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Femmes au foyer et épuisement en périnatalité

3.3.2 Un quartier ethniquement pluriel

CHAPITRE 4 PARCOURS CROISÉS ET LIENS ENTRE IMMIGRATION ET PÉRINATALITÉ

4.1 Projets migratoires et périnatalité 1 Femmes parrainées par les maris

4.1.1.1 Femmes au foyer et épuisement en périnatalité

Dans le sous-continent indien, un certain nombre d’attentes liées au genre concernent les devoirs féminins dans l’espace domestique, comme entretenir la maison et prendre soin des enfants (voir chapitre 2). Bien que ces devoirs touchent toutes les femmes de cette recherche, cet aspect apparaît comme particulièrement investi de signification pour celles engagées dans un mariage transnational. En effet, contrairement aux autres femmes, leur principal et seul

projet48 en contexte migratoire semble être celui de s’occuper du foyer et de la famille, et pour la plupart de ces femmes, l’arrivée d’une grossesse se fait par exemple très rapidement après la cérémonie du mariage.

Dans l’accomplissement quotidien de ce projet, toutes mettent de l’avant la lourdeur de leurs tâches domestiques, notamment en raison de la configuration familiale en contexte migratoire. En effet, dans le modèle de famille élargie présent en milieu d’origine, ces tâches sont normalement partagées entre les femmes composant le ménage. De plus, elles déplorent également l’absence de domestiques au foyer, contrairement aux membres de leurs familles habitant le sous-continent qui peuvent souvent se permettre d’en employer.

Dans ce contexte, elles partagent toutes un sentiment d’épuisement qui s’exprime par l’utilisation récurrente d’un lexique signalisant la détresse liée aux tâches ménagères, par exemple : « too much work », « busy », « I don’t have energy ». Ce sentiment propre à ce parcours est exacerbé en contexte périnatal et semble, du moins dans certains cas, associé aux attentes des maris et de la belle-famille à l’égard des épouses et de leurs fonctions au foyer. Sarmila, enceinte de son deuxième enfant, raconte à cet égard :

« He (mari) says: ‘every day you must cook. Everyday you cook because you are at home! Why you put in the freeze? Don’t do that, everyday you can cook and give to daughter.’ And everyday I cook and give her. I don’t use too much the butter foods everything I will do it. Everything I will do myself, I do it and I give to my daughter » (Samila, Sri Lanka, 2e enfant, 6 ans d’immigration).

Dans sa recherche sur le mariage transnational des Pakistanais en Angleterre, la sociologue Katherine Charsley rappelle « a spouse from Pakistan may be thought to be more religious or more traditional in ways that will benefit the marriage and prevent the loss of such traits in the next generation through two similarly modern or religiously lax British-raised parents ». (…) Those women are supposed to be good mothers » (Charsley, 2005a, p. 386). Les propos de Sarmila (Sri Lanka, 2e enfant, 6 ans d’immigration) abondent dans ce sens et montrent que l’accomplissement des tâches quotidiennes devient particulièrement lourd pendant la grossesse et le postpartum. En effet, toutes les femmes comparent l’expérience de solitude vécue à Montréal aux idéaux d’une expérience perçue comme collectivement construite dans laquelle les parturientes sont largement épargnées des obligations au foyer, les femmes de la

48 Pour certaines femmes immigrées après plus de 10 ans (corpus secondaire de notre recherche), le

fait que leurs enfants aient grandis leur permet de suivre des formations professionnelles ou d’envisager occuper un travail à l’extérieur du foyer. Toutefois, peut-être en raison du jeune âge de leurs enfants, nous n’avons pas rencontré cette préoccupation chez les femmes du corpus central (immigration depuis moins de 10 ans).

famille élargie étant censées prendre le relais. Plus particulièrement, comme nous le verrons plus tard, la femme enceinte doit généralement quitter le foyer virilocal en fin de grossesse pour rejoindre son foyer natal. Par conséquent, en contexte migratoire, l’expérience simultanée de la périnatalité et de l’accomplissement quotidien et solitaire de leurs travaux au foyer semble se traduire par une expérience personnelle de détresse et d’épuisement :

« Too much stress here: one hand to take care of those kids. There’s… Actually my community people too much I think, this is another thing, we always cook, this is another actually most problem. We always cook and it’s not some else’s pressure, actually we do. We should do, must do, because it’s our duty. We can’t always take the food like here Canadians people (do). No, no. This is another problem. That’s why we need someone » (Sakiba, Bangladesh, 3e enfant, 8 ans d’immigration).

Ce récit met de l’avant le devoir de cuisiner vécu comme une obligation morale, et la difficulté de l’accomplir quotidiennement de manière concomitante à la prise en charge des enfants. Kibria (Bangladesh, 3e enfant, 10 ans d’immigration) met également de l’avant sous le signe du stress son expérience quotidienne vécue pendant sa troisième grossesse à Montréal : « In Bangladesh there’s a lot of people to do the job. Here I have to do everything myself. Small daughter at home and during pregnancy I had to do everything at home, I feel vomiting too, not much… Husband go to work and I have to do everything at home. » Le récit de Kibria semble constituer la norme pour toutes ces femmes et signale l’émergence d’une expérience de détresse pendant la périnatalité à cause du déploiement des particularités liées aux parcours migratoires:

« Kibria: In Bangladesh, I have baby, I don’t even need take the baby! Only feed and then somebody take care the baby. But here I have to do myself everything. 2 babies. One more. Three babies. Take care… Very hard! Me now very busy! You talk to me every week, but me no, me no, cleaning, nothing, you come no clean, nothing. Not easy.

Megh: I used to talk to her: we are coming, we are coming, she is busy, busy, busy!

Trying to come

Kibria: I don’t have time because I use to go outside in the morning, I go to drop our

daughter, come back home and sometimes pick up the daughter also, then every 4 o’clock I go to do her homework in the Willian-Hingston, always I have to do my things, take care of the house, of the children. I need to buy something, go to the grocery…» Bien que le mariage transnational permette à plusieurs femmes de se trouver en présence de la belle-famille, la plupart rapportent le manque de soutien de celle-ci. Comme nous raconte Hamilda (Bangladesh, 2e enfant, 10 ans d’immigration), ce manque de soutien de la belle- famille est attribué au mode de vie en contexte canadien (toutes les personnes sont occupées et manquent de temps, comme nous le montrerons au cinquième chapitre). Aanisah, qui habite

avec sa belle-famille dans un foyer composé de 10 autres personnes, attribue son accouchement prématuré à la charge de travail domestique :

« That time, my delivery day, like morning time. My husband is going to work so I just tell him: ‘maybe I’m doing pipi! I don’t know, the water is breaking, a little, little, I don’t understand. I’m doing maybe pipi, I can’t control it!’ All the time I change my underwear, like every one hour after I have to change it. What happen? Why I’m doing pipi? Maybe I cannot control it! Maybe it’s not real; maybe water is little bit breaking. So whole day doing like same thing: I’m cooking, I’m washing, and I’m doing every work. Like I work myself. Nobody can help me. I work my own. You know I told you I have more than 10 people in my house. I’m cooking for everyone. And I’m washing, I’m cleaning myself, and I pray » (Aanisah, Bangladesh, 1e enfant, 9 ans d’immigration).

La présence de membres de la famille (du mari) dans la localité d’établissement (ici Montréal) ne signifie pas nécessairement la présence d’un soutien comparable à celui offert par les réseaux féminins de la famille d’origine décrits par nos interlocutrices (nous approfondirons cette discussion au chapitre suivant sur la mobilisation des liens sociaux).

Enfin la méconnaissance du mari colore aussi les parcours des femmes engagées dans un mariage transnational notamment à l’occasion de la première grossesse. Cependant, si nos interlocutrices ont facilement exprimé les émotions et les difficultés concernant l’éloignement de la famille natale, elles ont été plus réservées en ce qui a trait à leur vie de jeunes mariées à l’exception de quelques-unes, dont Sakiba (Bangladesh, 3e enfant, 8 ans d’immigration):

« Because that time you know I just came here and I was pregnant. After one, two months. That’s why actually that time I was not familiar with anybody, I don’t have any friend, and I was totally new with my husband also, because it’s an arranged marriage. So it’s the first time, I just know him, everything, so, everything, it was actually too hard. It was. It was too hard and… Mentally and physically, physically because too much vomiting. Too much vomiting. Too much! From the beginning and the last, total, 9 months, I just feel very bad. It was too hard that time. »

Cette méconnaissance du mari et la rencontre d’un environnement inconnu engagent un lot d’incertitudes dans le parcours de vie de Sakiba et des autres femmes. En effet, à l’important éloignement de la famille natale pendant la périnatalité ainsi qu’aux devoirs à accomplir au foyer, s’ajoute pour toutes la nouveauté de la vie de jeune mariée et la cohabitation avec un homme peu connu, le tout s’inscrivant dans un moment de vie (la grossesse) où le sexe opposé est normalement mis à l’écart. Ce lien entre méconnaissance du mari et expérience périnatale a lieu surtout lors de la première grossesse, d’autant plus étant donné la rapidité avec laquelle l’arrivée de celle-ci a généralement lieu dans les parcours migratoires de ces femmes.

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