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d – Phosphorescence, obscurité et diaphane en puissance

Après un rappel des résultats obtenus lors de l’explication du passage disant que « la lumière est comme la couleur du diaphane », à savoir que le diaphane n’a pas de couleur propre : quand il est en acte sous l’action de la lumière (lumière qui est comme la couleur du diaphane, mais non réellement la couleur du diaphane, car la couleur est un acte alors que la lumière est une entéléchie) il permet la perception des couleurs, Thémistius revient sur le troisième état possible du diaphane d’après son exégèse, le diaphane en puissance :

ἀλλ’ ὅταν µὲν ἐνεργείᾳ γένηται διαφανὲς ὑπὸ τοῦ φωτός, τότε γίνεται αὐτοῦ οἷον χρῶµα τὸ φῶς, καὶ τηνικαῦτα γίνεται καὶ αὐτό πως ὁρατὸν καὶ αἴτιον τοῖς σώµασι τοῦ ὁρᾶσθαι· ὅταν δὲ δυνάµει, οἷον δοκεῖ τὸ σκότος εἶναι, τότε καὶ αὐτὸ

Anne Merker, La théorie de la vision…, op. cit., pp. 137-138 : « d’autre part il semble que la lumière est le contraire de l’obscurité ; or l’obscurité est la privation d’une telle détermination hors du diaphane, en sorte qu’il est évident que la lumière est bien la présence de celui-là ».

208 Alexandre d’Aphrodise, De anima libri Mantissa, op. cit, 139, 25-28 : « ἔτι εἰ τὸ φῶς σῶµα ὄν ἐστιν ἐν τοῖς τοῦ ἀέρος πόροις ἢ τοῖς τοῦ ὕδατος, πῶς ἢ τοῦ ὕδατος ῥέοντος ἢ τοῦ ἀνέµου µετακινουµένου οὐ συµµεταφέρεται καὶ συγκινεῖται καὶ αὐτό, ἀλλ’ἀεὶ ἐν τῷ αὐτῷ µένει τῶν ἐν οἷς ἐστιν οὐ µενόντων; », p. 83 ; voir aussi le commentaire au De Sensu d’Alexandre d’Aphrodise, p. 28 et 57.

209 Alexandre d’Aphrodise, De anima libri Mantissa, op. cit., 138, 12-14 : « ἔτι εἰ πῦρ τὸ φῶς, παρὰ φύσιν αὐτῷ ἡ ἄνωθεν κάτω κίνησις καὶ βίαιος. ὁρῶµεν δὲ οὐδὲν ἔλαττον τὸ φῶς κάτωθεν ἄνω ἢ ἄνωθεν κάτω φερόµενον κατὰ φύσιν », p. 82. 210 Ibid., 139, 19-24 : « ἔτι εἰ σῶµα τὸ φῶς, πῶς οἷόν τε ἅµα φωτίζεσθαι καὶ τὰ πόρρω καὶ τὰ ἐγγύς, τὰ δυνάµενα ἀπὸ τοῦ αὐτοῦ διαστήµατος φωτισθῆναι; ἔδει γὰρ ἐν πλείονι χρόνῳ τὰ πλέον ἀφεστῶτα, εἴ γε παντὸς σώµατος ἡ τοπικὴ κίνησις ἐν χρόνῳ. ὅτι δὲ ἅµα τὸ φῶς καὶ ἐν τῷ ἐγγυτάτῳ καὶ ἐν τῷ πορρωτάτῳ γίνεται διαστήµατι τῷ οἵῳ τε φωτίζεσθαι, ἐν ταὐτῷ τοῦ φωτίζοντος µένοντος, ἐναργές », p. 83.

ἀόρατον καὶ ἀφαιρεῖται τῶν ἄλλων χρωµάτων τῆν θέαν. ἀόρατον δ’ἔφαµεν τὸ σκότος οὐχ ὅτι παντελῶς οὐχ ὁρᾶται, ἀλλ’ὅτι µόλις· διακρίνει γὰρ καὶ τὸ σκότος ἡ ὄψις, ὥσπερ καὶ ἅπασα αἴσθησις τὴν στέρησιν τοῦ αὑτῆς αἰσθητοῦ, ἡ δὲ αὐτὴ φύσις καὶ τὸ αὐτὸ ὑποκείµενον ὁτὲ µὲν σκότος, ὁτὲ δὲ φῶς ἐστίν, ὥσπερ καὶ τὸ αὐτὸ ὑποκείµενον ὁτὲ µὲν ὁρᾷ, ὁτὲ δὲ τυφλοῦται211.

Quand le diaphane est en puissance, il devient semblable à l’obscurité ; il est alors invisible et empêche la vision des autres couleurs : on ne voit rien ou à peine. Thémistius doit expliquer le paradoxe apparent qu’il y a dans la théorie aristotélicienne à voir l’obscurité, qui se définit comme le fait de ne pas voir. Chez Thémistius, l’obscurité est privation du sensible, alors que chez Aristote elle était privation d’une ἕξις. En réalité, la vue voit l’ombre, comme tout sens ressent la privation de son sensible. Il compare le diaphane qui est tantôt lumière et tantôt obscurité avec la situation du substrat qui tantôt voit, tantôt est aveugle. La comparaison est assez mal venue, puisque dans la phrase précédente, il établissait justement que la vision de l’obscurité était une vision, celle de l’absence de visibilité, sauf si l’on considère qu’être aveugle signifie voir l’absence de vision.

Quand le diaphane est en puissance, il ne permet pas la vision de la couleur, sensible propre de la vue. Pourtant certains corps sont visibles alors que le diaphane est en puissance, ce sont les corps phosphorescents :

Οὐ πάντα δὲ τὰ ὁρατὰ ἐν φωτὶ ὁρατά, ἀλλὰ τὸ µὲν οἰκεῖον ἑκάστου χρῶµα ἐν φωτὶ µόνον, ἔνια δὲ ἐν µὲν τῷ φωτὶ οὐχ ὁρᾶται, ἐν δὲ τῷ σκότῳ κινεῖ τὴν αἴσθησιν, ἅπερ ἢ οὐ χρώµατα ῥητέον, εἴπερ ὀρθῶς ἀφώρισται ἴδιον χρώµατος εἶναι τὸ κινητικὸν τοῦ κατ’ἐνέργειαν διαφανοῦς, ἢ ἄλλον τρόπον, οἷον τὰ πυρώδη φαινόµενα καὶ ἐν νυκτὶ λάµποντα, ὧν ἓν µὲν γένος οὐκ ἔστι, διόπερ οὐδὲ ὀνοµάζεται ἑνὶ ὀνόµατι, πολλοῖς δὲ οὖσι καὶ διαφέρουσι κατ’εἶδος ἀλλήλων ἓν κοινὸν ὑπάρχει τὸ πυρώδη εἶναι δοκεῖν καὶ λάµπειν ἐν σκότει· τοιοῦτοι δὲ καὶ οἱ µύκητες καὶ κέρατά τινων ζώων καὶ ἰχθύων κεφαλαὶ καὶ λεπίδες καὶ ὀφθαλµοί, καὶ ξύλα δέ τινα σεσηπότα· καὶ τούτων δὲ ἑκάστου τὸ µὲν οἰκεῖον χρῶµα ἐν φωτὶ ὁρᾶται, τὸ δὲ πυρῶδες τοῦτο καὶ ἐκλάµπον ἐν τῇ νυκτὶ ἴσως οὐδὲ χρῶµα, ἀλλὰ τῶν ἡµετέρων πάθος ὀφθαλµῶν212.

S’agissant de corps qui ont la propriété de provoquer une sensation en l’absence de lumière, Thémistius emploie κινεῖ, « provoque un changement de la sensation », là où

211 Thémistius, op. cit., p.60.38-61.9. 212 Τhémistius, op. cit., p. 61.9-20.

Aristote se contentait du vague ποιεῖ213, dont l’emploi semblait justement permettre d’éviter celui de κινεῖ, qui alignait trop leur mode de visibilité sur celui de la couleur. Τhémistius propose d’attribuer un nom à ce phénomène : « ce qui apparaît flamboyant et brille dans la nuit ». Il ajoute à la liste d’Aristote « certains bois pourris », sans doute des braises, comme chez Simplicius. On voit leur couleur propre dans la lumière et leur brillance dans la nuit n’est pas une couleur mais une « passion » subie par nos yeux, Thémistius revient sur ce terme plus bas. Il précise la phrase d’Aristote disant que ces objets ne laissent pas voir leur couleur propre (dans la nuit), en montrant que ce passage sous-entend qu’ils en ont une, visible le jour, comme l’explique ici Thémistius. Son interprétation du texte est parfaitement logique. Il reste à expliquer que l’action des objets phosphorescents sur la vue soit une passion (πάθος) et non plus une κίνησις, comme dans le cas de la couleur.

Aristote ne donne pas de précision et dit qu’il s’agit d’une autre question214, qui convient davantage à un autre traité, le De sensu et sensato. Mais Thémistius laisse Aristote pour faire appel au traité de la vision de Sosigène, maître d’Alexandre, pour réussir à classer la phosphorescence dans la hiérarchie des corps ardents qu’il avait esquissée plus haut215. D’après Sosigène, les objets phosphorescents ont une légère communauté de nature avec le cinquième corps, c’est-à-dire l’éther, et le feu. Cette nature est de briller et d’illuminer l’air environnant ou un corps diaphane. De nuit, ils illuminent l’air, quand il n’est pas illuminé par quelque chose qui brille davantage, mais leur brillance devient invisible en présence d’une source de lumière plus importante. Dans la nuit, ces objets sont capables d’illuminer l’air qui est près d’eux, se rendant donc visibles, mais sans rendre les autres choses visibles.

213 Aristote, De l’âme, op. cit., 419a2-7, p. 49 : « Οὐ πάντα δὲ ὁρατὰ ἐν φωτί ἐστιν, ἀλλὰ µόνον ἑκάστου τὸ οἰκεῖον χρῶµα· ἔνια γὰρ ἐν µὲν τῷ φωτὶ οὐχ ὁρᾶται, ἑν δὲ τῷ σκότῳ ποιεῖ αἴσθησιν, οἷον τὰ πυρώδη φαινόµενα καὶ λάµποντα (ἀνώνυµα δ’ ἐστὶ ταῦτα ἑνὶ ὀνόµατι), οἷον µύκης, κέρας, κεφαλαὶ ἰχθύων καὶ λεπίδες καὶ ὀφθαλµοί· ἀλλ’ οὐδενὸς ὁρᾶται τούτων οἰκεῖον χρῶµα » ; A. Merker, La théorie de la vision…, op. cit., p. 138 : « Toutes les choses ne sont pas visibles dans la lumière, mais seulement la couleur propre de chaque chose ; car certaines choses ne sont pas vues dans la lumière tandis qu’elles produisent une sensation dans l’obscurité, comme les choses qui semblent ignées et qui brillent (elles sont anonymes en ce sens qu’elles n’ont pas de nom commun), comme le champignon, la corne, les têtes de poissons, leurs écailles, et leurs yeux. Mais on ne voit la couleur propre d’aucun d’entre eux ».

214 Aristote, De l’âme, op. cit., 419a2-7, p. 49 : « ∆ι’ ἣν µὲν οὖν αἰτίαν ταῦτα ὁρᾶται, ἄλλος λόγος » ; A. Merker,

La théorie de la vision…, op. cit., p. 138 : « Par quelle cause on les voit, c’est l’objet d’un autre discours ». 215 Thémistius, op. cit., p. 61.21-34 : « ∆ι’ἣ µὲν οὖν αἰτίαν ταῦτα ὁρᾶται, ἄλλον εἶναί φησι λόγον καὶ προσήκοντα µᾶλλον τοῖς περὶ αἰσθήσεως καὶ αἰσθητῶν· λέγει δὲ αὐτὸν Σωσιγένης ὁ Ἀλεξάνδρου διδάσκαλος ἐν τῷ τρίτῳ Περὶ ὄψεως, εἴ τῳ πιθανὸς ὁ Σωσιγένης, µετέχειν καὶ ταῦτα φάσκων φύσεώς τινος ἐπ’ὀλίγον τοιαύτης, οἵας καὶ τὸ πέµπτον σῶµα καὶ τὸ πῦρ· αὕτη δέ ἐστι τὸ δύνασθαι λάµπειν τε καὶ φωτίζειν τὸν παρακείµενον ἀέρα ἢ τὸ σῶµα τὸ διαφανές. Φωτίζεσθαι οὖν πως καὶ ὑπὸ τούτων τὸν ἀέρα νύκτωρ, ὅταν µὴ ὑπὸ τοῦ µᾶλλον φωτίζοντος καταλάµπηται καὶ ἀφανὲς τὸ παρὰ τούτων γίνηται φῶς ἀµαυρούµενον τῷ λαµπροτέρῳ. ἐν µέντοι τῇ νυκτὶ µέχρι τινὸς οἷά τε φωτίζειν τὸν πλησίον αὐτῶν ἀέρα, οὐχ ὥστε καὶ ἄλλα ποιεῖν ὁρατά, ἀλλ’ὡς αὐτὰ ἀγαπητῶς διαφαίνεσθαι διὰ τὸ τὴν οὐσίαν ἐκείνην ὀλίγην αὐτοῖς ὑπάρχειν, παρ’ἧς τὸ φῶς. Καὶ τὸ πῦρ δὲ αὐτὸ τὸν µὲν πλησίον ἀέρα οὕτω φωτίζει, ὥστε καὶ τὰ τῶν ἄλλων χρώµατα ποιεῖν ὁρατά, τὸν πόρρω δὲ οὕτως, ὥστε ἑαυτὸ µόνον ποιεῖν ὁρατόν ».

Thémistius établit un parallèle entre phosphorescence et feu : celui-ci illumine l’air proche de lui de sorte qu’il rend les autres couleurs visibles, mais non l’air qui est éloigné de lui de sorte qu’il se rend seulement visible lui-même, c'est-à-dire que, lorsque l’on est proche du feu, celui-ci se comporte comme une source de lumière, mais que, lorsque l’on est loin de lui, il se comporte comme un objet phosphorescent : il n’est pas assez puissant pour illuminer les objets éloignés de lui. Cette dernière remarque sur le feu rend compte des phénomènes

apparemment observables, mais n’est pas très efficace pour opérer un classement des visibles. Elle explique qu’Aristote fasse une place à part au feu, visible dans la lumière et dans l’obscurité.

Cette aide de Sosigène permet à Thémistius d’esquisser une classification des visibles dans le goût néoplatonicien qui couronne le passage de son commentaire consacré à la vision :

Νῦν δὲ ἐπὶ τοσοῦτον ἔστω δῆλον, ὅτι τὸ µὲν ἐν φωτὶ ὁρώµενον τοῦτο κυρίως χρῶµά ἐστι· τοῦτο γὰρ ἦν αὐτῷ χρώµατι εἶναι τὸ κινητικῷ εἶναι τοῦ κατ’ἐνέργειαν διαφανοῦς, τὸ δὲ ἐν σκότει ἢ οὐ χρῶµα, ἢ ἕτερον τρόπον· ὥστε δύο εἶναι διαφορὰς ταύτας τῶν ὁρατῶν τε καὶ χρωµάτων, ὅτι τὰ µὲν ἐν φωτὶ ὁρᾶται ἐν σκότει δ’οὔ, τὰ δὲ ἐν σκότει µὲν ἐν φωτὶ δὲ οὔ. Τὸ πῦρ δὲ ἐν ἀµφοῖν ὁρᾶται, καὶ εικότως· τὸ γὰρ διαφανὲς ὑπὸ τούτου γίνεται διαφανές, καὶ τὸ φῶς τοῦ πυρὸς ἦν τις δύναµις καὶ παρουσία, ὥστε ἀναγκαίως καὶ ἐν ἡµέρᾳ καὶ ἐν νυκτὶ τὸ πῦρ ὁρατόν· φῶς γὰρ πάντως περὶ αὐτό. Καὶ τοῦτο µόνῳ τῷ τοῦ πυρὸς χρώµατι ὑπάρχει τὸ φωτίζειν δύνασθαι τὸν πλησίον ἀέρα, τοῖς λοιποῖς δὲ χρώµασιν οὐκετι, τάχα δὲ οὐδὲ τῷ τοῦ πυρὸς χρώµατι ᾗ πῦρ, ἀλλ’ᾗ τινὸς ἄλλης φύσεως κεκοινώνηκεν· διὸ ἐκεῖνο µὲν ὁρᾶται καὶ ἐν τῷ σκότει, τὰ λοιπὰ δ’οὔ216.

Thémistius donne deux variétés de visibilité : des « visibles » (ceux qui ne sont pas des couleurs) dans l’ombre et non dans la lumière, et des couleurs, visibles dans la lumière et non dans l’ombre, il est donc possible d’opérer une distinction entre le visible et la couleur. Le feu, visible dans les deux cas, constitue une troisième catégorie : c’est par lui que le diaphane en puissance devient du diaphane en acte (et permet donc de percevoir les couleurs), la lumière est présence, puissance du feu. La capacité à illuminer l’air proche n’est pas accessible au reste des couleurs, mais est propre à la seule couleur du feu, pas à la couleur du feu en tant que feu, mais en tant qu’il participe d’une autre nature, que Thémistius ne précise pas. Ainsi peut-il être vu dans l’obscurité contrairement aux couleurs, cependant il s’agit tout de même d’une couleur, sinon sa brillance ne serait pas vue dans la lumière comme la

phosphorescence. Le feu semble donc posséder en même temps les deux propriétés successives des objets phosphorescents, la couleur et la brillance.