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Rôle de transmission culturelle, linguistique et religieuse

RECHERCHE Introduction

1.2 Femmes immigrantes sud-asiatiques au Canada À notre connaissance, aucune étude ethnographique n’a été spécifiquement menée sur la

1.2.2 Rôle de transmission culturelle, linguistique et religieuse

Le rôle de transmission culturelle, linguistique et religieuse des femmes sud-asiatiques aux nouvelles générations est grandement mis de l’avant dans une partie importante des études portant sur cette communauté au Canada et au Québec (Brunger, 1994; Nair, 1998; Ralston, 1988, 1991; Coomarasamy, 1989; St-Germain Lefebvre, 2008; Vig, 2009; Bradley, 2007; Chaze, 2015). Ce rôle correspond aux constructions de genre actives dans le sous-continent indien auxquelles s’ajoutent de nouvelles significations en contexte canadien. Une discussion

éclairante à cet égard est fournie dans le travail de Brunger (1994) sur la préservation de la culture chez les réfugiés tamouls à Montréal. Au sein de cette communauté, les femmes, et plus particulièrement les mères de par leur rôle dans l’éducation des enfants, sont considérées comme responsables de la continuité et de la reconstruction de l’identité tamoule. Dans ce contexte, le rôle de mères devient alors fondamental en contexte migratoire dans la mesure où elles sont responsables de la construction identitaire des générations qui grandissent au Canada. Pour ce faire, on attend des femmes la rétention des caractéristiques liées à la féminité tamoule: « They believe that the only way to preserve the Tamil language and culture is by ensuring that the women in Canada retain the principles of Tamil womanhood, particularly kaepu (chastity) and oruvaranukku oruti (monogamy), and ensure that the children are taught the Tamil language and culture » (Brunger,1994, p. 38).

Puisque les femmes sont responsables d’ériger les frontières ethniques dans un contexte perçu comme moralement inférieur et potentiellement contaminant, les rôles féminins en contexte migratoire seraient surchargés. Ceci fait écho à l’entrelacement entre les concepts de race et classe antérieurement cités dans la construction des barrières systémiques aux multiples formes d’intégration. Plusieurs autres recherches documentent des phénomènes semblables et arrivent à la même conclusion : les rôles de genre font reposer sur les femmes la charge complète de la transmission de la culture d’origine aux enfants. Ralston affirme: « Gender relations in the domestic sphere [...] gave women the responsibility of maintaining ethnic identity for the family and of reconstructing it for themselves and their children through everyday religious, cultural and social activities » (Ralston, 1988, p. 79).

Cette responsabilité peut paraître encore plus importante dans un contexte où les réseaux familiaux sont manquants. Le travail de Chaze (2015) met l’accent sur les manières selon lesquelles, en contexte migratoire, le terme « mothering », qui n’a pas d’équivalence en Hindi ou Urdu, est davantage approprié pour faire référence au travail d’éducation des enfants dans les familles sud-asiatiques, car il met en relief le nouveau rôle conféré aux mères. Selon Chaze (2015), dans les contextes sud-asiatiques, les mères ne sont pas considérées et ne se considèrent pas non plus comme les seules responsables de l’éducation des enfants, tâche qui serait au contraire partagée par tous les membres de la famille élargie. Toutefois, l’immigration déplace cette tâche traditionnellement collective et la fait reposer en grande mesure sur la responsabilité des mères. En contexte canadien, les rôles de femmes sud- asiatiques seraient de transmettre les valeurs originaires du contexte d’origine simultanément à la réalisation de tâches diverses comme la préparation de la nourriture et la protection des

enfants, sans oublier le travail domestique. Chaze (2015) documente non seulement l’effort conscient déployé par les mères rencontrées pour transmettre les valeurs traditionnelles à leur descendance, mais aussi la lourdeur de cette tâche. Les attentes envers les femmes sud- asiatiques et les rôles attribués en contexte migratoire font écho aux idéaux de féminité en Asie du Sud où la maternité est glorifiée et vénérée (Chaze, 2015), ce qui n’est pas contradictoire avec l’orientation collective de la prise en charge des enfants antérieurement mentionnée.

St-Germain Lefebvre (2008) met également en exergue le rôle des femmes dans la transmission culturelle, religieuse et linguistique aux générations nées en diaspora et leur contribution active à la production de la frontière ethnique tamoule sri lankaise à Montréal. Comme Brunger (1994), ou Chaze (2015), St-Germain Lefebvre (2008) évoque la continuité en contexte migratoire des idéaux féminins présents en Asie du Sud et le fait que leur préservation équivaut à retenir les racines culturelles et religieuses en situation post-migratoire. Les idéaux associés à la conception de la féminité influencent ainsi à maints égards le rôle des femmes dans les rapports sociaux de sexe à l’œuvre dans la communauté étudiée, ce qui les amène à s’impliquer activement dans la transmission de l’identité ethnique auprès des générations nées au Québec. Inspirée des apports théoriques développés par la sociologue des relations ethniques Danielle Juteau (1999), St-Germain Lefebvre soutient que le rapport des femmes à l'ethnicité passe par leur contribution à la reproduction biologique et culturelle du groupe ethnique. St-Germain Lefebvre (2008) explique ainsi que par leur rôle privilégié dans la première socialisation des enfants, les mères produisent, littéralement, de l'ethnicité et ce rôle serait situé dans la sphère domestique. Ce rôle est considéré comme un travail corporel, physique, affectif et intellectuel lié à l'entretien matériel des jeunes enfants. De son côté, St- Germain Lefebvre (2008) ajoute l’apport de la religion dans le travail de la production de l’ethnicité tamoule effectuée par les femmes sri lankaises rencontrées dans le temple hindou enquêté. Elle constate le rôle important joué par la pratique religieuse dans la formation identitaire de répondantes ainsi que son omniprésence dans le bagage ethnique transmis par les femmes aux jeunes générations.

Le travail de Bradley (2007) met également en relief le rôle clé joué par la religion dans la réalisation de l’importante tâche de transmission de l’identité ethnique aux nouvelles générations tamoules sri lankaises ancrées à Montréal dans laquelle la mère joue un rôle primordial. Tous les répondants espèrent que leurs enfants aient accès au riche patrimoine religieux qui est le leur et se montrent inquiets face à l’avenir à l’égard des enfants nés au Canada. En s’inspirant lui aussi de Juteau, il rappelle que l’ethnicité n’est pas transmise par

l’hérédité, mais plutôt par la famille et, au premier chef, par la mère qui est la véritable responsable de la transmission culturelle. Le parcours migratoire constituerait une variable au premier rang d’importance dans le désir d’effectuer la transmission identitaire. Bradley (2007) établit une différence dans l’importance attribuée à la transmission de l’identité ethnique selon la modalité de l’immigration économique ou de refuge politique, ces derniers cherchant plus activement à passer à ceux qui sont nés ici le maximum d’éléments de leur patrimoine linguistique, culturel et religieux.

Le parcours migratoire paraît en effet revêtir des significations différenciées selon les attentes conférées à la reproduction de l’identité, et ceci a encore des effets sur les femmes sud-asiatiques. Le travail de Vig (2009), par exemple, aborde le délicat sujet des futures fiancées que les familles sud-asiatiques installées au Canada vont chercher dans les pays d’origine afin justement de reproduire en contexte migratoire les identités ethniques. Ces femmes correspondraient davantage aux idéaux attendus de l’épouse, de belle-fille et de mère. Compte tenu de la prégnance du rôle de mère des femmes sud-asiatiques en contexte migratoire, il est donc surprenant qu’aucun travail n’ait abordé directement la question de la période périnatale. Cette période paraît temporellement et symboliquement cruciale puisque reliée à des enjeux identitaires, sociaux et culturels. Toutefois, bien qu’ait été documentée l’intentionnalité des femmes dans la transmission et la construction de frontières ethniques répandue au sein de communautés sud-asiatiques, cela n’exclut pas que les femmes appartenant à ces communautés vivent également des transformations sociales, culturelles et subjectives expérimentées par ces groupes et leurs membres suite aux processus migratoires.

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