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Chapitre 4 – La Psychothérapie

4. La psychanalyse

4.2. Le transfert

Parfois considéré comme « l’un des concepts fondamentaux de la psychanalyse » (Roussillon, 2012, p. 265), le processus de transfert peut s’assimiler à un « processus général du fonctionnement du psyché et du mode de retour d’un certain nombre de contenus qui ne parviennent à la conscience que par ce biais » (Roussillon, 2012, p. 268).

Dans les écrits de Freud, ce concept figure en tant que représentation d’une situation historique du patient, activée par la situation actuelle (Freud, 1914b). Dans le cadre psychanalytique, la notion est assimilée à une opération qui concerne des éléments de la vie psychique inconsciente qui viennent se mêler à la conversation avec l’analyste et dans l’agir (Roussillon, 2012). Il s’agit d’un souvenir, qui peut « revenir en acte », comme si la situation historique s’actualisait dans le présent. Dans cet élan, Freud écrit:

« Nous remarquons bientôt que le transfert n’est lui-même qu’un fragment de répétition et que la répétition est le transfert du passé oublié, non seulement sur le médecin mais également sur tous les autres domaines de la situation présente (Freud, 1914b, p. 134).

Laplanche et Pontalis, quant à eux, assimilent le transfert à une forme de répétition du passé qui se réactualise dans la cure. Selon eux, cette opération va de pair avec la répétition, dans la mesure où « dans la cure sont répétées des situations, des émotions où finalement s’expriment l’indestructibilité du fantasme inconscient « (Laplanche et Pontalis, 1967, p. 496).

Dans leur ouvrage consacré aux techniques psychothérapeutiques, Chambon et Marie-Cardine (Chambon et Marie-Cardine, 2003) définissent le concept de manière suivante :

« La réactivation ou la réactualisation des relations significatives de l’enfance (et notamment de celles qui ont été vécues avec les parents) projetées sur la personne du psychothérapeute. […] Le patient recrée […] avec son thérapeute un scénario relationnel préexistant entre des représentations intrapsychiques de soi et de l’objet, provenant d’internalisation d’expériences vécues ou d’élaborations imaginaires et fantasmatiques » (Chambon et Marie-Cardine, 2003, p. 91).

Ainsi, le transfert pourrait se résumer par un élément de l’histoire qui tend à se réactualiser.

Dans cette logique, Lagache affirme que le mécanisme de défense lié au processus du déplacement est un élément fondamental de cette opération psychique. De surcroît, il s’agit d’une scène historique qui se déplace sur la conversation actuelle dans le cadre de la cure analytique (Lagache, 1952). Il s’agit de l’éveil d’un affect dans le passé, appliqué au médecin.

Certains auteurs (notamment Chambon et Marie-Cardine, 2003) font la distinction entre le transfert de type 1 et de type 2. Le premier type, proche du transfert décrit par Kohut (Kohut, 1974), consiste à chercher chez le thérapeute les éléments humains qui ont fait défaut pendant l’enfance. Le second type s’apparente davantage à celui du déplacement ou de la projection sur le thérapeute des affects du passé.

Dans le cadre analytique, cette opération psychique peut également s’avérer être un obstacle capable de rendre le matériel inaccessible au traitement (Lagache, 1952). Ainsi, la destruction constante du transfert serait à même d’être une condition de succès du traitement psychanalytique dans la mesure où des tendances hostiles sont également éveillées dans l’interaction entre le praticien et le patient. Il serait alors en situation d’interférer avec les objectifs thérapeutiques. En revanche, le transfert peut devenir un allié si « sa présence peut être détectée et expliquée par le patient » (Lagache, 1952, p. 7). Ainsi, Freud fait la distinction entre le transfert positif et le transfert négatif, ce dernier étant le transfert des sentiments hostiles, qui entrave la possibilité d’influence du praticien.

Dans son essai dédié au phénomène, Lagache affirme qu’il « existe dans les autres psychothérapies, avec cette différence qu’on ne l’analyse pas et qu’on le méconnaît » (Lagache, 1952, p. 14). Ainsi, le transfert ne serait donc pas spécifique à la psychanalyse, mais spécifique au déplacement. De plus, il s’agirait « simplement » d’un effet du fonctionnement psychique. Toutefois, le cadre analytique serait propice à « l’organisation des conditions de son analysabilité » (Roussillon, 2012, p. 270). Freud lui-même affirmait qu’il était un phénomène humain général de l’esprit humain qui décidait du succès de toute influence médicale (Freud, 1925). En revanche, bien que le phénomène existe en dehors du cadre psychanalytique lors de l’interaction entre le praticien et le patient, la psychanalyse aurait la spécificité d'en tenir compte et de s’en servir en tant qu’outil de travail. Ainsi, la citation suivante de Roussillon reprend la manière dont le phénomène peut être conçu dans le cadre psychanalytique:

« La question n’est donc pas celle de l’actualisation transférentielle - il y a actualisation transférentielle dans chaque secteur de la vie. La question, c’est de savoir comment peut se créer et se maintenir une conjoncture relationnelle dans laquelle l’affect produit peut être utilisé pour l’analyse » (Roussillon, 2012, p. 273).

Dès lors, l’utilisation voire l’interprétation du phénomène du transfert resterait donc propice au travail psychanalytique. Comment et de quelle manière se sert-il du phénomène dans sa pratique psychothérapeutique ?

4.2.1. Utilisation du transfert dans la relation psychothérapeutique

Dans le cadre analytique, le transfert serait nécessaire pour que l’interprétation soit efficace et permette d’agir sur les enjeux actuels dans la mesure où des enjeux psychiques s’actualisent (Roussillon, 2012). En développant la notion des mécanismes de défense dans la relation transférentielle, Roussillon affirme que le déplacement n’est pas le seul mécanisme concerné par le transfert. Bien au contraire, le déni, le clivage et la projection sont également concernés (Roussillon, 2012). En faisant référence au texte de Freud de 1915 (Freud, 1915), Roussillon propose alors l’hypothèse selon laquelle les premiers mécanismes de transformation de la psyché sont construits sur le transfert par le retournement.

« Ce que le sujet a subi passivement il doit le retourner de façon active pour pouvoir commencer à le subjectiviser, c’est le premier processus de transformation, le plus élémentaire, il change la polarité

psychique sans changer de contenu […] Les processus de retournement accompagnent les processus de neutralisation énergétique et du gel […] mis en place dans les états post-traumatiques […] Le transfert par retournement accompagne les processus du « dégel » des procédures de contre- investissement, ou de réduction des clivages, il signifie la relance de l’élaboration des conjectures traumatiques par des processus de transformation élémentaires, minimum ». (Roussillon, 2012, p. 268).

Dans ce processus de retournement, le patient fait vivre à l’analyste ce qu’il n’a pu vivre de son histoire et qui est resté clivé (Roussillon, 1999). Roussillon soutient que l’élaboration psychique27 du patient traumatisé s’effectue par le fait de tenter de trouver une maîtrise de la situation traumatique, subie passivement. Le fait de faire subir à un autre ce que le sujet n’a pu intégrer s’apparenterait à un processus de retournement passif actif de soi vers l’autre.

Compte tenu du pouvoir de la relation transférentielle entre le patient et le médecin, Freud affirme que le transfert est en partie assimilé à la suggestion (Freud, 1913, p.115). Ainsi, Freud condamne l’ambition thérapeutique et l’action éducatrice de la part du médecin pour éviter au praticien d’être pris dans le phénomène de contre-transfert (Freud, 1912). Toutefois, afin que le patient puisse faire usage des interprétations de l’analyste, Freud souligne l’importance d’un rapport bien développé entre le praticien et le patient. Ainsi, le premier but du traitement serait de développer un rapport entre le médecin et le patient (Lagache, 1952, p. 16). Dans un premier temps, le traitement consisterait alors (par la relation transférentielle) à attacher le patient au traitement et à la personne du médecin.

Selon Chambon et Marie-Cardine (Chambon et Marie-Cardine, 2003), l’interprétation par le psychanalyste des réactions transférentielles serait une opportunité de modifier les affects du patient, encore actuels, des relations passées. Cette interprétation passerait par l’analyse des émotions exprimées par le patient envers le thérapeute. Le praticien l'inviterait alors à explorer sa réaction émotionnelle pour lui permettre de prendre conscience des sentiments et de ses significations. L’interprétation du transfert est l’occasion pour le praticien de

27 La notion d’élaboration correspond à un travail psychique. Elle est relative à une opération psychique dans

l’objectif de maîtriser les excitations. Ce travail consiste à intégrer les excitations dans le psychisme et établir entre elles des connexions associatives. Le travail d’élaboration consiste à transformer la quantité d’énergie et à maîtriser les excitations psychiques, soit par la liaison ou par dérivation de l’excitation. La liaison psychique, quant à elle, est l’opération permettant de libérer les excitations psychiques. Il s’agit d’une opération visée par le travail psychanalytique. Dans la psychodynamique du travail, on considère que le travail en tant qu’activité transformatrice du monde est potentiellement une activité tributaire de l’élaboration psychique (Dejours, 2005).

reformuler les résistances, défenses et symboles du patient. Elle consisterait à formuler une hypothèse sur les liens possibles entre l’expérience présente et l’expérience infantile. Selon les auteurs, le travail sur le transfert peut être un moyen pour le patient de « trouver de nouvelles manières d’exprimer ses sentiments et de prendre en charge ses besoins » (Chambon et Marie-Cardine, 2003, p. 97). L’exploration et l’interprétation du transfert négatif, à savoir l’hostilité du patient envers le thérapeute, sont des possibilités pour souligner la source réelle de ses sentiments.

Alors que l’influence du thérapeute sur le patient ferait partie du transfert, selon un point de vue « orthodoxe », le conseil et la suggestion pourraient entraver l’analyse du transfert. Toutefois, comment le psychothérapeute d’inspiration analytique peut-il se positionner dans le cadre d’une psychothérapie de soutien pouvant demander de prendre un positionnement plus actif ? Nous pouvons trouver une réponse à cette question dans la partie du texte qui suit portant sur le narcissisme. Ce concept est largement utilisé par certains psychanalystes tels que Kohut, qui faisait référence à des termes tels que le transfert narcissique et la stabilisation du moi (Kohut, 1974).