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3.3.2 Un quartier ethniquement pluriel

CHAPITRE 4 PARCOURS CROISÉS ET LIENS ENTRE IMMIGRATION ET PÉRINATALITÉ

4.1 Projets migratoires et périnatalité 1 Femmes parrainées par les maris

4.1.3 Projets professionnels et progression sociale

4.1.3.1 Projets professionnels et périnatalité

Pour toutes les femmes appartenant à ce groupe, les expériences périnatales et les significations attribuées à la grossesse et au fait de devenir mère sont intimement liées à leurs désirs d’insertion professionnelle et de construction de carrières dans le contexte montréalais. En outre, cet enchevêtrement du parcours périnatal avec le projet professionnel s’exprime différemment selon les plans et attentes des femmes elles-mêmes et selon l’évolution de l’expérience migratoire. La trajectoire de Naadah, à cet égard, semble se poursuivre comme prévu. Avec pour but une carrière acadèmique, elle planifie la progression de ses études en fonction du temps alloué à son plan de maternité :

« I got pregnant first time in Bangladesh, just after having complete my (programme d’études), I rest for… I took rest for three years, then I started study. After that I complete my MBA, I was studying. I came here, I got pregnant again and I took rest around two years and now I’m going to study » (Bangladesh, 2e enfant, 4 ans d’immigration).

À l’arrivée du couple à Montréal, son mari poursuit des études des cycles supérieurs tandis que Naadah fait une pause pour s’occuper de son deuxième enfant. Anticipant le décalage entre elle et ses futurs collègues en raison de cette pause et de la barrière de la langue, elle décide de se préparer aux études à la maison pendant sa grossesse, ce qui provoque ce qu’elle qualifie de dépression :

« Yeah. Depression because… I wanted to study, but I couldn’t study for the long hours, I thought I will finish this part in that time but after a few minutes I was feeling tired so I left my study and I went take a walk, and in the end of the day I didn’t finish. So I was feeling depressed, I couldn’t manage my time, how could I finish it? How could I manage later? » (Bangladesh, 2e enfant, 4 ans d’immigration).

Cette expérience dévoile la difficile cohabitation des plans de maternité avec les plans professionnels. Certes, cette difficulté se retrouve aussi dans l’expérience de femmes québécoises non immigrantes (Descarries & Corbeil, 2002). Mais la spécificité de leurs

difficultés se trouve notamment dans la comparaison avec le contexte d’origine où la période périnatale est prise en charge collectivement, c’est-à-dire avec l’implication des femmes du réseau familial, notamment dans le post-partum :

« I was planning to have my family, I wanted at least two children, I will have, I will keep my study going on, and there’s no one to help me, because, I told you, my parents are not alive, in Bangladesh mothers do a lot for the daughters, but my mother was not alived, but my sisters-in-law they helped me a lot with my first pregnancy. But second time (grossesse à Montréal) there’s no one and I knew I can’t demand anyone as I could demand with my mother. So I have to manage everything on my own. First I have my childrens and I will do my study part time it’s a pressure maybe for five, six, ten years, and after that I will concentrate on my career » (Bangladesh, 2e enfant, 4 ans d’immigration).

Naadah exprime ainsi la difficile expérience de conciliation de la maternité et du travail dans un contexte dépourvu de liens traditionnels d’entraide, ce qui permet de comprendre également son sentiment de dépression vécue pendant la grossesse. Naadah parle de la survenue de ce sentiment lorsqu’elle se rend compte de la complexité de mener seule maternité et travail, ce à quoi s’ajoutent les probables différences de formation et de parcours par rapport à ses futurs collègues universitaires.

Amandeep (Inde du Nord, 3e enfant, 2 ans à Montréal) démontre elle comment l’avènement d’un troisième enfant à Montréal rend encore plus difficile son insertion professionnelle et vient peut-être l’enfermer dans un cercle de déqualification. Sa troisième grossesse non planifiée arrive en effet au moment où elle commence à s’organiser pour essayer de démarrer « le parcours de combattante » (Chicha, 2012) pour être reconnue comme infirmière au Québec51.

Elle confie: « here nurse is too much difficult. Too much difficult. And now I cannot complete my 2 years course because of my newborn. » Déjà mère de jumelles filles, elle décide de poursuivre la grossesse afin d’avoir un garçon : « I wanted a boy. Otherwise I not take a third baby. » Dans l’impossibilité de poursuivre son processus d’intégration professionnelle au Québec en raison de ses obligations maternelles, elle reste à la maison et s’occupe des tâches domestiques et de ses enfants, ce qui est vécu comme un processus de déqualification : « In

51 Au Québec, une infirmière immigrante doit auparavant faire reconnaitre ses qualifications

professionnelles et c’est l’ordre professionnel qui gère l’évaluation des diplômes. Il revient au comité d’admission par équivalence d’évaluer individuellement chaque demande selon la formation académique, les formations additionnelles et les expériences professionnelles de l’infirmière, comme l’explique Boulais (2013, p.16) : « Lorsque l’analyse du dossier ne permet pas de reconnaître l’équivalence de connaissances et de développement d’habiletés similaires à celles de la formation infirmière au Québec, une équivalence ne peut être accordée et le comité pourrait exiger de l’IIDÉ une formation d’appoint. » C’est ce qui est arrivé è Amandeep qui doit suivre un cours de 2 ans.

India I was a nurse, 8 years of experience in (domaine d’expertise). I was working in a big governement hospital. Now is at home! Different! Different work woman and housewife. Now I’m housewife. I work(ed) in India. »

Le cas de Naadah et encore plus celui d’Amandeep en raison des barrières institutionnelles pour sa reconnaissance professionnelle, font écho à d’autres situations documentées dans la littérature sur le genre et l’immigration. L’étude de Purkayastha (2005) sur les trajectoires professionnelles des femmes hautement qualifiées originaires de l’Inde vivant aux États-Unis démontre les manières selon lesquelles ces femmes souffrent d’un désavantage cumulatif. Pour comprendre leurs expériences, argumente Purkayastha, il faut dépasser la prise en compte des relations simples de cause à effet entre la déqualification et une ou deux variables. Au contraire, ce qui façonne les trajectoires d’établissement des femmes se trouve dans l’interaction des normes de genre à l’intérieur du foyer, des pratiques discriminatoires dans la société civile aux États-Unis et des lois d’immigration genrées et racialisées. Déjà en contexte québécois, Marie-Thérèse Chicha (2012) suit la même voie à l’occasion de son argument du besoin d’aller au-delà du simple cumul de facteurs pour comprendre les expériences professionnelles des immigrantes. À travers une approche systémique, cette dernière dévoile le caractère multidimensionnel et dynamique de la déqualification et démontre qu’à l’intérieur de la gradation différentielle de cette expérience, les femmes appartenant aux minorités ethniques sont davantage touchées. La déqualification professionnelle résulte de l’enchevêtrement complexe des stratégies familiales (dont les normes de genre en sont le cœur), de la difficile reconnaissance des diplômes étrangers et des pratiques des entreprises, dont la discrimination se révèle comme un facteur crucial.

Si Naadah (Bangladesh, 2e enfant, 4 ans d’immigration) et Amandeep (Inde du Nord, 3e enfant, 2 ans à Montréal) dévoilent la difficile conciliation entre maternité et projets professionnels, Mizha (Pakistan, 1e enfant, 2 ans d’immigration), Rabiah (Bangladesh, 1e enfant, 2 ans d’immigration) et Prama (Inde du Nord, 1e enfant, 2 ans d’immigration) construisent de leurs côtés leurs projets de maternité au fil de stratégies identitaires déployées suite aux fortes expériences de déqualification et de discrimination. Pour elles, être femme enceinte puis jeune mère sont des expériences interprétées sous le prisme des frustrations liées aux barrières systémiques rencontrées à Montréal et leurs cas seront analysés plus en détail dans le sixième chapitre destiné aux stratégies déployées dans le domaine de la reproduction.

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