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Résistances à l’intérieur des prisons à travers le genre et la sexualité Les prisons : des espaces colonisés par les

Chapitre 4. Colonisation d’espaces masculins et force féminine croissante

1. La colonisation des prisons par les femmes et la force sexuelle féminine

1.1 L’arrivée massive des femmes en prisons

Les femmes sont de plus en plus visibles dans l’espace public états-unien depuis les premiers mouvements féministes. Elles sont parvenues à accéder à de nouvelles opportunités professionnelles, sociales et politiques. Cependant, elles sont aussi entrées dans un nouveau domaine : le système pénitentiaire contemporain. Premièrement, nous souhaitons souligner l’importance de la figure de la criminalité féminine dans les valeurs féministes et de rébellion contre des normes genrées et sociétales. Nous affirmons que la femme prisonnière est une résistante par ses actes criminels : rébellion fait écho à la prisonnière. Ainsi, les prisons sont des espaces d’incarcération pour les criminelles, les rebelles, celles qui s’insurgent et qui enfreignent les lois. Ces personnes font alors face à des punitions, punitions renforcées pour les femmes agressives, rebelles, guerrières et criminelles car ces caractéristiques sont associées aux hommes traditionnellement. Dans la société américaine, les femmes doivent se soumettre, être douces et tendres, sages et dépendantes de la force des hommes. Ici pourtant, les femmes sont souvent condamnées pour comportements violents, anti-sociaux, meurtres, délits de drogue et elles n’affichent pas toujours une dépendance aux hommes car

elles doivent parfois survivre par elles-mêmes et saisir les opportunités qui se présentent à elles dans des contextes économiques sous-développés. Cette émancipation et cette force d’agir peuvent effrayer certains hommes, politiciens, citoyens et même des femmes car ces « hors-la-loi » ne correspondent pas aux stéréotypes genrés et sexués des femmes. L’hypothèse que ces femmes seraient punies pour s’être comportées comme des hommes se pose. Il est alors nécessaire de déconstruire le stigma des rôles de la femme dans la société américaine afin de mieux comprendre pourquoi certaines femmes sont punies pour certains comportements. Les femmes ont, depuis très longtemps, été vues comme des « transgresseuses » et pêcheresses, des personnes indignes de confiance comme d’après le mythe religieux chrétien d’Adam et Eve : Eve doit se soumettre à Dieu et à Adam. Elle doit souffrir de la patriarchie puisqu’elle a mangé le fruit interdit et a poussé Adam à faire de même : les femmes apparaissent dangereuses et manipulatrices avec des pouvoirs néfastes sur les hommes. Eve est à l’origine d’un changement d’ordre total dans la religion chrétienne : c’est une rebelle qui subit le châtiment de Dieu. Sa prison sera les hommes, Adam et la patriarchie. Selon Barker et Scheele (2016, p. 66) et la théorie foucaldienne, les criminelles sont en fait des rebelles de la société qui refusent d’internaliser certaines normes et qui dévient du panoptique. Les personnes qui dévient de ce système de surveillance seraient alors celles qui n’internalisent plus certaines conventions, qui refusent de se soumettre à l’autorité et qui agissent selon leurs propres désirs et non ceux imposés par la société (sexualité, drogues, travail illégal, refus de consommer et/ou de payer, etc.). L’autodiscipline générée par la présence du panoptique s’effacerait alors et ces citoyennes d’une société de surveillance pourraient s’émanciper du contrôle de l’Etat et de ses institutions. Etre en prison pour certaines femmes signifie être une rebelle – une délinquante publique. Etre prisonnière, c’est résister à l’ordre, aux pouvoirs établis et aux normes socio-politico-législatives. Etre prisonnière, c’est aussi s’indigner contre la condition de la femme préconstruite par la société américaine.

Deuxièmement, la résistance des femmes prisonnières se voit également à travers leur effectif en croissance accélérée dans des espaces sur-masculinisés et conçus pour les hommes. En effet, « since 1978, the population of women prisoners in the United States has increased by four hundred percent » (Tapia, 2008). Par ailleurs, la force de ces prisonnières se démarquent par leur diversité en âge, orientation sexuelle, leurs milieux sociaux, leurs origines, les crimes commis, leurs formations etc. (Joël, 2017, p. 14). Cette diversité permet de renforcer la résistance car toutes les femmes peuvent y participer et s’y sentir concernées.

Beaucoup de femmes aux expériences et au vécu variés sont impliquées dans cette oppression carcérale72 et peuvent s’engager à combattre ces répressions sociétales genrées par la force de l’unité et de leurs différences : les prisons permettent de réunir des individus de milieux différents et de détruire les tensions et les préjugés entre ces différentes communautés. La résistance des femmes crée une nouvelle force : celle qui vient à bout de divisions raciales, classistes et sexistes présentes dans la société états-unienne. Certaines théories pensent que ces divisions entre individus sont souvent construites et soutenues par le gouvernement dans le but d’éviter une rébellion générale citoyenne à son égard et d’une solidarité maximum entre ces individus. Ainsi, si chaque personne s’unissait, l’Etat se verrait reprocher de nombreux aspects de sa politique comme le système carcéral par exemple et les changements devraient avoir lieu rapidement à cause de la pression de l’ensemble des citoyens. En réunissant et en rapprochant ces femmes diverses dans les établissements pénitentiaires, l’Etat contribue à son propre affaiblissement et à la naissance de résistances multiples soutenues par des groupes. En plus d’augmenter de manière intense et de représenter peu à peu une part visible de l’ensemble des prisonniers états-uniens (7%), la population carcérale féminine augmente davantage que celle des hommes (Hoeflinger, 1999). D’après The Sentencing Project (2016) et leurs statistiques provenant du BOP, le nombre de prisonnières dans des prisons d’Etat et fédérales est passé de 13.206 en 1980 à 111.422 en 2016. En 26 ans, une augmentation de 98.216 prisonnières femmes a eu lieu.

At the heart of this prison boom are US women who have become the fastest growing segment of the prison population. Since 1980, the number of women entering US prisons has risen by almost 400 percent, roughly double the increase for males (Hoeflinger, pp. 254-255).

72 Conditions carcérales : abus, surveillance, perte d’individualité, rupture d’aides pendant et après la sortie, échec partiel de la réinsertion sociale, éloignement avec la famille, perte de droits parentaux, manque de représentation, manque de soins médicaux spécifiques aux femmes, etc.

Figure 24 : Comparaison de l’évolution de prisonniers hommes/femmes dans les prisons d’Etat entre 1978 et 201573

Cependant l’argument féministe de la résistance des femmes par leur « invasion » des prisons masculines a aussi ses limites et notamment l’idée que les femmes sont de plus en plus enfermées et plus soumises à l’autorité étatique patriarcale de manière directe et brutale par rapport à avant les années 80. Nous avons expliqué que les prisons sont faites pour et par des hommes, par conséquent, beaucoup de détenues sont placées en prisons initialement réservées aux hommes. Elles séjournent souvent dans des quartiers spécifiques, et ne peuvent pas aller de partout dans les établissements. Cela implique moins de services et d’offres de choix dans les prisons pour ces prisonnières à cause de la ségrégation genrée. Les femmes se retrouvent donc dans des espaces fréquemment inadaptés à leurs besoins. Ce manque d’intégration et d’acceptation peut conduire à des problèmes et des tensions parmi ces prisonnières. Néanmoins, au vu des abus entre l’administration pénitentiaire (hommes) et les prisonnières, l’idée de prisons ou alors d’espaces mixtes entre les prisonnières est à étudier avec attention. Peut-être que regrouper les hommes et les femmes serait un moyen pour combattre des clichés qu’ils ont au sujet des uns et des autres et permettrait une compréhension graduelle entre eux. En effet, confronter les différences, sous la supervision d’un nombre égal de surveillants hommes et femmes pourraient contribuer à la lutte contre les discriminations genrées et sexistes. L’idée d’espaces mixtes en prison paraît attrayante mais à appliquer avec précaution, sensibilisation, éducation et progression.

Ces prisons démontrent une ambivalence : la perte de l’identité féminine traditionnelle comme le maquillage, les talons et autres accessoires. Il s’agit souvent de milieux durs,

violents avec l’existence de gangs et de trafics et les femmes se voient obligées de s’endurcir mentalement et physiquement. Mais la création de prisons sexuellement séparées peut également contribuer au renforcement d’identités conventionnelles féminines en opérant des différences au niveau des services et des traitements prodigués. La prison féminine n’est-t- elle pas un lieu de rébellion permanente où les clichés et les rôles genrés de la femme sont en permanence détruits, « bafoués » et renégociés ? De plus, cet environnement hyper masculin tend à oppresser les détenues, leur féminité et à les dominer par l’incarcération. La résistance de ces femmes s’en trouve alors limitée et les prisons permettraient à certains individus masculins de réaffirmer des volontés sexistes inégalitaires. La hausse des femmes en prison est alors partagée entre ces discriminations et le manque de prise en charge, ainsi que le fait que les femmes « envahissent » ou « apparaissent » dans ces espaces de façon à coloniser la dominance masculine et à faire face aux hommes dans des univers « masculino- sexistes ». Les hommes en prison, comme les détenus, les surveillants ou bien les dirigeants n’ont pas d’autre choix que de faire face et de s’adapter à ce groupe féminin vu que la population des détenues est celle qui s’accroit le plus rapidement. Nous suggérons l’idée qu’en plus de résister au sein de modèles spatiaux masculins, incarcérer de plus en plus de femmes en prisons est une façon de davantage les contrôler. On assiste à la fois à une affirmation des détenues par leur présence féminine croissante et à l’enfermement massif de ces populations menant à une perte de liberté.

Troisièmement, cet accroissement de femmes en prisons états-uniennes se heurtent aux gardiens de prison qui sont la plupart du temps des hommes (ce qui va à l’encontre des recommandations de l’ONU). Plus de 50% des officiers de correction étaient des hommes dans les prisons de femmes en 1996 (HRW et al., 1996, p. 63) : « il faut dire que l’univers carcéral est essentiellement masculin, à la fois dans la proportion des détenus que parmi le personnel pénitentiaire – même s’il est mixte, y compris dans les prisons de femmes » (Deborde, 2017). Nous avons constaté que la présence de ces surveillants masculins en prisons ou en quartiers de femmes entraînerait davantage d’abus sexuels et de sexisme contribuant ainsi au mal-être de certaines détenues. Est-ce que le fait de rajouter toujours et encore plus de gardiens hommes serait-il un moyen de dominer cette population croissante de « dangereuses criminelles » ? Cette tactique pourrait témoigner de la volonté gouvernementale d’équilibrer les forces entre les détenues et les prisons « masculines ». Il est possible que le gouvernement américain ait conscience de la perte de pouvoir des prisons face à des criminelles en rébellion sociale, étatique et genrée. Rajouter des surveillants

masculins pourrait être une façon de se protéger d’un renversement de pouvoir. Des dynamiques de pouvoir sont à observer entre les gardiens et ces femmes et mettent en lumière le pouvoir de ces dernières et l’existence de résistances au sein des prisons de femmes. Ces femmes s’émancipent, apprennent à survivre en prison et ne se reposent pas sur l’aide des hommes pour améliorer leur situation au vu de la ségrégation genrée et des abus fréquents de certains gardiens sur elles. Elles mettent donc en place des stratégies de survie et de résistance dans des univers masculinisés et sexistes. Les prisonnières affirment leur pouvoir féminin sous le regard de surveillants et de dirigeants souvent masculins. Les expériences des femmes ne peuvent pas être généralisées au vu de la différence de toutes ces personnes et l’expérience carcérale ne se réduit pas à l’oppression, à la répression et à la destruction des individus: la résistance a lieu et se propage dans les prisons de femmes et contrecarre dans certains cas les plans de la patriarchie états-unienne (Joël, 2017) :

Les travaux présentant l’incarcération comme une expérience irrémédiablement destructrice et déshumanisante ne permettent pas de comprendre le rapport qu’entretiennent certaines femmes à leur détention, en ce qu’ils occultent d’emblée une part des expériences carcérales (…) Pour pouvoir comprendre comment les personnes vivent leur détention, il faut cesser de percevoir les contraintes institutionnelles comme surdéterminantes et donc « affirmer avec force que la conduite humaine ne saurait être assimilée en aucun cas au produit mécanique de l’obéissance ou de la pression des données structurelles » (Crozier, Friedberg, 1981, p. 45). Sans négliger le poids des contraintes, il importe de concevoir que les individus peuvent, en prison comme ailleurs, être capables de projets et de stratégies (pp. 42-43).

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