• Aucun résultat trouvé

Injustices raciales face aux autres femmes et stéréotypes racistes des médias

3. Guerre contre les drogues ou guerre contre les femmes afro-américaines ?

3.3. Injustices raciales face aux autres femmes et stéréotypes racistes des médias

a) L’oubli et/ou les privilèges des femmes blanches

D’après certains auteurs (Talvi, Alexander, Davis, Riviere et Young), la « guerre aux drogues » pose un problème racial aux États-Unis et contribuerait à des inégalités entre les noirs et les blancs par exemple. On pourrait se demander si les drogues sont principalement concentrées dans les communautés afro-américaines. Il serait aussi utile de s’interroger sur les représentations médiatiques des afro-américaines dans les médias et leurs effets et conséquences sur le public et les principales concernées : « Malgré le fait que les études démontraient régulièrement que les drogues illégales étaient consommées et vendues à des niveaux comparables par des personnes de toutes les races » (Alexander, 2016, p. 62). « La guerre aux drogues » semble persécuter les femmes afro-américaines avec des idéaux racistes et sexistes alors que toutes les ethnies états-uniennes et toutes les femmes sont capables de prendre des drogues (Reviere et Young, 2006). Peut-être dû à la présence de politiques post-ségrégationnistes et la « guerre aux drogues », les femmes afro-américaines hésitent davantage à déclarer leur consommation de drogues par crainte de conséquences. De plus, selon les statistiques du National Household Survey on Drug Abuse de 2003, les femmes hispaniques sont celles qui commettent le plus de crimes de stupéfiants (43.1 contre 29.1 pour les femmes noires et 26 pour les femmes blanches, Reviere et Young, 2006, p. 68). Les femmes noires sont celles qui statistiquement consomment le plus de crack et comme cette drogue est stigmatisée par les médias et le gouvernement d’après certains auteurs (parce que les personnes noires subissaient plus de racisme et de discrimination que les individus blancs et comme le crack faisait des ravages dans les communautés afro- américaines, le crack aurait pu être repris comme un outil idéologique raciste pour discriminer ces communautés), les femmes afro-américaines (29.1%) s’en retrouvent pénalisées même si elles commettent presqu’autant de crimes et/ou de délit de drogues que les femmes blanches (26%). Certains dans la lignée de Davis pourraient voir dans cette racialisation des crimes et de délits de drogues, la protection des femmes blanches par une suprématie blanche américaine16 au vu des résultats d’incarcération et de sentences de la

« guerre aux drogues ». Également, les drogues comme l’opium, l’héroïne, la cocaïne et la marijuana étaient auparavant légales et consommées par les Américains les plus riches et les classes hautes (Talvi, 2007). Ces drogues sont par la suite devenues illégales au 20e siècle à

16 Les femmes hispaniques ne sont pas abordées précisément au cours de cette recherche, ce qui n’exclue pas les potentiels problèmes et discriminations qu’elles pourraient rencontrer.

cause de peurs raciales et stéréotypées sur les immigrants comme les asiatiques, les Latinos et les Noirs qui étaient accusés de tenter les femmes blanches avec leur mode de vie vue comme dégradant et immoral via ces drogues :

Heroin, cocaine, and opiates were once enjoyed quite legally as both high-society pleasures and medications by middle- and upper-class Americans. Marijuana was also completely legal, than taxed, and then only made illegal much later in the twentieth century. Much of the criminalization of these substances took place in the context of racialized hysteria about Asian, Latino, and black men using marijuana, opiates, and cocaine to tempt white women into a life of degradation and immorality (p. 30).

Les drogues se sont retrouvées associées aux ethnies minoritaires et cela a ainsi contribué à la stigmatisation des femmes afro-américaines et du crack (Talvi, 2007). Il faut aussi signaler qu’au 20e siècle se sont développées les études au sujet des substances illégales et les dangers

pour la santé ont commencé à être reconnus. Ces études ont pu participer à l’illégalité de ces substances. Enfin, Talvi évoque le silence continu sur les consommations de substances illégales des classes aisées et moyennes de nos jours comme les étudiants ou de « Monsieur Tout-le-Monde » qui sont pourtant aussi atteints de toxicomanie dans certains cas : « a quarter of full-time undergraduate students meet the criteria for substance abuse or dependance (National Center on Addiction and Substance Abuse, p. 29) ». Silence qui démontre un racisme dans la société américaine.

b) Médias, acteurs gouvernementaux et stéréotypes racistes

Reviere et Young (2006) mettent en valeur la puissance et l’instrumentalisation des médias dans la perpétuation de clichés racistes bénéficiant aux impératifs de « la guerre aux drogues ». Ainsi, cette guerre s’est accélérée après la mort d’un célèbre sportif de basketball, Len Bias en 1986, à la suite d’une overdose de cocaïne. Les médias rapportent sa mort et influencent l’opinion publique qui s’empresse de demander des mesures pour arrêter les ravages des stupéfiants. Le gouvernement se retrouve alors autorisé à accorder davantage de fonds pour de nouvelles prisons et pour lutter contre les drogues : il débute les sentences minimums pour les crimes de stupéfiants. Talvi (2007) expose une hystérie autour du crack en 1986 avec la publication de plus de 1000 histoires dans les médias de presse nationale : la peur est instaurée, omniprésente et elle fait vendre. La plupart des articles représentent et parlent des Afro-américains et des Latinos, on voit là une utilisation politique et capitaliste médiatique du crack pour les intérêts de certains gouvernementaux et médias. Gouvernementaux car des politiques à l’encontre des minorités ethniques, en résistance politique et civique comme les afro-américains par exemple pour leurs droits, aideraient

alors à davantage apaiser ces tensions et ces « élements perturbateurs ». Certains médias ont aussi des intérêts économiques dans cette guerre en raison du succès des scandales médiatiques comme les mères toxicomanes. En effet, ce qui frappe le public (Talvi, 2007), ce sont les multiples portraits de ces crack mothers (les mères crack) et leurs crack babies (les bébés crack): « an infant subjected to prolonged exposure to crack cocaine in the mother's womb » (un nourrisson soumis à une exposition prolongée à du crack dans le fœtus de la mère) (Merriam-Webster, consulté le 24/07/2018) en train de vendre des drogues ou de se prostituer pour du crack.

The term "crack baby" applies to pregnant women who use crack cocaine which then exposes their fetus to the drug. This was a term commonly used in the 1980's into the 1990's and those exposed would consequentially grow up challenged in one area or another, either physically, emotionally, or mentally. US officials feared that this would put a strain on America's next generation; it would cognitively and behaviorally set the youth behind. Children were definitely the most innocent people of the crack epidemic (Caslee Sims, 2014).

Un véritable appareillage de propagande semble être mis en place et infiltrer le public américain à des fins politiques au vu des multiples articles sur ces mères dépendantes du crack. Cette propagande s’allie pour certains à des impératifs de santé et de luttes contre la toxicomanie comme la Première Dame Nancy Reagan mais aussi pour d’autres à des persécutions chez les communautés afro-américaines (Davis, Talvi, Alexander).

Figure 3: La figure du magazine américain le Time sur les crack kids (« enfants cracks ») en mai 199117

Figure 4 : Photo dans les médias sur une crack mother (« mère crack ») et un crack baby (« bébé crack »)18

17 Time, 1991, http://content.time.com/time/covers/0,16641,19910513,00.html

Figure 5 : Les Cocaine Kids (enfants cocaïne) sur la chaîne télévisée d'information du New York Times19

De même, on remarque l’omniprésence de stéréotypes sur les criminels pour affaires de stupéfiants dans les films où les trafiquants de drogues sont la plupart du temps noirs : fait qui renforce cette légitimité de la « guerre aux drogues » (Talvi, 2007). De plus, Talvi prouve la fluidité et l’incohérence de ces récits médiatiques en observant le changement des peurs liées aux drogues dans la société américaine : de nos jours des peurs se dressent contre la méthamphétamine et le public oublie le crack et l’héroïne. Les médias s’adaptent aux époques et varient selon les crises, ils ne cherchent pas toujours à exposer la vérité mais parfois à augmenter les bénéfices et/ou promouvoir la propagande gouvernementale (Smith, 2008) :

“Women in Wartime,” offers an overview of the role of the war on drugs in increasing the rate of incarceration of women, particularly women of color: (started by Nixon 1971 and targeted people of color, to associate hippies (the antiwar left) with marijuana and black people with crack (asking for rights, loss of white privileges, trials, anger, turmoil) to make the public hate both groups(p. 255).

Enfin, un autre acteur gouvernemental, la prison, opérerait aussi activement un rôle de propagande à l’encontre de ces femmes afin de renforcer et d’accentuer l’efficacité requise de la War on Drugs. Il est à se demander si ces femmes sont seules responsables de leur situation ou si d’autres éléments intersectionnels jouent un rôle dans cette « guerre aux drogues », ces consommations et ces ventes.

Prison administrators thus easily relied on widely circulating stereotypes of women prisoners as drug addicts- stereotypes fueled by the "war on drugs"- to demonize women who died as a result of medical neglect (Davis et Shaylor, 2001, p. 11).

3.4. « War on Prostitution » ?

Cette « guerre aux drogues » semblent faire écho à une « guerre contre la prostitution20 ». Ces femmes commettant des crimes de drogues se retrouvent parfois impliquées dans des histoires de prostitution afin de pouvoir payer leur consommation de drogues (Talvi, 2007). Cependant, prostitution et drogues se retrouvent parfois mêlés ou non. Il est alors possible que certaines femmes choisissent de participer à des narcotrafics pour travailler dans le domaine de la prostitution (Lévy, 2000) : « Vendre de la drogue en facilite la consommation ultérieure. Fait important, vendre de la drogue aide également les femmes à éviter de faire le trottoir » (p. 74). Le trafic de drogues apparaît alors comme une protection et une alternative à l’ultime barrière pour la femme traditionnelle : la prostitution. Lévy (2000) met en relief ces liens profonds entre prostitution et drogues :

Les femmes afro-américaines sont particulièrement touchées par ce problème (Burris, 1995). Elles combinent souvent prostitution, vente de drogue et assistance sociale afin de subvenir aux besoins de leurs enfants. La drogue est évidemment une des raisons pour lesquelles les femmes se prostituent. Certaines femmes peuvent ainsi financer leur consommation de crack (p. 71).

Les arguments de Lévy peuvent être pertinents et explicatifs, cependant ils restent à nuancer et à ne pas généraliser afin d’éviter des hypothèses racistes et stéréotypées. Il est vrai que les femmes afro-américaines sont touchées par des phénomènes de drogues et de prostitution mais elles ne sont pas les seules (hispaniques, blanches, asiatiques, etc.). Les autres formes de prostitution peuvent aussi prendre l’apparence de la compagnie offerte aux hommes ou de services domestiques (Lévy, 2000, p. 74). La prostitution ou ces autres formes dans des contextes de drogues certifient parfois une domination masculine. Nous savons que les femmes avec de multiples partenaires, les femmes qui entretiennent des relations sexuelles pour leur plaisir et qui ne suivent pas les lignes directrices de l’hétéronormativité ne sont pas récompensées par la société patriarcale et capitaliste. Ainsi, ces actes sexuels parfois non- reproductifs ne conduisent pas à l’économie de la famille, du mariage et donc de futurs travailleurs/consommateurs. Certaines de ces femmes osent se délier de normes sexistes et patriarcales en prenant un contrôle sur elles-mêmes et cela revient à résister à cet ordre

20 La prostitution étudiée ici concerne uniquement les femmes en raison du sujet du mémoire mais la recherche ne nie pas la prostitution parmi les hommes et les personnes aux autres identités sexuo-genrées.

hiérarchique états-unien. Aussi, certains discours avanceraient que ces femmes ne se respectent pas ou bien qu’elles ne sont pas de bonnes mères en raison de leur sexualité « libérée » ou bien « différente ». Ces types de sexualité affrontent indirectement le concept de The Angel in the House (Patmore, 1854) et parce que le système états-unien semble opérer une logique d’exclusion des « éléments déviants », une persécution des prostitués s’inscrit dans la suite logique du contrôle des individus. La « guerre aux drogues » s’allie donc à la « guerre à la prostitution » et permettrait de réduire le nombre d’éléments sexuels, économiques, raciaux et de criminels indésirables dans la société.

Chapitre 2. Problèmes relatifs aux prisons de femmes aux Etats-

Documents relatifs