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3.3.2 Un quartier ethniquement pluriel

CHAPITRE 4 PARCOURS CROISÉS ET LIENS ENTRE IMMIGRATION ET PÉRINATALITÉ

4.1 Projets migratoires et périnatalité 1 Femmes parrainées par les maris

4.1.4 Demandeuses d’asile

Pour les quatre femmes demandeuses d’asile qui forment le quatrième groupe identifié, les liens entre parcours périnataux et parcours migratoires sont encore bien différents de ceux des autres parcours, ce qui souligne une nouvelle fois l’importance de prendre en compte l’interconnexion entre projet migratoire et parcours périnatal. Ada (en attente de la première décision), Veena et Padmalay (statut refusé et en attente d’une demande d’ordre humanitaire) et Malika (réfugiée acceptée à Montréal) témoignent de l’expérience commune liée à cette démarche particulière.

Bien que les origines de l’exil soient variées, le contact avec la violence organisée et les menaces sont au centre de ces projets migratoires. Pour Ada et Padmalay, les violences et les menaces sont externes et proviennent d’organisations criminelles qui ciblaient leurs conjoints. Padmalay (Inde du Nord, 3e enfant, 2 ans d’immigration) explique les conséquences de cette situation: « I came in Canada because is a big problem in my country, in India. Especially because of mafia people, criminals. They are torturing, kidnapping, raping. It’s a big mafia. Police also is harassing us. Who will protect me and my family? » Ada, quant à elle, dévoile une problématique similaire dont les racines se trouvent dans l’activité politique de son mari:

« Yeah, is problem that my husband is involve in political, yeah, big, big, big problem, actually in my country we were very good, we have money, we have a house, we have family, but is problem with opposite party in our country… Hmmm they broke our, my… My husband he has a grocery shop, they broke them, and they beat them, so is very difficult and I have to hide myself when I’m pregnant this time. And they are fighting us, my husband hide in another place, another city, and I’m hide in my aunt’s house. So he is very difficult to survive. So… That time my uncle told me you have to leave the country, because is very horrible, that time situation is very, very, very… because they are burning, they are goons » (Ada, Bangladesh, 3e enfant, 3 ans d’immigration).

Si pour Ada et Padmalay les menaces et les épisodes de violences sont infligés par des personnes extérieures à la famille, pour Veena et Malika les menaces, voire la violence, se trouvent à l’intérieur du réseau familial. En effet, ces deux femmes du Pendjab indien se sont engagées dans des mariages intercastes contre le gré des membres puissants du réseau familial et les refus de ces unions et les ruptures qui en découlent avec les familles et plus largement avec les communautés sont au centre de leurs projets migratoires. Veena (Inde du Nord, 2e enfant, 2 ans d’immigration) nous raconte :

« Because we have no safe in India. My parents… Because we did a “love marriage” with my husband, my parents are very rich, they don’t want to… they have political relations, they don’t want marriage… they don’t like the relations between me and my husband. »

Et elle poursuit: ‘He is not so rich and we are not same caste. It’s an inter-caste marriage and they don’t like the marriage’. »

Un contexte d’extrême insécurité familiale, émotionnelle et économique s’ensuit. Veena nous fait part de tortures infligées à son mari par du personnel payé par ses parents. Veena souligne dans ce contexte la condition de subordination à l’autorité de ses parents : « Parents decide with whom we have to marriage because they don’t like we do love marriage. (…). But when I told my parents that I wanted to marry him, my father beat me, he don’t like. » Bien que ce genre de discours sur l’autorité parentale ne soit absolument pas exclusif à cette interlocutrice, il parait prendre un sens particulier si on analyse les conséquences de la désobéissance sur ce parcours de vie. Il est possible que ces lourdes conséquences de la désobéissance aux normes locales de mariage s’enracinent dans les normes de genre du nord de l’Inde, décrit parmi les plus défavorables aux femmes dans le sous-continent indien (Bates 2013). Ce n’est donc peut-être pas totalement une coïncidence que l’autre immigration de refuge issue des problèmes liés au mariage hors norme sociale soit mentionnée par une femme également originaire du Pendjab indien. Ainsi, Malika partage son histoire :

« We have an horrible story. Because me, I’m from a christian family, and my husband from sikh family. And you know in our culture people don’t accept like this. And my husband also is like a ‘maire’ (mot français), he was a Panchayat raj in our village, his village, and he was a political symbol. He was a young man, he was a Panchayat raj in

his village, and nobody likes any exemple like this. You understand what I mean? » (Malika, Inde du Nord, 3e enfant, 5 ans d’immigration)

La rupture avec la norme sociale et religieuse du milieu d’origine motive la venue au Canada : « Not just a family, a society also. Because you know, he is a leader. If the leader do like this, the rest of the people also they are feel freedom. » Malika ajoute: « because in our culture people are not to get married in inter-caste or inter-religion, because we have both things. This is the biggest problem in our culture. » Cette dernière remarque met en exergue la connexion significative que représente l’organisation sociale du système de caste indien, les règles de générations et de mariage pour les femmes, au point de motiver de vives réprimandes. Si le mariage représente pour ces femmes un grand tournant dans la vie, ces liens entre demande d’asile et mariage inscrivent cet événement dans des parcours biographiques particuliers qui, quelles que soient les raisons à l’origine de la demande d’asile, font vivre à ces femmes des expériences périnatales pleines de détresse.

4.1.4.1 Détresses périnatales

Dès les premiers écrits des anthropologues (Mead & Newton, 1967; Jordan, 1978) sur cette étape du cycle de vie, la grossesse, l’accouchement et le postpartum sont décrits comme des périodes de vulnérabilité et d’incertitude existentielle pour les femmes, l’enfant et leurs communautés. Si cette interprétation ne peut être universalisée, il reste que certains parcours migratoires sont plus sujets que d’autres à la construction sociale de vulnérabilités (Cognet, 2004). Les vicissitudes de ces parcours sont par conséquent capables de générer des insécurités chez les femmes. Par exemple, la détresse et les problèmes de santé mentale sont déjà depuis quelques temps amplement documentés dans les parcours de migrations de refuge et de demandeurs d’asile (Kirmayer et al., 2011; Pottie et al., 2011; Gagnon et al., 2013). Dans notre cas, les demandeuses d’asile composent le groupe qui a déclaré la plus importante gamme de sentiments de détresse. Veena (Inde du Nord, 2e enfant, 2 ans d’immigration) confie ainsi:

« It’s very, very stressful feelings… Because I was not sure what is happening to me, I’m stressed, than my doctor suggested me to go to psychiatric so… Because I feel in danger every time. He asked me to go to the psychiatric I go to the Jewish hospital, there are doctors… they gave me medicines, I take the medicines (pills) (…) »

Dans son récit, Veena interprète la détresse vécue dans son parcours migratoire comme conséquence des expériences des ruptures à l’origine du départ de l’Inde :

« (…) there’s also stressful life, also stressful life, I only saw what is happening with my kids, I think I have no rights to give birth to my children, because here I think I give birth to my children but I spoiled their lives. Nobody, nobody, nobody here, nobody in India who loves my kids. It’s very difficult. I don’t know if I go back in India, they are not… They don’t love, they will not love my kids. I don’t know. »

Ainsi, il ne s’agit pas d’une détresse liée exclusivement à l’expérience migratoire et à l’instabilité du statut de demandeur d’asile : si ce sentiment trouve ses racines dans le contexte de départ, il se poursuit dans la suite des événements et dans le processus d’insertion à Montréal. Padmalay nous parle aussi de ce genre de sentiments lié à l’expérience vécue dans le contexte de départ :

« And I ask doctor (nom du médecin) and he ask me: ‘every time when we meet, you are crying. Why are you so sad? (…)’ I tell him: ‘I have a problem. Okay, I’m pregnant, but I can’t do. I’m not sleeping. Suddenly my eyes are open because (elle prend un temps pour répondre) all the things are stucked in my mind. I’m deeply sleeping but my mind is not sleeping. I don’t know’ » (Padmalay, Inde du Nord, 3e enfant, 2 ans d’immigration).

La détresse de ces femmes, conséquence du contexte de départ et des violences témoignées, modèle ainsi leurs expériences de grossesse. Malika (Inde du Nord, 3e enfant, 5 ans d’immigration) nous parle de ses deux grossesses à Montréal :

« And when I get the pregnancy, every time I had more depression, it was worst in the pregnancy time. And I had miscarriages. After one, two, three, then doctor decided he gave me the medicine for both, for depression and for pregnancy also. Then I get my third child. (…) But my two pregnancies is very hard for me. Because I’m alone, I was sick, I have asthma, and emotionally I was so upset. »

En somme, les détresses liées aux trajectoires de vie s’inscrivent profondément dans les parcours périnataux de ce groupe de femmes. Dans le travail de Gagnon et al. (2013), une des rares études portant sur les liens entre la classification de la migration et la santé périnatale, il a été démontré que l’état de santé dans la période postpartum pour les mères immigrantes et leurs enfants était inférieur à celles des mères nées au Canada, avec même un écart encore plus grand pour les demandeuses d’asile. En effet, le statut migratoire reflète les contextes de départ dans la mesure où il traduit au moins partiellement le projet migratoire. Ces contextes de départ s’inscrivent dans les parcours périnataux de ces femmes et les trajectoires d’établissement ne paraissent pas faciliter le déroulement positif de cette expérience, la plupart de demandeuses d’asile vivant les conditions les plus défavorables, comme nous le verrons dans les discussions sur les reconfigurations familiales, les constitutions de liens sociaux et le logement.

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