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Transformations sociales vécues en contexte migratoire

RECHERCHE Introduction

1.2 Femmes immigrantes sud-asiatiques au Canada À notre connaissance, aucune étude ethnographique n’a été spécifiquement menée sur la

1.2.3 Transformations sociales vécues en contexte migratoire

Les transformations sociales documentées au sein des études portant sur les femmes sud- asiatiques au Canada et au Québec révèlent fréquemment des enchevêtrements complexes entre passé et présent ainsi que l’entrelacement entre continuités et discontinuités des pratiques sociales au fil des parcours migratoires. La reconfiguration de rapports familiaux et plus particulièrement des rapports de genre est une dimension débattue. St-Germain Lefebvre (2008) a par exemple pu identifier une continuité du caractère patriarcal des rapports familiaux propres au contexte tamoul d’origine lors de sa recherche auprès de la communauté sri lankaise à Montréal. Une telle continuité est observée au sein de cette étude ethnographique notamment par la division inégalitaire des rôles sexuels dans laquelle il revient aux femmes la tâche de s’occuper des enfants, la charge de travaux ménagers et la préparation des repas

(St-Germain Lefebvre, 2008). De la même manière, elle a aussi repéré la persistance des rôles de pourvoyeur et de gestion des déplacements tenus par les hommes. Cependant, le travail de St-Germain Lefebvre illustre comment en contexte migratoire, la possibilité reste forte que des tensions et des transformations apparaissent à cause du changement de cadre de vie et de la rencontre avec d’autres normes et valeurs. St-Germain Lefebvre juxtapose à la continuité l’émergence possible de reconfigurations et de ruptures à propos des rôles familiaux comme l’ouverture face au partage des tâches ménagères ou au travail des femmes à l’extérieur de la maison. Dans le cadre d’une recherche qui touche particulièrement la période périnatale de femmes punjabis au Canada, Grewal et al. (2008) documentent également le partage des tâches ménagères au sein du couple. Il semblerait que cette période particulière de la vie familiale qu’est la mise au monde d’un enfant précipite ou intensifie ce bouleversement des rôles. Ces auteurs documentent ainsi des nouveaux pères pendjabis prenant en charge des tâches comme le travail domestique et le gardiennage, tâches desquelles ils étaient traditionnellement exclus.

Les représentations des femmes et des rapports hommes-femmes ont été précisément l’objet de l’étude de Julie Vig (2009) au sein d’une communauté sikhe à Montréal. Elle cherchait à comprendre ces représentations dans un contexte d’écart entre les prescriptions religieuses et les réalités observées : alors que la religion sikhe prescrit explicitement l’égalité entre les sexes dans les sphères familiales, sociales et religieuses, Vig (2009) affirme que ce discours ne s’actualise pas au sein même du gurdwara Nanak Darbar5 où subsiste une division sexuelle du travail. Bien que dans ce contexte être mère implique de jouer un rôle de premier plan dans la transmission religieuse et culturelle, ce qui fait écho à la discussion précédente, Vig souligne que, parallèlement à ce rôle de transmission, les femmes migrantes se voient dans la possibilité de réinventer la tradition au contact de valeurs modernes comme l’éducation, l’indépendance financière, la liberté et le choix personnel. Plusieurs interlocutrices affirmaient ainsi souhaiter un partage de tâches à la maison plus égalitaire ou une acceptation plus importante de la naissance de filles. La question du type d’immigration n’est pas sans importance dans ce contexte et paraît limiter certaines femmes dans leurs possibilités de réinventer la tradition, car les femmes parrainées par leurs maris sont par exemple objet de fortes attentes de la part de la belle-famille pour l’enfantement et pour la reproduction de rôles traditionnels. Il s’agit ici de l’interaction complexe entre la liberté des femmes et le poids des structures traditionnelles, et

5 D’après Vig, la gurdwara represente traditionnellement pour les sikhs à la fois un lieu de culte et un

centre communautaire. La gurdwara Nanak Darbar où elle a mené sa recherche se trouve dans la région de Lasalle à Montréal.

les manières selon lesquels les éléments reliés aux parcours migratoires interviennent dans cette interaction.

Vig (2009) aborde particulièrement la norme de préférence au fils prégnant en Asie du Sud, plus particulièrement au Pendjab et qui semble toujours fortement intériorisée par certains membres de communautés sikhes canadiennes. Bien que le statut social de la mère qui donne naissance à une fille soit dévalorisé, les femmes en contexte diasporique interviewées par Vig ne se sont pas montrées passives face à cette norme : elles s’y opposent, s’y révoltent ou s’y conforment. Selon VIg (2009), cette remise en question des normes pendjabis laisse présager des transformations dans les rapports sociaux de sexe au moins chez les générations futures. Les femmes se dévoilent ainsi comme des actrices centrales des transformations expérimentées en contexte migratoire, ce qui nous pousse à considérer l’univers domestique auquel elles sont traditionnellement assignées comme un important locus d’observation et d’analyse pour les recherches sociales intéressées aux effets de l’immigration.

L’univers domestique apparait en effet comme une réalité changeante en contexte migratoire dans lequel les dimensions du pouvoir et de la créativité de femmes sont particulièrement apparentes. L’ethnographie de Nair (1998) sur les Gujaraties dans une banlieue de Montréal est particulièrement significative à cet égard alors que la reconstruction du concept de « chez soi » est discutée au fil de l’expérience dramatique de la migration. Cette étude fort intéressante dévoile en effet la construction en contexte canadien d’un concept de chez soi plus large que celui que les femmes pouvaient avoir avant leur migration. Ainsi, dans leur pays d’origine, elles assignaient à la notion de “chez soi” une signification souvent restreinte à l’espace physique et aux relations sociales figées dont les rôles sont très spécifiques et ségrégués. Au contraire, une fois à Montréal, « Home is no longer the hometowns in India (…) the concept of home has expanded to incorporate not only physical but also metaphorical and abstract meanings » (Nair, 1998, p. 131). Le résultat est la construction d’un sens paradoxal du foyer comme un espace social à la fois oppressant, mais aussi générateur de pouvoir personnel. D’un côté, le foyer est oppressant lorsque les femmes se plient aux règles découlant des intersections complexes de race, genre et classe (ce qui fait écho à la discussion antérieure). Mais le foyer peut, en contexte migratoire, être également libérateur. En effet, les femmes y expérimentent une augmentation du pouvoir en redéfinissant l’usage de l’espace domestique. Retenons de ces études la place centrale occupée par les femmes sud-asiatiques dans les processus de transformations sociales documentées sans exclure toutefois les ambiguïtés inhérentes à ces processus et les barrières qui s’y présentent.

Ces études indiquent ainsi nécessairement une connexion avec celles précédemment discutées concernant les réseaux sociaux dans lesquelles le rôle du mari se transforme en période périnatale en contexte migratoire. Ainsi, il ressort de l’ensemble de la littérature que la période périnatale constitue un moment privilégié pour l’analyse sociale.

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