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Si la couleur a une réalité ontologique propre indépendante de sa perception par un sujet, il faut expliquer comment cette perception s’effectue. Thémistius met donc en perspective sa définition de la couleur avec la notion de diaphane, principe de visibilité :

Πᾶν δὲ χρῶµα κίνησίς ἐστι τοῦ κατ’ἐνέργειαν διαφανοῦς (…). Πρῶτον δὲ τί τὸ διαφανές· τούτου γὰρ τὸ φῶς οἷον ἐνέργειά τις καὶ τελειότης184.

183 Aristote, Petits traités d’histoire naturelle, éd. R. Munier, Paris : Les Belles Lettres, 1953, 439a30-439b10, pp. 28-29 : « Tὸ γὰρ χρῶµα ἢ ἐν τῷ πέρατί ἐστιν ἢ πέρας· διὸ καὶ οἱ Πυθαγόρειοι τὴν ἐπιφάνειαν χροιὰν ἐκάλουν, ἔστι µὲν γὰρ ἐν τῷ τοῦ σώµατος πέρατι, ἀλλ’οὔ τι τὸ τοῦ σώµατος πέρας, ἀλλὰ τὴν αὐτὴν φύσιν δεῖ νοµίζειν ἥπερ καὶ ἔξω χρωµατίζεται, ταύτην καὶ ἐντός. Φαίνεται δὲ καὶ ἀὴρ καὶ ὕδωρ χρωµατιζόµενα· καὶ γὰρ ἡ αὐγὴ τοιοῦτόν ἐστιν. Ἀλλ’ἐκεῖ µὲν διὰ τὸ ἐν ἀορίστῳ οὐ τὴν αὐτὴν ἐγγύθεν καὶ προσιοῦσι καὶ πόρρωθεν ἔχει χροιὰν οὔθ’ἡ θάλαττα· ἐν δὲ τοῖς σώµασιν ἐὰν µὴ τὸ περιέχον ποιῇ τὸ µεταβάλλειν, ὥρισται καὶ ἡ φαντασία τῆς χρόας. ∆ῆλον ἄρα ὅτι τὸ αὐτὸ κἀκεῖ κἀνθάδε δεκτικὸν τῆς χρόας ἐστίν. Τὸ ἄρα διαφανὲς καθ’ὅσον ὑπάρχει ἐν τοῖς σώµασιν (ὑπάρχει δὲ µᾶλλον καὶ ἧττον ἐν πᾶσι) χρώµατος ποιεῖ µετέχειν » ; A. Merker, La théorie de la

vision op. cit., p. 150-151 : « Car la couleur (chrôma) est soit dans la limite, soit la limite ; c’est même la raison pour laquelle les Pythagoriciens ont appelé la surface chroia (« couleur »). Elle est en effet dans la limite du corps, mais elle n’est pas la limite du corps, mais il faut considérer que la même nature qui est colorée à l’extérieur se trouve aussi à l’intérieur. Or l’eau aussi bien que l’air paraissent colorés ; car l’éclat est aussi quelque chose de tel. Mais là, parce que le diaphane est dans un corps <aux contours> indéfinis, ni l’air ni la mer n’ont la même couleur selon qu’on est proche, qu’on s’avance ou qu’on est loin. Dans les corps en revanche, si ce qui l’environne ne la fait pas changer, l’apparence de la couleur se trouve elle aussi définie. Il est donc évident que la même chose ici et là est réceptrice de la couleur. Donc le diaphane, dans la mesure où il appartient aux corps, et où il se trouve plus ou moins dans tous, les fait participer à la couleur ».

Thémistius, sans doute influencé malgré lui par l’optique géométrique185, opère un glissement terminologique lourd de sens en utilisant κίνησις pour décrire la perception de la couleur, là où Aristote utilisait κινητικόν186. La couleur est un changement produit sur le diaphane en acte et non une « puissance capable de produire un changement sur le diaphane ». Puisque la lumière n’a pas de mouvement, comme Thémistius l’explique ensuite, cette réécriture du texte en accentue l’ambiguïté et fausse la perspective aristotélicienne187. Il juxtapose les deux définitions aristotéliciennes de la lumière, acte et perfection (synonyme d’entéléchie)188, mais nuance l’énoncé à l’aide de l’adverbe « comme », qui annonce la définition de la lumière qu’il donne plus loin.

Thémistius présente le diaphane comme une nature (φύσις) que les matières transparentes ont en commun et qui les rend transparentes. Ces matières ne possèdent cependant pas la nature diaphane au même degré, ce qui permet à Thémistius de les classer dans un ordre hiérarchique au sommet duquel se trouve le corps céleste, déjà nommé par Aristote, mais qui reçoit l’épithète de « divin189 ». L’imprégnation néoplatonicienne est évidente, mais procède également d’une influence du De caelo, auquel Thémistius emprunte l’assimilation du corps supérieur à l’éther et cette épithète. Cette hiérarchie des corps

185 S. Sambursky, art. cit., a mis en valeur ce changement de terminologie chez les commentateurs du De

Anima : “It is interesting to observe how, in spite of their endeavour to adhere to the Aristotelian view, Alexander, Themistius and Simplicius – consciously or unconsciously – make concessions to the geometrical notions which find their expression mainly in a modification of terminology. This tendency is especially pronounced in the shift which occurred in the meaning of kinesis from that of transition from the potential to the actual to that of locomotion from luminous object to the eye”, p. 115.

186 Aristote, De l’âme, op. cit., 418a26-418b4, pp. 47-48 : « Πᾶν δὲ χρῶµα κινητικόν ἐστι τοῦ κατ' ἐνέργειαν διαφανοῦς, καὶ τοῦτ' ἔστιν αὐτοῦ ἡ φύσις ». Là encore nous utilisons la traduction d’Anne Merker, précise et près du texte, in La théorie de la vision…, op. cit., p. 136-137 : « Or toute couleur est motrice du diaphane en acte, et c’est là sa nature ». La traduction de κινητικόν est délicate. Pour Aristote, le mouvement est presque un équivalent du changement. Or, il n’admet pas l’idée d’une propagation de la lumière. Il faut donc écarter l’hypothèse d’un mouvement local. Il est sans doute plus juste de traduire par puissance « capable d’exercer un changement sur le diaphane en acte », ou « sur le diaphane subissant un acte, une actualisation », c’est-à-dire, en altérant un peu la syntaxe, « capable d’exercer sur le diaphane le changement d’une actualisation/acte ».

187 A. Vasiliu, op. cit., p. 84 : « Le rôle du diaphane est ici écarté ou déplacé (du moins en ce qui concerne l’actualisation de la visibilité), et la couleur elle-même n’est plus définie, comme chez Aristote, par l’une des manifestations de la nature du diaphane (ou proprement de la nature-diaphane, la mise-en-mouvement du diaphane, κινητικόν…), mais en tant que telle, c’est-à-dire, en tant que couleur-mouvement (en soi ?, par soi ? – κίνησις), en vue d’un diaphane qui serait mis ainsi en acte sans pour autant conditionner lui-même la vue de quoi que ce soit ».

188 Aristote, De l’âme, op. cit., 418b9-26, pp. 48-49 : « Φῶς δέ ἐστιν ἡ τούτου ἐνέργεια, τοῦ διαφανοῦς ᾗ διαφανές » ; A. Merker, La théorie de la vision…, op. cit., p. 137 : « Or la lumière est l’acte du diaphane en tant que diaphane » ; Aristote, De l’âme, op. cit., 419a7-21 : « ἡ δ’ ἐντελέχεια τοῦ διαφανοῦς φῶς ἐστιν » ; A. Merker, La théorie de la vision…, op. cit., p. 138 : « or l’entéléchie du diaphane est la lumière ».

189 Thémistius, op. cit., p. 59.11-18 : « Τοιοῦτον δέ ἐστιν ἀὴρ καὶ ὕδωρ, εἴποις δ’ἂν καὶ λίθους τινάς, οἳ καὶ αὐτῷ τούτῳ τῷ ὀνόµατι προαγορεύονται, καὶ τὴν ὕελον καὶ τὰ κέρατα καὶ ἄλλας φύσεις σωµάτων, µάλιστα δὲ τὸ ἀίδιον καὶ θεῖον σῶµα. Καὶ τοῦτο µὲν πρώτως διαφανές, δευτέρως δὲ ὁ ἀήρ, τρίτον δὲ τὸ ὕδωρ, ἔπειτα ὅσα ἐφεξῆς ἠριθµήσαµεν, καὶ τούτων ἕκαστον διαφανὲς οὐχ ᾗ ὕδωρ οὐδ’ᾗ ἀὴρ, ἀλλ’κοινῆς τινὸς φύσεως ἅπαντα κεκοινώνηκεν, δι’ἣν ἐνυπάρχουσαν αὐτοῖς καὶ ἔστι διαφανῆ καὶ ὀνοµάζεται ».

diaphanes modifie substantiellement la perspective aristotélicienne190 en ce qu’elle « corpo-réifie191 » les diverses incarnations du diaphane et méconnaît la relation particulière du « corps supérieur » avec la lumière. Le diaphane apparaît, d’après Thémistius, comme l’inverse de la couleur : la couleur est extérieure à la visibilité, alors que le diaphane est le cœur de celle-ci, mais la couleur est le sensible propre de la vue, qui s’impose à celle-ci, alors que le diaphane est l’incolore, lieu de toutes les virtualités.

Cette analyse permet à Thémistius de choisir l’une des explications possibles de la formule ambiguë d’Aristote selon laquelle le diaphane n’est pas perçu par sa couleur propre, mais par une couleur d’emprunt192. Le corps diaphane est incolore, donc, si l'on voit le corps diaphane, c’est-à-dire si l’on voit qu’il est diaphane, ce ne peut pas être grâce à sa couleur propre, mais grâce à une autre couleur, une couleur d’emprunt193. Même s’il ne précise pas explicitement la nature de la couleur dont il s’agit, en passant du singulier au pluriel (non plus une couleur, mais des couleurs), il insinue que les couleurs d’emprunt sont en réalité les couleurs des objets194.

Pour Thémistius, ce n’est pas δι’ἀλλότριον χρῶµα qui pose un problème, mais plutôt le verbe κινεῖν. Il commence par définir négativement cette notion de κινεῖν. Il ne s’agit ni d’une altération, ni d’une transformation, qui sont deux modalités de changement chez Aristote, ni d’une « impression » : le diaphane ne reçoit pas l’empreinte des couleurs comme la cire reçoit une forme sculptée par un sceau. Cet exemple est traditionnellement utilisé par

190 A. Vasiliu, op. cit., p. 88-89 : « Ce qui pouvait donner lieu, avec l’invention de la « fiction » aristotélicienne du diaphane, à une explosion ou à un court-circuit de la « distance » et de la « hiérarchie » (…), devient chez les commentateurs d’Aristote l’argument même de la hiérarchie : le diaphane « incarne » désormais, selon ses degrés de luminosité et de pureté, l’un ou l’autre des « étages » de la hiérarchie, il constitue la « substance » (in-corporelle, immatérielle) des êtres de l’intermédiaire (les intelligences ou les puissances, ou, proprement dit, les anges) et sa nature d’intervallité-réceptacle sert à transmettre la lumière d’un « ordre » supérieur à un « ordre » inférieur, en la diminuant progressivement. Ainsi le concept-instrument qui ouvre, selon Aristote, l’accès au visible devient-il, chez Thémistius, un concept-instrument de l’« obstacle » interposé, et la distance (espacement d’un milieu qui unit tout en ménageant la distinction de l’« altérité ») devient-elle proprement éloignement et, à la limite, barrière ontologique infranchissable ».

191 Voir A. Vasiliu, op. cit., p. 108.

192 L’interprétation de l’expression « par une couleur étrangère » pose problème. Il ne peut s’agir de la lumière, car celle-ci n’est en aucun cas étrangère au diaphane. Cette couleur étrangère est donc plutôt celle des corps solides colorés, puisque chez Aristote les couleurs sont vues par l’affection qu’elles produisent sur le diaphane. Il s’agit d’une des hypothèses d’Anne Merker, qui ajoute « étant donné le laconisme d’Aristote, il n’y a pas moyen de savoir exactement à quoi il pensait ; en revanche il est possible de savoir qu’il ne pouvait déterminer la lumière comme quelque chose d’étranger au diaphane », in La théorie de la vision chez Platon et Aristote, Academia Verlag Sankt Augustin, 2003, p. 142.

193 Thémistius, op. cit., p. 59.18-21 : « Γίνεται οὖν ἅπαντα ταῦτα ὁρατὰ οὐ δι’οἰκεῖον χρῶµα· οὐ γὰρ ἂν εἴη τι διαφανὲς κεχρωµατισµένον, ἀλλ’ὅσα µάλιστα ἀχρωµάτιστα, ταῦτα µάλιστα διαφανῆ. ὁρᾶται οὖν, εἴπερ ὁρᾶται, δι’ἀλλότριον ὡς ἔφην χρῶµα ». 194 Ibid., p. 59.21-26 : « Κινεῖται γὰρ ὑπὸ τῶν ἀλλοτρίων χρωµάτων, κινεῖται δὲ οὐχ ὡς ἀλλοιοῦσθαι, οὐδ’ὠς µεταβάλλειν εἰς αὐτά, οὐδ’ ὥσπερ ὁ κηρὸς τῶν σφραγίδων δέχεται τὰ γλύµµατα. Οὗτος µὲν γὰρ ἐπιπολῆς, ὁ δὲ ἀὴρ ὅλος δι’ὅλου παραπέµπει τῇ ὄψει τὰ χρώµατα, καὶ ὁ αὐτὸς ἐνίοτε ἅµα τὰ ἐναντία πλείοσιν ὄψεσιν, ὅπερ οὐχ οἰός τ’ἂν ἦν, εἰ συνετρέπετο τοῖς χρώµασι καὶ συνηλλοιοῦτο ».

les stoïciens pour défendre leur théorie de la sensation qui est reçue par l’âme comme l’empreinte d’un sceau, mais la perception nécessitant cependant une tension de la vue, qui peut introduire une ambiguïté195. Le commentateur s’efforce ainsi d’écarter toute assimilation abusive entre la théorie d’Aristote et celle de la Stoa. Enfin, Thémistius nous livre sa compréhension de l’utilisation du terme par Aristote : « l’air ou n’importe quel diaphane tout entier transporte – Thémistius utilise παραπέµπει, terme ambigu qui semble indiquer un déplacement – à travers lui tout entier des couleurs opposées à plusieurs visions à la fois » ce qu’il ne serait pas capable de faire s’il se transformait en couleur et subissait un changement de nature.

Pour l’instant, la vision des couleurs reste inexpliquée : le processus visuel reste fragmenté entre son objet, la couleur, son medium, le diaphane. Il faut réussir à combiner le visible par excellence et le medium de la visibilité, par une interaction peut-être réciproque. En réalité, la relation entre les deux entités est moins simple, puisqu’elle met en jeu un troisième terme qui doit trouver sa place dans la théorie : la lumière196. Apparaît alors un glissement déterminant dans l’exégèse du texte. C’est sur la conception de la lumière et non de la couleur que porte l’effort de conciliation entre les théories d’Aristote et de Platon chez Thémistius. En effet, le commentateur prend soin de préciser que le diaphane ne transporte pas toujours les couleurs jusqu’à l’œil, mais seulement quand il est « diaphane en acte », expression qui n’est jamais utilisée par Aristote, puisque ce dernier parle toujours de « diaphane subissant le changement d’un acte », et Thémistius ajoute que le diaphane devient un diaphane en acte en présence de lumière, ce qui est une entorse majeure à la théorie d’Aristote (le diaphane, lorsqu’il est en entéléchie, est lumière et le devient grâce à la présence de feu)197 et a un parfum légèrement platonicien. Il est peut-être possible de comprendre cette assertion étrange de la façon suivante : la lumière est l’acte du diaphane en tant que diaphane, acte qui permet la perception des couleurs, donc le diaphane est mis en état de permettre la perception de la couleur (ce que Thémistius appelle « diaphane en acte ») par la présence de cet acte, c’est-à-dire la lumière. Thémistius ne fait qu’expliciter une assertion

195 R. B. Todd, “ΣΥΝΕΝΤΑΣΙΣ and the Stoic Theory of Perception”, in Gräzer Beiträge, 2 (1974) pp. 251-261. 196 Thémistius, op. cit., p. 59.21-33 : « Παραπέµπει δὲ οὐκ αἰεὶ τὰ χρώµατα πρὸς τὴν ὄψιν οὔτε ὁ ἀὴρ οὔτε τὰ ἄλλα τὰ προειρηµένα διαφανῆ, ἀλλ’ἡνίκα ἂν γένηται ἐνεργείᾳ διαφανῆ· γίνεται δὲ ἐνεργείᾳ διαφανῆ φωτὸς παρουσίᾳ. Τὸ µὲν οὖν θεῖον σῶµα ἀεὶ διαφανὲς ἐνεργείᾳ· ἀεὶ γὰρ αὐτῷ πάρεστι καὶ τὸ φῶς, ὁ δὲ ἀὴρ καὶ τὰ λοιπὰ ποτὲ µὲν δυνάµει, ποτὲ δὲ ἐνεργείᾳ διαφανῆ. ἐν οἷς οὖν δυνάµει τὸ φῶς, ἐν τούτοις ἐστὶ καὶ τὸ σκότος· οὐδὲν γὰρ ἄλλο ἐστὶ τὸ σκότος ἢ τὸ δυνάµει διαφανές, τὸ δὲ φῶς ἐντελέχειά τις καὶ τελειότης τοῦ διαφανοῦς ᾗ διαφανές ».

197 A. Merker, La théorie de la vision…, op. cit., p. 168 : « Thémistius accorde à la lumière le rôle qui revient au feu chez Aristote : les corps deviennent diaphanes en acte par la présence (παρουσία) de la lumière. La lumière amène le diaphane à être en acte. Curieusement, Thémistius juxtapose à cette affirmation la thèse correcte selon laquelle la lumière est la présence du feu ou des astres dans le diaphane ».

tautologique telle que « le diaphane est mis en acte par son acte propre », mais, pris à la lettre, il s’éloigne considérablement d’Aristote. Il ajoute que le corps céleste est, contrairement aux autres diaphanes, toujours du diaphane en acte : cette précision ne se trouve pas chez Aristote, mais le corps céleste est placé par Thémistius au sommet de sa hiérarchie des diaphanes, il est donc naturel qu’il soit toujours à un stade de perfection supérieur à celui des autres diaphanes. Cependant, Thémistius en revient bientôt à une stricte orthodoxie aristotélicienne : il définit la lumière comme une entéléchie et un achèvement du diaphane en tant que diaphane (et non en tant qu’eau ou air), conformément cette fois à la théorie d’Aristote chez qui la lumière « pure » est entéléchie du diaphane.

Le « diaphane en acte » semble donc une invention ad hoc de Thémistius pour qualifier l’état du diaphane lors de la perception de la couleur, lorsqu’on ne perçoit ni lumière pure (diaphane en entéléchie), ni obscurité (diaphane en puissance). Le diaphane en acte serait ainsi la couleur, simplification hardie de la pensée d’Aristote mais qui ne permet pas de rendre compte de toutes les finesses du De anima198. Cependant, grâce à cette conception, Thémistius peut expliquer l’approximation d’Aristote selon lequel la lumière est « comme » une couleur en arguant que, même si la lumière n’est pas réellement une couleur, elle est tout de même la cause qui rend visible l’air, c’est-à-dire sa transparence, tout comme la couleur est la cause qui rend visible les corps, ce qui est conforme à la théorie d’Aristote199. Mais Thémistius ajoute une précision qui reprend la distorsion vue plus haut : il considère en effet la lumière comme un agent actualisant extérieur au diaphane. Cependant Thémistius sous-entend que l’analogie n’est que partiellement valable car de l’adjonction de la couleur résulte un diaphane en acte, alors que de l’adjonction de la lumière résulte un diaphane en entéléchie. Un glissement conceptuel lourd de sous-entendus platoniciens oblige Thémistius à distinguer en réalité non plus deux sortes de diaphane, en acte et en puissance, mais trois, en acte, en puissance et en entéléchie, pour accorder la notion de diaphane, principe de toute

198 Si l’on reprend l’affirmation précédente au pied de la lettre, elle équivaut donc à dire que le diaphane en entéléchie (la lumière) fait passer le diaphane en puissance (l’obscurité) à l’état de diaphane en acte (la couleur), le diaphane se fait passer lui-même d’un état à l’autre, ce qui est absurde. Ce n’est certainement pas ce qu’a voulu dire Thémistius.

199 Thémistius, op. cit., p. 59.35-60.2 : « oἷον γὰρ χρῶµά ἐστι τοῦ διαφανοῦς, τὸ δὲ oἷον εἶπον, ὅτι οὐ χρωµατίζει τὸν ἀέρα τὸ φῶς, ὥσπερ ἡ λευκότης τὴν χιόνα, ἀλλ’αἴτιόν ἐστι τῷ ἀέρι τοῦ γενέσθαι αὐτὸν ὁρατόν, ὥσπερ τὰ χρώµατα τοῖς σώµασι τοῦ ὁρᾶσθαι αἴτια γίνεται, καὶ προάγει τὸ δυνάµει διαφανὲς εἰς τὸ γίγνεσθαι ἐντελεχείᾳ ». A. Vasiliu, op. cit, p. 92 souligne néanmoins une distorsion dans l’emploi des termes : « En fait, lorsque celui-ci [Thémistius] voit la lumière comme « couleur du diaphane », il ne prend pas la couleur dans son sens de « limite » (supérieure ou inférieure) du diaphane (autrement dit, comme obstacle ou comme altérité par rapport à celui-ci), mais en tant que chose contenue dans le diaphane ».

visibilité chez Aristote, avec la couleur, qui courait le risque de rester isolée dans son indépendance ontologique vis-à-vis de la perception200.