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Logement précaire et mobilité résidentielle

3.3.2 Un quartier ethniquement pluriel

CHAPITRE 4 PARCOURS CROISÉS ET LIENS ENTRE IMMIGRATION ET PÉRINATALITÉ

4.2 Contexte d’arrivée et milieux de vie 1 La vie de quartier et la présence de la « communauté

4.2.2 Logement précaire et mobilité résidentielle

Nous avons vu dans le chapitre précédent que les conditions défavorables vécues par la population sud-asiatique dans ses trajectoires migratoires au Québec expliquent la concentration dans les quartiers montréalais pauvres, particulièrement Parc-Extension. Ce que les récits de nos interlocutrices ont fait ressortir est que ces conditions de vie défavorables s’inscrivent dans leurs parcours périnataux.

Nos femmes ont ainsi été nombreuses à exprimer leur mécontentement au sujet de leurs logements qui ne correspondent que très rarement à leurs attentes. Bien que ce portrait général doive être nuancé puisque notamment les femmes parrainées par leurs maris trouvent souvent à leurs arrivées une meilleure situation économique et un logement de meilleure qualité52, cela n’empêche pas que plusieurs d’entre elles déplorent la qualité de leurs habitations. Comme raconte Rabiah (Bangladesh, 1e enfant, 2 ans d’immigration) à propos des effets sur sa grossesse de la précarité du logement: « Hardest moment in my life! First three months because that time I was in small room (…). It was in basement so that room there was no ventilation, nothing; sometimes I cannot take my breath! I feel always very bad, bad smell, so it was very hard. It was really a hard time for me. »

En lien avec cette insatisfaction, il ressort également de notre recherche une forte mobilité résidentielle. Par exemple, Vishani (Sri Lanka, 1e enfant, 8 ans d’immigration) a dû prendre un petit appartement avec son mari après l’arrivée de ce dernier à Montréal. Lorsque le mari a trouvé un emploi par la suite, ils ont déménagé vers un appartement plus grand (mais qui demeure toutefois insatisfaisant). Les ambitions de Mizha (Pakistan, 1e enfant, 2 ans d’immigration) sont semblables: « Our apartment is very, very small. Yeah, very small. But we are trying to manage everything, that’s the thing, that’s why we want good jobs and all kind of these stuffs. » Les difficultés d’intégration professionnelle vécues par Mizha et son mari se répercutent ainsi sur la possibilité d’accéder à un logement plus approprié pour vivre plus confortablement son expérience périnatale. Sabeeha met aussi de l’avant l’inconfort dans son petit appartement dans lequel vivent 4 adultes et son nouveau-né (on remarque un lit dans la

pièce composée par le salon et la cuisine, dans lequel dorment sa sœur et le fils de Sabeeha (Pakistan, 1e enfant, 7 ans d’immigration) tandis que son frère s’installe dans le canapé). Elle dit se sentir inconfortable dans son logement: « I’m really disturbed actually, I just want to move soon. »

De même, le logement évolue en fonction de la naissance d’enfants, comme le raconte Hanifa (Inde du Sud, 2e enfant, 2 ans d’immigration): « Now is big, because we were in a 3 and a half before, and last September we moved to a 4 and a half. It was too small and basement, that’s why we moved. Now it’s okay. Big apartment. We can play. » Ladani (Sri Lanka, 1e enfant, 6 ans d’immigration) premièrement installée dans le ménage de sa belle-soeur, nous confie également: « I lived in their house before baby born, but three months before (birth) we moved to another apartment. (…) Because we wanted the private life you know (rires). »

Toutes les femmes ne peuvent cependant pas accéder à de meilleurs logements et les conditions de vie difficiles s’inscrivent fortement dans les expériences périnatales, comme le démontre Rabiah :

« My pregnancy started in (date), so during the first 3 months it was a very, very hard time for me, because that time I always do vomiting, vomiting, gastric problems, sometimes I was always in bed, always in bed, so I take almost nothing in bed rest. Yeah… So it was really… I can eat nothing at this time, I was only… That time was hard for me! Hardest moment in my life! First three months because that time I was in small room (...). It was in basement so that room there was no ventilation, nothing; so sometimes I cannot take my breath! I feel always headache, bad smell, so it was very hard. It was really a hard time for me. Yeah » (Rabiah, Bangladesh, 1e enfant, 2 ans d’immigration).

Comme en témoigne Rabiah, vivre les premiers mois de grossesse dans un logement inadéquat peut être pénible. Plusieurs des femmes rencontrées témoignent d’expériences semblables pendant la grossesse et la naissance, dont Vishani :

« It was like… a very small bathroom, washroom, when I go I cannot sit in the commode. So very small. Even in the pregnancy it was very difficult to go. Fourth floor I stayed. I have to go up and down. Very difficult for me. So small room I had and the hall too. The hall is like half of this kitchen. Like this much hall. Like living room. And I have no TV. Nothing over there. Just a bed, a sofa and kitchen. So I stayed there after baby delivery and everything. Last year we came here » (Vishani, Sri Lanka, 1e enfant, 8 ans d’immigration).

En ce qui concerne Padmalay, demandeuse d’asile vivant dans une situation économique très défavorable, la précarité du logement s’inscrit intensément dans son expérience périnatale. Padmalay tisse un récit rempli d’abus de la part du propriétaire :

« When I first came in Canada when I go to the gurdwara temple I met one person. ‘Okay you are a newly person?’ I answered him: ‘yes, I’m a newly person’. And he told me: ‘okay, you will come my home, I will see an apartment and you will come.’ Okay. I went to see the apartment in the basement. And the landlord was very good, Indian, Indian person. He told me: ‘okay I’m your father. Don’t worry. It’s your house’. I said:’ okay, I will take the apartment, I will sign it’. And suddenly one, two months after (…) the landlord opened the door and came. Sometimes I’m bathing, sometimes I’m napping, sometimes I’m sitting in my room and he use his key and open the door. And I don’t know the rules relations in Canada, the law, I don’t know. I tell him: ‘my husband is not at home why are you knocking the door, taking your key, and you are coming inside? It’s not good’ » (Padmalay, Inde du Nord, 3e enfant, 2 ans d’immigration).

Padmalay raconte également la forte présence de rats, cafards et punaises de lits dans son appartement, ce qui impacte également de manière négative son expérience de grossesse : « My house is sick. I’m pregnant and sometimes my head is so painful. »

L’installation dans ce logement vient s’ajouter à l’ensemble des difficultés liées à son parcours migratoire, ce qui illustre une nouvelle fois comment les vicissitudes de chaque parcours migratoire et plus largement les parcours de vie se traduisent concrètement dans l’accessibilité au logement. Les difficultés d’intégration diverses (économique, professionnelle, sociale, légale) se traduisent dans la précarité des logements, ce qui génère ensuite d’importantes conséquences au niveau de l’expérience périnatale des femmes, les événements liés à la reproduction humaine prenant place à l’intérieur de contextes variables en fonction de conditions matérielles (Ginsburg & Rapp, 1995). Ces éléments sont structurés par les inégalités transnationales et façonnent les pratiques et expériences reproductives. Les inégalités sociales dans la reproduction humaine sont bien décrites selon le concept de « reproduction stratifiée53». Comme toute inégalité sociale, elle s’inscrit dans des rapports entre des groupes sociaux dont les positions sont différentes et différenciées, entre des groupes majoritaires et minoritaires (Cognet, 2004). Ainsi, les femmes touchées par cette enquête accumulent, dans la société québécoise, des expériences de minorité, de par leur appartenance à des minorités ethniques, linguistiques et religieuses (voir le chapitre 1 à cet égard).

De plus, les parcours migratoires génèrent le plus souvent des précarités socioéconomiques, et ce même quand les familles sont déjà antérieurement installées. Pour nos femmes, ces inégalités sociales dans la reproduction sont plus concrètement visibles dans

53 Déjà discuté dans le cadre théorique, le concept peut être résumé ainsi : « power relations by which

some categories or people are empowered to nurture and reproduce, while others are disempowered. (...) the concept help us see the arrangements by which some reproductive futures are valued while

les connexions qu’elles établissent entre leurs logements et leurs expériences périnatales, mais également dans les barrières linguistiques qui affectent souvent leurs accès aux services de santé et la qualité des soins reçus, tout en semblant accroître l’isolement féminin.

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