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3. Guerre contre les drogues ou guerre contre les femmes afro-américaines ?

3.1. Approche historique et analytique de la War on Drugs

a) Rappel historique de la War on Drugs

Tout d’abord, quand et qui a commencé « la guerre contre les drogues » ? Reviere et Young (2006) dressent une approche historique de cette période. Initialement, le Président américain Nixon7 décide de faire des drogues l’ennemi public numéro 1 dès 1972 en établissant une catégorie des drogues plus dangereuses (parmi elles, la marijuana classée parmi les plus fortes aux côtés de l’opium et de la cocaïne). Une agence spéciale dans la lutte des drogues est créée : la DEA (Drug Enforcement Administration) qui intervient aux États- Unis comme à l’étranger (en Colombie par exemple avec les cartels de trafics de cocaïne comme celui du célèbre narcotrafiquant Pablo Escobar8). Ensuite, Reagan, Président américain républicain de 1981 à 1989 renforce cette lutte idéologique grâce à l’aide des médias et de sa femme Nancy Reagan : « Dîtes non à la drogue9 ». Ces interventions médiatiques du gouvernement à l’intention directe des citoyens états-uniens s’apparentent selon certains à une véritable propagande politico-médiatique qui s’opère afin de justifier et d’autoriser cette guerre interne et externe. Sur la figure 1, on peut voir la Première Dame, Nancy Reagan en train de promouvoir la campagne anti-drogue lors d’un match de football américain. Elle est en compagnie d’un joueur noir. Ceci pourrait symboliser l’aide et le soutien du gouvernement apportés aux communautés afro-américaines particulièrement touchées par le crack. Cependant, au vu du nombre de personnes afro-américaines emprisonnées à cause de la « guerre aux drogues », de la sévérité des sanctions et du manque de traitement pour les individus toxicomanes incarcérés, cette promotion médiatique pourrait

7 Président républicain états-unien de 1969 à 1974. 8 Narcotrafiquant colombien (1949-1993).

9Just Say No est une campagne publicitaire dans les années 80 et 90 pour décourager les jeunes états-uniens de consommer toutes sortes de drogues.

sembler fausse et révéler une manipulation gouvernementale du public par les médias et un des sports favoris des États-Unis.

Figure 2: Nancy Reagan en train de promouvoir la campagne anti-drogue au cours d'un match de football américain10

A travers cette guerre, le gouvernement de Reagan a vu doublé les crimes liés aux drogues passant de 581.000 en 1980 à 1.090.000 en 1990 en seulement dix ans (Talvi, 2007). George H. W. Bush11 décide à son tour de promouvoir et de défendre cette cause anti-drogue et se

voit même surnommé « le tsar de la drogue » (Reviere et Young, 2006). Ce dernier met en place en 1989 la National Drug Control Policy pour rendre les drogues socialement inacceptables et aurait ainsi manipulé l’opinion public pour justifier les fonds financiers requis par cette guerre (Talvi, 2007). Ces lois s’inscrivent dans une lutte anti-drogue et anti- narcotique états-unienne. D’après Alexander (2016), ces incarcérations n’expriment pourtant pas une volonté de trouver les barons de la drogue (même si mentionné comme raison phare par le gouvernement américain) mais une envie de surveiller et de favoriser l’immersion du gouvernement auprès des personnes suspectées et notamment dans les quartiers populaires des personnes afro-américaines à travers une volonté politique jugée répressive, massive et oppressive. Les personnes afro-américaines sont une population touchée par un ensemble de politiques et de normes discriminatoires en raison du post-

10 Quenqua, 2016, https://www.campaignlive.com/article/nancy-reagans-memorable-just-say-no- moments/1386274

esclavagisme et du post-ségrégationnisme12. Certains chercheurs voient donc la proportion des personnes afro-américaines en établissements pénitentiaires comme une suite logique du racisme contre les noirs aux États-Unis et un moyen de les contrôler dans l’époque contemporaine.

Contrairement aux idées communes, l’objectif de cette guerre n’était pas de neutraliser les délinquants les plus violents ou les barons de la drogue. En 2005, quatre sur cinq des interpellations pour des affaires de drogue concernaient une simple possession, alors qu’une sur cinq impliquaient de la vente (…) la « guerre aux drogues » est la principale responsable de l’incarcération de masse aux États-Unis. Les condamnations liées aux drogues comptent pour environ les deux tiers de l’augmentation observée dans le système pénal fédéral (…) La guerre à la drogue a néanmoins été menée presque exclusivement dans les communautés pauvres de couleur (…) En 2000, les Afro-Américains représentaient de 80 % à 90 % des personnes incarcérées pour des affaires de drogue dans certains états. (p.62).

Cette guerre aurait alors permis le début de l’incarcération de masse aux États-Unis des personnes afro-américaines et des femmes noires (Davis et Shaylor, 2001) : « The vast increase in the numbers of women of color in U.S. prisons has everything to do with the "war on drugs" » (p. 6). « La guerre aux drogues » aurait, selon ces auteurs, renforcé et autorisé des schémas racistes et sexistes à l’encontre des afro-américains et des afro- américaines. 59% des prisonnières en prisons d’Etat sont là pour des crimes et/ou des délits de drogues et de propriété (Talvi, 2007). Reviere et Young (2006) font allusion à l’infiltration et la présence continue de la police dans les quartiers habités majoritairement par les afro-américains. Elles affichent une augmentation de 888% des délits de drogues commis par des femmes entre 1986 et 1996 contre 129% pour leurs homologues masculins. L’argument d’Alexander semble alors se vérifier dans ces nouveaux chiffres : une répression policière et étatique plus systématique et ciblée dans ces quartiers majoritairement populaires. Des contextes à la fois post-colonial et post-ségrégationniste ont conduit à l’appauvrissement et au manque d’opportunités au cours des dernières siècles aux États-Unis de certaines populations. Cette pauvreté « raciale » a entraîné un manque de prise en charge médicale et d’opportunités professionnelles et éducatives chez une majorité afro-américaine. Des changements sont cependant à constater au sein de ce pays avec les droits pour les personnes noires et l’élection du Président démocrate Obama13. Nous jugeons qu’il reste indispensable de prendre ces précédents contextes historiques en compte pour mieux comprendre les situations socio-économiques actuelles des populations afro-américaines.

12 Les lois Jim Crow (de ségrégation de la la fin de la guerre de Sécession à 1965). 13 Président démocrate des Etats-Unis de 2009 à 2017.

Au vu de l’incarcération importante des femmes afro-américaines par rapport à leurs homologues blanches, on pourrait voir une discrimination raciale dans le gouvernement américain selon certains chercheurs et chercheuses. « La guerre aux drogues » témoignerait aussi et surtout d’après les mêmes auteures, d’une politique punitive contre les afro- américaines plutôt que « réhabilitatrice » et ce depuis les années 1970 à nos jours, en témoigne l’incarcération massive et croissante de ces personnes liées à des affaires de stupéfiants et l’échec de la réinsertion14.

b) Stupéfiants et femmes afro-américaines : quelques explications

La recherche conduit à examiner les raisons qui poussent les femmes à commettre des crimes et des délits de substances illégales afin de dégager certaines raisons de cette « guerre aux drogues. » Les raisons reflètent le rôle crucial de l’intersectionnalitédont les origines, le sexe et la classe de ces femmes dans la criminalité et leur incarcération. Tout d’abord, Talvi (2007) affirme que certaines femmes ne sont pas toujours au courant des activités de leur compagnon ou n’en connaissent pas l’ampleur réelle et peuvent seulement participer dans une moindre mesure (comme poster un colis, héberger une personne complice du trafic, etc.) Aussi, l’auteure avance que nombre de ces femmes n’osent pas collaborer avec la police et/ou la DEA en dénonçant leur compagnon par preuve de loyauté ou par peur de représailles. Effectivement, ces femmes sont souvent issues de milieux socio- familiaux violents et ont déjà connu des abus à leur encontre avant leur incarcération. Ces femmes seraient souvent victimes de violence et appauvries, parfois dépendantes d’hommes (violents) ou bien elles se retrouvent liées à des histoires de drogues car elles ne peuvent pas payer les vendeurs de drogues en raison de conditions socio-économiques précaires et donc se retrouvent à travailler pour eux pour certaines (Reviere et Young, 2006). Pour ce qui est du milieu socio-familial, « la consommation de drogue est une conséquence presque naturelle des conditions structurelles de l'environnement dans lequel ces femmes furent élevées », Lévy, 2000, p. 75).Cette hypothèse, bien que peut-être avéré dans certains cas, affiche un déterminisme prononcé et institue des caractéristiques quasi systématiques et incontestables chez ces femmes de la part de Lévy. Une fois de plus, cet argument est à prendre avec du recul et semble placer ces individus en victimes absolus en enlevant toutes possibilités de rébellion et d’initiatives personnelles. Munson (2005) développe l’idée que

ces femmes afro-africaines, souvent connectées à la pauvreté, vendent ou jouent un rôle dans ces trafics de stupéfiants afin de subvenir aux besoins de leur famille et d’elles-mêmes :

Eighty percent of women are convicted of non-violent drug or property crimes. The motivation of many of these crimes is often family-related due to the prevalent social and economic conditions of poverty.

De même, Reviere et Young (2006) explicitent cette pauvreté racialisée en dénonçant en parallèle l’argent investi par le gouvernement américain durant ces dernières décennies dans le système carcéral en effectuant des coupes budgétaires dans divers programmes sociaux. Selon ces auteures, cette rupture d’aides sociales renforcerait donc la précarité de ces femmes et leurs chances de commettre des crimes afin de survivre : moins d’éducation et de formation et/ou moins d’aides et de protection sociale en cas de dépendances. Enfin, les actions connectées aux stupéfiants par ces femmes comme leur consommation apparaissent comme un moyen pour ces dernières de soulager le stress des violences, abus, manques d’opportunités et de pauvreté liés à leurs origines et leur sexe dans une société patriarcale et suprémaciste blanche (Reviere et Young, 2006). Ces arguments bien qu’intéressants et pertinents dans certains cas, sont à considérer avec modération. Les réflexions sur les drogues peuvent être vraies dans certains cas, cependant l’abus de drogues n’est pas automatique chez l’ensemble de la population des femmes afro-américaines. Aussi, cette coupe budgétaire d’aides sociales a touché des femmes hispaniques, blanches et d’autres ethnies, ce n’est donc pas un phénomène strictement afro-américain. Il s’agit d’un argument généralisé qui ne contribue pas selon nous, à l’amélioration des conditions de ces femmes et du regard du reste de la société sur ces dernières car il les associe directement à des contextes de substances (il)-légales. Cependant, comme nous l’avons précisé, il est vrai que les personnes afro-américaines sortent de périodes de troubles politiques et civiques à cause de discriminations généralisées raciales aux États-Unis. A présent que nous avons étudié le contexte historique et les chiffres de la « guerre aux drogues », nous allons relever les sanctions communes données aux délinquants et/ou criminels d’affaires de drogues.

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