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Chapitre 3 – La recherche, prévention et prise en charge de la santé mentale en Suède

3. Les pics des arrêts maladie dans les années 1990-2010

Dans la littérature scientifique et publique liée à la santé au travail, la décennie des années 1980 serait considérée comme l’époque des « pathologies de surcharge de travail », dans la lignée des publications de Karasek et Theorell. L’environnement politico-social des années 1990 serait considérée comme la décennie des arrêts maladie de longue durée (Bjurvald, 2004). La littérature scientifique des années 2000 se caractériserait par les phénomènes de stress, de burn-out, la dépression et le syndrome d’épuisement lié au travail (Åsberg, et al., 2013, op.cit, 2004). Ainsi, le syndrome d’épuisement (Exhaustion Disorder – ED), assimilé au concept de burn-out (introduit par Freudenberger [1975], puis développé notamment par Maslach (Maslach et Jackson, 1981), fait l’objet d’un rapport d’expertise menée par la direction nationale de la Santé et du Bien-Être (Socialstyrelsen) (Åsberg et al., 2003). La pathologie ED est reconnue sous le code F43.8 dans le cadre de la Classification internationale des Maladies (CIM-10). Cette mesure de reconnaissance permet aux personnes, en arrêt de travail avec le diagnostic ED, de bénéficier de mesures de réhabilitation spécifiques afin de favoriser leur retour à l’emploi. Cependant, malgré des moyens importants en matière de réhabilitation, il semblerait que certaines d'entre elles passent à travers les mailles du filet de celle-ci (Hetzler et al., 2005). Il s’avère que les départs en retraite anticipés sont des mesures souvent utilisées pour améliorer les statistiques publiées par le

gouvernement. Ces départs en retraite ne permettraient pas de contourner le problème, dans la mesure où les personnes concernées ne bénéficient pas des mesures de réhabilitation permettant de favoriser leur retour au travail (Hetzler et al., 2005). Ainsi, à cause d’un manque de moyens financiers, les mesures de réhabilitation psycho-sociales se seraient dégradées entre 1995 et 2005, périodes considérées comme le moment pendant lequel les taux d’arrêts-maladie commencent à grimper de manière significative. Toutefois, les recherches consacrées dans le domaine de la santé au travail se centrent sur des termes différents selon la période. À quoi seraient liées ces dégradations ? Certains chercheurs mettent en cause le marché du travail en Suède. Elles se distinguent, pendant les années 1980 et 1990, des autres pays industriels en Europe (Håkansta, 2013). La seconde partie des années 1980 se caractérise par une conjoncture économique élevée et un très bas niveau de taux de chômage. Le marché de l’emploi change drastiquement pendant les années 1990. Cette décennie est frappée par la crise économique la plus importante depuis la seconde guerre mondiale, avec un taux de chômage qui a augmenté de manière importante (Wadensjö, 1999). En parallèle, dès 1993, les taux d’arrêt-maladie de longue durée grimpent très significativement. Cette augmentation qui dure pendant plus de dix ans est marquée par plusieurs pics importants, notamment celui de 2002, avec une augmentation en moyenne de 30 % par an entre 1997-200112 (SOU 2002). Le taux d’arrêt-maladie commence à décliner à compter de 2002, mais continue d'augmenter à partir de l’année 2011.

La population féminine serait plus particulièrement frappée par ces arrêts. Les causes seraient liées aux troubles dépressifs, alors que des troubles d’addiction seraient prévalents pour la population masculine (AFA Försäkring, 2013). L’augmentation des dépenses publiques, pendant les années 1990, liée au fort taux d’absence pour maladie de longue durée, provoque d’importantes coupures dans les taux d’indemnisation journalière versée par la sécurité sociale (Theorell, 2009). Un nombre important de personnes se seraient exclues de façon permanente de la vie professionnelle, soit en étant déclarées en incapacité de travail permanente soit grâce à de nombreux départs en retraite de manière anticipée (Hetzler et al., 2005). Alors que la santé de la population suédoise se serait améliorée de manière globale (tenant compte d’une diminution dans le taux d’absence pour des maladies classées comme physiques), le taux d’absence pour les troubles psychiques serait particulièrement élevé en Suède durant les années 1983-2001, comparé avec les autres pays de l’Union européenne

12 Le nombre de personnes en arrêt-maladie de longue durée, entre 1997 et 2003, avait augmenté de 40 000 à

(Palmer, 2004). Les maladies classifiées comme psychiatriques13 (notamment les troubles « anxio-dépressifs », troubles liés à la fatigue et troubles du sommeil) seraient les causes principales des arrêts de travail (Lidwall et al., 2005). Le taux très important d’arrêts-maladie provoque la mise en place de certaines mesures sur la recherche concernant la santé au travail, notamment l’implémentation des groupes de travail, dans l’objectif de discerner les causes de ces absences (Hogstedt et al., 2004).

Certaines études attribuent les arrêts à la dégradation des conditions de travail (Socialförsäkringsrapport. 2014:4.). Parmi les causes invoquées figure l’instauration d’une économie néolibérale, affectant tout particulièrement le secteur public, désormais soumis à l’économie de marché (Håkansta, 2014). Par conséquent, l’individu serait écrasé par des exigences de travail plus importantes (Allvin et al., 2011). Par ailleurs, le sentiment d’insécurité de l’emploi serait plus élevé depuis l’augmentation du taux de chômage des années 1990. Ce niveau d’insécurité serait resté élevé pendant les périodes de baisse du taux de chômage, par exemple vers la fin des années 1990. De plus, l’augmentation de la compétitivité entre individus, ainsi que la diminution du degré de contrôle dans le travail, se serait faite de manière plus violente en Suède que dans d’autres pays européens (Theorell, 2012b). L’évolution du marché du travail dans les pays occidentaux, pendant les années 1980, serait marquée par une augmentation très graduelle de la compétitivité et de la globalisation. Pour la majorité des pays occidentaux, le processus se serait étalé sur plusieurs décennies. En revanche, la Suède étant relativement épargnée par ces changements pendant les années 1980, les évolutions liées à l’économie néo-libérale se seraient faites de manière brusque, en l'espace d’une seule décennie (Theorell, 2006). Un exemple en serait la réduction des effectifs dans le monde hospitalier, non seulement suite à l’augmentation du niveau de compétitivité, mais également à cause de l’introduction de nouvelles méthodes de gestion avec la montée en puissance importante de la charge de travail des soignants.

13 Le terme anglais Common Mental Disorder (CMD) est souvent utilisé et comprend généralement les troubles

dépressifs, troubles d’anxiété généralisée, syndromes de panique, phobies, troubles compulsifs et syndromes de stress post-traumatique. 90 % de la population suédoise arrêtée pour des raisons « psychiques » serait touchée par le terme CMD (Vingård, 2015)