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Comme Platon, Calcidius termine son exposé consacré à la vision en mettant en valeur sa finalité : elle est le don le plus précieux que Dieu ait fait aux hommes et doit les mener à la philosophie480. Il esquisse donc à la suite de Platon une typologie de ses emplois, c'est-à-dire des divers champs d'action de la philosophie. Cette classification est souvent mise en valeur dans les manuscrits sous forme de schémas placés en marge (cf. Annexes).

En philosophie, le champ d'application de la vision se divise en deux branches : la contemplation et l'action481, avec, pour chacune, trois subdivisions. La subdivision principale, entre théorie et pratique, remonte à Aristote482, et les subdivisions ont été développées par les stoïciens, les médio- et les néoplatoniciens483. La classification de Calcidius elle-même a été rapprochée de celle d’Alcinoos484. La contemplation (consideratio – θεωρία)485 se subdivise

478 Ibid., 263, p. 492.1-6 : « Recte ergo faciet amator sapientiae, si, cum de his rebus tractandum erit, naturalem

ordinem seruet ac principe loco de anima disserat, post demum de corpore, deinde, cum de anima tractabit, de illa prius disserat, quae tam semet ipsam mouet quam cetera, in qua est uis deliberandi et intellegendi, tunc consequenter illam quoque pertractabit quae ab alia re potiore mota quaedam mouet ».

479 Ibid., 263, p. 492.6-14 : « Id porro motus genus si quidem pareat intellectui, erit aliquatenus ordinatum, si

minus, temere, inquit, et ut libet se exerens confusa et inordinata quae agit, relinquit, et addit : « Nobis quoque igitur in eundem modum faciendum », ac prius de ea loquendum natura quae suo motu mouetur – haec quidem praecedit ordine, per quam intelleguntur et sciuntur aeterna quae sola semperque uera sunt -, tunc demum illa quoque alia demonstranda quae ad mouendum quid motu indiget alieno. Utrique porro motui sensus necessarii sunt, quoniam ex his tam cupiditates excitantur improbare quam rerum optimarum intellectus et scientia conualescit ».

480 Ibid., 264, p. 492.16-19 : « Et de oculorum quidem ministerio satis dictum ; nunc « de praecipua operis

eorum utilitate » dicendum, quae cum in plerisque rebus tum in obtentu philosophiae clare perspicitur, quo beneficio negat quicquam maius a deo generi esse humano tributum ».

481 Ibid., 264, p. 492.19-24 : « Duplex namque totius philosophiae spectatur officium, consideratio et item actus,

consideratio quidem ob assiduam contemplationem rerum diuinarum et immortalium nominata, actus uero, qui iuxta rationabilis animae deliberationem progreditur in tuendis conseruandisque rebus mortalibus. Utrique

autem officiorum generi uisus est necessarius, ac primum considerationi ».

482 Aristote, Météorologiques, E, 1, 1025b3.

483 P. Hadot, « la division des parties de la philosophie dans l’Antiquité », in Museum Helveticum, 36-4 (1979) pp. 201-223.

484 B. Bakhouche, op. cit., t. 2, p. 812.

485 Calcidius, op. cit., 264, p. 492.24-32 : « Diuiditur porro haec trifariam, in theologiam et item naturae

en « théologie », ou recherche de Dieu, en recherches sur la nature, c’est-à-dire sur les causes des choses, et en science de la ratio, à prendre ici dans son sens de calcul. La contemplation du ciel et des étoiles tient comme chez Platon une place à part dans l'étude de la nature, puisque l’étude du ciel et la succession des jours et des nuits ont apporté à l'homme la notion de nombre. La deuxième partie de la philosophie est l'actus486, c'est-à-dire l'actuosa

philosophia, philosophie pratique, qui se divise en philosophies morale, domestique et publique.

La finalité de cette classification est très différente de celle qu’elle avait chez Platon. En effet, la consideratio, étymologiquement, « l’action de regarder les étoiles » semble correspondre à la physique de Platon, alors que l’actus serait une transposition de l’éthique. Chez Calcidius comme chez Platon, la vue, consacrée à observer le ciel, permet à l'homme de régler les mouvements imparfaits de son esprit sur les mouvements parfaits des sphères célestes487. Mais Calcidius renverse complètement la perspective. En effet, le Timée présente les différentes utilités de la vision de manière téléologique : du sensible, l'homme doit s'élever jusqu'à l'intelligible. Dans son commentaire, Calcidius semble livrer une classification à peine hiérarchisée qui nivelle les diverses parties de la philosophia. Mais si l’on se réfère à ce qu’a écrit Calcidius plus haut, à savoir qu’il faut présenter le plus important en premier, la branche la plus importante de la philosophie serait la consideratio, c’est-à-dire la physique platonicienne. Il prend alors l’exact contre-pied de la hiérarchie platonicienne. Pour le chrétien Calcidius, la vie quotidienne ne peut passer avant la contemplation, c’est pourquoi il la cite en tête, avec la « théologie » au sommet de la hiérarchie. Ainsi la contemplation des étoiles mène à la recherche de Dieu, idée évidemment complètement absente de la pensée de Platon.

Calcidius ne se limite pas à la pensée de Platon mais expose aussi les diverses finalités attribuées à la vision par d’autres philosophes. Ainsi, il met en scène Anaxagore, né pour

aspiraret, quod est theologiae proprium, nec uero id ipsum quod nunc agimus agendum putaret nisi prius caelo sideribusque uisis et amore nutrito sciendi rerum causas, eorum etiam quae ortum habent temporarium exordia ; haec quippe demum ad naturalem pertinent quaestionem. Quid quod dierum et noctium uice considerata menses et anni et horarum curricula dinumerata sunt numerique ortus et genitura dimensionis intro data? Quod ad tertium partem philosophiae pertinere perspicuum est ». Voir B. Bakhouche, op. cit., note 820, p. 827. 486 Calcidius, op. cit., 265, p. 494.8-10 : « […] ex his quippe constat alterum philosophiae genus, quod actiuum

uocatur. Id porro diuiditur trifariam, in moralem, domesticam, publicam ; quibus omnibus officiis prodest certe usus uidendi ».

487 Ibid., 265, p. 494.1-8 : « At uero actuosae philosophiae uisus quatenus sit utilis et necessarius docet, ita

dicens « deum oculos hominibus idcirco dedisse ut mentis prouidentiaeque circuitus, qui fiunt in caelo, notantes » eorum similes constituerent in suis mentibus, hoc est, motus animi, « qui deliberationes uocantur, quam simillimos instituerent diuinae mentis prouidis motibus placidis tranquillisque perturbatos licet », quod est morum uitaeque correctio quae publice priuatimque prodest tam ad domesticas quam ad publicas res recte salubriterque administrandas ».

contempler le ciel et les étoiles488. Calcidius rapporte également les idées des stoïciens et de Théophraste489. Des citations d’Homère et de Cicéron permettent à Calcidius d’avancer que les yeux donnent des indications sur les émotions490.

Les sources de Calcidius sont nombreuses et variées. Son explication des différentes doctrines visuelles grecques est très complète et bien maîtrisée, malgré les brouillages lexicaux induits par l’effort de traduction. La science qu’il présente a déjà subi des simplifications. Il consacre une part importante de son commentaire à l'optique géométrique, bien qu'il gomme au passage figures et démonstrations, suivant en cela la majorité des « manuels » consacrés au quadrivium en train de se constituer. Il ignore en grande partie (à part la mention de la pupille comme centre d’émission des rayons visuels) les travaux de Ptolémée, qui viennent corriger ceux d'Euclide, et semble se référer davantage à un épitomé tardo-antique qu’à Euclide lui-même. Le commentaire de Calcidius reste pour une bonne part une glorification de la pensée de Platon. Le fondateur de l’Académie est fortement opposé à Aristote, même si ce dernier tient une grande place dans son commentaire, comme le seul concurrent sérieux de Platon. Le commentaire de Calcidius reprend ainsi de manière affaiblie les principales orientations des écoles néoplatoniciennes grecques déjà sensibles chez Macrobe : concentration sur l’étude d’Aristote et de Platon, intérêt maintenu pour la science, mais utilisation croissante de manuels et d’abrégés remplaçant le recours aux œuvres originales.

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La période tardive est importante pour l’optique à plus d’un titre. D’abord elle clôt la période faste du développement de la science grecque dans les directions qui lui sont propres : physiologie de l’œil et géométrisation du regard, les deux domaines où la science classique et alexandrine a excellé, restent indispensables à toute théorie visuelle, mais amorcent une

488 Ibid., 266, p. 494.12-17 : « Neque enim nauium regimen neque cultus agrorum nec uero pingendi fingendique

sollertia recte sine uisu proprium opus efficere posset solaque contemplatio est, quae mentes hominum usque ad caeli convuexa protelat, proptereaque Anaxagoras, cum ab eo quaereretur cur natus esset, ostenso caelo sideribusque monstratis respondisse fertur : « ad horum omnium contemplationem ».

489 Ibid., 266, p. 494.17-21 : « At uero Stoici, deum uisum uocantes, quod optimum putabant, id enim pulchro dei

nomine tribuendum esse dixerunt ; Theophrastus uisus pulchritudinem asserens uisum formae nomine appellat, quod quorum extincta est acies uidendi, uultus informes sint et uelut in aeterna consternatione ».

490 Ibid., 266, p. 494.21-30 : « Denique ex oculorum habitu mens atque animus indicatur irascentium,

maerentium, laetantium ; irascentium quidem, ut apud Homerum commotae mentis orator : Stabat acerba tuens defixo lumine terrae, et enim : Furor ignea lumina uoluit, maerentium uero, ut fert poeta de eo qui iugi fletu oculos amiserat : Maeroreque lumina linquunt, item apud Ciceronem : In huius amantissimi sui fratris gremio maerore et lacrimis consenescebat ». Cf. Homère, Iliade, 3, 217, 12, 466, Cicéron, Pro Cluentio, 5, 13.

relative régression. En revanche, l’originalité de cette période est de combiner les acquis des diverses disciplines scientifiques pour former une théorie unitaire de la vision qui renouvelle la réflexion physique sur le rôle de la lumière et de la couleur dans la perception visuelle. En ce sens, l’Antiquité tardive est une période fondatrice, car elle fournit l’impulsion de l’intérêt pour l’optique qui se développe au cours du haut Moyen Age. Si la période antique semble nettement dominée par les travaux nés dans le monde grec, celui-ci s’enferme dans la répétition des autorités mises en exergue à cette période et c’est paradoxalement dans l’occident latin, qui manque pourtant de l’essentiel des textes grecs, que l’intérêt pour la vision se développe de façon significative.

Deuxième partie : le processus visuel et