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Éloignement géographique de la famille natale et perte de soutien Parallèlement à la nucléarisation de la famille, l’éloignement géographique des familles

3.3.2 Un quartier ethniquement pluriel

CHAPITRE 4 PARCOURS CROISÉS ET LIENS ENTRE IMMIGRATION ET PÉRINATALITÉ

4.3. Liens sociaux 1 Reconfiguration des liens familiau

4.3.1.2 Éloignement géographique de la famille natale et perte de soutien Parallèlement à la nucléarisation de la famille, l’éloignement géographique des familles

natales doit être pris en compte pour bien comprendre les expériences de maternité à Montréal. Les sentiments de pertes liées à la nucléarisation peuvent en effet être exacerbés et acquérir un sens particulier pendant la périnatalité en raison des attentes liées à la prise en charge de la femme enceinte puis de la nouvelle mère traditionnellement effectuée par la famille natale. Ces sentiments se retrouvant dans les propos de toutes nos femmes vivant l’éloignement géographique de la famille natale, quels que soient les parcours migratoires, nous allons donc tenter de comprendre en profondeur cet enjeu. Nous allons commencer par nous intéresser aux conséquences de l’éloignement géographiques spécifiques à certains groupes de parcours migratoires, puis nous mettrons en évidence des points communs entre les interlocutrices tous parcours migratoires confondus.

Dans le cas des femmes parrainées par les maris pour venir au Canada, elles ont dû faire face sans leur famille natale aux risques inhérents à toutes unions sud-asiatiques. En effet, le mariage implique un grand changement dans la vie des femmes sud-asiatiques. Les difficultés potentielles auxquelles font face les fiancées ont été documentées dans le sous-continent, notamment le risque de subir de mauvais traitements de la part de son époux et de membres de la lignée d’adoption (Jeffery & Jeffery, 1996). Face à ces risques, la famille natale peut donc représenter un réseau de sécurité. Cependant, comme l’a documenté Charsley: « transnational marriage dramatically increases the distance between a woman’s natal and marital homes, heightening the dangers that stem from this distance » (Charsley, 2005a, p. 383). L’éloignement géographique de la famille natale pour les femmes engagées dans un mariage transnational représente donc un risque supplémentaire que puissent se produire des détresses, du stress et des sentiments de débordement. Cette interprétation de l’existence d’une notion de risque lié au mariage transnational est aussi appuyée par les propos de certaines femmes parrainées par leurs familles natales et garantes de leurs maris venus du sous-continent indien, comme explique Amani : « If you are a girl, girl is a lot of problem you know. If my husband also beat me I want to go to my brother’s house. You know, my sister’s house. (…). That’s why I think my family is very, very important to me » (Bangladesh, 2e enfant, 10 ans d’immigration).

Les demandeuses d’asile rencontrées vivent également l’éloignement de la famille natale d’une manière spécifique par rapport aux autres femmes. Dans leur cas cet éloignement s’inscrit en effet dans les expériences de détresse et représente toujours une rupture brusque avec les membres significatifs laissés ailleurs. Pour Padmalay, Malika et Veena, le départ du sous-continent implique une rupture soudaine et douloureuse avec les liens familiaux. Padmalay nous raconte la rupture inscrite dans son départ: « Because I’m coming in Canada I’m not calling my mother: (…) I suddenly decided. (…) My mom told me (au téléphone après l’arrivée au Canada): « you are going so far! You are leaving me and I’m leaving you. If I’m coming in Canada I help you » (Padmalay, Inde du Nord, 3e enfant, 2 ans d’immigration). Le récit de Padmalay démontre la difficile rupture entre sa mère et elle, exacerbée par le début de sa deuxième grossesse seulement deux mois après son arrivée. Dans ses souvenirs de la première grossesse, Padmalay met de l’avant l’importance des interactions quotidiennes avec la mère. D’après son récit, sa mère lui cuisinait des recettes spécifiques pour la récupération du corps basées sur la médecine Ayurveda, surveillait et prenait soin d’elle au jour le jour. De cette manière, la projection de l’expérience périnatale passée est projetée avec force dans son expérience actuelle en contexte montréalais et les tensions liées aux parcours migratoires exacerbent cette difficile séparation entre passé et présent. Ces femmes connectent leur détresse émotionnelle à leur parcours migratoire, dans lequel l’éloignement géographique de la famille se projette et prend un sens particulier en période périnatale.

Enfin, l’éloignement géographique de la famille natale colore également de manière spécifique les femmes ayant un projet professionnel personnel puisque l’absence de soutien familial complique davantage la conciliation maternité et travail. Prama (Inde du Nord, 1e enfant, 2 ans d’immigration) confie par exemple la difficulté de planifier son intégration professionnelle, car sa famille n’est pas présente pour garder sa fille. Elle ne souhaite par ailleurs pas placer sa fille en garderie, car pour elle, cela ne doit pas être des inconnus qui prennent soin de l’enfant.

Après avoir vu les conséquences de l’éloignement géographique de la famille natale spécifiques à certains parcours migratoires, nous pouvons nous intéresser à ce que toutes nos femmes, quels que soient leurs parcours, semblent ressentir comme l’enjeu principal de l’éloignement de leurs familles : le sentiment de perte par rapport aux attentes liées à la prise en charge de la périnatalité traditionnellement effectuée par la famille natale. Quelques éléments apparaissant de façon récurrente dans les récits des femmes concernant l’organisation socioculturelle de la naissance dans les diverses régions du sous-continent

permettent de mieux comprendre ce que représente pour elles cet éloignement. Plusieurs récits spontanés se penchent ainsi sur les manières selon lesquelles se déroule la naissance dans leurs pays d’origine. Bien que plusieurs détails varient selon les récits, ce retour implique un éventail d’éléments récurrents : structuration du temps et de l’espace (le retour chez la famille natale, après une célébration autour du septième mois de grossesse, où la parturiente restera jusqu’à quelques mois après l’accouchement); suspension des obligations familiales chez la belle-famille; ségrégation du genre et activation d’un réseau féminin (le mari et les autres hommes de la famille sont écartés) et mobilisation des savoirs culturellement spécifiques (diète, repos, massage) basés notamment, mais non exclusivement, sur la médecine ayurvédique et effectués par les femmes jugées compétentes soit par leur expertise, soit par les expériences périnatales personnelles. Le récit de Prama sur la prise en charge de la naissance au Gujarati est fort illustratif à cet égard :

« After baby shower, seven months of pregnancy, in the seventh month I have a baby shower and most important in baby shower my parent’s can’t come. Only my in-laws will be there. Then only my brother will be come in my in-law’s house and he will bring me to my mother’s house. Then rest of the time I will be in the mother’s home, my mom will take care everything: food, massage, even there is one special lady who come in the home, she give me massage to the baby, mother, so… it’s really kind of princess! We are like princess! In the morning they wake me up and give me some good stuffs with ghee of course. (…). And my in-laws come after baby born, like one month or two month, if it is a boy, they give me too much, they have to give me too much gold. Even my mother and parents have to give it. But it is totally… I cannot say is my rights to keep with me. My in- laws can say: oh, give us back! They can say. Yeah. Because my parents has to call so many people for a lunch, it’s a kind of marriage, my parents have to spend too much money when my in-comes come, not only in-laws, in-laws families, and families… (I don’t do anything at home). Nothing. Nothing. If my baby is crying in her cradle, my mom will grab her (and give her to me) for breastfeeding. I don’t need even… If she make her diaper dirty, my mom will take care of everything (…) » (Prama, Inde du Nord, 1e enfant, 2 ans d’immigration).

Ce récit met en contexte les significations accordées à l’éloignement de la famille natale dans la période périnatale pour les femmes touchées par cette enquête. Une signification centrale paraît être liée au statut social des femmes à cette étape du cycle de vie. En effet, le dispositif de prise en charge périnatale décrit par Prama paraît impliquer et refléter l’élévation temporaire du statut de la mère en devenir (Homans, 1980). Le récit de Sakiba (Bangladesh, 3e enfant, 8 ans d’immigration) confirme cette interprétation lorsqu’elle compare son expérience périnatale en contexte migratoire à celle de sa sœur au Bangladesh: « If I were in my country, I would be a princess too ! Everything would be in front of me! Here is different, I have to do everything by myself! I saw my sister in my country, she was lay down all the time! Like a

princess! » Cette comparaison souligne la perte de statut vécu par Sakiba en raison de l’impossibilité de retourner au foyer natal et donc le fait de ne pas être prise en charge et être l’objet de soins et d’égard.

Sarmila, dont la première grossesse s’est passée au Sri Lanka, souligne un sentiment similaire de peine et perte, lors de la comparaison de ses deux expériences de grossesse. Elle met en scène ainsi ses souvenirs de sa première grossesse, dans lesquels les membres féminins de la famille natale apparaissent comme des actrices centrales :

« Everything they can do. Oh my god! Because nighttime, I couldn’t sleep. I don’t know why, but sometimes I was sleeping 2 o’clock in the midnight, 2h30 something, 3 o’clock, in the morning I woke up by my sister… She come to me, 7 o’clock, give me one cup of milk (and tell me): « first you can drink, and after you can sleep! » And I sleep and I wake up 9, 10 o’clock, then my breakfast is ready, everything » (Sarmila, Sri Lanka, 2e enfant, 6 ans d’immigration).

Ce récit met de l’avant les soins reçus dans ce contexte du foyer natal exprimés par une ample prise en charge de la parturiente : repos, nourriture et attention soutenus par la veille constante de sa sœur et de sa mère. Après son accouchement, cette veille s’étend envers sa nouvelle-née. Pendant 15 jours, elle est en plus renforcée par sa belle-mère qui déménage temporairement à son foyer natal. Ensuite, sa mère et sa sœur s’occupent régulièrement de sa fille, jusqu’à son déménagement à Montréal pour rejoindre son mari : « My mother she loves so much kids! When I tell them: « I can do! » (Ils répondent:) « No, no, no, we can do it! What can I do? (Elle rit). » Une fois à Montréal, elle confie sa difficulté à concilier les soins à sa fille et la gestion de toutes ses taches domestiques. Cet exemple illustre l’intersection du repos, de la nourriture et de la prise en charge du bébé comme constituants des dimensions du soin dispensé par le réseau féminin natal de Sarmila, et permet de saisir une partie du sens accordé à la nouvelle configuration familiale expérimentée à Montréal.

Comme ces extraits en témoignent, passés et présents sont imbriqués et les femmes comparent en continu le vécu périnatal en contexte migratoire et celui observé ou vécu dans leurs contextes d’origine. Ces comparaisons fréquentes, dans lesquelles ressort régulièrement le soutien des réseaux sociaux comme l’élément mis de l’avant dans leurs contextes d’origine, permettent d’entrevoir l’impact de la reconfiguration familiale à Montréal dans lesquels l’écart géographique avec la famille natale caractérise les parcours de la plupart de nos interlocutrices.

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