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3.3.2 Un quartier ethniquement pluriel

CHAPITRE 4 PARCOURS CROISÉS ET LIENS ENTRE IMMIGRATION ET PÉRINATALITÉ

4.2 Contexte d’arrivée et milieux de vie 1 La vie de quartier et la présence de la « communauté

4.2.3 Barrière de langue

Nous avons vu dans le cadre du chapitre précédent que la plus faible maitrise du français peut être un frein social et économique. À travers l’analyse du portrait sociodémographique de la population sud-asiatique au Québec, ceci a été particulièrement documenté pour les femmes puisque la proportion de femmes qui ne connaît ni le français ni l’anglais est quasi deux fois plus importante que celle des hommes (9,2 % contre 5,1%). Notre recherche fait écho à ces données et montre également comment cette situation linguistique se traduit notamment en une barrière à l’accès aux soins de qualité.

Ainsi, à leur arrivée à Montréal, une caractéristique commune à toutes les femmes rencontrées concerne la méconnaissance de la langue française. Au contraire de la langue anglaise avec laquelle leurs régions d’origine gardent un lien continu et historique, le français est très peu connu. Hanifa exprime ainsi: « even I hear a French word first time here, before I don’t know, I never heard a French word. When I come here, even bonjour, I hear first time here in Parc-Extension. It’s difficult » (Inde du Sud, 2e enfant, 2 ans d’immigration).

Concernant l’anglais, des distinctions importantes s’établissent entre les femmes en ce qui concerne la capacité à communiquer. Celles issues de l’immigration économique démontrent ainsi une maitrise plus importante, tandis que les femmes parrainées par les maris composent le groupe le plus défavorisé à cet égard.

De manière générale, la quasi-totalité des femmes touchées par cette enquête rapporte des difficultés de communication et d’interaction avec les institutions et les personnes présentes en terre d’accueil attribuées à la méconnaissance du français et/ou de l’anglais. À l’exception de la vie familiale et des possibles liens dans la communauté, ces difficultés sont vécues dans quasi tous les domaines de leurs vies : accès et interaction avec les ressources et services, intégration sociale et pour quelques-unes, intégration professionnelle. Au fur et à mesure que leurs parcours d’immigration évoluent, cette difficulté s’exprime en outre dans le rapport avec les enfants et dans leur éducation. La question des barrières de langue intervient également en ce qui a trait aux liens sociaux (ce qui sera approfondi un peu plus tard). Même les femmes

maitrisant l’anglais continuent à vivre des difficultés linguistiques comme l’explique Megh54: « we have different kinds of name for different pains, how can I explain this in English ? »

Concernant plus spécifiquement l’expérience périnatale, la barrière de langue peut, même pour celles pouvant communiquer en anglais, imposer une difficulté supplémentaire relativement à l’accès et l’utilisation efficace des services, comme l’explique Sarmila :

« But in some places they didn’t talk in English. Only French. It’s difficult to me. That’s why I feel… Because now I’m going to Saint Justine hospital… First I meet my nurse, she doesn’t speak English, only French. It’s very hard to me. (…) One of the girls… They translate me. English and French, They can translate me, it’s good, but another time I say: give me to English (nurse), they talk both, it’s good for me! Because sometimes I will understand French, but I can’t speak, that’s the matter. (…) You don’t know the French it’s difficult. My husband says and my daughter says: ‘if you free time you can learn mother!’ But you can never have time you know? » (Sarmila, Sri Lanka, 2e enfant, 6 ans d’immigration).

Ce récit constitue un cas de figure typique pour les femmes fréquentant les réseaux de services sociaux et de santé dans lesquels le français est la principale langue d’usage. Bien que le CLSC du quartier soit bilingue (français et anglais), nos observations des groupes pré et postnataux confirment un usage prédominant du français dans ces contextes. Par contre, pour les consultations individuelles au CLSC et à la Maison Bleue55, les soignants communiquent également en anglais. Les allophones peuvent aussi compter sur des traductrices et cela facilite en grande mesure leurs accès et interactions avec les services. Comme l’explique Kibria (Bangladesh, 3e enfant, 10 ans d’immigration) en ce qui a trait à sa fréquentation de la Maison Bleue: « If I need to go to see the doctor in another clinic every time husband need to stop the work because he need to go with me… And here there’s Maison Bleue, husband go to work and I can go by myself to check everything, everything is good for me. »

54 Corpus secondaire.

55 La maison bleue constitue une ressource en périnatalité sociale présente dans le quartier Parc-

Extension et utilisée par certaines des femmes rencontrées dans cette recherche. Ce service a pour mission d’aider les familles vivant en contexte de vulnérabilité (pauvreté, situation d’abus, de violence, de négligence, de toxicomanie, statut migratoire précaire, etc. « à l’accueillir leur bébé et à accompagner dans leur développement optimal jusqu’à l’âge de 5 ans, dans une approche globale, intensive, et préventive ». (L’empreinte de la Maison Bleue, 2016, p.12). Disponible dans :https://www.maisonbleue.info/images/6-Publications/Empreinte-Chapitre1-ModeleMaisonBleue.pdf. Consulté le 25 mai 2019. La Maison Bleue de Parc-Extension présente une structure hybride : c’est un organisme sans but lucratif indépendant qui travaille en étroite collaboration avec le CIUSSS du Centre- Ouest-de-l’île-de-Montréal.

Cependant, malgré les efforts des services du quartier pour faciliter l’accès linguistique, les allophones participants aux groups périnataux doivent souvent s’appuyer sur une autre usagère pour la traduction, ce qui est assez aléatoire puisqu’une telle personne n’est pas toujours présente. Sarmila (Sri Lanka, 2e enfant, 6 ans d’immigration), par exemple, expliquait toutes les informations pour une de ses amies. Prama (Inde du Nord, 1e enfant, 2 ans d’immigration) se montrait également toujours disponible pour faire traduire en Hindi en cas de besoin. Toutefois, certaines femmes se montraient dérangées par les demandes incessantes de traduction de la part d’autres usagères appartenant à leur groupe linguistique, ce qui selon elles nuisait à la qualité de leur interaction avec les services.

On voit ainsi comment la connaissance de la langue teinte de manière importante l’expérience féminine dans la mesure où ces lacunes linguistiques sont susceptibles de compliquer leur insertion économique et d’accroitre diverses dépendances au réseau communautaire et familial au Québec, plus qu’ailleurs au Canada (Fiore, 2010). Conjointement à d’autres facteurs, la langue apparaît également comme pouvant accroître l’isolement social des femmes et elle constitue donc un des éléments dans le processus de reconstitution de liens sociaux en contexte migratoire.

4.3. Liens sociaux

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