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Chapitre 2. Problèmes relatifs aux prisons de femmes aux Etats Unis : les raisons des résistances

1. Approche historique des prisons de femmes US

Les prisons n’étaient pas destinées à recevoir des populations femmes lors de leur développement au cours du 18e siècle. Les femmes se devaient de rester à la maison et de prendre soin de leur progéniture sans goûter aux « tentations » du « monde extérieur » (l’alcool, les fêtes, le sexe non reproductif, le tabac, etc.). Les femmes, ne pouvant pas travailler pour la plupart, étaient alors dépendantes des hommes pour leur survie économique et sociétale. Elles étaient pourtant comme les hommes, soumises à des châtiments si un crime et/ou un délit était commis comme l’adultère, le vol, les commérages etc. Cependant, comme pour les hommes, les punitions sont restées des corrections corporelles et/ou d’humiliation jusqu’à la fin du 18e siècle. Les travaux forcés, le bannissement, la torture, la potence, le

lynchage, le bâillonnement, la sellette à plongeon et le pilori (mettre sa tête et ses mains dans les trous d’une planche de bois) n’étaient pas étrangers aux femmes. Pour les infidèles, elles pouvaient se voir obliger de porter une lettre « A » à la vue de tous, « A » qui signifiait « adultère » (Reviere et Young, 2006, pp. 16-25). Puis, le passage des corrections corporelles

visibles à des punitions non corporelles invisibles, la libéralisation de la femme, les droits d’égalité et les discours féministes ont transformé les perspectives sur celles-ci et les prisons ont peu à peu ouvert leurs portes aux femmes dans une nouvelle logique néo-libérale égalitaire et globalisée. A présent que nous avons analysé le fonctionnement socio-politique des prisons états-uniennes et le rôle primordial de l’intersectionnalité dans l’incarcération des femmes, nous allons examiner l’évolution de la prison pour femmes aux États-Unis, les origines et les raisons de l’incarcération féminine, si raisons spécifiquement genrées il y a, ainsi que les chiffres actuels des femmes en prison dans ce pays afin de se rendre compte de l’impact sur la société américaine et sur ces femmes. Nous étudierons également les raisons des incarcérations au début du système carcéral états-unien et leur perpétuation ou non de nos jours. La recherche se demandera si les principes et les règlements appliqués dans les premières prisons de femmes ont survécu jusqu’à aujourd’hui.

1.1. Les origines et les raisons de l’incarcération féminine états-unienne

Les prisons pour femmes sont un concept moderne car les femmes étaient moins incarcérées que les hommes, et les femmes criminelles étaient souvent logées dans des quartiers séparés de ceux des hommes : les femmes n’avaient pas leurs propres prisons. Le premier établissement pour femmes a ouvert en 1869, sous le nom d’Indiana’s Women’s

Prison (Devlin, 2014). Les premières prisonnières sont pourtant arrivées seulement quatre

ans après sa construction, fait qui laisse penser que les femmes détenues n’étaient ni assez importantes en nombre ni la priorité première dans une société androcentrique pour disposer de leur propre espace. Par conséquent, ce « creux temporel » de femmes en prisons pourrait témoigner d’une difficulté de transition du crime masculin au crime féminin. Ainsi, la société américaine du 19e siècle n’était pas habituée à l’idée de la femme criminelle dans des contextes patriarcaux capitalistes. L’arrivée des femmes en prisons états-uniennes a bouleversé l’ordre genré traditionnel et la prison aurait été le moyen pour tenter de rétablir cet ordre conservateur. Devlin souligne l’orientation de ces prisons, d’ailleurs considérées comme des réformatoires, pour « remettre ces femmes sur le droit chemin », femmes ayant dépassé les limites autorisées par leur condition féminine. Le but de la prison n’était pas

centré sur la punition mais bien sur la réformation24, fait qui semble s’être inversé dans la société américaine actuelle. Divers ateliers et cours étaient alors mis en place afin de guider ces femmes « perdues » ou « désorientées » vers la voie de la fémininité « absolue » et « légitime » :

It was a far cry from the hardscrabble penitentiaries of modern times, with practically nonexistent security and inmates put to work with clerical, cooking, and farming duties instead of being locked in cells 23 hours a day. The facility’s stated goal was not to punish the inmates for the misdeeds but to reform them so they could become upstanding members of society. After all, most of these women were not black widow murderesses but girls who had fallen under the sway of drugs and alcohol during the Prohibition era (Devlin, 2014).

Le rôle des détenues était donc de suivre un apprentissage genré, accepté et promu par l’Etat. La normalisation et l’intériorisation de normes genrées jugées « convenables » dans ces prisons de femmes sont aussi identifiées par Morash et Rucker (1994) qui affirment que ces prisons sont des outils pour l’inculcation de valeurs domestiques, la primauté de la vie de famille et des enfants et les tâches au foyer comme la cuisine et le ménage : une politique donc sexiste et patriarcale soutenant la domination de l’homme sur la femme. Pour les deux auteurs, ces prisons fonctionnaient comme des moyens de conditionnement à la soumission de la femme dans le but de la rendre passive et inoffensive. Une remarque est à faire concernant l’évolution des principes structurant la prison pour femmes. Tout d’abord, il est vrai que de nombreux principes genrés ont persisté jusqu’à l’heure actuelle et de nombreuses similarités se dénotent. Cependant, les premières prisons semblaient réellement soutenir la réformation de ces femmes et leur réinsertion dans une « société patriarco-capitaliste », société qui demandait l’obéissance à l’homme (le père et/ou le mari par exemple) ainsi que la prise en charge des enfants et de la maison afin de soulager l’homme, travailleur principal du foyer. Dans la majorité des cas, le but des prisons n’était pas d’exclure totalement ces femmes mais au contraire de les « remettre sur le droit chemin » afin de faire de cette nouvelle société une réussite. En revanche, comme nous l’avons compris par le biais des réflexions de Foucault et l’échec de la réhabilitation25, aujourd’hui la prison américaine tend

à créer et à maintenir des identités criminelles sur les prisonnières. Il est aussi nécessaire de préciser que les femmes blanches avaient le plus souvent accès aux réformatoires alors que les femmes noires étaient souvent placées dans des quartiers de prisons pour hommes car jugées comme non « réhabilitables » et non associées à la féminité traditionnelle. Aussi, au

24 Voir Chap 3. 25 Voir Chap 3.

19e siècle la ségrégation entre noirs et blancs avait déjà commencé après la fin de la guerre de Sécession, ce qui explique pourquoi les prisonnières étaient séparées par des indicateurs de couleur de peau. On découvre alors ici la permanence de certains groupes dans le statut de criminel à cause de facteurs racistes et les privilèges accordés par la suprématie blanche. Les transgressions genrées étaient donc, et semblent toujours être, une responsabilité majeure dans l’histoire de l’incarcération des femmes aux Etats-Unis. Reviere et Young (2006) mettent en lumière les crimes anciens spécifiques des femmes les conduisant à la prison ou à la condamnation notamment la sorcellerie, l’adultère et les rumeurs (commérages). Elles établissent une évolution de ces crimes majeurs pour les femmes aux crimes les plus fréquents actuels tels les délits/crimes liés aux affaires de drogues, les mauvais traitements envers les enfants et le meurtre d’un compagnon (souvent violent). Ces femmes ont pour point commun une double condamnation : pénale et sociétale. Franchir la nature traditionnelle féminine n’est pas tolérée dans une certaine mesure et ce depuis plusieurs siècles, la seule évolution notoire est le changement dans les crimes les plus fréquents mais qui ne remettent pas en cause ces injustices et stéréotypes genrés. On peut alors parler de crimes genrés, crimes qui semblent réservés aux femmes, tendance au 19e siècle comme de nos jours. Nous pouvons alors remarquer un système carcéral et criminel organisé par le genre où chacun semble prisonnier des conditions de son genre avant de l’être derrière les barreaux de la prison. Talvi (2007) insiste également sur ces « affronts » contre le système du genre en exposant les arrestations, les idées préconçues sur les prisonnières et les criminelles qui remontent à la fin du 18e siècle aux États-Unis : à cette époque, les femmes criminelles étaient celles qui bafouaient leur rôle genré par des actes de prostitution, d’ivresse sur la voie publique, de vagabondage et d’infidélité par exemple. Ces femmes étaient vues comme honteuses et scandaleuses, plus que les hommes même si parfois les crimes étaient similaires car une femme transgressive et criminelle était quelque chose de plus choquant qu’un homme en raison de normes conventionnelles du genre.

1.2. L’arrivée du capitalisme, profil de la délinquante type et chiffres actuels

La division genrée des femmes et des hommes dans une société patriarcale était forte aux Etats-Unis jusqu’à la moitié du 20e siècle (années 60). La femme se devait de rester à la

maison et de s’occuper de la maison, tout cela dans une sphère privée et fermée (The Angel

in the House) alors que l’homme travaillait à l’extérieur dans le domaine public. Ce concept

Coventry Patmore (1854). Ce poème, rédigé durant l’époque victorienne britannique (1837- 1901) inspira les normes de conduite de la femme, normes soutenues et adoptées par la reine de l’époque, la reine Victoria.

The popular Victorian image of the ideal wife/woman came to be "the Angel in the House"; she was expected to be devoted and submissive to her husband. The Angel was passive and powerless, meek, charming, graceful, sympathetic, self-sacrificing, pious, and above all—pure (William Makepeace Trackery, 2011).

Voici un extrait du poème de Patmore qui démontre les traits féminins requis et attendus de la femme traditionnelle de l’époque où l’on observe le champ lexical du sacrifice, de la soumission et de la souffrance face à un homme fort et dominant :

Man must be pleased; but him to please Is woman's pleasure; down the gulf Of his condoled necessities

She casts her best, she flings herself. How often flings for nought, and yokes Her heart to an icicle or whim (…)

While she, too gentle even to force His penitence by kind replies, Waits by, expecting his remorse, With pardon in her pitying eyes; And if he once, by shame oppress'd, A comfortable word confers,

She leans and weeps against his breast,

And seems to think the sin was hers; (William Makepeace Trackery, 2011).

Au vu de l’influence britannique sur les Etats-Unis par la colonisation, il est très probable que des échanges et des discours culturels et socio-politiques eurent lieu entre l’empire britannique et les États-Unis. Le rôle de « l’ange de la maison » a pu traverser des frontières et se généraliser dans un contexte mondiale occidentale progressivement capitaliste et connecté. Les femmes conditionnées par ces rôles « enfermateurs », avaient alors moins d’opportunités de s’exposer aux « dangers » du monde extérieur et de commettre des crimes comme le vol, le meurtre et la prostitution. Une fois le système capitaliste bien implanté et l’apparition des mouvements féministes (années 60-70) soutenant l’égalité entre hommes et femmes dans toutes les sphères, notamment dans celles du travail et de la liberté sexuelle, les femmes étaient alors plus libres et aptes d’accéder au monde extérieur et donc de commettre des crimes au lieu de passer tout leur temps dans leur « prison », symbolisée par certains auteurs et auteures, par la vie au foyer. Ce semblant de libertés supplémentaires chez les femmes a donc contribué en partie à l’augmentation des crimes féminins et à leur incarcération calquée sur celle de leurs homologues masculins: « Women's imprisonment in

the United States has increased by over 757% since 1977 » (Frost, Greene, and Pranis) (Tapia, 2008, p. 685).

Ainsi en 2002, 96.099 femmes étaient dans les prisons fédérales et d’Etat et 69.000 dans les prisons locales (Reviere et Young, 2006). Les femmes représentent actuellement 7% de l’ensemble des prisonniers d’Etat et fédéraux et 13% des prisonniers des jails (des prisons pour les crimes les moins graves et les personnes en attente de jugement) (Talvi, 2007). La population carcérale féminine en France est de moins de 4% et celles des Etats- Unis est de plus de 7%, cela représente le double par rapport à l’Etat français et démontre une incarcération plus présente aux États-Unis. Alors qu’en 1977 la population féminine états-unienne était de 11.212 femmes, elle est passé à 107.000 en 2007 ce qui témoigne d’une augmentation brusque et d’un profond changement sociétal (Levi et Waldan, 2017, p. 18). En 2003 il y avait 108 aménagements pénitentiaires pour les femmes dans le pays (Reviere et Young, 2006, p. 47) et un quart des prisonnières sont enfermées dans deux établissements pénitentiaires du Texas et de la Californie ce qui semble conséquent cependant il s’agit des deux États les plus peuplés des États-Unis26. Ceci pourrait donc expliquer les prisons de femmes de taille gigantesque dans ces lieux par rapport au reste du pays. Voici le classement des États les plus peuplés du pays réalisé en 2015 par Worldatlas où l’on retrouve en tête du classement la Californie puis le Texas qui rassemblaient à eux deux 20.73% de la population états-unienne en 2015 :

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