• Aucun résultat trouvé

US States By Population

Chapitre 3. Succès ou échec de l’objectif de réhabilitation ?

1. Un stigma passé/présent/futur menant à une transformation des identités

1.3 Transformation et créations d’identités

a) Une transformation identitaire et carcérale ?

Cette institution de la prison a été liée dès son origine à un projet plus général de transformation des individus (Bert, 2012, p. 164).

La prison apparait, non seulement comme un espace de punition mais aussi de transformation vers l’image d’un citoyen « modèle ». Un citoyen « idéal » qui ne commettra pas de crimes ou bien au contraire à la création d’un « criminel définitif » par le biais de discours et de rapports de force lui rappelant sans cesse ses actes et son statut actuel dû à certains actes transgressifs des normes (conduisant à une condamnation judiciaire). L’acceptation de ces normes s’apparente à de la propagande pour l’incorporation de notions

quant à la sexualité, au travail, au genre, à ce qui est bon ou mauvais (dichotomie du mal et du bien). Acceptation qui serait à la fois individuelle et collective car selon une logique foucaldienne, elle proviendrait à la fois des institutions et de l’Etat mais aussi d’une multitude de relations de pouvoir : l’éducation, la religion, les médias, les paires, nous- mêmes, etc. Nous créons tous une normalisation de conventions au quotidien et recevons de l’influence permanente des autres acteurs de la société au sujet de celles-ci. La prison sert à préparer l’expérience post-carcérale, elle est une transition, un épisode phare dans la vie des citoyens « déviants » pour les « remettre sur le droit chemin » (Joël, 2017). La culpabilité et le sentiment de rabaissement et de faute est nécessaire aux détenus afin de permettre leur transformation et une réflexion sur leurs crimes et leurs comportements – il faut intérioriser ce rabaissement. Ce rabaissement en question entraîne des changements psychologiques et mentaux chez les détenues qui doivent se voir comme des prisonniers afin de pouvoir changer. C’est cette transformation chez les détenus qui participera ou non à la réinsertion sociale de ces derniers. Laforest (1989) fait référence à un asile pour personnes à troubles mentaux qui « ne faisait pas que réprimer des comportements. Il transformait les gens, les remodelait » (p. 556).Cet asile est utilisé par l’auteur afin de comparer son système à celui du système carcéral moderne. Le patient comme la détenue doivent en permanence sentir leur punition et la portée de leurs crimes afin de pouvoir changer et comprendre ce qu’ils ont fait : une oppression morale et spatiale est combinée et requise afin de rappeler à ces individus l’étendue du pouvoir des institutions qui leur planent au-dessus et les dominent :

Pour être efficace, cette justice doit être redoutable dans son aspect; tout l'équipement imaginaire du juge et du bourreau doit être présent à l'esprit de l'alien, pour qu'il comprenne bien à quel univers du jugement il est maintenant livré. La mise en scène de la justice, dans tout ce qu'elle a de terrible et d'implacable, fera donc partie du traitement... Tout est organisé pour que le fou se reconnaisse dans ce monde du jugement qui l'enveloppe de toutes parts; il doit se savoir surveillé, jugé et condamné; de la faute à la punition, le lien doit être évident, comme une culpabilité reconnue par tous (de Marcel Gauchet et Gladys Swain) (Laforest, 1989, pp. 555-556).

De même, les structures et les politiques des prisons définissent les conditions de vie des prisonnières tels les programmes, visites, soins médicaux etc. et les conditionnent et façonnent dans leur statut de prisonnières (Reviere et Young, 2006). Cela signifie que la prison crée des prisonnières à travers ses éléments spatiaux et ses discours. Cette transformation au cœur de la prison entraîne alors une population identitaire criminelle régulière et façonnerait les détenues à se voir sous ce statut longtemps après la sortie de prison (si sortie il y a). L’inculpation de normes carcérales jouerait un rôle dans l’échec de réinsertion des ex-détenues qui ne se verraient pas autrement que dans cette catégorie et ne pourraient pas réintégrer le monde des « citoyens normaux ». Cette transformation et ce

stigma attribués de façon permanente aux prisonnières serait une façon de transmettre les normes modèles au reste de la société et de montrer l’exemple à ne pas suivre au reste des citoyens (Joël, 2017). On assiste donc à la nécessité d’une création d’une population criminelle et à son maintien pour mieux instaurer et appliquer les normes sociétales sur l’ensemble des citoyens.

Si le citoyen est censé avoir accepté une fois pour toutes les lois de la société, y compris celles- là mêmes qui risquent de le punir, le criminel ne peut plus apparaître que comme un individu juridiquement paradoxal qui, en rompant le pacte initial, incarne l’« ennemi de la société tout entière [Foucault, ibid., p. 107] (Bert, 2012, p. 170).

Un des moyens de création et maintenance d’une population criminelle serait d’attribuer des traits négatifs et redoutés au criminel dans le but d’instaurer une peur à son égard au sein du « monde libre ». Cette dangerosité envers la société au sens large et donc envers tous les citoyens explique une partie du stigma qui suit les prisonnières d’après les différents discours étatiques et médiatiques, prisonnières qui vont enfreindre les lois et faire du mal au reste du peuple, il faut donc les enfermer et tenter de les sauver. Que signifie ce concept de dangerosité employé par l’Etat dans le but d’enfermer et de surveiller d’autant plus ses citoyens ?

Cette notion de dangerosité alimente un vaste système : parler de dangerosité renforce le sentiment d’insécurité qui, à son tour, renforce l’idéologie sécuritaire qui, quant à elle, exacerbe la perception du danger. Derrière cet usage stratégique de la dangerosité et, finalement, la dramatisation excessive de la criminalité, Foucault voit se jouer une tout autre réalité politique : celle du passage d’une justice « fonctionnelle » à une justice de la sécurité ou de la protection (Bert, 2012, p. 171).

Ces arguments foucaldiens rapportés par Bert expriment la notion de danger de plus en plus présente dans les discours de la société qui entraîne alors des sentiments de peur et d’insécurité chez les citoyens, une demande et une impression de besoin des citoyens de contrôles sécuritaires renforcés qui permettent finalement à l’Etat de développer des techniques de surveillance plus étendues et plus globales sur tous les sujets: la surveillance est généralisée et la puissance de l’Etat se décuple. Cependant, pour assurer la réussite de cette dangerosité, il faut notamment aussi créer des figures criminelles construites afin que le public en ait peur et pour que les arrestations soient plus faciles et plus ciblées à l’égard de certains groupes comme par exemple les délinquants sexuels et les terroristes :

S’il existe un concept de dangerosité, il appartient à la catégorie des concepts insaisissables, mouvants, sans frontières (…) Il se construit depuis la nuit des temps sur la peur, les peurs et le mirage du risque zéro. Il est intéressant d’observer que les figures de la dangerosité sont elles-

mêmes mouvantes ; la figure du délinquant sexuel comme archétype de la dangerosité a précédé au début des années 2000 celle du terroriste (Lazerges, 2018, p. 23).

On peut donc voir que les stéréotypes à l’égard des criminelles ne sont pas figés, ils se déplacent, bougent, évoluent et fluctuent sans ordre naturel, ils répondent avant tout à des normes sociales et à des discours associés à des périodes et des contextes spécifiques. Cette théorie s’apparente à la théorie queer, théorie grandement influencée par Foucault et Butler51. La prison et l’incarcération échouent dans une perspective de réinsertion car elles

conduisent à un fort taux de récidivisme malgré tous ces contrôles et ces restrictions normatives imposés sur chaque citoyen (Taylor, 2009) : « In Discipline and Punish, Michel Foucault argues that imprisonment produces delinquency or inculcates criminal identities in prisoners » (p. 1). Taylor (2009) revendique des alternatives à la prison en raison du taux marquant de récidivisme52 chez l’ensemble des détenus :

Bureau of Justice Statistics studies have found high rates of recidivism among released prisoners. One study tracked 404,638 prisoners in 30 states after their release from prison in 2005.[1] The researchers found that:

Within three years of release, about two-thirds (67.8 percent) of released prisoners were rearrested.

Within five years of release, about three-quarters (76.6 percent) of released prisoners were rearrested.

Of those prisoners who were rearrested, more than half (56.7 percent) were arrested by the end of the first year (National Institute of Justice, consulté le 04/07/2018)

Women’s recidivism rates are similarly troubling to those of men. About one-quarter of women released from prison fail within 6 months (i.e., have an arrest for a new crime), onethird fail within a year, and 2/3 fail (68.1%) five years out from release (National Resource Center on

Justice Involved Women, National Resource Center on Justice Involved Women, 2016).

Les crimes ne quittent jamais vraiment leur identité à cause de puissants discours et rapports de force de l’Etat, des médias et d’autres institutions officielles du pays dont un des buts pourraient être de produire du récidivisme et ainsi du profit au gouvernement états-unien et aux entreprises privées carcérales en exploitant certains groupes pour en avantager d’autres :

At least 37 states have legalized the contracting of prison labor by private corporations that mount their operations inside state prisons. The list of such companies contains the cream of U.S. corporate society: IBM, Boeing, Motorola, Microsoft, AT&T, Wireless, Texas Instrument, Dell, Compaq, Honeywell, Hewlett-Packard, Nortel, Lucent Technologies, 3Com, Intel, Northern Telecom, TWA, Nordstrom’s, Revlon, Macy’s, Pierre Cardin, Target Stores, and many

51 Voir Chap 1.

52 Recidivism is one of the most fundamental concepts in criminal justice. It refers to a person's relapse into criminal behavior, often after the person receives sanctions or undergoes intervention for a previous crime. Recidivism is measured by criminal acts that resulted in rearrest, reconviction or return to prison with or without a new sentence during a three-year period following the prisoner's release (National Institute of Justice, consulté le 04/07/2018).

more. All of these businesses are excited about the economic boom generation by prison labor. Just between 1980 and 1994, profits went up from $392 million to $1.31 billion. Inmates in state penitentiaries generally receive the minimum wage for their work, but not all; in Colorado, they get about $2 per hour, well under the minimum (Peláez, 2018).

And in privately-run prisons, they receive as little as 17 cents per hour for a maximum of six hours a day, the equivalent of $20 per month. The highest-paying private prison is CCA in Tennessee, where prisoners receive 50 cents per hour for what they call “highly skilled positions.” Thanks to prison labor, the United States is once again an attractive location for investment in work that was designed for Third World labor markets. In Texas, a factory fired its 150 workers and contracted the services of prisoner-workers from the private Lockhart Texas prison, where circuit boards are assembled for companies like IBM and Compaq (Peláez, 2018).

The prison privatization boom began in the 1980s, under the governments of Ronald Reagan and Bush Sr., but reached its height in the 1990s under William Clinton, when Wall Street stocks were selling like hotcakes. Clinton’s program for cutting the federal workforce resulted in the Justice Departments contracting of private prison corporations for the incarceration of undocumented workers and high-security inmates. Private prisons are the biggest business in the prison industry complex. About 18 corporations guard 10,000 prisoners in 27 states. The two largest are Correctional Corporation of America (CCA) and Wackenhut, which together control 75%. Private prisons receive a guaranteed amount of money for each prisoner, independent of what it costs to maintain each one. According to Russell Boraas, a private prison administrator in Virginia, “the secret to low operating costs is having a minimal number of guards for the maximum number of prisoners” (Peláez, 2018).

Des stigmas profonds et puissants attendent les détenues à leur sortie telles des exclusions d’aides sociales et financières, de logement et d’emploi. La perte de droit de vote est aussi un indicateur de ce manque de considération de la population carcérale états- unienne et de la volonté de fragiliser les résistances politiques au système actuel (Alexander, 2016). De plus, on critique ces détenues et leurs crimes comme les femmes mères toxicomanes, pourtant, on ne prend pas en compte leur milieu social et leurs difficultés tels que la pauvreté, les abus sexuels/physiques, les troubles mentaux et le peu d’accès aux soins (Talvi, 2007, p. 156). On condamne des citoyens sans pour autant questionner et remettre en question la responsabilité et le rôle du gouvernement qui serait pourtant de protéger ses citoyens, mêmes les plus défavorisés et d’aspirer à une société en paix, respectueuse et débarrassée de discriminations et de tensions internes entre ces différents groupes. Il est important de rappeler que la diversité est au cœur de l’histoire des Etats-Unis et pourtant, elle semble participer autant sa force qu’à sa faiblesse.

b) Stabilisation et maintien d’identités criminelles

In fact, for Foucault, the purpose and function of the prison is not to rehabilitate offenders, despite our continual rhetoric to this effect, but to discipline offenders into delinquents, manageable objects of knowledge cut off from the rest of the population (Taylor, 2009, p. 7).

« La prison n’est pas fille des lois mais de la norme. Elle ne sert qu’à une chose, créer de la délinquance qui, en retour, permet un contrôle de plus en plus profond des populations » (Bert, 2012, p 161). Ainsi, Foucault croit que la prison n’a pas de but de réinsertion mais de transformation de ses habitants en criminels stables, il faut les maintenir dans ces catégories afin de pouvoir faire fonctionner et survivre le système carcéral états- unien contemporain. La création de catégories criminelles permet de prédire les crimes et de se baser sur des statistiques, des analyses et des études car on sait d’avance qui va commettre les crimes et lesquels (Taylor, 2009). Cela conduirait à un plus grand pouvoir de l’Etat qui enferme ainsi les gens non pas seulement dans les prisons, mais aussi dans des catégories figées. Selon des chercheurs, la prison ne conduit pas à la réinsertion mais cherche à enfermer et à garder les gens sans améliorer leurs conditions post-carcérales (Levi et Waldman, 2017, p. 54). D’après cette perspective, une population oppressée et défavorisée s’installerait alors peu à peu et entrerait dans le cercle des crimes et des prisons dû à des manques d’opportunités et des discriminations. Foucault fait allusion à ces processus d’identités créées et explique que par la force de leurs rapports et de leurs discours, cela mènerait à une chute de la réinsertion car les criminelles se considèrent comme telles à jamais et donc, agiront à jamais ainsi selon les normes qu’on leur attribue et qu’elles s’attribuent ensuite à elles-mêmes par la force du panopticon. Comme de plus en plus de personnes sont placées en prison, cette dernière permettrait alors de surveiller à travers des procédés politico-disciplinaires toujours plus de citoyens sous le processus du panoptique.

The irony for Foucault is that these disciplinary measures do not so much fashion the subject away from his crime as constitute him in terms of it, producing a subject bound to re-offend as an expression of his very being, thus leading directly to recidivism (…) in criminal activities of some sort, Foucault's study implies that prisoners will in fact be most likely to recidivate with respect to the same category of crime for which they were previously incarcerated, because this category of crime will have been forged an intrinsic to their identities (Taylor, 2009, p. 6)

Cette opération de création et de stabilisation d’identités criminelles conduit non seulement à la croyance de la société en ces criminelles rodant à l’extérieur et prêtes à commettre des crimes, mais aussi à la croyance des détenues elles-mêmes et d’une « institutionnalisation » de la prison, c’est-à-dire un sentiment « naturel » d’appartenance à ce milieu et donc, l’impossibilité de s’en défaire. Talvi (2007) rapporte le témoignage d’une jeune détenue qui vit ce sentiment d’institutionnalisation : elle est dépendante et est marquée par la vie et le système carcéral à cause de son passé, son accoutumance et le temps qu’elle a passé en prison (xiii-xiv). On peut comprendre que les populations pauvres et de couleur sont

victimisées par les institutions de pouvoir ainsi que par une majorité de discours sociétaux. La population criminelle serait alors créée sur des motifs raciaux, de classe et de sexe, et ces motifs et critères sont alors diffusés à l’ensemble de la population qui les internalise. Les normes agissent comme des agents répressifs et intrusifs qui transforment les identités des individus et permet à l’Etat de maintenir une population criminelle afin de mieux régner sur ses citoyens. Selon ces théories, le gouvernement requière des délinquants et pour cela des identités stéréotypées seraient conçues afin de maintenir l’ordre et le respect des lois et des normes chez le reste des citoyens qui craignent de franchir ses limites et de finir à leurs tours incarcérés :

Les délinquants, argumente Foucault, forment une frange d’individus indispensables qui jouent le rôle de contrepoids à la soumission du reste de la population. Pour une société donnée, il y a donc des avantages à fabriquer et à maintenir de la délinquance (Bert, 2012, p. 165).

Documents relatifs