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e – Les différents types de visibilité : Philopon, astronome avant tout

Philopon n’a pas perçu la logique du texte aristotélicien qui énumère les types de visibilité. Le plan suivi ici sera néanmoins celui d’Aristote à un détail près : au lieu de considérer réellement la visibilité de l’obscurité, Philopon l’englobe dans une présentation plus large de la visibilité du diaphane. Seront donc évoquées successivement : (α) la visibilité du diaphane 418b26-7, 418b28-31 et 418b31-419a1, (β) la visibilité de la phosphorescence 419a5-1 (et c’est à cet endroit que Philopon introduit sa classification des visibles), (γ) la visibilité de la couleur : 419a6, (δ) la visibilité du feu : 419a22 et 419a23-4.

α – Divers modes de visibilité du diaphane :

Le véritable objet du passage chez Aristote, la visibilité de la non-visibilité, c’est-à-dire la vision paradoxale du diaphane en puissance, n’est pas perçu par Philopon qui se concentre sur les conditions de visibilité du diaphane.

Il se penche d’abord sur la première phrase du passage : « ce qui reçoit la couleur, c’est l’incolore », cela lui permet de reprendre les explications données au début du commentaire de ce chapitre. Le corps diaphane est présenté comme incolore, pour mieux transmettre à la vue les couleurs des objets347.

345 Si un corps pouvait se mouvoir à l’intérieur d’un autre corps, alors ce ne pourrait pas être un corps. En disant que la lumière utilise les pores de l’air pour passer à travers, on introduit un vide dans la matière, ce qui est impossible. Le corps de réception deviendrait plus dense quand ses pores sont remplis, ce qui est absurde.

346 L’obscurité n’est rien d’autre qu’une privation de lumière. La lumière est le contraire de l’obscurité, comme l’εἶδος est le contraire de la στέρησις et non comme l’ἕξις et le contraire de la στέρησις en se référant à la physique comme ci-dessus mais en résumé.

Le fait que le diaphane soit sans couleur ou « vu difficilement » comme le dit Aristote peut d’après Philopon s’interpréter de deux manières :

_ en rapprochant cette affirmation de celle qui faisait difficulté (la lumière est « comme » la couleur du diaphane), en l’absence donc de lumière considérée à la façon erronée des néoplatoniciens comme élément actualisant du diaphane, il est difficilement vu348, puisqu’il perd sa « couleur », sensible propre de la vision.

_ en reprenant l’explication plus traditionnelle qu’utilisent Thémistius et Simplicius et que Philopon attribue à Alexandre d’Aphrodise : l’obscurité est vue par reconnaissance grâce à la vue (pour ne pas dire vision) de l’absence de son objet propre, la lumière ou la couleur349. Comme Simplicius350, Philopon fait mention de la couleur blanche, mais ne développe pas l’idée351.

β – Classification des visibles, l’importance de l’astronomie.

Au moment d’aborder la phosphorescence, il établit une classification des visibles. i – première classification des visibles, quatre catégories.

Que l’optique soit pour Philopon le fondement de l’astronomie devient manifeste lorsqu’il nous livre une classification des visibles différant grandement de celle de Simplicius, qui reste beaucoup plus proche du texte :

Καὶ καθόλου τῶν ὁρατῶν τέσσαρές εἰσι διαφοραί. τὰ µὲν γὰρ αὐτῶν ἐν ἡµέρᾳ µόνως ὁρᾶται, τὰ δὲ ἐν νυκτὶ µόνως, τὰ δὲ καὶ ἐν νυκτὶ καὶ ἡµέρᾳ, τὰ δὲ ὅλως οὐδὲ συνυπάρχειν πέφυκε τῷ σκότῳ. Τί δὲ τούτων ἕκαστόν ἐστι, δῆλον ἐντεῦθεν. Τῶν γὰρ ὁρατῶν τὰ µέν ἐστι χρώµατα, τὰ δὲ ἀνώνυµα, ὡς δὲ ἑνὶ ὀνοµάσαι οἱονεὶ χρῶµά τι ἔχοντα τὸ λαµπρόν. Τὰ µὲν οὖν χρώµατα µόνως ἐν ἡµέρᾳ ὁρᾶται, οὐδαµῶς δὲ ἐν νυκτί. Τῶν δὲ λαµπρῶν τὰ µὲν ἐν νυκτὶ µόνως ὁρᾶται, τὰ δὲ ἐν ἡµέρᾳ µόνως, τὰ δὲ καὶ ἐν νυκτὶ καὶ ἐν ἡµέρᾳ. Τὰ µὲν γάρ ἐστιν αὐτῶν ὑπέρλαµπρα, τὰ δὲ ἀµυδρῶς λαµπρά, τὰ δὲ µέσως. Τὰ µὲν οὖν ἀµυδρὸν ἔχοντα τὸ λαµπρὸν µόνως ἐν νυκτὶ ὁρᾶται, οἷον πυγολαµπίδες καὶ λεπίδες καὶ τὰ ὅµοια· τούτων γὰρ ἐν ἡµέρᾳ τὸ λαµπρὸν οὐ φαίνεται, νικώµενον ὑπὸ τοῦ µείζονος· ἔτι δὲ καὶ ἀστέρων οἱ πλείους. Τὰ δὲ µέσα καὶ ἐν νυκτὶ καὶ ἐν ἡµέρᾳ, οἷον σελήνη καί τινα τῶν ἄστρων, οἷον ὁ ἑωσφόρος, ὅταν πρὸς τῷ ὁρίζοντι γίνηται ὁ ἥλιος καὶ αὐτὸς ὁ ἑωσφόρος περιγειότερος ᾖ. ἔτι δὲ καὶ πῦρ· τοῦτο γὰρ ὅσον δύναται ἀέρα τελειοῖ καὶ εἰς ἐνέργειαν ἄγει τὸ διαφανὲς αὐτοῦ, ὡς καὶ τὰ ἐν αὐτῷ χρώµατα 348 Ibid., 345.33-346.6. 349 Ibid., 346.6-14.

350 Simplicius, op. cit., p. 133.11-21. 351 Jean Philopon, op. cit., 346.15-22.

δεικνύναι, ἐν δὲ τῷ λοιπῷ ἑαυτὸ µὲν δείκνυσιν, ἐκείνου δὲ τὸ διαφανὲς οὐκ ἄγει εἰς ἐνέργειαν. ὅθεν αὐτὸ µὲν ὁρῶµεν πόρρωθεν ἐν σκότῳ ὄντες, οὐδὲν δὲ τῶν περὶ ἡµᾶς χρωµάτων. ἐν δὲ τῇ ἡµέρᾳ πάλιν τὸ πῦρ φαίνεται ὡς µὲν λαµπρὸν µηδὲν δρῶν εἰς τὸν ἀέρα διὰ τὸ ἤδη ὑπὸ τοῦ µείζονος λαµπροῦ παθεῖν, οὕτω δὲ φαινόµενον τρόπον τινὰ ὥσπερ καὶ τὰ λοιπὰ τῶν χρωµάτων, µᾶλλον δὲ ὥσπερ καὶ τῆς σελήνης τὸ λαµπρὸν διὰ τὸ µὴ ἄγαν ἄµυδρὸν εἶναι φαίνεται ἐν ἥµέρᾳ· οὕτω δὲ καὶ τὸ τοῦ πυρός, ὅταν µὴ πόρρω δείκνυται φωτὸς ὄντος. Τὰ δὲ ὑπέρλαµπρα µόνως ἐν ἡµέρᾳ, οἷον ὁ ἥλιος, ἐπειδὴ καὶ αὐτὸς τῆς ἡµέρας καὶ τοῦ φωτὸς αἴτιος352.

Philopon reprend pour l’essentiel les catégories usuelles qu’utilisent Aristote et par exemple Simplicius : ce qui est vu de jour, c’est-à-dire la couleur, ce qui est vu de nuit, que Philopon appelle le « brillant », c’est-à-dire la phosphorescence, ce qui est vu de jour et de nuit, comme le feu. Pour chaque catégorie de visible, Philopon s’efforce d’ajouter aux exemples présents chez Aristote des exemples astronomiques : ainsi la majorité des étoiles entrent-elles dans la catégorie des objets phosphorescents, alors que la lune, l’étoile du berger et le feu entrent dans la catégorie de ce qui est visible de jour et de nuit : la lune n’est vue que lorsque le soleil est à l’horizon et l’étoile du berger à son périgée. Enfin, Philopon crée pour le soleil une catégorie à part : il est l’« ultra-brillant », il est responsable de l’alternance entre jour et nuit qui conditionne le reste de la classification des visibles esquissée par Aristote. Même s’il introduit des distorsions par rapport aux intentions d’Aristote : la phosphorescence et le rayonnement des étoiles ne relèvent pas d’un même phénomène optique. Il est clair que, pour Philopon, les observations astronomiques forment l’archétype de la visibilité.

ii – une deuxième classification en six catégories :

Celle-ci est présentée comme celle d’Aristote, Philopon est toutefois responsable de l’ajout de la sixième, créée exprès pour le soleil, comme dans sa première classification :

ἓξ οὖν φησι καθόλου τὰ ὁρατὰ εἶναι, ὧν τὰ µὲν πέντε λέγει, τὸ δὲ ἕκτον παραλιµπάνει ἴσως ὡς προφανές. Τά τε γὰρ χρώµατα ὁρατὰ ἐστιν ἐν φωτὶ µόνον, ἄλλα δέ τινα µόνον ἐν σκότῳ, ὡς πυγολαµπίδες καὶ τὰ ὅµοια, τὰ δὲ καὶ ἐν σκότῳ καὶ ἐν φωτί, ὡς σελήνη, πῦρ καὶ τινα τῶν ἄστρων· τὰ γὰρ πλεῖστα µόνως ἐν σκότῳ ὁρᾶται, διὰ τὸ νικᾶσθαι µόνῳ τῷ µείζονι φωτὶ τοῦ ἡλίου. ἔτι δὲ ὁρατόν φησι καὶ τὸ ἐνεργίᾳ διαφανές, τουτέστι τὸν πεφωτισµένον ἀέρα· ὡς γὰρ ἐδείξαµεν ἔµπροσθεν, οὐδενὶ ἄλλῳ κρίνοµεν ὅτι ἡµέρα ἐστιν ἢ τῇ ὄψει. Πρὸς τούτοις καὶ τὸ δυνάµει διαφανές, τουτέστι τὸ σκότος, ὁρατὸν εἶναι φησι τῇ ἀποφάσει. ἔστι δὲ ἐπὶ τούτοις 352 Ibid., p. 346.33-p. 347.24.

ἕκτον γένος τῶν ὁρατῶν ὁ ἥλιος τὸ µάλιστα πάντων φανότατον, ὃν οὔτε ἐν σκότῳ ἐρεῖς φαίνεσθαι (ἀφανιστικὸς γὰρ τοῦ σκότους ἐστίν) οὔτε ἐν ἡµέρᾳ353·

Les six catégories sont donc les couleurs vues uniquement dans la lumière, d’autres uniquement dans l’obscurité, comme les objets phosphorescents, d’autres objets, dans la lumière et dans l’obscurité, comme la lune, le feu et certaines étoiles, le diaphane en acte, c’est-à-dire l’air illuminé, qui forme une catégorie distincte, de même que le diaphane en puissance, c’est-à-dire l’obscurité, vue par absence de vision, et enfin le soleil, qui n’apparaît ni dans l’obscurité, puisqu’il la fait disparaître, ni de jour, puisqu’il est lui-même ce qui provoque le jour, et constitue la sixième catégorie, la plus importante pour Philopon.

La brillance des objets phosphorescents est trop faible pour que ceux-ci puissent rendre diaphane l’air ambiant et donc pour que celui-ci transmette les couleurs, leur brillance ne peut que se rendre visible elle-même354.

A la fin du passage sur la phosphorescence, Philopon oppose deux types de « brillance », la phosphorescence, catégorie dans laquelle il range également certaines étoiles, et la brillance du soleil :

_ la phosphorescence : Philopon renvoie pour l’explication de la transparence, qui, d’après Aristote, fait l’objet d’un autre ouvrage, au traité De sensu. Les corps phosphorescents participent de la lumière, mais leur lumière est faible et ne leur permet que de se rendre visibles eux-mêmes. Il fait un parallèle avec le feu, qui se comporte comme une source de lumière quand il est grand, et comme un objet phosphorescent quand il est petit. Entre la lumière du soleil et la phosphorescence, il n’y a qu’une différence de degré, le feu appartiendrait ainsi à une catégorie intermédiaire355.

_ la « brillance du soleil » : la lumière du soleil illumine toujours les corps célestes. Cette affirmation soulève une difficulté : pourquoi ne voyons-nous pas pendant le jour les corps célestes illuminés de nuit, c’est-à-dire pourquoi le soleil cache-t-il davantage leur brillance de jour que de nuit ? La brillance du soleil est trop forte pour que l’on puisse le regarder en face, car le πνεῦµα visuel est trop faible par rapport à elle. Il est possible de le regarder par exemple à travers le brouillard. La nuit, le même type de phénomène s’observe : le cône d’ombre de la terre empêche les rayons du soleil de parvenir à l’œil. Il est alors possible de voir les étoiles. Il cite à l’appui de ses dires un fait d’expérience : quand l’observateur se place dans un puits et qu’il regarde le ciel, il voit les étoiles même en plein

353 Ibid., p. 347.29-348.1. 354 Ibid., 348.1-8. 355 Ibid., 348.10-21.

jour, l’obscurité du puits plongeant dans l’obscurité l’organe visuel annule en quelque sorte la lumière solaire356. Pour Philopon, ces observations démontrent la validité de sa théorie visuelle qu’il formule d’une manière tout à fait intromissioniste, en faisant un parallèle avec les autres sens qui s’exercent aussi par intromission357. Mais pour corriger ce que la formulation peut avoir de « corporaliste » (le verbe φοιτᾶν semblant dénoter un véritable mouvement en provenance des objets visibles et en direction de l’œil), Philopon reprend son dernier exemple et montre que la théorie des ἐνέργειαι reçues par l’œil est effectivement capable de l’expliquer358, c’est-à-dire qu’elle est compatible avec sa théorie de l’échelle de brillances et avec le fait que la brillance du soleil, plus forte que toute autre, est capable d’empêcher la perception de brillances moindres.

Philopon a besoin d’une théorie optique qui permette de sauver l’observation astronomique, ce qui est impossible si la lumière est un corps qui se meut359 : la théorie optique garantit la véracité et même la possibilité des observations astronomiques.

γ – Visibilité de la couleur, l’influence de la physiologie galénique.

Comme Aristote, Philopon revient sur le lien entre diaphane et couleur : quand le diaphane est diaphane en acte, il devient aussi quelque chose qui transmet les couleurs. Les couleurs sont capables de provoquer un changement dans le diaphane, quand il est en acte et réciproquement le diaphane en acte est aussi ce qui est capable de transmettre la couleur360.

Philopon développe les arguments aristotéliciens sur la nécessité du milieu dans le cas de la perception de la couleur : un objet posé directement sur l’œil n’est pas perçu à cause de l’absence de milieu. La vision est réalisée lorsque l’œil est affecté, cette affection doit donc être transmise par un milieu. Davantage encore que Thémistius, pour expliquer quelle doit être l’affection subie par l’œil, Philopon s’appuie fortement sur une excellente connaissance de la physiologie galénique, qui lui permet de répondre à une série d’objections sur la nécessité du milieu pour la réalisation de la vision.

_ première objection : pourquoi voit-on l’humeur accumulée dans l’œil dans le cas d’une cataracte, alors qu’il n’y a pas d’air au milieu ? La réponse à cette question permet à Philopon de développer l’importance attribuée par Aristote au milieu de l’œil dans le De 356 Ibid., 348.21-349.9. 357 Ibid., 349.9-12 : « Καὶ ἐκ τούτου δ’ἄν τις συλλογίσαιτο ὅτι µὴ ἔξεισί τι ἐκ τῶν ὀµµάτων, ὅπερ τῶν αἰσθητῶν ἀντιλαµβάνεται, ἀλλ’ὡς ἐπὶ τῶν ἄλλων αἰσθήσεων εἰς αὐτὸ φοιτᾷ τὸ αἰσθητήριον τὸ ὁρατόν ». 358 Ibid., 349.19-22 : « ∆ιὸ καὶ ὁ ἐν τῷ φρέατι, ἅτε δὴ σκιᾶς περὶ αὐτὸν οὔσης καὶ τοῦ φωτὸς τῷ ὄµµατι µὴ προσβάλλοντος µηδὲ διακρίνοντος αὐτὸ οἷός τε ἐστι τὰς τῶν ὁρατῶν ἐνεργείας δέχεσθαι, ὅπερ καὶ ἐν τῇ νυκτὶ συµβαίνει ».

359 A. Merker, La théorie de la vision…, op. cit., p. 191 et suivantes sur les implications philosophiques de la théorie d’Aristote.

sensu tout en l’enrichissant par les avancées postérieures de la science médicale. Il se réfère notamment aux médecins et à leurs dissections, sa source principale étant évidemment le De

usu partium de Galien361 :

ῥητέον οὖν πρὸς τοῦτο ὅτι τὸ ὀπτικὸν πνεῦµα ἐν τῷ κρυσταλλοειδεῖ ὑγρῷ τὴν κρίσιν τῶν ὁρατῶν ποιεῖται. ∆εικνύουσι γὰρ οἱ ἰατροὶ ὅτι ἐκεῖ ἡ κρίσις γίνεται ἐκ τῶν ἀνατοµῶν. Τὸ δὲ κρυσταλλοειδὲς ὑγρὸν ἐσωτέρω ἐστὶ δῆλον ὅτι οὐ µόνον τῶν χιτώνων τοῦ τε κερατοειδοῦς καὶ τοῦ ῥαγοειδοῦς καλουµένου, ἀλλὰ καὶ τοῦ ᾠοειδοῦς ὑγροῦ, ὅπερ καὶ αὐτὸ διαφανὲς ὑπάρχει. Τοῦτο οὖν τὸ ᾠοειδὲς ὑγρὸν διαφανὲς ὂν ὥσπερ καὶ τὸ κρυσταλλοειδὲς µεταξὺ γίνεται τοῦ τε ὀπτικοῦ πνεύµατος, ὅπερ ἐν τῷ κρυσταλλοειδεῖ ποιεῖται τὴν κρίσιν, καὶ τοῦ ἐπιχύµατος, ὃ περὶ τὸν κερατοειδῆ συνίσταται· ὥστε ἔστι καὶ ἐνταῦθα τὸ µεταξύ. ∆ιὰ τοῦτο δὲ τὸ ἐντὸς χρῶµα ἔξω ὑπολαµβάνει, ἐπεὶ καὶ ὅταν δι’ὑέλου κεχρωσµένης ὁρῶµέν τινα, τοιοῦτο χρῶµα ἔχειν κἀκεῖνα νοµίζοµεν οἷόνπερ καὶ ἡ ὕελος362.

Le πνεῦµα visuel qui est dans le cristallin est ce qui opère le discernement des objets visuels. La vision proprement dite semble donc avoir lieu pour Philopon lorsque les ἐνέργειαι entrent en contact avec le πνεῦµα visuel, dans le cristallin, ce qui rejoint tout à fait la thèse galénique qui fait du cristallin « le premier organe de l’œil », celui où s’opère la vision. Le cristallin qui est transparent se trouve entre le πνεῦµα visuel et la cataracte, qui se rassemble autour de la cornée. Il existe donc un milieu transparent entre le πνεῦµα visuel et la cataracte, qui se trouve autour de la cornée, c’est pour cette raison que la cataracte est perçue. L’anatomie de l’œil est développée avec précision : Philopon mentionne deux humeurs et deux tuniques.

_ deuxième objection, dirigée contre la possibilité pour le cristallin de servir de diaphane intermédiaire : un objet posé sur l’œil devrait être perçu, ce qui n’est pas le cas363. La réponse est simple, l’humeur n’est transparente que si elle est diaphane en acte. Or l’objet empêche la lumière de parvenir à l’œil364.

Sans reprendre, comme Thémistius, le vocabulaire exact de Galien, Philopon explique la vision des couleurs en se fondant sur l’existence d’un πνεῦµα visuel qui permet la perception et sur la description physiologique de l’œil, en reprenant le rôle central attribué par Galien au cristallin.

361 Galien, op. cit., X, 2, 762, p. 56-57. 362 Jean Philopon, op. cit., 350.24-35. 363 Ibid., 351.7-13.

δ – Visibilité du feu.

Le feu est visible à la fois dans la lumière et dans l’obscurité : il a une activité illuminante capable d’« annoncer » sa propre couleur. Le feu est en effet par nature propre à faire passer le diaphane en puissance au diaphane en acte365. Sans plus de précisions, l’interprétation de Philopon est cohérente avec le texte d’Aristote.

Il répète son explication qui rapproche le feu de la phosphorescence. En effet, à une certaine distance, le feu n’est capable que de se rendre visible lui-même. Il précise pour la première fois que même les vers luisants sont capables de rendre visibles les couleurs, mais à très petite échelle, quand on les tient dans la main. Entre le ver luisant et le feu, il n’y a qu’une différence de degré. Plutôt que des modes de visibilité au sens strict, Philopon classe des types de réactions du diaphane et des types de brillance.

Le commentaire de Philopon s’inscrit dans la continuité des commentaires néoplatoniciens de l’œuvre d’Aristote. En effet, l’assimilation de la lumière à l’élément actualisant du diaphane, le feu, dans le texte d’Aristote, déclenche une série d’interprétations déviantes par rapport à l’esprit du traité d’Aristote, mais qui permettent aux néoplatoniciens de concilier les théories d’Aristote et de Platon. En ravalant les divergences des théories au rang de question de vocabulaire, les néoplatoniciens grecs adoptent en réalité sans réserve la théorie d’Aristote, repensée pour accueillir les éléments de l’optique géométrique et de la médecine galénique. La théorie d’Aristote garantit non seulement toute possibilité d’observation de la nature, mais surtout est seule habilitée à garantir la validité de l’astronomie, si importante dans l’Antiquité tardive. La pensée de Philopon connut un retentissement mitigé dans le domaine grec : si son commentaire reste le plus utilisé, ce ne sont pas ses aspects les plus novateurs qui suscitent l’intérêt des savants byzantins. En revanche, il eut une profonde influence sur l’optique latine grâce à sa traduction latine par Guillaume de Moerbeke au XIIIe siècle.