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La tradition fondée par Galien dans son De usu partium d’ajouter à la description physique de l’œil une description physiologique du processus visuel est érigée en modèle par les lettrés byzantins. L’étude de Galien est en effet vivace à Byzance dès le règne d’Héraclius (610-641), avec Théophile le Protospathaire et son élève Stephanos d’Athènes. Elle suit encore pour peu de temps les méthodes éprouvées de l’école d’Alexandrie (épitomé et commentaire) et imprègne par des voies détournées la tradition encyclopédique. Peu à peu les traditions de lecture et d’étude des textes évoluent et l’éloge du créateur gagne le discours médical.

Le De corporis humani fabrica de Théophile le Protospathaire appartient à la tradition de l’épitomé. Il comporte cependant l’exposé sur la vision le plus complet de l’époque byzantine. Il repose sur deux axes principaux : la physiologie de l’œil et un prolongement d’optique géométrique empruntés directement au De usu partium de Galien21, ce à quoi l’auteur joint un éloge, dans la tradition patristique.

Dans une sorte de chapitre introductif, Théophile évoque les nerfs optiques conduisant le « πνεῦµα psychique » du cerveau aux yeux22. Ce πνεῦµα distingue les couleurs : dans une perspective émissioniste, il sort de l’œil pour aller à la rencontre de l’objet, la vision se

21 L. J. Bliquez – A. Kazhadan, art. cit., p. 556 : “At least this is what one gathers from the anatomical treatises which have been transmitted from the Byzantine period. That of Theophilus Protospatharius (seventh century?) for example is essentially an extract from Galen’s De Usu Partium and displays little, if any, originality ; and the work of Theophilus’s approximate contemporary the Phrygian monk Meletius, is held in even less esteem”. 22 Théophile le Protospathaire, De corporis humani fabrica, IV, 15, ed. William A. Greenhill, Oxford, 1842,p. 151-152 : « Tαῦτα τὰ µαλακὰ νεῦρα, τὰ εἰς τοὺς ὀφθαλµοὺς καθήκοντα χορηγεῖν τὴν ὅρασιν, ὀνοµάζονται ὀπτικὰ, (ἐπειδὴ τὸ ψυχικὸν πνεῦµα δι’αὐτῶν ἐκπέµπεται, διακρῖνον τὰς τῶν χρωµάτων ἑκάστου ἰδιότητας, τῷ πρώτῳ ὀργάνῳ τοῦ ὀφθαλµοῦ,) προσοµιλοῦντα τῷ κρυσταλλοειδεῖ· ».

réalisant donc grâce à sa circulation à l’intérieur puis à l’extérieur du corps. Puis Théophile énumère les trois humeurs contenues dans l’œil, qui sont les mêmes que chez Alexandre de Tralles et Aetius d’Amide : le cristallin, l’humeur aqueuse et le corps vitré, le cristallin étant comme chez Galien le premier instrument de l’œil, les deux autres humeurs ne servant qu’à l’alimenter23.

A cette présentation médicale, Théophile ajoute une évocation de la forme et de la composition de l’œil de façon téléologique à la manière des Pères de l’Église : l’œil est rond pour mieux pouvoir bouger. Il est la lanterne du corps : il faut regarder vers le haut et non par terre, car la vision doit ramener la créature au créateur et non l’enchaîner au monde d’ici-bas24. Toujours dans cette veine patristique, Théophile explique pourquoi les yeux sont au nombre de deux et évoque successivement l’utilité des paupières, des cils et des sourcils, éléments usuels dans les traités d’anthropologie chrétienne.

Revenant à l’anatomie, Théophile évoque le trajet des nerfs optiques. Bien qu’il parle d’une conjonction au-delà de laquelle ces nerfs dits optiques partent respectivement vers l’œil droit et l’œil gauche, il ne dit pas explicitement que ces nerfs forment un X25. Lorsque les nerfs optiques arrivent au niveau de l’œil, ils se dilatent de façon à entourer le cristallin et la méninge légère combinée aux nerfs eux-mêmes s’étend pour former la rétine (chez Galien, la rétine est formée par les nerfs seuls26) :

Εἶτα τὸ µὲν νεῦρον πλατύνεται περιλαµβάνον τὸ κρυσταλλοειδὲς ὑγρόν· ἡ δὲ λεπτὴ µήνιγξ σὺν τῷ νεύρῳ πλατυνοµένη γεννᾷ τὸν ἀµφιβληστροειδῆ χιτῶνα. ἐπεκτεινόµενος δὲ ὁ ἀµφιβληστροειδὴς χιτὼν περιέχων καὶ τὸ ὑελοειδὲς ὑγρὸν συµπαραλαµβάνει τὸν ῥαγοειδῆ χιτῶνα, περιέχοντα τὸ κρυσταλλοειδὲς ὑγρὸν, καὶ µέρος τι τοῦ ὑελοειδοῦς εἰς τροφὴν τοῦ κρυσταλλοειδοῦς. Εἶτα ἀνέρχεται µὲν ὁ 23 Ibid., IV, 15, p. 152 : « ἐν γὰρ τῷ ὀφθαλµῷ τριῶν ὑγρῶν ὄντων, τοῦ κρυσταλλοειδοῦς, τοῦ ὑελοειδοῦς, καὶ τοῦ ὠοειδοῦς, πρῶτον ὄργανον ὁρατικὸν τὸ κρυσταλλοειδὲς ἐγένετο, τὰ δὲ ἄλλα τροφῆς ἕνεκεν. ». 24 Ibid., IV, 16, p. 152-153 : « Ἐπεὶ δὲ « λύχνος τοῦ σώµατός ἐστιν ὁ ὀφθαλµὸς », καθώς φησιν ὁ κύριος ἡµῶν Ἰησοῦς Χριστὸς ἐν τοῖς ἁγίοις εὐαγγελίοις, ὁ ἀληθινὸς θεὸς ἡµῶν· ὁ δὲ λύχνος οὐκ ἐπ’ἐδάφους ἔχει τὴν θέσιν, οὐδ’ἐν µέσῳ τόπῳ, ἀλλ’ ἐφ’ὑψηλοῦ τόπου κεῖται, εἰ µέλλοι φωτίζειν τόν τε οἶκον ἅπαντα καὶ τοὺς ἐν τῷ οἴκῳ· τὸν αὐτὸν τρόπον καὶ ἡ Τούτου δηµιουργικὴ σοφία, εἰδυῖα ἐκ τοῦ έγκεφάλου λαµβάνειν τὴν ὅρασιν τοὺς ὀφθαλµοὺς, πλησίον τοῦ ἐγκεφάλου τὴν θέσιν αὐτῶν ἐτεχνήσατο ».

25 Ibid., De corporis humani fabrica, IV, 19, p. 158 : « Ἄρξοµαι τοίνυν τῆς κατασκευῆς τοῦ ὀφθαλµοῦ ἀπὸ τοῦ καθήκοντος ἐξ ἐγκεφάλου νεύρου, τοῦ ὀπτικοῦ καλουµένου. Ἐκφύεται µὲν οὖν ἀπὸ τῶν ἔµπροσθεν κοιλιῶν τοῦ ἐγκεφάλου, ἐξ αὐτοῦ τοῦ σώµατος αὐτοῦ, συζυγία τις νεύρων µαλακῶν, συµπαρακειµένη τῇ τῆς ῥινὸς συζυγίᾳ, ἑκατέρωθεν νεῦρον, ἓν ἐκ δεξιῶν, καὶ ἓν ἐξ ἀπιστερῶν· τὴν ἐξήγησιν δὲ ποιήσοµαι περὶ θατέρου τῶν ὀφθαλµῶν. Τούτῳ οὖν τῷ ὀπτικῷ νεύρῳ ἐξερχοµένῳ ἐκ τοῦ ἐγκεφάλου συνεκφύονται ἥ τε λεπτὴ µήνιγξ καὶ ἡ παχεῖα, καὶ διαπεράσασαι ἄµφω σὺν τῷ νεύρῳ τὸ τρῆµα τοῦ ὀστοῦ, κατέλαβον τὴν χώραν τοῦ ὀφθαλµοῦ ».

ἀµφιβληστροειδὴς ἕως τῆς στεφάνης, τῆς ὀνοµαζοµένης ἴριδος, κἀκεῖ ἑνοῦται τῷ περιοστείῳ χιτῶνι τῷ λευκῷ27.

La rétine s’étend et enserre le corps vitré et la tunique appelée uvée, qui à son tour enserre le cristallin et une partie du corps vitré qui apporte sa nourriture au cristallin. Ensuite une autre tunique, l’iris (la tunique moyenne) monte et s’unit à une membrane blanche qui entoure l’os, le périoste. Celui-ci, issu de chaque coin de l’œil, s’élargit en recouvrant toutes les parties de l’œil et s’allonge jusqu’à l’iris : ce dernier est donc l’union et le terme de toutes les tuniques28, comme chez Galien. Les larmes proviennent de l’humeur aqueuse29.Théophile présente ensuite une par une les tuniques de l’œil, en commençant par la cornée, la plus extérieure de toutes, qui est mince, transparente et lisse30. De la cornée seule, l’auteur passe à l’énumération des quatre tuniques (il faut interpréter τετραπλάσιον comme « multiplié par quatre » et non « quadruple »), qui ont toutes pour fonction de protéger l’œil d’une éventuelle incursion d’éléments extérieurs et qui sont toutes transparentes pour que le πνεῦµα visuel puisse sortir librement, mais en protégeant les yeux par leurs κτήδονες (fibres jaunâtres ou sanguines présentes sur la cornée de l’œil)31. Suivant la présentation habituelle, les quatre tuniques sont : la cornée, l’uvée (la tunique moyenne), la rétine et la conjonctive :

Ἔστι δὲ ἡ τάξις τῶν χιτώνων αὕτη· πρῶτος ὁ κερατοειδὴς, δεύτερος ὁ ῥαγοειδὴς, τρίτος ὁ ἀµφιβληστροειδὴς, καὶ τέταρτος ὁ ἐπιπεφυκὼς, ὁ λευκός. Ὁ δεύτερος οὖν, ὁ ῥαγοειδὴς, σφαιροειδὴς µὲν τῷ σχήµατι, (ῥαγὶ γὰρ στραφυλῆς ἔοικε,) µέλας δὲ τὴν χροιὰν, διὰ τὸ περιέχειν τὸ κρυσταλλοειδὲς ὑγρόν· τοῖς γὰρ ὀφθαλµοῖς ἥδιστα χρώµατα τὰ προσεγγίζοντα τῷ µέλανι χρώµατι, (καθάπὲρ εἰσὶ τά τε φαιὰ καὶ τὰ κυανᾶ,) λυπηρὰ δὲ τὰ λαµπρά. Τὸ γὰρ κρυσταλλοειδὲς ὑγρὸν

27 Théophile le Protospathaire, op. cit., IV, 19, p. 159.

28 Ibid., IV, 19, p. 159-160 : « ἐκφυόµενος γὰρ ὁ λευκὸς χιτὼν ἀπὸ τῶν τοῦ ὀφθαλµοῦ ὀστῶν ἀπὸ τοῦ µέρους τοῦ µεγάλου κανθοῦ καὶ ἀπὸ τοῦ µέρους τοῦ µικροῦ κανθοῦ, πλατύνεται, ἐπικείµενος πᾶσι τοῖς ὀφθαλµοῦ µορίοις, ἐπεκτεινόµενος µέχρι τῆς στεφάνης· κἀκεῖ ἑνοῦται αὐτὸς τοῖς λοιποῖς χιτῶσιν. Αὕτη γὰρ ἡ στεφάνη ἕνωσίς ἐστι καὶ κοινὸς ὅρος πάντων τῶν τοῦ ὀφθαλµοῦ χιτώνων· καλεῖται δὲ καὶ ἶρις, καὶ κύκλος τοῦ ὀφθαλµοῦ ». 29 Ibid., IV, 19, p. 160 : « Περιεκτικωτέρα οὖν ἡ παχεῖα µήνιγξ τῆς λεπτῆς οὖσα καὶ αὐτοῦ τοῦ ὀπτικοῦ νεύρου, συνεξελθοῦσα τῷ ὀστῷ πλατυνοµένη περιέχει τὸ ὠοειδὲς ὑγρὸν, ἐξ οὗ γίνονται τὰ δάκρυα ». 30 Ibid., IV, 20, pp. 160-161 : « Ἀνέρχεται δὲ µέχρι τῆς στεφάνης ἡ αὐτὴ µήνιγξ ἐντὸς τῆς στεφάνης λεπτυνοµένη καὶ διαυγὴς ἀποτελουµένη, καὶ λειοτάτη γενοµένη, ὥσπερ τι κεράτιον ἐξεσµένον· καὶ ἀναπληροῖ τὴν ἐντὸς εὐρυχωρίαν τοῦ κύκλου, γεννῶσα τὸν κερατοειδῆ χιτῶνα. Οὗτος ὁ κερατοειδὴς χιτὼν, πάντων ἐκτὸς κείµενος, τῷ λεπτῷ τῆς οὐσίας αὐτοῦ ἀπερρήγνυτο ἂν ὑπὸ τῶν ἔξωθεν προσπιπτόντων σωµάτων ». 31 Ibid., IV, 20, p. 161 : « διὰ τοῦτο ἡ δηµιουργία τοῦ Θεοῦ συνέθηκε τῷ χιτῶνι τούτῳ καὶ ἕτερα τοιαῦτα λεπτὰ καὶ διαυγῆ σώµατα, ὥσπερ πτύχας τινάς· ὡς τετραπλάσιον γενέσθαι τὸν κερατοειδῆ χιτῶνα, ἵνα τῷ µὲν διαυγεῖ τῶν σωµάτων ἀνεµπόδιστος γένηται τοῦ ὁρατικοῦ πνεύµατος ἡ εἴσοδος, τῇ δὲ συνθέσει τῶν κτηδόνων (οὕτω γὰρ αὐτὰ ὀνοµάζουσιν οἱ ἀνατοµικοὶ,) ἀσινὴς ᾖ τῶν ἔξωθεν προσβολῶν ».

διαυγέστατόν τε καὶ λαµπρὸν, καθάπερ ὁ κρύσταλλος, πρεπόντως τοῦ τοιούτου τετύχηκε περιβλήµατος32.

Les tuniques sont organisées de l’extérieur vers l’intérieur, contrairement à l’habitude des traités médicaux. Ainsi, la position de la conjonctive, le plus à l’intérieur, est inattendue. Il donne quelques indications sur ces tuniques : l’uvée est noire, de forme sphérique, et entoure le cristallin qui est transparent et brillant comme du cristal, d’où son nom. Les couleurs les plus agréables pour les yeux sont celles qui s’approchent de la couleur noire, les couleurs brillantes les blessent. Il signale que Denys, tyran de Sicile, utilisait cette propriété des yeux pour aveugler ses prisonniers en les faisant passer d’une geôle très obscure à une pièce très claire33 . L’anecdote, non reproduite par Oribase, est également tirée du De usu

partium de Galien34.

Théophile s’attarde quelques instants sur la forme du cristallin35 : il est de forme ronde, mais cependant non totalement sphérique, car sa partie antérieure est comprimée comme une lentille. A cet endroit l’uvée est percée, seule la cornée ne l’est pas. Pour que la cornée ne touche pas le cristallin, la cornée se soulève à cet endroit et le cristallin lui-même est entouré par une autre humeur (« semblable à du blanc d’œuf »).

Ensuite, Théophile détaille, comme Galien, le trajet du πνεῦµα visuel, doté des mêmes caractéristiques que chez ce dernier (à la fois lumineux et transparent) :

Καὶ τρίτον ἐπὶ τούτοις αἰθεροειδοῦς τε καὶ αὐγοειδοῦς πληρώσασα πνεύµατος ἅπασαν τὴν χώραν τῆς [κόρης,] τὸ βλέπειν ἀπειργάσατο· τὸ γὰρ ὀπτικὸν πνεῦµα τὸ ἐξ ἑγκεφάλου κατερχόµενον, διὰ τῆς ὁπῆς τοῦ µαλακοῦ νεύρου µέχρι τοῦ κρυσταλλοειδοῦς ὑγροῦ καὶ τῆς [κόρης] κατέρχεται ἀνεµποδίστως36.

Le πνεῦµα remplit la pupille et se charge de réaliser la vision : en effet, d’après l’optique géométrique, le rayon visuel sort de l’œil par la pupille, ce type de développement permet alors à Théophile le Protospathaire d’accorder physiologie et géométrie. La pupille

32 Ibid., IV, 20, pp. 161-162. 33 Ibid., IV, 20, pp. 162-163.

34 Galien, op. cit., X, 3, 775-776, pp. 66-67.

35 Τhéophile le Protospathaire, op. cit., IV, 20, p. 163 : « Περιφερὲς δέ ἐστι τὸ σχῆµα τοῦ κρυσταλλοειδοῦς ὑγροῦ, ἀπολειπόµενον τῆς σφαίρας, τὸ γὰρ ἔµπροσθεν αὐτοῦ µέρος ὥστε φακός· τέτρηται δὲ κατὰ τοῦτο τὸ µέρος ὁ δὲ ῥαγοειδὴς χιτὼν, κατὰ κύκλον ἐπίβληµα ἔχων ἔξωθεν τὸν κερατοειδῆ χιτῶνα καὶ µόνον. Ὅπως δὲ µὴ προσψαύσῃ ὁ κερατοειδὴς χιτὼν, κατὰ τοῦτο τὸ τρῆµα, τοῦ κρυσταλλοειδοῦς ὑγροῦ, προενόησατο ἡ δηµιουργικὴ σοφία τοῦ θεοῦ· ἅµα µὲν ἐπὶ πλέον ἀγαγοῦσα ἐκτὸς τὴν κατ’εὐθὺ τοῦ τρήµατος κειµένην µοῖραν τοῦ κερατοειδοῦς, ἅµα δὲ ὑγρὸν λεπτὸν καὶ καθαρὸν, οἶόν περ τὸ ἐν τοῖς ὠοῖς ἐστι, περισχοῦσα τὸν κρυσταλλοειδῆ ». 36 Ibid., IV, 20, pp. 163-164.

est, comme chez Galien, comparée à un miroir37. Théophile recopie presque littéralement son modèle. L’image se forme sur la tunique qui recouvre la pupille, donnant l’impression que l’image se forme sur la pupille38.

La couleur de l’œil est due à la composition de l’humeur contenue par cette dernière membrane (Théophile ne précise pas davantage, il avait dit plus haut que l’uvée enserrait le cristallin et une partie de l’humeur vitrée). Si l’humeur dans l’uvée est abondante, l’œil est noir, si elle est rare, il est bleu39. Théophile livre une présentation de l’œil assez complète, simplifiée par rapport à celle de Galien mais comportant des éléments non mentionnés par Oribase.

Théophile le Protospathaire consacre la fin de son explication de la vision à l’émission du πνεῦµα hors de l’œil. Il recopie mot pour mot Galien40, qui laisse de côté la caractérisation de l’émission comme πνεῦµα pour se consacrer à une présentation purement géométrique d’optique euclidienne : tant qu’il est à l’intérieur de l’œil, le πνεῦµα appartient au champ de la médecine, mais dès qu’il en sort il appartient à l’optique géométrique. Débutant son explication « géométrique », Théophile donne une description très détaillée du cône visuel :

Ἔστω δή τις κύκλος ὁρώµενος ὑπὸ θατέρου τῶν ὀφθαλµῶν, ἔτι θατέρου συγκεκλεισµένου· ἀπὸ δὲ τοῦ κέντρου µέχρι τῆς ὁρώσης αὐτὸν [κόρης] ὁδὸς εὐθεῖά σοι νοείσθω µηδαµόθεν παρεκκλίνουσα µηδὲ τρεποµένη τῆς κατ’εὐθὺ στάσεως. Ἐπινόει µοι δὴ πάλιν ἀπὸ τῆς [κόρης] ἐπὶ τὴν περιορίζουσαν τὸν κύκλον γραµµὴν (ἢν δὴ καὶ περιφέρειαν [αὐτοῦ] καλούσιν,) ἀλλας εὐθείας γραµµὰς [παµπόλλας] ἐφεξῆς ἀλλήλαις ἐκτεταµένας, καὶ τὸ µὲν ὑπό τε τῶν εὐθειῶν τούτων ἁπασῶν καὶ τοῦ κύκλου περιοριζόµενον σχῆµα κῶνον ὀνόµαζε· κορυφὴν δὲ τοῦ κώνου νόει τὴν [κόρην,] καὶ βάσιν τὸν κύκλον· τὴν δὲ ἀπὸ τοῦ κέντρου τοῦ κύκλου τεταµένην εὐθεῖαν, ἀπασῶν τῶν ἄλλων εὐθειῶν καὶ παντὸς τοῦ κώνου µέσην ὑπάρχουσαν, ἄξονα κάλει, ἐπιφάνειαν δὲ τὸ ἄνω πέρας τοῦ τοιούτου χωρίου41.

Suivant Galien42 qui s’appuyait sur la tradition de l’optique géométrique (celle de Ptolémée), Théophile localise le sommet du cône visuel dans la pupille, alors qu’il était plus juste et plus cohérent avec le reste de l’exposé de physiologie de le localiser dans le cristallin.

37 Ibid., IV, 20, p. 164 : « Ἐνδέδυται δὲ τὸ µὲν πρὸς τῷ τρήµατι µέρος τοῦ κρυσταλλοειδοῦς ὑγροῦ χιτῶνα ἀραχνοειδῆ, λευκόν τε καὶ λαµπρὸν ἐκ τοῦ µαλακοῦ νεύρου γεννηθέντα. Τὸ γοῦν εἴδωλον τῆς [κόρης,] ὡς ἐν κατόπτρῳ τινὶ, τούτῳ τῷ χιτῶνι συνίσταται, στιλπνῷ καὶ λείῳ ὄντι ὑπὲρ ἅπαντας ».

38 Galien, op. cit., X, 5, 787, p. 75.

39 Théophile le Protospathaire, op. cit., IV, 21, p. 164-165. 40 Galien, op. cit., X, 12, 815-816, pp. 94-97.

41 Théophile le Protospathaire, op. cit., IV, 24, p. 167-169. 42 Galien, op. cit., X, 12, 815-816, pp. 94-95.

Il décrit ensuite successivement l’axe du cône, sa base circulaire et les lignes joignant le sommet au cercle. L’exposé est imprégné d’une discrète coloration aristotélicienne, le cône « s’étire dans l’air intermédiaire43 ». Il s’étire à partir de la pupille, ceci est vérifiable : si l’on place un objet très petit devant ce point particulier, la vue ne peut pas se réaliser.

Théophile ajoute, après Galien, qu’il ne faut pas que l’objet soit placé dans l’obscurité ou qu’un autre objet soit interposé entre l’œil et l’objet à voir44. Ces réserves sont destinées à introduire la preuve de la propagation rectiligne du rayon visuel. Il précise alors que ces lignes droites par lesquelles s’effectue la vision sont appelées ὄψεις, dans la tradition euclidienne45. Ces ὄψεις qui s’étendent en forme de cône jusqu’à l’objet ne sont rien d’autre que le πνεῦµα visuel qui sort de l’œil46. Ainsi la liaison entre physiologie de l’œil et géométrie du regard est-elle assurée. Pour se faire comprendre, il compare l’émission conique de la vision à la forme conique de l’émission lumineuse produite par le soleil vu à travers une petite ouverture47, assimilant implicitement, à la manière des géomètres, la nature physique de la lumière oculaire à celle de la lumière solaire.

Théophile reprend le début de l’exposé de Galien sur la vision binoculaire, qui permet d’expliquer, en prolongeant les postulats de l’Optique d’Euclide, la façon dont la vision parvient à saisir la position des objets dans l’espace, grâce à la vision binoculaire : si un objet est plus proche de l’œil droit et plus loin de l’œil gauche, il est vu à gauche et réciproquement, s’il est à égale distance des deux yeux, il est vu à une distance médiane, c’est-à-dire qu’il se trouve au milieu du champ de vision48.

Élève de Théophile le Protospathaire, Stéphanos d’Athènes ou d’Alexandrie est l’auteur d’une œuvre qui est un jalon entre l’Antiquité et le Moyen Âge49. Il serait né vers

43 Théophile le Protospathaire, op. cit., IV, 24, 169 : « Μετὰ δὴ ταῦτα τόδε µοι νόει τὸ κατὰ τὸν ἄξονα τοῦ κώνου, τὸν ἀπὸ τῆς [κόρης] ἐπὶ τὸ κέντρον τοῦ κύκλου διὰ τοῦ ἀέρος [τεταµένον], αἰωρεῖσθαί τινα κέγχρον, ἤ τι τοιοῦτον σµικρόν· ἐπισκοτίσει δὴ τὸ κέντρον τοῦ κύκλου, κωλύσει δὲ τὴν [κόρην] ὁρᾶν αὐτό ». 44 Ibid., IV, 24, p. 169-170. 45 Ibid., IV, 24, p. 170-171 : « Καὶ εἴπερ καὶ τοῦτο ἤδη νενόηκας, οὐκ ἄν σοι [δόξειεν] ἀλόγως ἀπὸ τῶν µαθηµάτων ἀποφῄνασθαι κατ’εὐθείας γραµµὰς ὁρᾶσθαι τὰ ὁρώµενα. Κάλει οὖν µοι τὰς εὐθείας ταύτας ὄψεις, καὶ τὴν περιφέρειαν τοῦ κύκλου δι’ἐκείνων τῶν ὄψεων ὁρᾶσθαι λέγε, τὸ δὲ κέντρου αὐτοῦ δι’ἑτέρας ὄψεως κατὰ δὴ τὸν ἄξονα τοῦ κώνου τεταγµένης, τὸ δὲ σύµπαν ἐπίπεδον τοῦ κύκλου διὰ παµπόλλων ἄλλων ὄψεων ἐπ’αὐτὸ διηκουσῶν ». 46 Ibid., IV, 24, p. 171 : « Οὕτω γὰρ ἀπὸ κέντρου τῆς [κόρης] ἐξερχόµενον τὸ ὀπτικὸν πνεῦµα ἐπερείδεται τῷ ἀέρι, ὥσπερ τις κῶνος, πλατύνεται δὲ πρὸς τὸ τοῦ ὁρωµένου µέγεθος, καὶ κατὰ τὸν αὐτὸν τρόπον γίνεται ἡ ὅρασις ». 47 Ibid., IV, 24, p. 171. 48 Ibid., IV, 24, p. 172-173 : « ὡς τὸ µὲν ὑπὸ τοῦ δεξίου µόνου βλεπόµενον ὀφθαλµοῦ, [τὸ] µὲν ἐγγυτέρω µᾶλλόν [πως] ἐν τοῖς ἀριστεροῖς µέρεσι κεῖσθαι φαντάζεται, [τὸ] δὲ πορρωτέρω µᾶλλόν πως ἐν τοῖς δεξιοῖς, τὸ δὲ ὑπὸ τοῦ ἀριστεροῦ µόνον βλεπόµενον, ἐν µὲν δεξιοῖς τὸ πλησιέστερον µᾶλλον, ἐν δὲ τοῖς ἀριστεροῖς [τὸ] πορρωτέρω, τὸ δ’ὑπ’ἀµφοῖν ἐν τῷ µεταξύ· καὶ τρίτον ἐπὶ [τούτοις] µαθεῖν, ὅτι παραληφθείσης καὶ παραχθείσης τῆς κόρης ἤτοι ἄνω ἢ κάτω τοῦ θατέρου τῶν ὀφθαλµῶν, διπλᾶ φαίνεται τὰ τέως ἁπλᾶ φαινόµενα ».

49 A. Tihon, « L’enseignement scientifique à Byzance… », art. cit., p. 93 : « C’est ce personnage, à la fois philosophe, médecin, astronome, astrologue, alchimiste qui assure le relais entre Athènes et Constantinople » ;

550-555 à Athènes, mais on le trouve en 581 à Alexandrie, puis après 610 à Byzance. Il succède à Olympiodore comme professeur de philosophie à Constantinople. Les élèves venaient parfois de très loin pour suivre ses leçons50, derniers prolongements de l’activité de l’école d’Alexandrie. Dans son Commentaire aux Aphorismes d’Hippocrate, qui suit les méthodes d’exégèse de cette école, Stéphanos d’Athènes ne donne aucune explication sur l’anatomie de l’œil ou le processus visuel. Il mentionne cependant la presbyacousie et le glaucome51, et évoque diverses possibilités de soigner une douleur affectant l’œil52. La cause des difficultés touchant l’ouïe ou la vision et des maladies de l’œil liées à l’âge comme le glaucome serait une faiblesse de l’âme chez les personnes âgées. En effet, les différentes sensations sont des puissances de l’âme. Avec l’œuvre de Théophile, ces éléments sont les dernières marques incontestables d’un recours au texte même de Galien pour évoquer des problèmes en rapport avec la vision.

D’après Georges de Pisidie (première moitié du VIIe siècle), ami et homme de confiance d’Héraclius et très influencé par les Pères de l’Église, la structure du corps humain, sa paire d’yeux, de nerfs et de pupilles, s’explique par l’analogie avec les deux luminaires. Sa conception de la vision est platonicienne :

Μιµουµένη δὲ τὰς ἐν οὐρανῷ θέσεις, Φωστῆρας ἀντέθηκεν ὀφθαλµοὺς δύο,

W. Wolka–Conus, « Stéphanos d’Athènes et Stéphanos d’Alexandrie, essai d’identification et de biographie », in

Revue d’Etudes byzantines, 47 (1989), pp. 5-89, plus précisément p. 83-87 ; ibid., p. 89 : « D’Athènes à Constantinople, en passant par Alexandrie, Stéphanos, de savant et philosophe ancien, est devenu savant et philosophe médiéval ».

50 A. Tihon, « L’enseignement scientifique à Byzance… », art. cit., pp. 93-94 : « Dans son autobiographie, en effet, Ananias raconte non seulement comment lui-même a pu apprendre les sciences, mais encore la carrière de son maître Tychichos, qui enseignait à Trébizonde. Tychichos avait étudié trois ans à Alexandrie, puis s’était rendu à Rome, puis à Constantinople où il suivit les leçons de philosophie d’un fameux professeur qui était peut-être Stéphane d’Alexandrie. Après quoi il rentra à Trébizonde. (…) Ananias (de Sirak mort peu après 667), qui resta huit ans chez son maître de Trébizonde, importa en Arménie un enseignement scientifique qui est l’ultime prolongement, bien affaibli, de l’enseignement alexandrin ».

51 Stephanus of Athens, Commentary on Hippocrates’ Aphorisms, sections III-IV, text and translation by Leendert G. Westerink, Berlin : Akademie Verlag, 1992, III, 34, p. 202, « Γίνονται γὰρ αὐτοῖς καὶ ἀγρυπνίαι – καὶ εἴρηται ἡ διττὴ ἐξήγησις τούου – καὶ κοιλίης ῥύσιες καὶ ὀφθαλµῶν καὶ ῥινῶν ὑγρότητες, ἀµβλυωπίαι, γλαυκώσιες, καὶ βαρυηκοΐαι. Ταῦτα πάντα ὡς ἐν ἑνὶ κεφαλαίῳ ἐστὶν συµπεριλαβεῖν, καὶ ἐκ τούτου τοῦ κεφαλαίου ἐδηλωσεν πάσας τὰς δυνάµεις ἀσθενεῖς ὑποκεῖσθαι ἐπὶ τῶν γερόντων, καὶ τὰς ψυχικὰς καὶ τὰς φυσικὰς καὶ ζωτικάς. Καὶ τὰς µὲν ψυχικὰς ἐδήλωσεν ἀσθενεῖς ὑποκεῖσθαι εἰρηκὼς ὀφθαλµίαι καὶ βαρυηκοΐαι καὶ ἀµβλυ<ωπίαι καὶ γλαυκ>ώσιες, ταῦτα γὰρ ψυχικὰ πάθη εἰσὶν προδήλως » ; « Apart from insomnia, for which we have given two explanations, they are also subject to wet discharges from the bowels, moisture in eyes and noses, dim sight, glaucoma, and hardness of hearing. All these diseases can be grouped together, as it were, under one heading, and by means of this group (Hippocrates) made it clear that in old men all the faculties are weak, the psychic (faculties) by mentioning eye diseases, hardness of hearing, dim sight and glaucoma, which are manifestly affections of the psyche », p. 203.

52 Id., Commentary on Hippocrates’ Aphorisms, sections V-VI, text and translation by Leendert G. Westerink, Berlin : Akademie Verlag, 1995, VI, 31, p. 234-235 : « Ὀδύνην ὀφθαλµῶν ἀκρατοποσίη ἢ λουτρὸν ἢ πυρίη ἢ φλεβοτοµίη ἢ φαρµακείη λύει » ; « Pain in the eyes is dissolved by a drink of unmixed wine, by bathing, by heat treatment, by venesection, or by medication ».

Ὅπως ἔχοιµεν ταῖς βολαῖς τῶν ὀµµάτων, Τὸν ἀέρα πλήττοντες, ὡς οἱ τοξόται,

Φῶς φωτὶ σύρειν, ὡς τὸ πῦρ ἐξ ἀνθράκων53;

Sa conception de la vision semble être influencée d’une façon plus directe par le

Timée : les yeux sont deux, tout comme les luminaires, par analogie du microcosme et du macrocosme, les yeux jettent des traits comme des archers (jettent des flèches), les deux lumières, c’est-à-dire la lumière visuelle et la lumière extérieure se mêlent l’une à l’autre comme le feu issu des morceaux de charbon.

Suit une description de la physiologie de l’œil de la même inspiration que les textes physiologiques de l’époque, dans laquelle sont mentionnées les principales composantes physiologiques de l’œil et du système visuel : les nerfs optiques, les tuniques, les pupilles, le trajet du πνεῦµα visuel appelé « esprit de lumière » par l’auteur54. Dans le cadre d’un commentaire à la Genèse, ce texte témoigne de l’impossibilité à l’époque d’Héraclius de faire l’impasse sur la physiologie de l’œil.

Si l’étude de l’anatomie ne s’est jamais interrompue à Byzance, le recours au texte de Galien s’est raréfié au profit de sources intermédiaires. Théophile le Protospathaire est l’auteur byzantin chez qui les emprunts à Galien lui-même ont la plus grande extension. La fin du chapitre sur la vision est même reprise directement du De usu partium. Mais il ne se contente pas comme Oribase avant lui de réaliser un épitomé. Lui-même influencé par la tradition des Pères de l’Église, il livre une anthropologie chrétienne qui insiste sur la sagesse du créateur visible à l’utilité de chacune des diverses parties de l’œil. Les auteurs de traités de la nature de l’homme à Byzance s’engagent plus avant dans cette voie.