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US States By Population

Chapitre 3. Succès ou échec de l’objectif de réhabilitation ?

1. Un stigma passé/présent/futur menant à une transformation des identités

1.1 Les bannis de la société

Les prisonniers seraient fréquemment oubliés ou vus comme une autre population dû à cette distance spatiale et le silence fait sur les prisons en partie à cause de leur opacité efficace contre le « monde libre » (Talvi dans Smith, 2008) : « Incarcerated women are a

vastly misunderstood and “nearly invisible group that has been dehumanized, forgotten and locked away from the public eye” (p. 255) ». Les détenus sont éloignés du public et sont craints en partie à cause de ce manque de connaissance à leur sujet (Reviere et Young, 2006). Les stéréotypes fourmillent dans la société extérieure comme les insultes qu’on leur assigne : « monstres », dangereux criminels etc. qui traduisent un profond mépris sociétal (pp. 2-3) :

Today's American prison system is an institution that deploys a racial political economy of punishment that brands social agents with a scarlet letter that entrenches and exacerbates racial opprobrium and negative social capital (Mendieta, 2007, p. 293).

Selon cette théorie, la prison perpétue et crée à la fois ce stigma en excluant spatialement et temporellement ces détenues et en les punissant même après la prison : l’incarcération n’est que le début de la punition et l’élément déclencheur de ce rejet sociétal. Les personnes détenues connaissent une « mort civique » (Wacquant dans Mendieta, 2007, p. 294) : ils ne font plus intégralement partie de cette société de privilèges articulée sur des normes répressives invisibles. Certaines détenues condamnées à mort subissent un rejet total, telles des pestiférées et sont vues comme des personnes ne méritant ni compassion ni humanité car ce sont des « femmes dangereuses » à éviter et à fuir (Reviere et Young, 2006, p.142) : « Specifically, she notes the stigma applied to women who are charged with violent crimes and thus cast as “cold-blooded” “monsters” and “temptresses” » (Talvi dans Smith, 2008, p. 257). En les incarcérant, on cherche alors à les rabaisser et à les rendre impuissantes, autrement dit à annuler leur « pouvoir dangereux » qui vient perturber l’ordre sexué binaire. En commettant des crimes et/ou délits, elles transgressent alors des lois officieuses du statut de la femme aux Etats-Unis. Les prisonnières souffrent également d’un manque de compassion de la part du public car celui-ci pense parfois que les détenues l’ont mérité et qu’elles ont délibérément renoncé à leurs droits et à leur liberté en commettant des crimes, et ceci sans tenir compte de leur histoire personnelle et des facteurs intersectionnels : « Because prisoners are seen as having forfeited their rights, they are also seen as less deserving of compassion » ((Reviere et Young, 2006, p. 151). Au contraire, c’est peut-être ces facteurs comme le sexe féminin, les origines afro-américaines ainsi que les classes populaires qui amènent le public à penser que ces personnes ne méritent pas d’empathie en raison du stigma et des discriminations qui touchent ces communautés. Ces citoyens qui diffèrent des « gens normaux » dans l’imaginaire du public serviraient alors d’argument efficace pour les politiciens qui souhaitent se faire élire ou être soutenus dans des politiques répressives sécuritaires : les détenus seraient utilisés à des fins politiques et économiques en

plus de subir un stigma sociétal (discrimination et rejet). Ainsi, les détenus permettent grâce à leur nombre croissant, de convaincre les citoyens d’une dangerosité présente aux Etats- Unis à combattre :

In contemporary American society, we so often think of people in prison as entirely different from ourselves. When politicians want to gain easy points with voters, they get tough on crime, or on “criminals” (Levi et Waldman, 2017, p. 22).

Les détenus pourraient alors devenir un argument politique afin de favoriser l’élection de lois et de politiciens en symbolisant les peurs de la société des prisons et des criminels. L’incarcération est physique, mentale et corporelle : elle est présente dans plusieurs aspects et provoquent des dommages collatéraux puissants, pervers et insidieux (Reviere et Young, 2006, p. 191) notamment la croyance chez les détenues elles-mêmes qu’elles sont de véritables monstres qui méritent alors la prison. Cette incarcération est souvent vécue comme humiliante et dégradante pour les détenues à travers la multitude d’ordres au quotidien, la perte de liberté et d’indépendance et le traitement infantilisant auxquelles elles font face (Lévi et Waldman, 2007). Les femmes peuvent avoir l’impression que leur identité actuelle en est réduite à leurs offenses et à leur numéro de prison : elles perdent alors toute humanité et se voient comme des criminelles avant humaines.

As it now stands, most of these women rightly feel as though they are a nearly invisible group that has been dehumanized, forgotten, and locked away from the public eye, and whose identities have simply been reduced to the nature of their offenses and the prison numbers they have been assigned (Talvi, 2007, ix).

Les prisonnières subissent une aliénation extrême du reste du monde et à part la télévision et les visites, elles ne peuvent pas toujours se rendre compte des changements technologiques et sociétaux (Talvi, 2007). Une profonde déconnexion imprègne ces femmes et les déstabilise à leur sortie ; la préparation aux transformations sociétales n’existe pas ou peu et cette isolation semble faire partie du processus punitif : les détenues ne méritent pas d’avoir conscience de l’évolution du monde et d’en faire partie intégrante. A cause de leurs crimes et de leur transgression historique genrée (femmes criminelles au lieu de femmes douces et passives), ces prisons expriment une volonté de non-respect envers ces détenues et le stigma commence alors dès l’incarcération. Reviere et Young (2006, p. 117) soulignent à leur tour les effets destructeurs de ce stigma sur les prisonnières en montrant la déshumanisation de ces personnes et les possibles états dépressifs, de colère, de frustration, de manque, de troubles mentaux, d’instabilité et d’ennui ainsi que des douleurs physiques et

morales : la prison se définit comme un long processus négatif. A cause de ces stigmas et de la pluralité des comportements non respectueux à leur égard en prison, elles finissent par croire à ces connotations négatives et redoutent la vision de leurs proches sur elles : elles ont honte et peur de blesser et/ou de choquer. Les visites, malgré l’aspect essentiel et bénéfique qu’elles peuvent représenter, sont parfois rejetées par les mêmes détenues à cause de la peur et de ces sentiments de honte et culpabilité et de la conscience d’appartenir à une population « rejetée » par la société américaine. La prison est parfois vécue comme un échec (interviews sur détenues, Mumola, 2000, Hairston, 2002 dans Reviere et Young, 2006, pp. 123-124) ; un ressenti d’abandon et d’inutilité accompagne parfois les détenues qui ne peuvent pas sortir pour des événements familiaux comme des funérailles ou la naissances de proches par exemple (Aday, DeSpelder et Strickland dans Reviere et Young, 2006, p. 150). Ce manque de confiance en soi conduit à une incapacité de se battre et de se défendre contre de moins longues peines et/ou de meilleures conditions d’incarcération (p. 173). Selon les auteures, certaines en viennent à se rebeller contre cette marginalisation, cette humiliation et cette frustration en démontrant des comportements anti-sociétaux et/ou des crimes.

« Les bannies de la société » serait un concept favorisé par l’émergence des médias « capitalisto-sexistes » qui arborent et soutiennent des normes sexuées répressives. Ainsi, les stéréotypes des femmes criminelles sont renforcés et propagés par les médias à sensations où apparaissent les notions archaïques des femmes scandaleuses déchues qui ont transgressé leurs rôles assignés : les prisonnières sont présentées comme des humains abîmés, en souffrance, des mères qui ont abandonné leurs familles et leurs enfants comme dans les émissions télévisées de Snapped, Women Who Kill et “Ladies Who Serve Time” (Talvi, 2007, pp. 11-13). Pourtant, Talvi suggère que les femmes ne sont pas de plus en plus violentes et que les raisons de leurs crimes sont incomprises et mal jugées par les médias qui écrivent des articles et des documentaires sur cette hausse de prisonnières dans le but principal de vendre et de propager des idées gouvernementales. Ces médias participeraient à la perpétuation des clichés et feraient du tort à l’image et à l’humanité des prisonnières.

Girls and women are not growing more violent year by year, despite articles with sensational titles such as “No More Sugar and Spice,” a March 30, 2006, piece that appeared in The

Washington Times about a supposed explosion of violent girl gangs, or a CNN segment called

“Girls Gone Wild,” about an ostensible increase in fights between girls, which relied on cell phone – recorded footage of girls fighting each other. All of that may take for scintillating media fodder, but these “reports” do not reflect reality. With rare exceptions, criminologists agree that girls haven’t gotten more violent – in fact, evidence points to a decrease in teen violence – but that these perceptions are informed by reporting standards that “didn’t exist years ago, such as zero-tolerance policies in schools.” Fights between girls are these days are more likely to end in an arrest, a significant change from the days when adolescent behavior was dealt with in different

ways, outside of the criminal justice system. We also know that 91 percent of all convicted violent offenders are male, and that 93 percent of all people convicted of murder are male [Bureau of Justice Statistics, July 2006]. The proportion of women in prison for violent crimes has actually declined since 1979, when violent offenses accounted for nearly one-half of incarceration in state prisons, compared with one-third of the women’s prison population today. Violent crime should never be taken lightly, but it should be noted that the rate of murder and manslaughter among female offenders decreased by 12 percent from 1995 to 2004 (p.10).

La représentation de ces prisonnières est parfois grossie, faussée et vulgarisée car ces « crimes sensationnels » font la une dans un monde où « it is as though crime and punishment existed in a world in which gender equaled male » (c’est comme si le crime et le châtiment existaient dans un monde où le genre équivaut le masculin) (Chesney-Lind dans Talvi, 2007, p. 4). Selon cette perspective, il est plus étonnant de voir une femme violente, capable d’agresser selon les normes sexuées américaines: « their more sensational crimes certainly get a inordinate share of exposure » (leurs crimes plus sensationnels recoivent sans aucun doute une couverture médiatique excessive, p. 4). Les médias diffusent ces transgressions sexuées et genrées dans le but de les rendre profitables : ces résistances sont donc nécessaires pour l’économie de ces médias, les médias auraient donc tout à perdre dans le cas d’une baisse des prisonnières tout comme le « complexe industriel carcéral » (Davis, 2001). Certains documentaires et médias mettent en avant des femmes considérées aussi dangereuses que les hommes, comme Lockdown : Women Behind Bars, qui peuvent même représenter une plus grande menace que leurs congénères masculins. Malgré la présence d’arguments féministes dans ce cas-là, il y a aussi un renforcement des clichés sur les criminelles comme des personnes dangereuses « hors-normes » à craindre et qui prouvent que la prison est nécessaire afin de se protéger de cette population à risque : les médias agissent comme un outil de propagande étatique, capitaliste et pénal (Talvi, 20074, p. 143). Selon ces perspectives et ces auteurs, les médias pourraient être en partie achetés et contrôlés par des acteurs capitalistes du système carcéral dans le but d’effacer ainsi toutes possibilités d’alternatives à la prison aux yeux du public. Aussi, ces « volontés féministes » se voient annulées par certains programmes comme Women Who Kill sur la chaîne E ! qui tente d’expliquer pourquoi les femmes commettent des violences meurtrières comme si les femmes n’étaient pas censées être violentes et qu’il s’agissait d’un phénomène à expliquer contrairement aux hommes, où cette violence est fréquemment acceptée naturellement (Talvi, 2007, pp. 165-166). Pourtant, les femmes qui tuent des hommes en cas d’auto- défense sont plus représentatives de la réalité des prisons de femmes que les portraits diffusés par les médias qui sont de l’ordre des tueuses « sans pitié et assoiffées de sang » (p. 190).

On utilise alors ces médias à des fins d’incarcération en tentant de mettre en garde et d’avertir le citoyen lambda américain du danger que représentent ces femmes :

This type of repeated imagery has the potential to leave viewers scared, shocked, and in favor of retributive crime control policies (Cecil, 2015a). These messages are the fuel of penal populism, which has been argued to be at the root of modern imprisonment policies (Cecil, 2017).

On comprend alors en partie comment le public en vient à demander davantage de prisons et de sentences sévères : la prison apparait alors comme une panacée aux maux sociétaux et le public contribue à cette incarcération contemporaine de masse. De plus, les médias sont parfois utilisés à des fins racistes en diabolisant et en criminalisant certaines populations comme les afro-américaines notamment dans les années 70 avec la crise du crack50 : une hystérie notoire s’est déployée dans les médias avec les milliers d’histoires dramatiques au sujet des crack mummies (« les mamans crack ») et la peur du public quant aux enfants de ces mères enceintes dépendantes du crack même si la plupart de ces bébés sont nés sans complication (Talvi, 2007). On observe une efficacité des médias sur l’imaginaire pour distordre la réalité et condamner certaines minorités ethniques en les affligeant de stéréotypes et de stigmas :

In the 1980s, the hysteria moved on to the ultimately false expectation of thousands of “crack babies” born to black women. “The image of the poor inner-city African Americans whose mothering instincts had been destroyed by crack was highly publicized and widely accepted. Numerous media stories reported that the coming generation would compromise untold numbers of permanently impaired crack babies,” write Sheigla Murphy and Marsha Rosenbaum (…) But this medical crisis never happened to the extent that the public was warned it would. In fact, most of the children, despite being born with cocaine in their systems, were able (with proper parenting and attention to their needs) to catch up to their peers quickly in educational achievement and social skills (…) Since then, the past two decades have seen this phenomenon of government- and media-driven hysteria expanded to methamphetamine and polysubstance use (p. 155).

Talvi (2007) signale une autre injustice raciale médiatique qui vise à mettre en avant les histoires des détenues blanches et riches, souvent célèbres face à leurs homologues afro- américaines, qui pourtant, sont les plus représentées en prison. Les auteures expliquent que les détenues blanches font le plus souvent la une des journaux car il est jugé étrange et sensationnel que des crimes soient commis par ces individus. Les femmes célèbres ont droit au privilège de la compassion et de l’aide du public par le biais de pétitions pour les faire sortir de prison. Le langage utilisé dans les médias pour parler de ces deux groupes diffèrent

50 Crack cocaine: a potent form of cocaine that is obtained by treating the hydrochloride of cocaine with sodium bicarbonate to create small chips used illicitly for smoking (Merriam-Webster, consulté le 26/07/2018).

ostensiblement. Ainsi, les femmes de classes populaires et de couleur rencontrent souvent un vocabulaire vulgaire et inapproprié alors que les femmes blanches et célèbres se voient parfois appeler « les dames en prison » : le respect n’est pas le même suivant la classe et les origines (pp. 13-14) :

A woman who is hit with a lengthy prison sentence, for anything ranging from prostitution to possession of a few rocks of crack is still viewed with disdain and a lack of compassion, even by her own family or community. Of course, most of these arrests and sentences rarely make the news, especially when the perpetrators of these “crimes” are women of color and/or women from lower economic backgrounds. But when the likes of Martha Stewart, Paris Hilton, or Lil’Kim are sentenced to jail or prison, the media and public response is tremendous and always inspires a lively debate (…) But it’s fascinating to study how radically different the language used to describe celebrity women is from that used to discuss “ordinary” imprisoned women. Whereas noncelebrity women are depicted with terms like “crack ho” and “gold digger” on cable stations ranging from VH1 to BET – or as ruthless, heartless criminals on television shows like Snapped and Women Who Kill – the celebrity women are covered in special segments, including CNN’s “Ladies Who Serve Time” (p. 13).

Finalement, les femmes détenues sont souvent associées à des êtres sexuels qui sont actives et « déviantes » contrairement aux « nobles femmes du monde libre » et les reportages, séries et médias à leur égard sont souvent parsemés d’allusions et de scènes sexuelles ce qui revient à perpétuer la femme-objet. Ainsi, dans Snapped, une série sur les femmes criminelles où on enquête sur leurs crimes et où on étudie leur histoire, le langage et l’approche sont stéréotypés ; les commentaires sur l’apparence des femmes foisonnent. Des hypothèses rapides sur leur consommation de drogues, leur vie sexuelle et leurs activités sont émises (Talvi, 2007) :

Nearly every episode of this program is replete with stereotypes and initial comments about a women’s “beautiful” or “gorgeous” appearance, which quickly devolve into suppositions about her drug use, her enjoyment of material possessions, or her sexual adventures (…) In one segment of Snapped, Carolyn Warmus is introduced as a “young temptress” and with “blond hair, a voluptuous figure, and sassy personality [who] got what Carolyn wanted, including men”. As those “temptresses” are wont to do, Warmus began an affair with a married man, and then “the sexy nymphet … turned her charms on [a] private dick,” whom she ostensibly cajoled into providing her with a silencer-enabled gun (…) Warmus is described as arriving in the courtroom “dressed to kill… arriving every day in very short, very tight miniskirts and designer clothes.” With her mainstream “girl next door” looks and fair skin, she is described as the embodiment of a “femme fatale”, a “sexy, dangerous blond bombshell that seemed to step right out of the hard- boiled detective films and pulp novels of the ‘40s” (pp. 167-168).

Bien qu’il soit possible que cette personne ait eu une apparence jugée séduisante et attirante (ces critères restent subjectifs) ainsi que des liaisons extra maritales, cela ne devrait pas forcément interférer dans son jugement ni accaparer toute l’attention du reportage. Dans la lignée de Talvi, une personne devrait être libre de s’habiller à sa guise et de mettre en valeur son physique sans que cela lui soit reproché ou bien fait remarquer. Il est important de relever

une focalisation massive sur leur physique comme si les crimes étaient moins importants que leur beauté et que les femmes étaient de somptueuses « créatures » qui sèment le mal.

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