• Aucun résultat trouvé

Réappropriation d’arguments féministes vers une incarcération de femmes plus fréquente, plus dure et plus normalisée ?

US States By Population

2 Réappropriation d’arguments féministes vers une incarcération de femmes plus fréquente, plus dure et plus normalisée ?

Les mouvements féministes ont fait une forte apparition et des avancées conséquentes au cours du 20e siècle aux États-Unis notamment après la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) quand les femmes ont commencé à travailler dans les usines à la place des hommes partis au combat. Ces courants se sont affirmés dans les années 60 avec les mouvements pacifistes, pour les droits de la personne, pour les communautés LGBTQ+ et les femmes. Le féminisme (général) se bat pour les droits des femmes et leur place égale aux hommes dans toutes les couches de la société : « the theory of the political, economic, and social equality of the sexes; organized activity on behalf of women's rights and interests » (Merriam-Webster, consulté le 24/05/2018). Le féminisme est composé de divers mouvements avec de multiples idéologies et logiques. Il reste cependant majoritairement attaché à la défense et à la place importante des femmes dans les sociétés et se veut comme un élément positif dans la vie de ces dernières. Cependant, le féminisme comme tous mouvements, n’est pas épargné d’aspects plus ambigus et certains de ses arguments ont pu être repris, mal interprétés ou utilisés contre le gré des femmes, par des hommes comme par des femmes. De plus, le féminisme se doit de considérer la diversité des femmes et leurs envies dans le monde. Les généralités sur celles-ci devraient être évitées afin de dégager la richesse et la puissance des femmes. Nous allons étudier comment l’évolution des droits des femmes aux Etats-Unis et le féminisme ont en partie contribué à cette logique d’incarcération massive et comment les arguments féministes ont pu être réappropriés par des institutions sexistes étatiques afin de toujours plus augmenter la population féminine carcérale.

2.1. Les changements de rôles et de libertés des femmes

Au cours du 20e siècle et du 21e siècle, les femmes ont connu des changements importants aux États-Unis qui ont bouleversé une partie de leur mode de vie. Ainsi les années 60 ont apporté aux femmes plus de liberté sexuelle, de plus grandes opportunités professionnelles et d’éducation, des changements dans les tenues vestimentaires et de

profondes transformations sociales dans le comportement et les rôles genrés des femmes américaines. Le divorce s’est également développé grâce à l’évolution des mentalités (les années 60) et la loi passée par le gouverneur Reagan, the no-fault divorce bill (la loi de divorce sans égard à la faute) en 1969 :

In 1969, Governor Ronald Reagan of California (…) the nation's first no-fault divorce bill. The new law eliminated the need for couples to fabricate spousal wrongdoing in pursuit of a divorce (…) But no-fault divorce also gutted marriage of its legal power to bind husband and wife, allowing one spouse to dissolve a marriage for any reason — or for no reason at all (…) This legal transformation was only one of the more visible signs of the divorce revolution then sweeping the United States: From 1960 to 1980, the divorce rate more than doubled — from 9.2 divorces per 1,000 married women to 22.6 divorces per 1,000 married women. This meant that while less than 20% of couples who married in 1950 ended up divorced, about 50% of couples who married in 1970 did (Wilcox, 2009).

Cela a permis à des femmes (et des hommes) de se détacher de mariage non-heureux et a aussi conduit les femmes à davantage travailler afin de s’assumer financièrement et pour ne plus dépendre de leur (ex-)conjoint. Les femmes se sont peu à peu retrouvées sur le marché du travail et ont aussi parfois été responsables de familles monoparentales après le départ ou la séparation d’avec un conjoint ou bien à cause des politiques de la « guerre aux drogues ». Certaines femmes à cause de ces responsabilités financières à gérer par elles-mêmes se sont alors retrouvées seules et appauvries face à une société toujours plus capitaliste. Reviere et Young (2006) évoquent le développement depuis la deuxième moitié du 20e siècle des divorces, des naissances hors mariage et de la baisse d’adoption des enfants d’aventures extra-conjugales.

The majority of America’s 73.7 million children under age 18 live in families with two parents (69 percent), according to new statistics released today from the U.S. Census Bureau (…) The second most common family arrangement is children living with a single mother, at 23 percent. These statistics come from the Census Bureau’s annual America’s Families and Living Arrangements table package. Between 1960 and 2016, the percentage of children living in families with two parents decreased from 88 to 69 (…) During the 1960-2016 period, the percentage of children living with only their mother nearly tripled from 8 to 23 percent and the percentage of children living with only their father increased from 1 to 4 percent (United States

Figure 12 : Nombre d’enfants états-uniens vivant dans une famille monoparentale de 1970 à 201734

La montée des droits pour les femmes semble avoir conduit à leur partielle libération pour certaines à travers l’acquisition de plus d’autonomie et de travail, cependant elle a aussi crée de nombreuses familles monoparentales et de nouvelles responsabilités pour les femmes qui ont dû s’y préparer et travailler souvent de manière légale, parfois de manière illégale afin de survivre dans un monde de plus en plus monétaire.

2.2 Les campagnes féministes et l’incarcération des femmes

The development of putatively "feminist" campaigns by prison administrators has had deleterious consequences for women in prison (Davis et Shaylor, 2001, p. 14).

Les campagnes feministes se sont développées à travers le 20e siècle pour le droit des femmes et l’égalité hommes-femmes. Cependant, ces campagnes ont évolué en même temps que l’incarcération de masse de ces femmes et il s’agit de comprendre si ces luttes politiques ont joué un rôle dans l’arrivée massive des femmes en prison. Le nombre de femmes incarcérées a augmenté de 757% depuis 1977, deux fois plus que l’augmentation

34 Statista, 2018, https://www.statista.com/statistics/252847/number-of-children-living-with-a-single-mother- or-single-father/

des hommes prisonniers (Talvi, 2007). La guerre aux drogues a eu un impact sur l’augmentation des prisonnières femmes, quand on sait que les délits et/ou crimes liés aux drogues chez les femmes ont augmentée de 888% entre 1986 et 1996 alors que pour les hommes, la hausse est de 129% durant la même période. Reviere et Young (2006) expliquent que le mouvement des femmes aux États-Unis a contribué à cette incarcération de masse soutenue par la « guerre aux drogues » notamment en demandant à être les égales des hommes et à être traitées de la même manière.

Ces dernières années cependant, l'on constate que les condamnations des hommes et des femmes ont tendance à se rapprocher dans certains États, entraînant ainsi une augmentation des taux d'incarcération et de détention des femmes depuis les années 1980. Cela ne signifie toutefois pas pour autant qu'une nouvelle espèce de délinquantes a fait son apparition ni que les délinquantes sont plus dangereuses, mais plutôt que les femmes sont désormais sujettes à un traitement moins indulgent en raison d'un système de justice criminelle plus équitable. Ce phénomène est appelé «gender parity» (Champion dans Lévy, 2000,p. 70).

L’une des autres raisons pour l’augmentation de l’incarcération féminine viendrait donc de

la réappropriation d’acteurs étatiques qui auraient appliqué la parité et l’égalité entre hommes et femmes à des fins punitives et oppressives. Les femmes sont jugées à présent comme les hommes selon certains auteurs et même si cela pourrait sembler progressiste et équitable pour les deux sexes, c’est aussi refuser de reconnaître leurs différences et les besoins de chacun ainsi que le facteur intersectionnel qui est primordial dans l’arrestation et les crimes des femmes (race, âge, sexe, classe etc.). Davis et Dent (2001) mettent aussi en relief ce changement dans la perspective de la criminalité féminine en voyant le passage des réformatoires avec pour but de reconditionner ces femmes en « femmes du monde » à des prisons ou des concrete fortresses (forteresses en béton) (Davis et Dent, 2001, p. 1239) afin de sécuriser les citoyens de ces personnes dangereuses. A cause de cette volonté d’être vues comme des femmes fortes et non pas comme des personnes fragiles, certaines femmes se seraient associées au domaine de la dangerosité et de l’incontrôlable et en raison de cela, la sévérité et la répression sont venues résoudre le problème de ces individus « nocifs » à la société américaine (Davis et Dent, 2001) :

Tekla Miller, the former warden at Huron Valley Women's Prison in Michigan, complained that the arsenal at the women's prison was inferior to those at men's institutions. She also successfully lobbied for the right to shoot at women escapees. (p. 1239).

On observe ici que cette ancienne directrice de prison a convaincu de la possible dangerosité de ses prisonnières et donc du besoin de sécurité renforcée et égale à celui des prisonniers hommes. La distinction hommes/femmes dans ce cas-là est effacée et peut être envisagée à

double tranchant. D’une part, ces prisonnières ne sont plus vues comme de simples victimes inoffensives mais comme des personnes fortes et possiblement agressives envers les autres. La femme est alors dissociée de « l’ange de la maison » mais elle doit faire face à plus de répression physique et de violence de la part de cette administration pénitentiaire par exemple. Une évolution de l’idée de l’égalité entre les sexes a conduit à plus de violence dans les prisons de femmes. Aussi, même si ces campagnes réappropriées par la justice et le système carcéral ont conduit à certains changements comme l’arrivée de surveillantes en prison et à plus de surveillance dans des prisons maintenant peuplées de femmes « dangereuses », il n’y a pas eu de réformation radicale au cœur des prisons de femmes pour le bien-être des détenues. Nous vérifierons l’hypothèse que les surveillantes ne sont souvent pas en nombre égal des surveillants35 et que les prisons, construites au départ pour et par des

femmes, n’ont pas été profondément remodelées ni construites pour des femmes :

The assumption that formal gender equality inevitably leads to better conditions for women is contradicted by the recent pattern of modeling the architecture, regimes and staff of women's prisons after the men's counterpart (Davis et Shaylor, 2001, p. 14).

Selon certains écrits (Davis et Shaylor, Davis et Dent, Champion, Lévy, Talvi, Reviere et Young) la volonté féministe des instituts carcéraux s’affiche comme un désir d’emprisonner davantage de femmes et cette fois, de les traiter comme des criminelles pareillement à leurs homologues masculins en les incarcérant de manière plus fréquente, plus sévère et plus normalisée à travers des rapports de force sexistes et racistes.

3 Le large éventail des problèmes spécifiques dans les prisons de femmes aux

Documents relatifs