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L’intersectionnalité des concepts de race, genre et classe

RECHERCHE Introduction

1.2 Femmes immigrantes sud-asiatiques au Canada À notre connaissance, aucune étude ethnographique n’a été spécifiquement menée sur la

1.2.1 L’intersectionnalité des concepts de race, genre et classe

L’entrelacement des concepts de race, classe et genre revient de manière récurrente dans la littérature sur le vécu post-migratoire de femmes sud-asiatiques. Les recherches empiriques s’intéressant à cette population sous l’angle de l’intersectionnalité de ces concepts se sont multipliées à partir des années 1990 notamment parmi les auteures canadiennes anglophones. Comme le rappelle Helen Ralston (1999a), qui documente depuis plusieurs années les expériences des femmes sud-asiatiques immigrées au Canada, les recherches féministes des années 1980 ont critiqué les tentatives de traiter race, classe et genre comme des catégories distinctes sous la justification d’éclairer plus facilement leurs définitions. Depuis la fin de cette période, quand elle-même a commencé ses recherches sur les femmes sud-asiatiques en utilisant cette approche conceptuelle, les études féministes développées à partir d’une approche intersectionnelle ont fleuri. Dans le cadre d’une de ses premières études, Ralston définit les concepts de genre, race et classe comme « social attributes which are defined and constructed in the historical and ongoing processes of social relationships, not as individual attributes » (Ralston, 1988, p. 65). Genre, race et classe sont ainsi compris comme des constructions sociales et les relations sociales sont placées au centre de l’approche.

Plus tard, un des arguments centraux de l’étude d’Helen Ralston (1991) sur l’expérience de travail de femmes sud-asiatiques dans le Canada Atlantique consiste à mettre en exergue l’impact du concept de race sur cette population, car il interagit avec le genre et façonne des expériences de travail différenciées entre ces « women of coulour » et les femmes blanches. En conclusion, toutes les femmes ne pourraient pas être abordées comme un groupe homogène. À l’instar d’autres écrits féministes, Ralston insiste sur l’hétérogénéité dans les expériences féminines. Postérieurement, dans le cadre d’une étude exploratoire menée auprès de jeunes filles sud-asiatiques de « deuxième génération », Ralston (1999a) inclut plus explicitement dans la définition des concepts de race, genre et classe, les enjeux de pouvoir et une variable culturellement significative, la notion de caste: « Gender, ethnicity, race, class and caste are conceptualized as interconnected social constructions, produced and maintained in social relationships which are characterized by differential power relations” (Ralston, 1999a, p. 5). La variabilité se retrouve ainsi à l’intérieur même du groupe de femmes sud-asiatiques si l’on considère certains des concepts différenciateurs à l’intérieur du groupe.

Dans une étude portant sur les familles hindoues à Montréal et la violence intrafamiliale, Loiselle (2004) va encore plus loin dans l’intégration de variables différenciatrices des expériences féminines dans l’analyse intersectionnelle. Au-delà de la caste, elle parle de la pigmentation de la peau (la vulnérabilité des femmes augmenterait selon la pigmentation de la peau dans le monde sud-asiatique), de l’âge, du statut et de la position de la famille, de l’interprétation de la religion, du type de maisonnée et de mariage, du statut de minorité ethnique et de l’immigration. Malgré l’important appel à considérer toute une gamme de variables significatives pour comprendre les expériences de femmes sud-asiatiques immigrantes, Loiselle (2004), par son choix même de s’intéresser au travail social, ne parle que très peu de leurs ressources personnelles. En effet, la discussion de la thèse se construit majoritairement autour des notions de vulnérabilité, d’oppression et de victimisation, ce qui nous renseigne très peu sur les potentiels créatifs des femmes elles-mêmes pour faire face aux obstacles structurels et à ceux qui se présentent dans leurs vies personnelles. Ainsi, les analyses s’intéressant à la présentation de femmes activement engagées dans les reconstructions d’identités dynamiques mobilisées par de multiples rencontres avec les normes, valeurs et barrières systémiques caractéristiques des conditions canadiennes sont donc plus pertinentes pour notre travail (Nair, 1998; Karumanchery, 1997; St-Germain Lefebvre, 2008; Vig, 2009).

Si ces femmes apparaissent comme des négociatrices de leurs positions identitaires dans la création d’un espace personnel, elles sont aussi évidemment reconnues comme limitées dans leur avancement personnel en contexte migratoire canadien à cause de l’intersection de race, genre et classe. En bref, la plupart des études en sciences sociales assument la capacité d’agentivité de ces femmes en contexte migratoire, mais aussi certaines limitations imposées par les barrières macrostructurelles présentes au Canada. Il est ainsi aujourd’hui admis que:

« South Asian women’s experiences in Canada are best understood when they are examined from a framework in which race-ethnicity, class, and gender are inextricably intertwined. It is important to consider that race-ethnicity, gender, and class are social constructions and that these women’s experiences are unique because they are negotiated within the mainstream Canadian culture and institutions » (George & Ramkissoon, 1998, p. 116).

Les barrières systémiques que sont le genre, la classe et la race informent, par conséquent, de l’importance cruciale de prendre en compte l’échelle macrosociale constituée par le mainstream canadien dans le vécu post-migratoire des femmes à l’étude. Un bon exemple de l’éclairage apporté par cette échelle d’analyse se trouve dans l’étude de cas de Nisha

Karumanchery (1997) sur les femmes Malayalams originaires du Kerala et vivant à Toronto. Cette auteure, appartenant elle-même à ce groupe, intègre sa propre subjectivité dans l’analyse lorsqu’elle explique dans quelle mesure le fait d’être insérée au Canada l’a forcée à devenir consciente de sa position de race :

« As a Malayalee female growing up in Canada, I have been profoundly influenced by racism, sexism and classism. Since the age of five, when I immigrated here, I was forced to become aware of my race, gender and class and how they positioned me within my family, the Malayalee community and within mainstream Canadian society » (Karumanchery, 1997, p. 2).

Au-delà de son récit personnel qui rend ses analyses encore plus intéressantes et légitimes, ce travail a aussi le mérite d’intégrer les échelles micro et macro dans l’analyse sociologique. C’est ainsi qu’elle argumente intensivement en faveur d’une grande attention à apporter au processus migratoire pour bien comprendre les expériences féminines de femmes sud- asiatiques immigrées au Canada. L’immigration a radicalement affecté toutes les participantes à cette recherche, et ce dans une ample gamme de dimensions d’expériences. Celles-ci se déploient selon un éventail de variables plus immédiatement identifiables comme les changements de classe et statut jusqu’à des variables moins concrètes comme les définitions personnelles de ce que représente le fait d'être une femme. Cette auteure établit en conséquence un plaidoyer pour que soit incorporé dans les théories féministes, où figure les réflexions traditionnelles de genre et race, celles liées également au processus migratoire, cette dernière dimension étant particulièrement ignorée de ce corpus théorique. Cette exclusion des femmes non blanches des écrits féministes, toutefois, amènerait selon Luik à la création d’un rapprochement entre ces femmes. Ce rapprochement pourrait entre autres se construire à travers l’importance accordée, parmi tous les groupes de femmes sud-asiatiques documentées, à la transmission culturelle, linguistique et religieuse aux générations nées au Canada.

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