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Description des techniques de recherche 1 Observation participante et milieux enquêtés

Conclusion et ouverture

CHAPITRE 3 – APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE ET MISE EN CONTEXTE ETHNOGRAPHIQUE

3.1 Approche méthodologique 1 Objectifs, question et méthode de recherche

3.1.2 Description des techniques de recherche 1 Observation participante et milieux enquêtés

L’observation participante menée dans le quartier Parc-Extension a duré 13 mois, de janvier 2015 à janvier 2016. Pendant cette période, j’ai généralement fréquenté le quartier plusieurs jours par semaine même si cette fréquentation a pu varier selon les moments. Dans un premier temps, je me suis consacrée à visiter plusieurs lieux de rassemblement de la communauté sud- asiatique comme les lieux de culte, les épiceries, restaurants et certaines associations. Dans ces occasions, ma démarche a été très générale et avait comme but la familiarisation avec les espaces et les dynamiques du milieu. Habitant à l’époque dans un quartier limitrophe, le Mile- End, je prenais un bus pendant les mois d’hiver, le vélo pendant le reste de l’année, et me rendais rapidement à Parc-Extension. Le Complexe William-Hingston, situé sur la rue St-Roch, a été l’endroit où j’ai réalisé une bonne partie de mes observations tout au long de la recherche de terrain28. J’y prenais mes notes quotidiennes dans la bibliothèque et participais surtout aux activités proposées aux femmes du quartier par un des nombreux organismes communautaires situés dans ce bâtiment. Le regroupement de services dans ce bâtiment a favorisé le processus de l’observation participante surtout dans les froids mois de l’hiver. Juste en face du centre, se trouve également un gurdwara sikh (lieu de culte et de réunion) que j’ai fréquenté beaucoup plus sporadiquement. Plusieurs des interlocutrices de la recherche habitaient dans les environs du complexe William-Hingston et je m’y rendais donc à pied pour les entrevues ou pour mener des rencontres informelles avec celles avec qui j’ai noué des liens plus profonds.

Après mon insertion comme bénévole dans le centre communautaire mentionné précédemment, l’observation participante s’est également déroulée lors d’activités diverses à laquelle j’ai participé. Pendant 7 mois, ce bénévolat m’a permis de comprendre certaines dynamiques et de rencontrer de nouvelles arrivantes dans le quartier, car celles-ci étaient souvent dirigées vers ce centre par les autres membres de la communauté ou par d’autres milieux associatifs. La participation extensive dans le temps m’a permis de développer une

28 Ce bâtiment loge la bibliothèque publique, le Centre de francisation William-Hingston, l’école primaire

compréhension graduelle de certaines dynamiques des membres de la communauté, de prendre conscience de certains jeux d’alliance, de compétition et de collaboration. J’avais toujours le soin de rendre le plus explicite possible mon positionnement sur le terrain, mes intérêts et mes activités. Je ne souhaitais surtout pas d’être confondue avec une intervenante sociale malgré mes activités de bénévole. Les femmes ont compris cette différence, et les refus se sont effectués sans problème.

Parallèlement, quelques mois après le début de mon terrain, j’ai démarré l’observation participante dans les groupes hebdomadaires, mais alternés, pré et postnatals dans le Centre local de services communautaires de Parc-Extension (CLSC de Parc-Extension). Le CLSC intègre le réseau de la santé publique au Québec et constitue une porte d’entrée importante dans ce système. Son but est d’offrir des services de santé et des services sociaux courants en première ligne, à la population du territoire qu’il dessert, des services de nature curative ou préventive, de réinsertion ou de réadaptation. Ce centre doit s’assurer que les personnes cibles soient rejointes et que leurs besoins soient satisfaits. Pour cela, il offre des services à l’intérieur de ses installations ou à l’extérieur, dans les milieux de vie des personnes, comme l’école, le travail ou le domicile29. Dans ses installations, le CLSC de Parc-Extension offre des cours pré et postnataux dans le but de soutenir les parents et le bébé et notamment préparer l’accouchement, activités sur lesquelles s’est concentrée notre observation participante.

Pendant le temps de mon terrain, le groupe prénatal s’est montré invariablement plus fréquenté que le postnatal. Principalement mené par deux infirmières parfois soutenues par d’autres professionnelles comme une nutritionniste, il y était abordé des sujets variés autour de la grossesse et de la reproduction : nutrition, activités physiques, douleurs de l’accouchement, etc… Le groupe démarrait autour de 9h30 et les infirmières surveillaient les poids des femmes enceintes à leur arrivée tout en distribuant des coupons leur permettant d’avoir accès gratuitement à du lait et des œufs dans les épiceries. Des vitamines prénatales leur étaient également distribuées30.

29 http://www.msss.gouv.qc.ca/reseau/etablissements-de-sante-et-de-services-sociaux/ (consulté le 2

mars 2019).

30 Ces vitamines sont distribuées dans le cadre du programme OLO. Celui-ci vise à soutenir les femmes

enceintes qui vivent avec un faible revenu, tout en leur offrant la possibilité d'obtenir gratuitement, pendant leur grossesse, des aliments essentiels (œufs, lait, orange) et des suppléments minéralo- vitaminiques. Le programme OLO vise ainsi à améliorer l'alimentation, la santé et le bien-être des femmes enceintes pour contribuer à la naissance de bébés en santé. Informations extraites du site :

https://www.ciussscentreouest.ca/programmes-et-services/enfant-parent-et-famille/futurs-parents/ (Consulté le 2 mars 2019).

Dans cet espace, j’ai entrepris des observations concentrées surtout sur les dynamiques des participantes et les contenus des interventions. À l’intérieur de ces groupes, il y avait une limite importante constituée par le fait que plusieurs des femmes sud-asiatiques ne maitrisaient pas ou peu l’anglais et le français. Si les groupes prénataux réussissaient à mobiliser la présence de 10, 12 voire plus de femmes, le groupe postnatal jouissait lui d’un succès beaucoup moins important. Les premières séances comptaient sur 1 ou 2 femmes, parfois aucune participante ne s’y rendait… Les nouvelles exigences de la vie avec un nouveau-né devaient être à l’origine de ce « décrochage ». J’abandonnais donc au fur et à mesure ce groupe pour me concentrer davantage sur le groupe prénatal et sur d’autres activités dans le quartier.

Finalement, les derniers espaces où j’ai concentré mes observations participantes ont été les espaces domestiques de certaines interlocutrices de la recherche, notamment celles ayant donné des entrevues et participé à des études de cas.

3.1.2.2 Entrevues

La manière un peu aléatoire de mener les rencontres pendant le processus d’observation participante a contribué à la collecte d’entrevues de femmes ne répondant pas nécessairement aux critères centraux de la recherche. J’ai non seulement contacté les femmes à travers le milieu associatif dans lequel j’ai tenu un rôle de bénévole et grâce à l’entremise d’une intervenante sociale locale comme je l’ai mentionné, mais j’ai aussi obtenu le soutien des interlocutrices à travers la participation à des groupes pré et postnataux au CLSC de Parc- Extension et avec la collaboration de deux femmes influentes dans la communauté locale. J’ai composé ainsi un corpus de 39 interlocutrices au total, dont 25 répondaient aux critères d’inclusion. Cette recherche compte donc également sur un corpus secondaire de 14 entrevues avec des femmes sud-asiatiques, composé de femmes ayant immigré depuis 11 ans et plus et/ou ayant accouché dans leurs pays d’origine. Au-delà de ces 39 femmes interviewées, j’ai rencontré plusieurs autres participantes potentielles qui, sans avoir mené un entretien « complet » avec elles, m’ont aidé à mieux comprendre la dynamique du quartier Parc- Extension et les réalités de l’immigration des Sud-Asiatiques.

Une des principales difficultés dans les entrevues a été la barrière linguistique qui s’est montrée parfois insurmontable. Un exemple est celui d’une rencontre avec une femme sri- lankaise arrivée depuis moins d’un an à Montréal et qui m’avait donné elle-même rendez-vous. Malgré une compréhension de l’anglais, elle comptait sur sa voisine immigrée depuis environ 15 ans afin de l’aider à formuler ses réponses. Le conflit de perspectives entre ces deux

femmes s’est montré rapidement apparent : la femme enceinte communiquait ouvertement son malaise, la pression exercée par sa famille à se conformer aux normes sociales comme se marier, tomber enceinte, immigrer… mais sa voisine lui coupait souvent la parole pour m’expliquer, à l’aide de sourires mal à l’aise, qu’elle allait finalement finir par s’y conformer comme elle-même l’avait fait auparavant. Prise au milieu de cette situation, j’ai abandonné rapidement pour ne pas contribuer à une dynamique qui échappait à mon rôle et aux finalités de la recherche. Je me suis également retrouvée face à d’autres femmes qui ont communiqué clairement, par des gestes et autres attitudes, leur malaise face à l’entrevue : j’ai dans ces cas toujours mis un terme rapide aux échanges, comprenant que leur acceptation initiale n’était peut-être pas totalement volontaire.

Si la barrière linguistique n’a heureusement pas toujours été insurmontable, il n’en demeure pas moins que la diversité des langues parlées par nos interlocutrices tout comme leur degré varié de maitrise de l’anglais et du français ont fortement complexifié le terrain de recherche. Je considérais initialement compter sur l’aide des traductrices afin de mener des entrevues, ce qui m’a amené à en réaliser trois selon cette formule. Toutefois, j’ai ensuite considéré plus pertinent de mener les entrevues sans la présence des traductrices, en raison de la sensibilité de certains sujets et afin de favoriser la liberté d’expression. De cette manière, toutes les autres entrevues ont été menées en anglais, malgré divers degrés de maitrise de cette langue par les interlocutrices. Cela a eu un impact sur les entrevues enregistrées, notamment en ce qui concerne l’élaboration des réponses et leur durée fort variable. Cela étant dit, malgré ces difficultés linguistiques, je crois tout de même avoir atteint de manière satisfaisante l’objectif de recueillir leurs points de vue sur leurs expériences.

Ainsi, les entrevues valides avec les interlocutrices correspondant à tous les critères de la recherche ont duré entre 50 minutes et 4 heures et demie. Je suggérais toujours aux femmes de décider l’endroit où elles se sentaient le plus à l’aise, et toutes ces entrevues ont donc eu lieu à leurs domiciles. À ces occasions, je me présentais à l’heure convenue, et expliquais plus en détail la recherche et ses objectifs. L’entrevue était amorcée par des questions formulées de manière la plus ouverte possible : « Raconte-moi ton expérience de grossesse et d’accouchement », « Comment les choses se sont-elles passées après la naissance de ton enfant », « Raconte-moi ton parcours migratoire ». Ces consignes avaient seulement pour but de déclencher l’interaction et de placer la périnatalité et le parcours migratoire au centre du récit. À la fin de la première production du récit, je posais quelques questions afin de clarifier

ou d’approfondir certains thèmes31. J’ai toujours pu enregistrer les entrevues, ce qui m’a permis de les transcrire intégralement. Afin de promouvoir une écoute intéressée et empathique envers mes interlocutrices, j’ai renoncé à prendre des notes pendant les discussions : je me rendais donc ensuite rapidement à la bibliothèque du quartier afin de consigner par écrit mes remarques et commentaires.

À la fin de la première entrevue, je demandais si je pouvais les recontacter afin de me rencontrer à nouveau en cas de besoin d’éclaircissement, ce que toutes les femmes ont accepté, même si je n’ai pas toujours eu la possibilité de les rencontrer une deuxième fois. J’ai tout de même pu réaliser 16 deuxièmes entrevues dont 7 à l’intérieur d’études de cas, c’est-à- dire des femmes rencontrées à plusieurs reprises et endroits. À l’occasion de la deuxième interview, j’approfondissais les éléments du premier récit et cherchais à en clarifier d’autres.

Les entrevues menées avec une finalité de recherche sont avant tout une interaction entre deux personnes ayant des positions sociales différenciées et différenciatrices qui leur prescrivent des motivations parfois contradictoires et ambivalentes à propos de l’entrevue (Demazière, 2008). Les positions assignées dans la structure sociale par les parcours migratoires se sont montrées fondamentales dans la négociation de l’interprétation de la situation d’entrevue: pour plusieurs requérantes de demande d’asile, je figurais comme un personnage capable de les aider d’une manière ou l’autre à produire un récit valide pour soutenir leur plaidoyer de statut migratoire. Pour les femmes parrainées par les maris, il s’agissait surtout de formuler des plaintes à propos du manque de soutien social et du besoin d’obtenir de l’aide. Les femmes parrainées par la famille natale se sont montrées très motivées à mobiliser leurs différences par rapport aux femmes parrainées par les maris. Les femmes issues de l’immigration économique paraissaient quant à elles les plus enclines à me percevoir a priori sur un pied d’égalité et comme quelqu’un avec qui nouer un lien d’amitié. Ce n’est donc pas par hasard si la majorité de ces femmes font partie de mes études de cas.

Malgré les différences dans l’interprétation de la situation d’entrevue et de la démarche de la recherche, le dénominateur commun à toutes ces définitions de la situation correspondait au fait de vouloir remanier l’interaction à leur avantage d’un point de vue pratique et identitaire. Lorsque je le considérais comme pertinent et que je pouvais rester sincère, j’essayais de répondre à leurs attentes. Par contre, dès que la définition de la situation les conduisait à formuler des demandes au-delà de mon pouvoir, je m’efforçais très fortement de marquer la différence de ma démarche par rapport à celles des intervenantes sociales. Après tout, je

n’avais aucun pouvoir de faire changer objectivement leur situation selon leurs attentes formulées plus ou moins directement. Cependant, à bien des égards, je pourrais peut-être considérer que le simple fait de documenter leurs biographies semblait leur offrir aussi une perspective intéressante. Mais je ne pouvais néanmoins que regretter le grand laps de temps entre ce que ma thèse pouvait modestement peut-être apporter en termes de compréhension de leur réalité par les personnes ayant le pouvoir de changer les choses et leurs besoins parfois criants et souvent assez urgents.

3.1.2.3 Études de cas

Au total, 8 femmes ont participé à des études de cas. Ces études comprennent plusieurs entrevues consécutives et la participation à plusieurs activités fréquentées par les femmes ciblées. Ce faisant, je les ai les côtoyé dans les services de santé, fréquenté leurs espaces domestiques et discuté dans certaines occasions avec leurs maris et d’autres membres familiaux. De ce groupe, 7 femmes font partie du corpus principal de la recherche. Avec elles, les activités étaient diverses, mais se concentraient invariablement sur les visites fréquentes à leur foyer. La plupart de ces femmes se retrouvaient seules dans leur maison tandis que leurs maris partaient travailler. À ces occasions, nous partagions un « chai » (thé) et discutions de sujets variés. Les sujets de discussion tournaient toutefois souvent autour du parcours migratoire, des difficultés rencontrées, de l’insertion dans la communauté, des perceptions de l’environnement, des enfants. Bien que j’aie pu approfondir plusieurs points abordés dans les entrevues à l’occasion de ces interactions, cette méthode m’a surtout permis d’avoir accès à leur univers quotidien souvent marqué par un grand isolement réel ou subjectif.

3.1.2.4 Cartographie des réseaux sociaux

La cartographie des réseaux sociaux consiste dans l’enchevêtrement entre les techniques de la production de données, l’objet de recherche qui s’intéresse, entre autres, aux interactions sociales agissant sur les parcours biographiques, et les référents théoriques initiaux, notamment l’approche réseau (cf. chapitre 2). À partir des entrevues concentrées sur les récits biographiques, je me concentrais sur les liens sociaux significatifs mentionnés, les interactions menées et les contenus des échanges. Suite à la transcription de la première entrevue, je me concentrais à établir la forme du réseau social, à identifier les personnes mentionnées et autres

contenus significatifs répertoriés dans l’approche réseau discutée dans le chapitre précédent32. Le résultat a été une cartographie où sont reproduits les liens mobilisés pendant la périnatalité et les descriptions de contenu des échanges. Ensuite, je complétais cette première cartographie à l’occasion de la deuxième entrevue et au fur et à mesure des études de cas mis en œuvre33.

Toutes les différentes techniques de recherche énoncées m’ont permis de constituer un corpus de recherche que nous allons maintenant pouvoir détailler.

3.1.3 Population à l’étude et corpus

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