales, corpus de PQN (IRaMuTeQ)

9.3.2. Les quartiers dans la presse nationale : une invisibilité de la Province

Dans la PQN et la PQR les quartiers sont principalement abordés sous l’angle de l’immobilier et du patrimoine (politique de logements sociaux, beaux quartiers, tourisme), des commerces et enfin, des faits divers. Le terme “banlieue” est également utilisé dans le contexte des débats portant sur des problèmes sociaux (immigration, insécurité, délinquance), comme s’il était devenu la représentation urbaine des problèmes sociaux (Dubet & Lapeyronnie, 1992 ; Dubet, 2014). Le territoire envisagé est principalement concentré autour de Paris et des départements avoisinant la capitale (Seine-Saint-Denis). La province reste peu visible dans la presse natio- nale, hormis lorsqu’il est question de tourisme ou de faits divers violents, qu’ils soient ponc- tuels ou récurrents (ex : les « quartiers Nord » de Marseille, l’« affaire Mérah » à Toulouse). Il pourrait s’agir dès lors d’une forme d’invisibilité médiatique : on parle très peu des quar- tiers de province, hormis lorsqu’ils s’avèrent être, soit les théâtres de violences ou de délin- quance, soit de coquettes destinations touristiques. Ce résultat conforte les conclusions appor- tées par J. Noyer (2013) quant aux remontées nationales de l’information locale.

La presse nationale nous livre ainsi quatre types de portraits de quartiers : - d'habitat social,

- de violence, - d'habitat « huppé »,

- de commerces et de sorties.

Une distinction assez nette s'opère entre centre-villes et périphéries.

9.3.3. Le quartier et l’offre de logement : entre politique publique et image de marque

Un premier aspect reflété par les classes 19 et 1 est associé à des problématiques liées au lo- gement, abordé selon un angle très différent dans chacune de ces deux classes. Situées de part et d'autre de la classification, la classe 19 fait partie d’un ensemble de discours d'analyse poli- tique autour d'enjeux sociétaux tandis que la classe 1 est insérée dans un environnement dis- cursif plus descriptif des espaces urbains.

Numériquement la plus imposante de ce corpus (10,4%), la classe 19 est relative aux loge- ments, tant du point de vue du marché, de l'investissement, que des mesures d'affectation budgétaire prises par le gouvernement pour la construction de logement sociaux, pour la ré- novation urbaine ou pour le rachat de logements vides. Elle évoque ainsi essentiellement les espaces d'habitat sociaux, du point de vue des allocations budgétaires prévues pour la gestion du parc immobilier et dans une moindre mesure, des dispositifs d'aide à l'accès au logement qui peuvent y être associés.

« Le montant cumulé des engagements non tenus vis-à-vis du logement social atteint

des sommes faramineuses selon les chiffres du ministère, c'est 1 113 milliards d'Eu-

ros que l'Etat doit aux organismes HLM depuis 2005 » (l’Humanité, 22/09/2015).

« 7 milliard d'Euros constitués par les retours de prêts faits par Action Logement des

sommes jusqu'ici perçues par l'organisme paritaire qui les utilisait notamment pour financer l'ANAH, Agence Nationale de l'Amélioration de l'Habitat et l'ANRU, Agence

Nationale de Rénovation Urbaine » (Le Figaro, rubrique « Immobilier »,18/07/2012).

C’est donc une première facette des quartiers perçue sous l’angle de la gestion de l’offre de logements, notamment sociaux, et du marché de l’immobilier, intimement liée aux politiques publiques dont témoigne cette classe.

La classe 1, quant à elle, assez descriptive, renvoie à des articles traitant de l'immobilier ou de projets de création d'infrastructures. Les segments décrivent des bâtiments (immeubles, mai- sons, appartements) en indiquant souvent leur emplacement (quartiers, villes) et leurs prix. Cette classe contient ainsi des annonces immobilières et des indications sur les quartiers, no- tamment les plus prisés, en référence au prix de l'immobilier et du mètre carré. Ils donnent également parfois une indication sur le dynamisme des quartiers, en fonction de l'implantation des commerces. Le prix de l'immobilier accompagne dans certains cas une description des espaces, notamment les centres-villes coquets et/ou dynamiques, de leur patrimoine architec- tural et historique. Elle est caractéristique des petites annonces, rubriquées en tant que telles et du marché de l’immobilier.

« Quartier Cathédrale, maison neuve de 100 mètres carrés peu énergivore, garage

jardinet, 184 000 Euros, frais d'acte réduits. A 10 kilomètres, sortie nord, maison an-

cienne de style traditionnel, 160 m2 sur 4000 m2 de terrain, 270 000 Euros » (Le Fi-

garo, rubrique « Immobilier », 02/04/2010).

« Son centre-ville moyenâgeux possède plusieurs monuments historiques classés dont

le vieux château XIIe siècle et l'Eglise Saint Etienne XIIIe siècle. Ancien prix moyen au mètre carré 2 460 Euros, taux de progression en un an(...) » (Le Figaro magazine,

17/03/2006).

On peut donc observer deux images assez contrastées du quartier. L'une aborde les probléma- tiques du logement du point de vue des politiques publiques, notamment du logement social et plus simplement de l'accès et de l'offre de logements. La classe 1, quant à elle, beaucoup plus localisée, reflète essentiellement le marché de l'immobilier du point de vue de l'offre de belles

demeures, de particulier à particulier. C'est une image promotionnelle des logements dans des quartiers où il fait bon vivre. Le quartier est ici une composante de l’image de marque à la fois indice de localisation et de qualité de vie, associée au logement.

9.3.4. Le quartier, théâtre de violence et de faits divers

Cette image du quartier est essentiellement portée par la classe 18 (8,10%), en majorité cons- tituée de segments extraits du journal Libération. Ces segments relatent des faits divers vio- lents, et correspondent à l’événementialité privilégiée pour la médiatisation des quartiers po- pulaires. Certains segments de cette classe sont clairement associés à la thématique des "quar- tiers sensibles" soit par la localisation des faits soit par l'origine (lieu d'habitation) des prota- gonistes. Marseille semble en être un des théâtres privilégiés, tout particulièrement les « quar- tiers nord ». On remarque également que ces récits sont scandés par des dates et heures pré- cises et contribuent à rythmer la narration. La précision des lieux a pour vocation de situer la scène et, peut-être, en dehors du soucis d'exactitude, à activer chez le lecteur un réseau de connotations liées aux lieux de « l'action ». Le quartier sert ainsi à dramatiser le récit, en acti- vant des images péjoratives déjà existantes. Il est le théâtre des violences. Dans ce contexte les formes lexicales "cité(s)", "jeune(s)" et quartier(s) ont des connotations péjoratives.

Ces théâtres sont peuplés de personnages plutôt anonymes, catégorisés de manière floue et globale (« homme », « individu », « jeune »). L'apparent anonymat, loin d'atténuer la portée du crime peut au contraire contribuer au renforcement des stéréotypes jusqu'à constituer des figures prototypiques, autour du « jeune » et de l’habitant des quartiers populaires. Il contri- bue également à une forme de deshumanisation (Turpin, 2015).

« L'homme tué par balles et dont le corps a été retrouvé dans la nuit de vendredi à

samedi carbonisé à l'intérieur d'une voiture incendiée dans une cité des quartiers nord de Marseille a été identifié a-t-on appris lundi de source policière » (Libération,

rubrique « société », 18/03/2013)

« Les trois hommes retrouvés carbonisés dans une voiture dimanche soir près de

Marseille étaient de jeunes gens issus de cités de la ville qui ont été tués par balles

avant la mise à feu de leur véhicule. Une exécution sur fond de criminalité organi- sée » (Libération, rubrique « société », 27/12/2011).

Le jeune peut être placé en position de témoin, de victime ou de délinquant mais son associa- tion au contexte de faits de violence sordides dans les quartiers dits « sensibles » a un effet de renforcement des stigmates négatifs corrélés aux jeunes et aux quartiers, comme en témoigne le graphe des cooccurrences de la forme « jeune » ci-après (Figure 11). Ils sont souvent dé- crits au pluriel, ce qui tend également à activer le schéma de la « bande de jeunes » (Hille, 2015 ; Carpenter & Horvath, 2015).

Figure 11 : Graphe de cooccurrence de la forme « jeune », corpus de PQN (IRaMuTeQ) 9.3.5. Les quartiers, lieux de vie et de commerces

La troisième image véhiculée par la presse nationale des quartiers est celle de lieux de vie, dans lesquels les commerces et principalement les bars, cafés et restaurants occupent une place prépondérante. Dans notre classification, cette image est perceptible à partir de la classe 2 (2,90%). Celle-ci accorde une place importante aux bars et restaurants, plutôt parisiens, soit pour promouvoir une table excellente, soit pour dépeindre un quartier dynamique, soit dans une perspective plus nationale pour évoquer un particularisme ou la bien-portance du secteur. Le quartier y est indirectement abordé par les bars, restaurants et cafés qui y sont implantés. Il est ainsi médiatisé comme lieu de vie et de sorties, à partir de ses commerces. Ce traitement comporte une dimension « d’information service » (Bousquet, 2015) qui vise à promouvoir les commerces et fournir une critique, un avis sur la qualité du service au lecteur, potentiel client, à la façon des plateformes web comme Trip Advisors.

« Service protocolaire, jolie vue et excellente table. Menu déjeuner 3 plats à 38 Eu-

ros. A l'opposé Café Latei 020 62 57 485 est un bar boutique hétéroclite esprit 70's »

(Le Figaro, rubrique « Voyages », 22/10/2012).

« Tournée des nouveaux bars à vins parisiens, le plus : pâté maison, le boudoir, le

lieu, un restaurant sur deux niveaux qui distille ses ambiances de petits salons au

premier tables basses et fauteuils, clubs au rez-de-chaussée » (Le Figaro, rubrique

« Sortir-Paris », 27/02/2012).

C'est une façade très commerçante des quartiers qui contribue à la construction de leur image de marque (quartier dynamique/ quartier paisible). Le dynamisme des commerces, bars, res- taurants et cafés est ainsi une des composantes de l’identité de certains quartiers et villes. Cette classe est assez proche de la classe 1, de laquelle elle s'est séparée assez tardivement dans l'analyse et renvoie à une image positive, prisée et valorisable des quartiers.

Le resserrement progressif de la focale du national au régional fait émerger de nouvelles thé- matiques autour du quartier.

9.4.LA PRESSE REGIONALE, RESSERREMENT DE FOCALE : DIVERSIFICATION DES IMAGES DU

Outline

Documents relatifs