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Les facteurs genrés et sexués liés à l’incarcération et à la criminalité

2. Le rôle de l’intersectionnalité dans l’incarcération des prisons (de femmes états-uniennes)

2.3. Les facteurs genrés et sexués liés à l’incarcération et à la criminalité

La criminalité, en plus d’être associée à des facteurs raciaux et classistes, témoignerait d’une profonde corrélation avec le genre, la sexualité dite « non-conforme » et l’orientation sexuelle non hétéronormative. Ces aspects identitaires arbitraires impactent les femmes dans un contexte ambiant patriarcal et sexiste des États-Unis. La sexualité et le genre apparaissent comme des outils de contrôle sur la population américaine (Olivier, 1988) et produisent des identités criminelles (Foucault dans Taylor, 2009) qui doivent dans la suite logique des choses, être punies et réformées par les instituts carcéraux :

The History of Sexuality demonstrates that the discourses of the sexual sciences trap the modern

subject into sexual identities, what can be said of the sex criminal, the figure situated at the intersection of these criminological and sexual discourses (p. 8).

Taylor, reprenant ici l’analyse de Foucault, explique en quoi la sexualité est associée à la criminalité ; la criminalité peut alors exposer certains types de sexualités à un châtiment et à l’incarcération car elles ne respectent pas les normes sexuelles normalisantes transmises par la société américaine comme la famille, le patriarcat ou encore l’hétérosexualité. Les femmes transgressant les normes genrées sont susceptibles d’être condamnées par la justice car elles ne contribuent pas à l’épanouissement et au développement d’une économie sexuelle- capitaliste basée sur le rendement et sur des normes de contrôle. La sexualité serait liée à la criminalité car le monde occidental moderne a créé et mis des mots officiels sur des pratiques sexuelles « déviantes » ou non :

The modem West has not invented sadism or sex with children, but we have constituted these acts as identities. We have invented pedophiles, rapists, and other sexual identities, including heterosexuality (Taylor, 2009, p. 13).

Ces crimes ou actes sexuels non-normatifs, ont été définis par la société moderne et ont été corrélés au domaine de la criminalité. Ces catégories sexuelles sont alors devenues un moyen accru de surveillance, de contrôle et de répression sur l’ensemble des citoyens et de leurs pratiques sexuelles (Foucault dans Taylor, 2009).

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les infractions d'ordre sexuel ne sont pas l'apanage de la gente masculine. Les femmes sont cependant beaucoup moins nombreuses que les hommes à être condamnées pour ce genre de délits. La proportion de détenues dans les prisons locales condamnées pour des infractions violentes s'élevait, en 1996, à 14,9% (contre 27,6% pour les hommes), dont «seulement» 0,1% pour agressions sexuelles (contre 3,5% pour les hommes) (Lévy, 2000, p. 71).

Bien que les femmes ne soient pas la population principale condamnée pour ces crimes, elles commettent aussi des actes des viols et des abus sexuels et ces crimes, une fois révélés dans les médias, font souvent l’objet de scandales en raison de leur apparence « anormale » et rare. Il faut aussi garder à l’esprit que les femmes ont longtemps été considérées comme des personnes sans désir sexuel dans les sociétés occidentales et que toutes envies de leur part pouvaient indiquer la présence de pêché, du Diable, de vices, de maladies mentales, etc. C’est en partie pourquoi il est toujours difficile pour nombre d’individus toujours de nos jours, d’imaginer des femmes commettre des crimes d’ordre sexuel6. Au 19e siècle, les

femmes étaient arrêtées majoritairement pour vols, vagabondage (terme pour prostitution) et promiscuité sexuelle (Reviere et Young, 2006). Les femmes violentes et criminelles ne correspondaient pas et ne correspondent toujours pas au profil traditionnel de la femme, elles sont alors définies par la société comme « déviantes » ou malades. La violence des femmes peut être médicalisée car une femme par nature n’est pas violente d’après des arguments biologiques essentialistes. Ces détenues sont parfois considérées comme souffrantes, instables émotionnellement, irrationnelles et/ou en recherche d’aide – le principe actif du crime leur est dénié en raison de leur nature essentialiste féminine. Ces criminelles ont alors besoin d’être remodelées, réformées et transformées en femmes parfaites : la prison s’impose donc comme un bon compromis pour résoudre ces « problèmes genrés ».

La prison n’est pas épargnée par le sexisme et la misogynie présents dans la société américaine, au même titre que le racisme. Le fait est que les prisons ont été construites pour et par des hommes, et, en partie à cause de cette logique politico-spatiale, la prison ne correspond pas aux femmes mais à un univers caractérisé par le masculin « traditionnel ». La criminalité est donc perçue comme un aspect masculin qui ne peut englober des éléments féminins, il est donc bon de se demander si ces femmes criminelles, sont toujours considérées comme femmes après leur transgression criminelle. Le genre masculin imprègne l’espace carcéral et laisse peu de place aux attentes des prisonnières femmes comme dans

6 Cette idée sera approfondie au cours de la deuxième partie qui cible les perspectives sociologiques sexuo- genrées.

ses politiques, ses règlements, les soins médicaux et le personnel. Comme les prisons étaient à l’origine des instituts pour les hommes, elles ont eu du mal à faire face à cette augmentation de prisonnières qui n’ont cessé d’arriver dans ces espaces à partir des années 70 et de la « guerre aux drogues ». La masculinisation des prisons symbolise une lutte genrée et donne lieu à des inégalités genrées. De plus, la prison de femmes fait face à une exclusion spatiale de la prison pour hommes comme si elle était un espace non-légitime et non-représentatif de la criminalité officielle. Elle apparaît comme une zone ajoutée à celle des hommes (Joël, 2017) mais elle ne fait pas figure de force carcérale à elle seule : elle a besoin de son homologue masculin pour être reconnue et pour avoir de la valeur aux yeux de la société. La prison est présentée comme un lieu « façonné par la logique du masculin » (Malochet dans Joël, 2017).

Un problème qui se pose dans cette incarcération de masse est la femme battue. Nombre d’entre elles finissent en prison après le meurtre d’un homme violent proche. Effectivement, 1/4 des femmes qui en appellent à l’auto-défense sont acquittées de meurtre (Talvi, 2007, p. 165) : « For example, up to 90 percent of women convicted of murdering a man were also abused by that man » (Devlin, 2014). La violence masculine sur la femme apparaît comme banalisée et normalisée : elle est une norme sociale puissante sans que les citoyens puissent toujours la détecter à cause de son imprégnation totale dans la plupart des couches de la société (Foucault). Certaines femmes tentent de contrer et de dénoncer ces injustices sexuées en faisant appel. Néanmoins, souvent ceux-ci se voient rejetés, refusés ou dans l’attente d’une longue procédure judiciaire qui vise selon certains à décourager et à arrêter le processus de résistance de ces femmes. Talvi (2007) met en lumière l’imprégnation et l’acceptation de cette violence masculine en montrant son omniprésence dans la culture et les médias tels les jeux vidéo, les films, les reportages et les séries où baignent un mélange de viol, de violences physiques et de stéréotypes sexués. L’auteure explique que de nombreux héros de ces médias sont auteurs de violences envers les femmes et que tous ces processus socio-médiatiques habituent le public à des images de violence sexiste et les intègrent ainsi dans la société sous forme de divertissement comme Women Who Kill sur la chaîne télévisée E !, Snapped, la série d’Oxygen (pp. 165-166) ou bien des séries et des films états-uniens faisant de la violence de l’homme, un aspect phare de leur production tels

Walker, Texas Ranger, Summer of Sam et Zodiac : « American culture is drenched in the

imagery of male violence whether in the form of shoot-‘em-up video games or such television shows as Fox’s explicitely brutal terrorism » (p. 165). Malgré les progrès civiques,

politiques et les droits personnels en faveur des états-uniennes, le sexisme prédomine toujours cette société à travers les abus verbaux, sexuels, émotionnels et physiques envers les femmes ainsi que par le biais de la violence domestique : ainsi, chaque jour, trois Américaines sont tuées par leur compagnon (Talvi, 2007) :

According to the Violence Policy Center, which uses Bureau of Justice statistics in annual reports about female homicide victims, nearly three women are murdered every day in the U.S. by current or former romantic partners (O’Hara, 2017).

1 in 3 women and 1 in 4 men have been victims of [some form of] physical violence by an intimate partner within their lifetime..1 in 4 women and 1 in 7 men have been victims of severe physical violence by an intimate partner in their lifetime.1 in 7 women and 1 in 18 men have been stalked by an intimate partner during their lifetime to the point in which they felt very fearful or believed that they or someone close to them would be harmed or killed (National

Coalition Against Domestic Violence (NCADV), consulté le 25/07/2018).

Un rapport fait par Vera, Institute of Justice (2016) renforce ces chiffres et affirme que 80% des femmes en jail (prisons pour des sentences moins longues) ont subi des violences sexuelles. 77% de ces prisonnières auraient subi des violences de la part d’un partenaire.

The National Crime Victimization Survey, released last month, estimates that people in the U.S. experienced over 320,000 incidents of rape and sexual assault in 2016. That works out to 1.2 such assaults per 1,000 people age 12 or older (…) The annual household survey, conducted by the Bureau of Justice Statistics,2 captures data on a number of crimes, including rape and sexual assault, that respondents experienced during the previous six months (…) Among survey respondents who said they’d been victims of sexual assault or rape, the majority of incidents were reported by women and girls (84 percent), while 16 percent were reported by men and boys (Casteel et al., 2018).

Aussi, la prison américaine semble souvent occulter les problèmes spécifiques d’un certain nombre de femmes, notamment les abus physiques et sexuels auxquels elles ont pu faire face avant et pendant leur crime comme l’agression par un conjoint violent, un viol dans leur enfance etc. L’incarcération des femmes est fréquemment liée à des problèmes sexuels qu’elles ont subis (Lévy, 2000) :

On trouve de nombreux points communs parmi les femmes battues qui passent à l'acte. La plupart d'entre elles ont été agressées sexuellement durant leur enfance, ont quitté l'école prématurément, ont eu des emplois de façon irrégulière et n'exigeant aucune qualification, ont habité avec leur partenaire, ont vécu des problèmes liés à la drogue, ont tenté de se suicider par overdose et avaient accès aux armes de leur partenaire. Avant d'en arriver au meurtre, ces femmes ont essuyé des agressions répétées ainsi que des menaces de mort. (p. 72). (…) Toutefois, le facteur commun le plus fréquemment mentionné dans les recherches américaines de ces quelques dernières années est celui des mauvais traitements subis par les délinquantes dès leur enfance, le plus souvent jusqu'à l'âge adulte. Les infractions commises par les femmes semblent en effet souvent liées à leur sexualité et / ou à leur statut de femmes battues, exploitées ou abusées qui se révoltent. (p. 86).

Certaines femmes qui osent se rebeller contre des injustices et des oppressions directes souvent commises en premier lieu par des hommes, sont envoyées en prison, comme si la résistance envers la sexualité destructrice et abusive de certains individus masculins était fermement condamnée sans tenir compte de circonstances atténuantes. On observe ici un possible renforcement institutionnel politico-sociale du patriarcat et de la domination masculine sur le corps et la vie de ces femmes.

Enfin, l’orientation sexuelle des citoyens américains semble jouer un rôle dans l’incarcération des personnes non-hétéronormatives. L’homosexualité a progressivement été légalisée et acceptée dans l’ensemble du pays. Cependant, d’autres personnes du panel LGBTQ+ (lesbienne, gay, bisexuel, transgenre, queer et +) sont plus ciblées aujourd’hui par des attaques sexuo-genrées comme les individus transgenres, sans genre, les travestis, les travailleurs de la prostitution, etc. Ces attaques, bien qu’elles se soient apaisées pour les communautés homosexuelles, ne sont pourtant pas révolues et discriminent en dehors et à l’intérieur des prisons des personnes non-conformes aux idéaux sexuo-genrés américains. Ainsi, la sexualité préconisée et reconnue par le modèle capitaliste contemporain repose sur un schéma binaire entre l’homme et la femme exposant une hétérosuprématie (penser que l’hétérosexualité est meilleure que les autres sexualités) et un hétérosexisme (discriminer les autres sexualités qui ne sont pas hétérosexuelles monogames) à l’encontre des personnes

queer : « Not only are LGBTQ people - largely of color and gender nonconforming - among

the 2 million people currently behind bars and 6 million under the control of the criminal legal system » (Stanley, Spade, Queer (In)Justice, 2012, p. 118). Les personnes non- hétéronormatives parsèment les rangs des prisonniers aux Etats-Unis en partie à cause de leur transgression sexuelle et/ou genrée et une violence carcérale pénale s’opère à leur égard.

A new study by scholars at the Williams Institute found that sexual minorities are incarcerated at disproportionately high rates, and once incarcerated they are more likely to experience mistreatment, harsh punishment, and sexual victimization. Approximately 238,000 sexual minorities are incarcerated in the United States. The nationwide incarceration rate of sexual minorities was previously unknown (…) Sexual minorities, defined as people who self-identify as lesbian, gay, or bisexual (LGB) and people who do not identify as LGB but reported a same- sex sexual experience, were disproportionately incarcerated: 9.3 percent of men in prison, 6.2 percent of men in jail, 42.1 percent of women in prison, and 35.7 percent of women in jail were sexual minorities (The Williams Institute, 2016). (…) Lesbians, gay men, and bisexuals make up about 3.5 percent of the U.S. general population but 5.5 percent of men in prisons are gay or bisexual and 33.3 percent of women in prison are lesbian or bisexual (The Williams Institute, 2016).

Data came from the National Inmate Survey (2011-2012) conducted by the Bureau of Justice Statistics in U.S. prisons and jails, as mandated by the Prison Rape Elimination Act. Our new analysis of this data showed that not only are sexual minority persons more likely to be held and to receive longer sentences, they are also more likely to experience harm while inside (…) The

biases continue behind bars. For instance, we found that sexual minority inmates are more likely to experience solitary confinement. While sometimes purportedly done for the inmate’s protection, the institutional segregation of inmates is also used as punishment. In either case, the deprivation is severe. Exclusion from programming, 23-hour lockdown, and a lack of family visits and other human contact harm the mental health of those who endure it (Stemple et Meyer, 2017).

We better understand the direct, constant, relentless gendered violence that imprisonment produces and relies on (…) Thinking about imprisonment as gender violence helps us get out of the false idea that we can have a government that promotes "gender equality (Stanley, Spade, Queer (In)Justice, 2012, p. 121).

Cette dernière citation signifie que les personnes LGBTQ+ ne sont pas forcément protégées d’une incarcération injustifiée et discriminatoire malgré des politiques de tolérance sur le genre et l’orientation sexuelle. Au contraire, ces politiques ne paraissent pas être complètement efficaces dans la protection des personnes queer notamment en ce qui concerne les personnes noires et transgenres. Elles servent, d’après les auteurs, à mieux cacher des impératifs hétéronormatifs discriminatoires envers tout autre comportement sexuel différent. Le fait de plébisciter et de faire la promotion de lois anti-homophobes pourrait être en réalité une stratégie pour cacher l’incarcération de masse et arbitraire des populations queer marginalisées dans la société américaine. Le gouvernement américain pourrait opérer ainsi afin de camoufler des politiques homophobes et « queerophobes » (discrimination envers les individus/comportements queer) aux citoyens. Les facteurs intersectionnels semblent jouer un rôle prépondérant dans l’incarcération d’une des populations les plus incarcérées des Etats-Unis : les femmes afro-américaines.

2.4. La combinaison des facteurs « race » et genre ou l’incarcération de masse

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