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Résistances à l’intérieur des prisons à travers le genre et la sexualité Les prisons : des espaces colonisés par les

Chapitre 4. Colonisation d’espaces masculins et force féminine croissante

1. La colonisation des prisons par les femmes et la force sexuelle féminine

1.2 Dynamismes de résistances et pouvoirs multiples

Résistance : s'opposer par la force à celui ou à ceux qui emploient des moyens violents ; s'opposer à quelqu'un, à sa volonté ; ne pas être atteint par les effets des actions auxquelles quelque chose est soumis (Larousse, consulté le 25/07/2018).

La résistance, c’est s’opposer, se dresser contre quelque chose, c’est aussi dire non à ce qu’on ne souhaite pas. Résister, c’est s’affirmer contre un discours et un pouvoir mis en place, c’est créer son propre pouvoir et sa propre voix. Chaque élément, chaque personne en est capable. La volonté de résister, la nécessité et le désir de le faire dépendent d’une multitude de facteurs intersectionnels interconnectés, de discours, de rapports de force et de contextes. Certaines prisonnières ont décidé de franchir le pas malgré des flux d’oppression et des dynamiques de surveillance carcérales intenses. Il existe des résistances en prison de femmes et des dynamismes de pouvoirs multiples entre les acteurs (hypothèse influencée par les travaux de Foucault). Les femmes ne sont donc pas des individus passifs : elles sont

toutes détentrices d’action et de puissance. Avant de faire un état des lieux précis et détaillé des différentes résistances en prison de femmes, voici une première approche théorique sur le thème des résistances chez les prisonnières. L’opposition n’est pas seulement un phénomène isolé et/ou temporaire mais elle est présente activement au sein de ces instituts en fluctuant parmi les différents individus dans les différents espaces et temporalités du système carcéral féminin. La théorie de Foucault affirme que les relations de pouvoir sont diverses et constamment fluides (Barker et Scheele, 2016, p. 72). Le théoricien montre que lorsqu’il y a une action, un nœud et/ou une institution de pouvoir, une force de résistance se démarque créant ainsi des discours opposés et du pouvoir à travers les diverses couches de la société. Cela revient à dire que le pouvoir n’est pas singulier, uniforme ni pyramidal : chaque individu peut en détenir et en créer à différents moments et dans différents lieux. Cependant, Foucault a essentiellement insisté sur la fluidité du pouvoir et son omniprésence dans la société mais n’a pas directement relevé le potentiel de puissance des résistances (Laforest 1989). Notre analyse, elle, utilise les réflexions de Foucault pour montrer la légitimité, la multiplicité et la force des résistances parmi les prisonnières états-uniennes. Ces femmes témoignent d’une volonté de liberté, de s’affranchir des normes de l’Etat, d’autonomie tout en ayant conscience de la force et de la puissance de l’Etat. Les criminelles pourraient donc être vues comme des « ennemies de l’Etat » car elles cherchent à se libérer de normes et à agir comme elles le désirent. Elles construiraient alors leurs propres sphères d’action et de choix au sein d’une société de surveillance et de contrôle. Elles détiennent la capacité de refus et d’agir comme lors de rapports sexuels entre détenues, les transgressions au genre/sexe de la femme, les groupes de soutien contre les conditions carcérales, les plaintes contre l’AP, etc. La force des femmes dans ces instituts, dans la société patriarcale et leur habilité d’agir et de négocier ce qu’elles souhaitent est visible (Davis et Dent, 2001). Même si l’institut de la prison met en place un pouvoir répressif étatique et des contraintes sur les détenues, les instances de résistance et de rébellion sont visibles dans les rapports de force, les discours et les espaces et les droits sont négociés et/ou revendiqués (Joël, 2017) : ces individus négocient les rapports de domination et de pouvoir avec les agents pénitentiaires notamment (pp. 23-24) ou bien des relations (non-hétéro) sexuelles cachées, la consommation de drogues et de médicaments prohibés, les résistances physiques face aux gardes dans les SHU ou dans les prisons comme l’August Rebellion (1974)74, les demandes

pour de meilleures conditions de vie, les combats abolitionnistes au sein et à l’extérieur des prisons, etc :

Spitting at guards is one of the most common ways in which the women seek revenge; known spitter have signs outside their cells and are made to wear “spit masks” to cover their nose and mouth every time they are allowed out of their cell (…) “Gassing” is the other way in which SHU inmates are known to try to retaliate for real or perceived wrongs at the hands of staff. The prisoner will wait until her food is opened and then thrown some kind of fluid – a drink or urine, usually – at the staff member on the other side. Other prisoners smear their cells and windows with their own feces to try to get attention or to try to keep officers away from them. Former VSPW SHU prisoner Christina Francis explained to me that she joined in many unit-wide protests (banging on doors, screaming, and throwing food trays through food slots are usually the extent of those strategies) to try to help the “5150s”, as the mentally ill are referred to in police code. These reasons for these protests included situations where women who had defecated all over their cells were being forcefully extracted from their cells (…) (I have also had the opportunity to view a few videotapes of cell extractions at other prisons, and their only variance is in the degree of brutality and/or the amount of warning time given to a prisoner before the doors are flung open and the person is tackled to the floor.) “They gear up in riot gear and get out the video camera,” Francis explained. “They shoot some type of smoke bomb that makes it almost impossible to breathe. They have a huge shield, batons, OC pepper spray, and other devices that are used to restrain [the woman], and one that is used to hog-tie” (Talvi, 2007, p. 129).

Des insubordinations ont lieu dans les SHU notamment et des protestations unissant ces détenues peuvent se dérouler pour dénoncer la violence des surveillants lors de diverses résistances. Des environnements non-harmonieux se développent en raison de tensions et de rapports de force opposés. La hiérarchie n’a pas de pouvoir stable en dépit de l’image que le complexe carcéral souhaite donner d’une structure forte, imprenable, et indémontable (Joël, 2017). L’individualité et la diversité des identités décuplent les rapports de force puissants de ces pouvoirs divers qui se forment entre les prisonnières : on s’unit pour des objectifs communs (meilleures conditions, plus de soins médicaux, l’arrêt des abus des surveillants, etc). C’est la force de la diversité des femmes qui renforce ces revendications et ces combats internes – on s’unit à travers la différence pour des objectifs communs qui conduisent à de multiples expériences et procédés de pouvoir, autonomie et tolérance selon les contextes :

L’AP, entité surplombante, désincarnée et omnisciente, exercerait donc sa volonté sur la population incarcérée par l’intermédiaire d’agents dévoués partageant inconditionnellement ses objectifs. Or, cette administration est composée d’une pluralité d’acteurs, eux-mêmes pris dans de multiples relations de pouvoir (…) En prison comme dans toute organisation, le pouvoir est une relation et non un attribut des acteurs ; aussi les relations de pouvoir ne sont jamais « le décalque pur et simple des rapports de force et des modes de domination inhérents à la structure sociale, aux rapports de production et à la division technique et sociale du travail qui en découle (ibid., p. 82). Les structures et les règles créent des zones d’incertitude, si minimes soient-elles, que les individus tentent de contrôler et autour desquelles s’organisent ces relations (pp. 30-32).

Enfin, une résistance forte dans ces espaces est la transformation de l’expérience carcérale négative à positive pour certaines prisonnières. Levi et Waldman (2017) pointent

le regard sur la force de ces femmes et leur optimisme malgré des conditions pré-pendant- post-carcérales. Elles peuvent rejoindre ou créer des groupes de soutien pour ex- prisonnières, sensibiliser le public aux thématiques de la prison, combattre les addictions, trouver un emploi stable, se réunir avec sa famille, intervenir en soutien dans les prisons, ne plus accepter de subir des violences physiques et/ou sexuelles de la part de proches, etc. Le pouvoir se déplace de façon libre et diffus et différents facteurs et groupes peuvent également résister à ces discours hégémoniques. Ces résistances bien qu’enfermées et punies, sont tolérées et requises par l’Etat qui aurait besoin de ces éléments perturbateurs et « déviants » pour davantage appliquer son contrôle et exposer à la population les dangers encourus si non-respect des normes :

Pour que la gouverne de la conduite réponde aux critères d'une relation de pouvoir, il faut qu'un tel exercice trouve en face de lui des sujets humains, individuels ou collectifs, qui soient libres, capables d'une pluralité de réponses: l'acceptation de la structuration de leur champ d'action par autrui, la résistance systématique, la provocation partielle (Laforest, 1989, p.557).

Les normes qui sont la répétition de mœurs et d’habitudes ancrées dans les discours sociétaux (trouver un travail, fonder une famille, acheter des propriétés, consommer et acheter des produits non-vitaux, avoir le dernier téléphone portable à la mode, les publicités, lire les grands médias, faire des études, ne pas consommer de substances illégales, un enfant doit avoir un père et une mère, croire en tel(s) dieu(x) et obéir à des principes présentés comme des vérités absolues, se marier, partir en vacances, obéir à son supérieur, ne pas commettre de crimes, etc.) comme des vérités absolues et naturelles sont alors renversées par les détenues par leurs actes jugés criminels et leurs résistances au sein des prisons face aux normes genrées, sexuées, sociétales et étatiques. Un des paradoxes qui se pose est que ces résistances, malgré leur puissance et leur présence continue dans les prisons, ont besoin de l’Etat et du système carcéral pour exister tout comme l’Etat a besoin de ces dernières pour assurer sa légitimité et son existence (restaurer l’ordre, protéger les citoyens des individus dangereux etc.) (Laforest, 1989). Les résistances sont donc à valoriser, reconnaître et mettre en lumière mais elles dépendent tout de même d’un cadre étatique répressif (p. 553) : un « affrontement permanent entre les relations de pouvoir et « l'insoumission de la liberté » » (p. 558). Le pouvoir et la force brillent dans chaque groupe sociétal : tout le pouvoir, la domination et la force de décision n’appartiennent pas à l’Etat. Même si ces femmes sont influencées par et soumises aux règles pénitentiaires, elles peuvent refuser ces schémas politico-genrées et rechercher la liberté à travers des insubordinations individuelles ou collectives.

Olivier (1998), met en valeur l’archéologie du pouvoir et sa visibilité dans différents espaces. Le pouvoir reste subjectif et sujet aux affrontements, aux discours et aux changements: il est alors parfaitement modifiable. Pour l’auteur, Foucault ne présente pas le pouvoir selon une théorie marxiste (théorie dans laquelle le pouvoir est seulement détenu par l’Etat et les classes bourgeoises et est exercé avec répression sur le reste de la population) mais comme une multiplicité de relations de pouvoir et de rapports de force à tous les niveaux et ce, dans chaque structure. L’espace, quel qu’il soit, est un lieu d’affrontement du pouvoir, de rapports de force ni linéaires ni basés sur une puissance pyramidale, les prisons de femmes affichent alors des négociations de pouvoir. De plus, les dominations ne sont jamais totales car la domination et la discrimination donnent lieu à des volontés de révolte et de liberté, c’est-à-dire à des résistances (Olivier, 1998). Le pouvoir produit d’autres formes de pouvoir alternatif et notamment les désobéissances de certaines détenues. Le pouvoir n’est jamais figé ni stable mais il fluctue entre les différentes instances de pouvoir, forces, groupes, institutions, discours et individus :

II faut abandonner l'idée d'un point central d'exercice du pouvoir (Etat) même s'il est susceptible de s'étendre et de se ramifier. II fait partie d'une constellation, d'un réseau de foyers de pouvoir toujours mouvant. Sa topologie est instable et essentiellement mouvante. Le pouvoir se déplace continuellement, il bouge toujours mais pas forcément selon des lignes continues (p. 88-89).

L’explication de superpuissances étatiques viendrait de l’assemblage conséquent de gros foyers de pouvoir comme le gouvernement, les normes et les médias mais tous ces foyers resteraient pourtant modifiables notamment par des insurrections et des oppositions à ces discours et pouvoirs officiels. Cette « constellation de foyers de pouvoir disséminés un peu partout dans la société » (Olivier, 1988, p. 89) est composée d’une multitude d’éléments et notamment des personnes en rébellion : le pouvoir est tout sauf fixe et définissable, il appartient à chacun. D’après Olivier, les résistances sont possibles et d’autant plus fortes en raison de cette instabilité permanente de pouvoirs étatiques et de rapports de domination, « ni foyer unique ni point central, le pouvoir se forme dans l'espace mouvant des rapports inégalitaires » (p. 89). En outre, la prison au lieu d’éliminer toute envie de soulèvement et d’oppositions aux normes sociétales, crée indirectement ou directement de la résistance. Tant que la domination n’aura pas arrêté, les résistances internes et externes au régime états-unien afficheront des logiques d’autorité et de révoltes instables : « Que des hommes dominent d'autres hommes, et c'est ainsi que nait la différenciation des valeurs ; que des classes dominent d'autres classes, et c'est ainsi que nait l'idée de liberté » (p. 98).

1.3 Zones d’échange, de négociation, d’oppression et de tolérance entre les

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