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Les décompensations liées au travail : analyse comparative entre la Suède et la France de la prise en charge thérapeutique : entre la psychodynamique du travail et le paradigme du stress

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: tel-02062413

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Submitted on 8 Mar 2019

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charge thérapeutique : entre la psychodynamique du

travail et le paradigme du stress

Jonathan Benelbaz

To cite this version:

Jonathan Benelbaz. Les décompensations liées au travail : analyse comparative entre la Suède et la France de la prise en charge thérapeutique : entre la psychodynamique du travail et le paradigme du stress. Psychologie. Université Sorbonne Paris Cité, 2017. Français. �NNT : 2017USPCB181�. �tel-02062413�

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École doctorale Cognition, Comportement, Conduites humaines

Thèse de doctorat

de l’Université Paris Descartes – Sorbonne Paris Cité

Spécialité : Psychologie

présentée par

Jonathan Benelbaz

Les décompensations liées au travail :

Analyse comparative entre la Suède et la France de la

prise en charge thérapeutique.

Entre la psychodynamique du travail et le paradigme du

stress

___________________________________________________________________

sous la direction du Pr. Christophe Dejours

soutenue publiquement le 22 septembre 2017

devant un jury composé de

Pr. Christophe Dejours – Université Paris Descartes - CNAM Directeur de thèse Pr. Michel Vézina – Université Laval Rapporteur Pr. Per Magnus Johansson – Université de Göteborg Rapporteur Marcela Gargiulo – Université Paris Descartes Examinateur Pr. Selma Lancman – Université de São Paolo Examinateur

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REMERCIEMENTS

J’aimerais tout d’abord exprimer mes plus sincères remerciements à celles et ceux qui ont bien voulu m’accompagner, m’aiguiller et parfois me supporter dans l’élaboration de la rédaction de cette thèse.

Tout d’abord, au Professeur Christophe Dejours qui a été un directeur à la fois exigeant, bienveillant et patient. Il a fait preuve d’une grande générosité en m’accordant sa confiance et en acceptant que je conduise une thèse sous sa direction.

Au Professeur Michel Vézina ainsi qu'au Professeur associé Per Magnus Johansson pour avoir consacré du temps à la lecture de cette thèse et à la rédaction d’un pré-rapport.

À Marcela Gargiulo et Selma Lancman pour faire partie du jury de soutenance.

À mes collègues de l’Équipe de psychodynamique du travail et de l’action pour nos échanges lors de nos réunions et tout particulièrement à Virginie Hervé pour son professionnalisme, Frédérique Debout pour ses remarques dans son rôle de co-directrice de la revue Corps et psychisme, Marc Guyon et Marie Potiron pour leurs commentaires sur le contenu de ma thèse.

À Marie Pezé et Agneta Lindegård Andersson pour leur aide précieuse dans le cadre de l’accès au terrain.

Les participants à mon enquête qui, par leur disponibilité, ont apporté un très riche matériel clinique.

À ma compagne de vie Andreea pour son soutien continu et ses remarques précieuses tout au long de la phase d’élaboration de cette thèse et sans qui cet exercice n’aurait jamais pu aboutir.

Et les autres qui, de près ou de loin, ont bien voulu apporter leur concours à cette recherche.

(6)

Table des matières

Remerciements………I Tables des matières………II Résumé/Abstract….………...……VIII Avant propos……..………...X

Introduction……….1

Première partie………5

Chapitre 1 – La Psychodynamique du travail……….7

1. Historique de la psychopathologie du travail………...7

2. L’ergonomie de langue française et ses liens avec la psychodynamique du travail……..10

3. La psychopathologie du travail au CNAM : théorie du travail et théorie sociale………..12

4. De la psychopathologie à la psychodynamique du travail……….13

5. La psychodynamique du travail : une théorie critique ?...16

5.1 La place de l’idéologie gestionnaire dans la souffrance au travail………17

5.2 Stratégies de défense………..19

6. Les modes d’action dans la psychodynamique du travail………..21

6.1. L’enquête collective en psychodynamique du travail………...22

6.2. La psychopathologie du travail et la prise en charge des patients………23

6.2.1. Positionnement théorique et pratique de la clinique individuelle………..24

6.2.2. Questions portant sur les modes opératoires de la clinique individuelle………...27

7. Conclusions du chapitre………...31

Chapitre 2 – Les modèles portant sur le stress………..34

1. Les modèles physiologiques………34

2. Approche psychologique liée au stress………36

2.1. La personnalité type A………36

2.2. La personnalité type D………37

3. Les modèles expérimentaux et cognitifs………37

4. La psychologie organisationnelle………..40

4.1. Les modèles organisationnels : « École de Michigan ».……….41

5. Le modèle écologique………42

6. Les approches épidémiologiques………...43

6.1. Le modèle de Karasek et Theorell………..44

6.2. Le modèle de Siegrist……….……….………45

(7)

8. Conclusions du chapitre……….48

Chapitre 3 – La recherche, prévention et prise en charge de la santé mentale en Suède……..50

1. L’influence du paysage politique dans la recherche et la prise en charge de la santé mentale liée au travail………50

2. Parcours historique sur la recherche sur la santé au travail………..54

3. Les pics des arrêts maladie dans les années 1990-2010………57

4. Classifications en lien avec la souffrance au travail……….60

4.1. Troubles de l’adaptation………...60

4.2. Réaction aigüe face au stress………....61

4.3. État de stress post-traumatique……….61

4.4. Syndrome d’épuisement………...61

5. Découvertes scientifiques récentes………...65

5.1. Étiologie liée aux risques psychosociaux……….66

5.2. Prévention de la souffrance au travail………..67

5.3. La réhabilitation………...68

5.4. Paysage réglementaire et pratiques actuelles………...70

6. Conclusions du chapitre………77

Chapitre 4 – La Psychothérapie………80

1. Définition d’une psychothérapie………..80

2. L’alliance thérapeutique………...83

3. Différentes écoles de psychothérapies……….…86

4. La psychanalyse………...87

4.1. Cure type et psychothérapie à inspiration psychanalytique………90

4.2. Le transfert……….……….…92

4.3. Le narcissisme et les relations d’objet………96

4.4. Le trauma………99

5. Les thérapies comportementales et cognitives………...113

5.1. La psychologie comportementale et la « première vague »………..114

5.2. La deuxième vague : les modèles cognitifs………...114

5.3. Association des approches comportementales et cognitives………116

5.4. La troisième vague de thérapies comportementales……….…………117

6. Conclusions du chapitre………121

Conclusion de la première partie……….. 123

(8)

Chapitre 1 - La méthodologie de l’enquête……….131

1. L’enquête en psychodynamique du travail……….131

2. L’analyse des données : une démarche compréhensive………..134

3. L’identité de l’investigation………....136

4. Limites méthodologiques de l’enquête………...137

4.1. L’enquête qualitative et descriptive par opposition aux approches quantitatives…..137

4.2. Écart entre la description du travail et le travail réellement effectué……….139

4.3. Transfert, contre-transfert et défenses………139

5. Des entretiens individuels non directifs………..141

5.1. Parcours professionnel et connaissances théoriques………..141

5.2. Compréhension des patients par les praticiens….………..…142

5.3. La pratique de la prise en charge……….…...142

6. Phases de l’enquête……….142

6.1. Phase 1 – La définition des critères………...143

6.2. Phase 2 – La validation de la présence des critères………...144

6.3. Phase 3 – Le rapport de synthèse………...144

Chapitre 2 – La prise en charge en Suède………...146

1. Les terrains de recherche en Suède……….146

1.1. Les deux institutions de réhabilitation………...146

1.2. Le service de santé au travail……….148

2. Les critères d’inclusion des patients.………..149

3. Les données de l’enquête en Suède……….149

3.1. Constitution de l’échantillon……….……….149

3.2. Répartition des personnes rencontrées………...149

3.3. Formation initiale, parcours professionnel et formation………149

3.4. Références théoriques explicitées par les acteurs………..153

4. Modalités de prise en charge en Suède………...153

4.1 Compréhension des patients de la part des praticiens……….153

4.2. Le travail de prise en charge : visée diagnostique et inspiration des TCC de troisième vague……….………155

5. Présence des 5 critères et sous-catégories définis dans l’enquête………...158

6. Analyses institutionnelles……….160

6.1. La place de l’idéologie gestionnaire dans la souffrance au travail en Suède…….….160

6.2. Quid de la prévention ? Stratégies de défense……….………163

6.3. Comment manœuvrer dans une orientation médicalisée ?...165

6.4. Décalages entre théorie et pratique……….167

(9)

Chapitre 3 – La prise en charge en France : le réseau « souffrance et travail »………..173

1. Les terrains de recherche en France………173

1.1. Le réseau « Souffrance et travail » ………173

2. Les données de l’enquête en France……….…...…175

2.1. Constitution de l’échantillon………..………175

2.2. Répartition des personnes rencontrées………...…176

2.3. Parcours professionnel et orientation scientifique……….176

3. Modalités de prise en charge en France………..181

3.1. Compréhension des patients de la part des praticiens………..…..181

3.2. Le travail de prise en charge : reconstruction de l’histoire………182

3.3. Recueil d’informations médicales, personnelles et professionnelles……….183

3.4. Récit sur le passé professionnel du patient jusqu’au moment de la décompensation183 3.5. Comprendre l’articulation entre le travail et la structure de l’identité………...184

3.6. Travail d’élucidation, d’exploration et de compréhension………185

3.7. Travail de coordination avec d’autres interlocuteurs……….185

3.8. Approches hétéroclites………...186

4. Présence des 5 critères et sous-catégories définis dans l’enquête……...………186

5. Analyses institutionnelles………...188

5.1. Stratégies de déni face aux difficultés de légitimité………..189

5.2. Construction de règles de métier communes………...190

5.3. L’avenir du patient après la prise en charge ?...……….193

6. Conclusions du chapitre……….…………...195

Chapitre 4 - Comparaison avec la clinique du trauma……….…...198

1. La clinique de la torture………..…198

2. Une approche « ferenczienne » axée sur la réalité ? ………200

3. La prise en charge de la souffrance au travail : une thérapie du traumatisme ?...202

4. Conclusions du chapitre………..206

Chapitre 5 : Explications des différences entre les pratiques……….………208

1. Fonction de représentation de soi……….……..209

2. Les étapes communes dans la prise en charge ………...210

2.1. Rompre l’isolement, reconnaître la souffrance et écouter le récit du patient………211

2.2. Explorer les raisons de la décompensation………212

2.3. Relancer la pensée et initier l’action………..213

3. Différences fondamentales entre les dispositifs………..214

3.1. La prise en compte des dimensions transférentielles et contre-transférentielles…...215

(10)

3.3. Le syndrome d’épuisement et le burn-out : une forme de désordre-type ?...218

4. Conclusions du chapitre………..220

Conclusion de la seconde partie……….……….223

Conclusion et discussion……….………229

Bibliographie……….………..235

Annexe 1 – Catégories relatives aux modes opératoires et exemples de récit………274

Annexe 2 – Articulations des sous-catégories avec les 5 critères………...281

Annexe 3 - Retranscription d‘entretiens d’un praticien du réseau « souffrance et travail »...284

Annexe 4 - Traduction de retranscription d‘entretien d’un praticien suédois……….300

NB : Certains passages de cette thèse ont fait l’objet de publications antérieures.

Benelbaz, J., Padurariu, A. (2017). Le destin de l’affect dans le burn-out. Corps & Psychisme, 1, 3, 121-134.

Benelbaz, J. (sous presse). Entre la psychodynamique du travail et les modèles de stress dans la prise en charge de la souffrance au travail. L’information psychiatrique, 9.

Benelbaz, J. (2015). Occupational Mental Health: Prevention and Treatment in France and Sweden. International Psychological Applications Conference and Trends Proceedings. Lisbone : WIARS.

Benelbaz, J. (2015). La prise en charge de la souffrance au travail. Héritages et perspectives de la sociologie clinique. Idéologie gestionnaires, souffrance au travail et désinsertion. Université de Mons : Belgique.

(11)

RÉSUMÉ

L’objet de cette recherche porte sur une étude comparative concernant les théories et les pratiques de prise en charge de la souffrance au travail en Suède et en France. L’étude permet, dans un premier temps, de mettre en évidence les références théoriques et conceptuelles en Suède et en France en matière de santé au travail. Cette étape cherche à faire un comparatif entre les théories suédoises, fortement marquées par les modèles de stress, et la tradition scientifique en Île-de-France centrée sur la psychopathologie du travail. Dans un second temps la recherche vise à faire le lien, au sein de ces deux pays, entre la théorie et la pratique dans la prise en charge de la souffrance au travail. La méthodologie de recherche consiste à mener une enquête portant sur 42 personnes travaillant à la prise en charge de la souffrance au travail, en France et en Suède. Ces enquêtes cherchent à discerner la réalité de la pratique sur le terrain. L’interprétation des résultats permet de confronter les pratiques, notamment celles de la psychodynamique du travail et des modèles de stress, afin de pouvoir estimer les avantages comparatifs ainsi que les forces et faiblesses de chaque dispositif.

Mots-clés : Comparaison, Pratiques, Prise en charge, Psychodynamique du travail, stress

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ABSTRACT

In terms of theory and practice related to occupational mental health, Sweden and France are two countries with different theoretical traditions. While Sweden is highly influenced by physiological stress-models, the scientific tradition in France is influenced by "psychodynamics of work". This research aimed to compare theory and practice related to occupational mental health in France and Sweden. As a first step, the study explored the different theoretical frameworks in the two countries. The next step involved a bridging of theory and practice through the use of semi-structured interviews. Subjects were forty-two staff members working in organizations specializing in the prevention and treatment of

occupationally-related mental health disorders. The interviews aimed to elucidate the reality of the work and to explore the methods recognized as most efficient among the staff members. The study also enabled a cross-cultural comparison of methods and an exploration of gaps between theory and practice in occupational mental health treatment.

Keywords: comparison, practice, psychodynamics of work, stress, treatment

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AVANT-PROPOS

L’idée de réaliser une thèse sur un thème concernant la souffrance au travail est une opportunité à la fois riche et coûteuse. Riche quant à la possibilité d’approfondir le champ des connaissances sur un terrain de recherche à la fois surexploité et inexploré. En effet, alors qu’il y a abondance de publications concernant la santé au travail, il existe relativement peu de recherches traitant des mesures de prévention et de prise en charge de la souffrance au travail (Vingård, 2015). Cependant, le fait d’entamer une recherche d’envergure internationale sur un champ inexploité implique un coût en matière de temps et d'argent. En tant que doctorant inscrit dans une université française, la majeure partie de mes demandes de financement est restée sans suite. Toutefois, j’ai fini par obtenir une bourse de 5 000 euros, permettant de financer une partie des trajets liés à ma recherche. Néanmoins, je me réjouis de l’enrichissement intellectuel et personnel grâce aux rencontres provoquées par mon investigation.

Dans ma carrière professionnelle, en tant que psychologue avec l’expérience d’une dizaine d’années au sein de plusieurs entreprises, j’ai eu à faire face à des salariés en souffrance liée au travail. Dans mon rôle de responsable des Ressources Humaines en France et à l’étranger et, ainsi, représentant de l’employeur, j’ai constaté que j'avais parfois les mains liées dans les actions qui visaient à limiter les conséquences pathogènes pour les salariés. Ce constat m’a conduit à m’orienter vers la psychologie clinique et, plus spécifiquement, vers la clinique du travail. En parallèle, j’ai découvert dans quelle mesure la souffrance au travail et les Risques psychosociaux (RPS) étaient devenus un marché lucratif, notamment pour des cabinets spécialisés dans les audits, la prévention et la prise en charge de ces RPS. Cependant, l’abondance de cabinets, consultants et cliniciens sur le marché lié à la santé au travail, m’a permis de me questionner sur le travail réellement conduit par les différents acteurs présents sur le terrain. Ainsi, j’ai souhaité explorer les multiples moyens d’action portant sur la prévention et la prise en charge de la souffrance au travail.

J’ai rapidement pris conscience des difficultés potentielles à pouvoir m’entretenir avec les acteurs des cabinets spécialisés dans les RPS. En effet, face à la situation fragile des consultants (ils représentent des entreprises, souvent à but purement lucratif), je me suis posé la question de la difficulté d’accès à une parole libre chez les acteurs de ces cabinets. Par conséquent, il m’a semblé plus réalisable de me rapprocher des différents pôles de recherche, dans des pays différents, avec des acteurs préoccupés par l’action.

Grâce à mon ancrage à la fois en France et en Suède, il m’est alors paru possible de réaliser une recherche comparative qui serait susceptible d’intéresser les scientifiques impliqués dans la recherche sur les sciences du travail, d’une part, et les institutions présentes dans la prise en charge de la souffrance et des pathologies mentales liées au travail, d’autre part.

(14)

INTRODUCTION

La place de la santé au travail, et notamment celle du burn-out, peut être définie comme une sorte de « pathologie de la modernité » (Rolo, 2015). Présente dans l’espace public, la recherche sur la santé au travail se caractérise souvent par les études portant sur le stress (Cooper et Cartwright, 1997 ; Légeron, 2001 ; Levi, 1981 ; Nasse & Légeron, 2008).

Le paradigme de stress est présent, en France, notamment grâce à Patrick Légeron, fondateur du Stimulus Conseil qui, sur son site internet, s'auto-proclame comme « un des cabinets de référence en matière de bien-être et santé au travail1 ». En revanche, la France est également dotée d’une tradition scientifique fortement influencée par la psychothérapie institutionnelle, l’ergonomie de langue française, la psychopathologie du travail et la psychodynamique du travail. Cette tradition doit beaucoup aux différents laboratoires de recherche au Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM), notamment le laboratoire d’ergonomie fondé par Alain Wisner et le laboratoire de psychologie du travail, constitué par Christophe Dejours. Ce pôle de recherche a joué un rôle important en France dans la psychopathologie liée au travail (Billiard, 2001). Par ailleurs, depuis plusieurs années ce pôle de recherche est amené à former des praticiens à la psychopathologie du travail, notamment par le biais de son certificat de spécialisation en psychopathologie du travail (CS 30), dispensé au CNAM et qui vise à former des praticiens dans le diagnostic et la prise en charge des patients. Par conséquent, les praticiens qui ont pris part aux enseignements de psychopathologie du travail, dispensés au CNAM, me semblaient constituer un terrain de recherche propice pour investiguer les actions liées à la prise en charge de la souffrance au travail.

En parallèle, il y a la présence en Suède d’un pôle de recherche ayant joué un rôle

historique majeur dans la recherche sur la santé au travail. Compte tenu de mes origines

scandinaves et de ma langue maternelle qui est le suédois, il s'est avéré logique et cohérent de me rapprocher des acteurs basés en Suède, impliqués dans les questions liées à la prévention et la prise en charge des RPS. Ce terrain se présente alors comme important, étant donné que la Suède a joué un rôle pionnier dans la recherche sur la santé au travail (Cooper et Dewe, 2004 ; Marichalar, 2015 ; Theorell, 2012a ; Väänänen et al ; 2012). En 1959 a été fondé, au Karolinska Institutet, le « Department of Stress Research », dirigé par Lennart Levi, actuellement titulaire d’un Professorat Emiritus en médecine psychosociale, et qui a publié de nombreux ouvrages en lien avec le stress au travail (Levi, 1971 ; 1981 ; 2006). Les programmes de recherche dans le pays ont donné lieu à des questionnements portant sur la place du travailleur dans la cité (Frankenhaeuser et al., 1989 ; Gardell, 1971 ; Karasek et Theorell, 1990). Par ailleurs, ils ont donné lieu à des lois et réglementations en matière de santé au travail (Arbetsmiljölagen – AML), négociées en 1978 avec la présence active des syndicats, puis celles sur les « décisions collégiales » (Medbestämmandelagen – MBL) introduisant la notion de conditions psychosociales au travail. De plus, la Scandinavie fait partie de la région qui produit, proportionnellement, une quantité abondante d’articles de

1

(15)

recherche en lien avec la santé au travail (Ferris et al., 2015 ; François, 2002). Enfin, les pouvoirs publics suédois considèrent l’amélioration de la santé en relation avec la vie au travail comme une de leurs priorités (Linell, Richardson et Wamala, 2013). Dans cette logique, des moyens sont politiquement mis en œuvre pour favoriser le retour au travail des personnes en arrêt-maladie, entre autres par la création de différentes institutions entièrement dédiées à la recherche-action inhérente à la prévention et à la prise en charge du stress au travail (Ahlberg, 2008).

Des théories et pratiques spécifiquement liées au concept du stress à comparer avec la psychodynamique du travail

Ma recherche vise d’abord à explorer les divergences, dans les problématiques théoriques, présentes dans les deux pays. En Suède, les théories sont fortement marquées par les modèles du stress. Les recherches théoriques sont surtout redevables à la discussion avec la biologie et l’écologie (Levi, 1999, Levi, 2005). Ces théories, également présentes en France, se

distinguent de la tradition scientifique centrée sur la psychopathologie du travail (Billiard, 2001 ; Brisson, Ndjaboué et Vézina, 2012 ; Le Guillant, 1963 ; Lhullier 2012 ; Veil, 1968). Elles doivent beaucoup à la recherche interdisciplinaire avec la sociologie et la psychanalyse (et depuis quelques années avec le droit).

L’objectif de l’étude

L’objectif de ma recherche se concentre essentiellement sur l’analyse comparative des

pratiques. Elle concerne les trois éléments suivants :

• Une partie des références théoriques et conceptuelles en Suède et en France en matière de santé mentale au travail. À partir de l’analyse comparative des concepts développés sur le rapport entre santé mentale et travail, je souhaite remonter aux raisons de ces choix. Je fais, en effet, l’hypothèse que les contextes politique et social et, en fin de compte, les formes que prend la demande sociale, seraient différents dans les deux pays.

• Identifier les différences et similitudes de la pratique dans la prise en charge de la souffrance au travail, entre la Suède, auprès des acteurs présents dans des institutions de réhabilitation ainsi qu'au service de santé au travail et les acteurs

présents en France dans la région Île-de-France.

• Explorer la question de l’action rationnelle en matière d’amélioration des rapports entre travail et santé mentale, voire entre travail et risques psycho-sociaux.

À partir de l’étude des décompensations et de la prise en charge entre les deux régions, mon objectif final est de mettre en évidence les enseignements que nous pouvons tirer des expériences spécifiques des deux pays.

Le texte qui suit sera divisé en deux parties, divisées elles-mêmes en différents chapitres. La première partie consistera principalement à aborder des avancées

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théoriques, alors que la seconde cherchera à développer la recherche clinique sur les praticiens présents dans la prise en charge de la souffrance au travail.

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PREMIÈRE PARTIE

LES THÉORISATIONS LIÉES A LA SANTÉ ET LA SOUFFRANCE AU TRAVAIL

Il semblerait judicieux de faire un état des lieux sur une partie des théorisations concernant la santé au travail. Ainsi, cette première partie repose sur un résumé d’une revue de la littérature concernant différentes manières d’aborder la souffrance au travail et les RPS. Les deux théorisations principales développées concernent la clinique du travail et une approche bio-psycho-sociale, dans cette recherche parfois nommée « approche de stress » et qui est présente à la fois en France et en Suède. Toutefois, une partie importante de la recherche réalisée en Suède se rapproche du paradigme du stress. Elle est visible par la présence de nombreux instituts liés au monde universitaire (Stockholm Stress Center – Stress Research Institute lié à l’Université de Stockholm ; Stressrehabilitering lié au Karolinska Institutet ; Institute of Stressmedecine lié à l’Université de Göteborg ; Stressrehab – Biomedical Centre lié à l’Université d'Uppsala, etc.)

Il est donc important de noter qu’il ne s’agit pas de déterminer une méthode ou approche foncièrement française ou suédoise, mais plutôt d’explorer des pôles de recherche présents dans ces deux pays, influencés par la clinique du travail, d’une part, et l’approche bio-psycho-sociale (dans le texte parfois assimilée au paradigme de stress), d’autre part.

Cette première partie cherche, dans son premier chapitre, à développer les théories liées à la psychodynamique du travail. Dans un second temps, elle aborde différents modèles théoriques liés à la santé au travail sous la loupe du paradigme du stress. Un troisième chapitre permet de traiter les avancées scientifiques en lien avec l’étiologie, la prévention et la prise en charge des risques psycho-sociaux, selon les données établies par des rapports publiés en Suède et qui portent sur la santé au travail. De plus, la présentation du contexte historique, culturel et social en Suède autorise l'explication des évolutions dans une partie de la prise en charge et les techniques de réhabilitation présentes dans ce pays. De surcroît, il semblerait naturel que les mesures préconisées par les pouvoirs publics suédois aient une incidence sur une partie des pratiques présentes sur le terrain. Enfin, le dernier chapitre de la première partie a trait aux différentes mesures psychothérapeutiques directement ou indirectement liées à la pratique de la prise en charge de la souffrance au travail.

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CHAPITRE 1 – LA PSYCHODYNAMIQUE DU TRAVAIL

1. Historique de la psychopathologie du travail

En France, le champ de la santé mentale au travail occupe une place minime avant la seconde guerre mondiale (Billiard, 2001). Tout au long du XIXe siècle, la préoccupation ouvrière tourne principalement autour de la lutte pour la survie plutôt que sur des questions d’ordre mental. Les revendications des travailleurs concernent alors principalement la durée du travail et la liberté de s’organiser. Du côté des syndicats, les interrogations concernant la santé mentale occupent une position modeste, leurs revendications traitant en priorité les conditions de travail. Dans cette ère du taylorisme tributaire d’une organisation du travail « scientifique », marquée par une division parcellisée, les sciences psychologiques se caractérisent principalement par la psychotechnique et la psychologie expérimentale. Visant en tout premier lieu l’augmentation de la productivité, elles sont marquées par une scientificité positiviste et une approche comportementaliste. L’arrivée de l’École des relations humaines, provenant des États-Unis, permet de tenir compte des éléments de satisfaction, de la motivation et du leadership du travailleur. Néanmoins, les sciences psychologiques de l’époque visent surtout les progrès de la productivité, alors qu’elles ne tiennent pas compte du vécu subjectif du travailleur. Par ailleurs, l’École des relations humaines tend à omettre l’analyse des rapports sociaux dans l’environnement professionnel. Alors que l’École de Tavistock et le mouvement sociotechnique analysent des phénomènes portant sur la dynamique du groupe, il n'y a pas de place majeure pour les questions portant sur la santé mentale au travail.

L’apparition du terme psychopathologie du travail se dessine au sein d'une série de travaux qui ont eu lieu après la seconde guerre mondiale. Étroitement liée aux préoccupations de l’époque en rapport avec les réformes de l’institution psychiatrique, Tosquelles pose les questions concernant la réadaptation à la vie sociale et au travail. Il introduit la psychothérapie institutionnelle, qui se caractérise par le travail thérapeutique dans les hôpitaux, avec l’objectif de soigner les institutions par le travail. (Billiard, 2001).

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La « psychiatrie sociale », quant à elle, porte principalement sur la valeur thérapeutique du travail. Elle est étroitement liée à la sociogenèse2 développée par Lucien Bonnafé et Sven Follin, caractérisée par le fait de tenir compte des versants à la fois organiques et psychiques dans les questions liées à la santé mentale. Selon la sociogenèse, il incombe d’étudier l’homme en situation en tenant compte de ses conditions de vie et de ses rapports sociaux. Follin définit alors la psychiatrie comme une science humaine, en considérant la « folie » comme une condition sociale. Dans le même élan, Claude Veil et Paul Sivadon créent la « Ligue de l’hygiène mentale », dans les années 1950, fortement axée sur la prévention de la santé mentale par l’orientation et le reclassement des travailleurs. Alors qu’ils reconnaissent la valeur sociale et thérapeutique du travail, ils sont instigateurs des centres de traitement et de réadaptation sociale (CTRS) en milieu psychiatrique.

En parallèle, Le Guillant et Sivadon mènent des travaux dans l’objectif de situer les caractéristiques du travail susceptibles de générer des maladies psychiques. Bégoin et Le Guillant, (Bégoin et Le Guillant, 1958) font des études sur les pathologies mentales causées par le travail des téléphonistes et mécanographes, suivies par une étude sur la souffrance des bonnes à tout faire (Le Guillant, 1963).

Nous avons donc affaire à l’existence de deux types de psychopathologie du travail : • Paul Sivadon, qui constitue une clinique des troubles individuels.

• Louis Le Guillant, qui s’oriente vers une clinique du travail pathogène, insistant sur les conditions de travail.

Alors qu’il s’agit d’une « psychiatrie du travail », elle est dite « causaliste », car elle est influencée par des théories comportementales sans tenir compte de la subjectivité de l’individu. Cela est peut-être une conséquence des liens de Le Guillant avec le parti

2

Les thèses de Lucien Bonnafé et Sven Follin (membres du parti communiste et influencés par le marxisme) sont diffusées lors des Journées de Bonneval de 1946. Des positions doctrinales s’affrontent lors de ces journées :

- L’organogénèse, défendue par Herny Ey qui soutient la thèse que la maladie mentale serait liée à une désorganisation organique et explicable sur le plan de la biologie, la chimie et la neurophsyiologie. - La psychogénèse, défendue par Lacan, qui soutient que la folie se définit par le rapport avec autrui, dans

le regard de l’autre.

- La sociogenèse, représentée par Follin et Bonnafé, fortement influencée par Politzer. Ils estiment que la folie et la santé ont des causes à la fois psychiques et organiques. Ainsi, il incombe d’étudier l’homme en situation et dans une structure sociale déterminée.

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communiste, considérant la psychanalyse comme une « idéologie réactionnaire », étant clairement opposés à l’approche psychodynamique. Fortement inspirée par les théories behaviouristes de Pavlov, l’approche de Le Guillant vise avant tout à définir une névrose de travail, liée à des situations organisationnelles données.

Les travaux de Claude Veil, quant à eux, permettent d’apporter une dimension subjective dans le cadre de la psychopathologie du travail de sa génération.Veil rejoint l’Élan Retrouvé (créé par Sivadon), dans la foulée de la création de divers CTRS en Île-de-France. Ainsi, il met en place une consultation de psychopathologie du travail qui reçoit des salariés présentant des troubles psychopathologiques ou psychosomatiques liés à l’exercice de leur travail. Veil vise alors la conduite du traitement et la prévention, mettant en place une coopération avec un large réseau de professionnels dont des médecins du travail, assistantes sociales, psychiatres hospitaliers et centres de post-cure. En s’intéressant davantage à l’inadaptabilité sociale des malades qu'aux questionnements nosographiques, il milite pour un renversement de la pratique médicale (Lhullier, 2012). Il convoque le recours aux sciences humaines et sociales pour la protection de la santé mentale des travailleurs. Influencé par la phénoménologie et sensible à l’expérience singulière, Veil se tourne vers la métapsychologie. À la différence de Sivadon et Le Guillant, il se centre sur le vécu subjectif de l’individu doté d’une histoire personnelle et d’une orientation pulsionnelle dans sa situation professionnelle et sociale (Lhullier, 2012). Dans la même logique que celle de l’organogenèse, Veil récuse « l’adaptation » comme critère de guérison et conçoit « l’habituation conformiste » comme une forme d’aliénation (Veil, 1968).

Alors que les travaux de Veil permettent d’introduire l’expérience subjective dans la psychopathologie du travail, Ochonisky et Moscovitz font une tentative pour faire un lien entre la psychanalyse et la psychopathologie du travail. Dans le cadre de sa thèse de médecine, Moscovitz conduit une enquête sur le personnel roulant à la SNCF : VACMA (Moscovitz, 1968). Alors que ses travaux ont le mérite de lier des questions métapsychologiques avec la souffrance au travail, Ochonisky et Moscovitz ont tendance à omettre les aspects portant sur les relations interpersonnelles ainsi que les situations concrètes liées aux aspects professionnels (Ochonisky, 1967). Les éléments, dans leurs travaux, portent avant tout sur les explications relatives aux fantasmes inconscients, sans tenir compte des expériences au travail réellement vécues par les agents (Billiard, 2001).

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Avant la disparition de la « première génération » de la psychopathologie du travail, les œuvres d'Ochonisky et Moscovitz restent parmi les dernières tentatives à considérer les questions liées au travail dans le cadre du champ psychiatrique. Au fil des années 1970, le domaine de la santé mentale reste une « psychiatrie sans travail » (Billiard, 2001). Toutefois, la psychopathologie du travail fait une « seconde apparition », vers les années 1980, forte de ses liens avec l’ergonomie de langue française et des coopérations conduites au sein du Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM).

2. L’ergonomie de langue française et ses liens avec la psychodynamique du travail

L’ergonomie de langue française, également appelée l’ergonomie de l’activité, se différencie du courant anglo-saxon nommé Human Factors Science (Science des facteurs humains). Ce dernier cherche à améliorer les outils et systèmes du travail par le recueil de données, souvent en milieu laboratoire (Darses et Montmollin, 2006 cités par Valléry et Leduc, 2014), tandis que l’ergonomie de l’activité est soumise à une logique à la fois technico-organisationnelle et du vivant (Hubault, 1992, cité par Lancry, 2009). Son but recherché n’est pas seulement l’atteinte d’objectifs technologiques et économiques, mais aussi la transformation des situations de travail pour les adapter aux travailleurs, dans une visée d’amélioration de la sécurité et de la préservation de la santé3.

Développée dans une logique d’adaptation des postes de travail à l’opérateur, elle est initialement marquée par la psychologie expérimentale, la physiologie et la médecine. Tenant compte des interactions entre le travailleur et son environnement, l’ergonomie est confrontée à la question sur le fait de comment sortir du laboratoire pour aller sur le terrain, dès le milieu du XXe siècle. À cette époque, Alain Wisner mène des recherches destinées à l’amélioration du confort et de la sécurité des véhicules chez Renault. Ce dernier devient directeur du laboratoire d’ergonomie du Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM) qui dispense une formation en la matière au milieu des années 1960. À cette occasion, la discipline noue des liens avec d’autres approches telles que la sociologie, l’économie et la gestion ainsi que la psychologie cognitive. L’ergonomie de langue française commence à se distinguer de

3 Selon Lancry (Lancry, 2009, p. 8), la Société d’ergonomie de langue française définit l’ergonomie comme

« l’adaptation du travail à l’homme, ou, plus précisément, comme la mise en œuvre de connaissances scientifiques relatives à l’homme et nécessaires pour concevoir des outils, des machines et des dispositifs qui puissent être utilisés avec le maximum de confort, de sécurité et d’efficacité ». Cette définition constitue un contrepied de la vision qui prévaut jusqu’aux années 1950 et qui plaçait le développement économique au premier plan.

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l’ergonomie anglophone avec l’initiation de travaux centrés sur l’analyse de l’activité en situation, tenant compte des contraintes techniques et organisationnelles. Ainsi, la discipline convoque l’interface entre l’homme et la machine, ainsi que le travail collectif et coopératif. L’activité dans le champ du travail prend une place importante, dans la mesure où l’ergonomie francophone s’intéresse à la dimension d’interaction entre l’agent et l’organisation du travail. En visant à la fois un objectif de performance et de bien-être des travailleurs, elle se centre sur les environnements physiques du travail et leurs conséquences potentiellement pathogènes pour l’individu. Par l’apport de connaissances sur les facteurs de risques, elle cherche des actions de prévention des risques professionnels (Bourgeois et De Gasparo, 2011 cités par Valléry et Leduc, 2014). Voilà pourquoi les conditions de travail sont des notions importantes pour la discipline, notamment en vue de moyens disponibles pour les agents leur permettant de réaliser correctement leur travail.

Une des spécificités principales de l’ergonomie francophone est la distinction entre la tâche et l’activité, faite en partie grâce aux enquêtes dans diverses organisations du travail (Daniellou, Laville et Teiger, 1983). L’approche considère que l’écart entre les objectifs de l’organisation et ceux de l’opérateur donne lieu à des tensions et régulations dans le cadre de la conduite de l’activité. La prescription d’une tâche est sujette à interprétation par les travailleurs qui l’exécutent. Les tensions, ainsi que les entraves de régulation, peuvent provoquer des pathologies. Ainsi, l’agent n’est pas considéré comme un objet passif qui subit les contraintes du travail, mais comme un acteur qui agit et pense pendant son activité professionnelle. Par conséquent, les travailleurs sont amenés à réaliser des ajustements et à trouver un compromis entre une tâche prescrite par les donneurs d’ordre et la tâche réalisée par les opérateurs (Hubault, 1992). L’interprétation de la tâche s’inscrit « dans l’histoire collective des activités qui trament l’organisation dans, et par laquelle, tout ça se répond, dialectiquement » (Hubault et al., 1996, p. 295). La notion de l’activité porte également sur les activités mentales des opérateurs, appelées aussi logiques opératoires.

Les méthodes d’investigation de l’ergonomie cherchent à avoir une vision globale d’une situation professionnelle. Cela passe par des analyses documentaires sur l’organisation du travail, ainsi que par la conduite d'entretiens avec les personnes de l’organisation, y compris les agents. Nommée Analyse ergonomique du travail (AET), cette méthode d’investigation vise à analyser l’activité et à identifier les exigences et contraintes de l’entreprise et des agents (Falzon, 2004).

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Sous l’impulsion d’une coopération entre Alain Wisner et Christophe Dejours, dans le cadre d’une série d’enquêtes conduites dans diverses organisations du travail, la psychopathologie du travail de « nouvelle génération » fait son apparition dans les années 1980.

3. La psychopathologie du travail au CNAM : théorie du travail et théorie sociale

Le lien avec la psychopathologie du travail de « seconde génération » (avec l’apparition, en 1993, du terme « psychodynamique du travail ») et l’ergonomie se reflète dans la recherche pour élucider la réalité du travail ; les deux disciplines partent du principe que l’activité « travailler » consiste, pour les agents, à trouver ensemble un compromis portant sur la relation entre chaque opérateur, poussé par un motif, tout en se servant des actions, en passant par une activité mentale. Le contexte social, matériel et organisationnel spécifique à chaque situation vient moduler cette interrelation triptyque.

Christophe Dejours introduit la question de la souffrance et santé psychique dans l’ergonomie en portant un intérêt particulier aux stratégies de défense. Il se penche notamment sur les activités mentales qui viennent provoquer la souffrance, comme l’angoisse ou l’ennui (Dejours, 1980)4. Dejours introduit également la notion de violence dans le travail. Il distingue la violence réactionnelle (compulsive), en tant que conséquence pour l’individu qui perd le contrôle de soi, dans l’objectif de réduire les tensions psychiques, et la violence actionnelle qui est régie par la volonté de l’individu (Dejours, 1999 ; Lancry, 2009).

En 1984, le premier colloque national de psychopathologie du travail est organisé sous forme de séminaire interdisciplinaire, dirigé par le Pr. Alain Wisner avec la participation de Christophe Dejours et Claude Veil (Dejours, Veil et Wisner, 1985). Ce séminaire arrive quelques années après la publication, par Christophe Dejours, de son essai dédié à la psychopathologie du travail : Travail, usure mentale (Dejours, 1980). Une des contributions nouvelles de la psychopathologie du travail est incarnée par la rupture du point de vue mécaniste de Sivadon et Le Guillant. Dans la même logique que les avancées de Wisner, Dejours souligne que les travailleurs ne restent pas passifs face à l’organisation du travail. Par conséquent, ils résistent à la souffrance et mettent en place des stratégies qui peuvent leur permettre de tenir et ne pas décompenser. L’organisation du travail est une conséquence de

4 La psychodynamique du travail se penche actuellement sur d’autres formes de souffrances, notamment la souffrance éthique (cf. Rolo, 2013). Cette notion sera développée ultérieurement.

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l’intelligence collective, lorsque les travailleurs interprètent les prescriptions du travail. Cette coopération, qui permet aux travailleurs d’interpréter ensemble les prescriptions du travail, devient une expérience affective. Travailler implique le fait de supporter l’expérience de l’échec. L’expérience du réel5 se fait par la résistance à la maîtrise et donc par l’échec et la frustration. Elle implique de vivre l’expérience de résistance et d’échec jusqu’à ce que les travailleurs surmontent les obstacles en faisant preuve de leur ingéniosité. Cette expérience nécessite de se faire « habiter » par le travail, y compris dans son corps. Par le corpspropriation, concept emprunté par Michel Henry (Henry, 1987), l’individu développe de nouvelles habilités dans une expérience de corps à corps avec le réel. Par exemple, l’ostéopathe qui palpe son patient fait littéralement corps avec lui et développe au fur et à mesure de son expérience de nouveaux registres de sensibilité. Le chargé de cours sent jusque dans son corps le relâchement de l’attention des étudiants dans l’amphithéâtre, grâce à son ingéniosité il sait y remédier en faisant preuve de créativité et d’intelligence de la situation.

4. De la psychopathologie à la psychodynamique du travail

Le deuxième séminaire de psychopathologie du travail, en 1988, se caractérise par la pluridisciplinarité avec la présence d’ergonomes, sociologues, médecins du travail et psychanalystes (Dejours, 1988). La discipline consolide alors son ancrage dans la psychanalyse et l’ergonomie de langue française. Après avoir été nommé Professeur titulaire au CNAM en psychologie du travail et avec l’apparition de la deuxième édition de Travail, usure mentale, en 1993, Christophe Dejours introduit la notion de psychodynamique du travail qui désormais se différencie de la psychopathologie du travail. La psychodynamique du travail se caractérise alors par le fait de ne pas nécessairement caractériser le travail en soi comme pathogène. Le travail étant considéré comme vecteur de la structuration de l’identité, la discipline porte sur la dynamique impliquée entre les sujets (chacun porteur de sa propre histoire) et l’organisation du travail. Portant un intérêt majeur aux stratégies de défense individuelles et collectives, l’approche se caractérise par son intérêt quant aux stratégies

5 Le terme de réel sera compris grâce à la définition suivante : « ce qui dans le monde se fait connaître par sa résistance à la maîtrise technique et à la connaissance scientifique » (Dejours, 1995, p. 38). Ainsi, la confrontation au réel nécessite de pouvoir supporter la frustration, le doute, l’angoisse et l’anxiété liée à l’échec. La souffrance est donc ce qui émane de la première rencontre avec le réel du travail mais reste également un mouvement qui peut résulter de l’originalité et de la créativité dans le travail. Cette souffrance est également liée au passé et résulte de la résonance avec l’inconscient lorsque le sujet se retrouve confronté à la tâche.

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psychiques et sociales mises en œuvre pour que l’individu parvienne (ou non) à préserver sa santé face aux contraintes organisationnelles.

La psychodynamique du travail considère la santé mentale comme étroitement liée à l’identité du sujet. Alors que la santé n’est jamais conquise, l’identité reste avant tout relationnelle, elle passe par l’appartenance sociale d’un groupe ou d’un collectif, par exemple une communauté de métier. L’individu se joint au groupe par ce qu’il fait de semblable par rapport aux autres membres d’appartenance. Cela demande donc un certain conformisme face aux attentes de l’entourage. Ce travail de confirmation peut être vectorisé par l’angoisse de l’exclusion et de la solitude avec un risque de désagrégation identitaire. Ainsi, la psychodynamique du travail emprunte le terme ipséité, de Paul Ricœur, selon deux significations de l’identité. Il y a la « mêmeté », par ce qui reste idem donc inchangé, puis il y a l’ipséité pour faire référence à ce qui est lui-même et pas autre chose. L’ipséité est un vécu subjectif qui a besoin d’être assuré par l’objectivation et la confirmation des autres. La conquête de l’identité, quant à elle, se fait par le champ érotique (l’amour) ou dans le champ social, dont le travail. La psychodynamique du travail laisse alors une place importante à la sublimation comme destin pulsionnel. Ce dernier serait le seul destin qui se traduirait par, à la fois, l’accroissement par la subjectivité et l’amour de soi. Ainsi, l’appartenance à une communauté de métier est objectivée par la reconnaissance des autres. Dans le travail, la conquête de l’identité se fait par les pairs, par un jugement sur la beauté du travail accompli et par la hiérarchie sur le jugement d’utilité. La santé n’est alors pas considérée comme un état stable, mais comme une « lutte acharnée […] de régulations physiologiques contre les perturbations physico-chimico-biologiques » (Dejours, 2010, p. 26). La reconnaissance devient fondamentale pour la conquête de la stabilisation de l’identité et de la santé en général.

Un autre angle d’approche est apporté par le séminaire interdisciplinaire, qui s’inscrit dans la logique des travaux de Héléna Hirata et Danièle Kergoat (ultérieurement développés par Pascale Molinier depuis sa thèse de doctorat, en 1995, sous la direction de Dejours), en rajoutant un versant social (Molinier 1995 ; 2005 ; Hirata et Kergoat, 1988). Leurs travaux portent sur les rapports sociaux de genre, classe et race. Ils expliquent notamment des phénomènes de domination des hommes envers les femmes, potentiellement vectorisés par le travail. Cette dimension se reflète également dans les travaux de Marie Pezé portant sur la question de l’identité sexuelle et du genre médiatisée par le travail. Théorisé par Marie Pezé sous le terme « geste de travail » (soit « geste de métier »), son terme est indirectement

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emprunté à la présentation de Marcel Mauss « Les techniques du corps ». La présentation de Mauss met l’accent sur la division des techniques du corps entre sexes, âges et environnement social. Les techniques du corps, dont les gestes restent le fruit de la transmission, ont une forme de nécessité sociale pour la compréhension d’une société en général. L’expression corporelle d’un individu s’inscrit donc dans une loyauté identificatoire, y compris dans l’identité sexuelle (Grenier-Pezé, 2006). Dejours, quant à lui, fait référence au terme de luttes contre la muliébrité qui est la construction sociale stéréotypée des rapports sociaux de sexes (Dejours, 1996a). Cette attribution, qui peut être plus ou moins présente selon le milieu, assignera aux femmes des attributs spécifiques. Ainsi, dans certaines organisations de travail et milieux sociaux, les métiers d’infirmière, aide-soignante, sage-femme ou femme de ménage sont considérés être des professions faisant appel à des compétences qui seraient naturellement propices aux compétences féminines. En revanche, les fonctions de directeur ou manager seraient des métiers faisant appel à des compétences jugées comme étant spécifiquement masculines.

Les phénomènes de geste de métier liés à la lutte contre la muliébrité peuvent expliquer les contraintes de désexualisation au travail de certaines femmes, notamment celles qui accèdent aux postes de responsabilité dans des environnements particulièrement masculins prônant la virilité. Ces femmes peuvent développer des logiques adaptatives (voire défensives) et activement apporter à l’organisation du travail une contribution à un fonctionnement viril. Ainsi, la clinique du travail peut étudier comment le travail a la possibilité d’induire des phénomènes de « virilisation » chez certaines femmes, au prix d’une lutte contre une déchirure interne entre identité sexuelle de femme et identité dans le champ social. Cette lutte est en mesure d’avoir des conséquences dans la relation affective et conjugale. L’élucidation de cet élément par le sujet peut potentiellement porter sur une résolution d’un possible conflit entre identité sexuelle et sociale pour résister à la pression des rapports sociaux, sans devoir compromettre sa féminité (Benelbaz et Padurariu, sous presse). La psychodynamique du travail explique alors comment le travail est susceptible de devenir un outil non seulement de la structuration de l’identité, mais également au profit de l’émancipation.

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5. La psychodynamique du travail : une théorie critique ?

Dans le cadre de son champ disciplinaire, la publication par Christophe Dejours, en 1998, de son essai Souffrance en France est parfois considérée comme « l’événement majeur de cette fin de décennie » (Rolo, 2013, p. 31). Cet évènement serait alors plus important pour la discipline que l’apparition, à la même date, du premier numéro de la revue Travailler. Cette revue est désormais réputée comme la revue internationale de psychopathologie et psychodynamique du travail.

Dans l’essai de Dejours, qui porte sur l’injustice sociale dans la société contemporaine, l’œuvre explique que la souffrance, qui devient de plus en plus présente dans le monde du travail, résulte d’un manque d’action collective face à cette injustice sociale. En empruntant le terme de Hannah Arendt « banalité du mal », apparu dans son essai Eichmann à Jérusalem, en 1963, Dejours invoque comme raison la « banalisation du mal » face à la fois à l’injustice sociale et à la propagation de la souffrance par les organisations du travail. Il affirme que ce phénomène ne serait pas possible sans la participation active des travailleurs. Dans le système néolibéral dans lequel se situent les organisations du travail contemporaines, le silence des travailleurs face au mal n’expliquerait que seulement une partie du phénomène. Ainsi, en reprenant la thèse de La Boétie sur la « servitude volontaire », Dejours fait état du zèle des travailleurs qui participent activement à la soumission à la domination sociale. Cette soumission est présente dans les organisations du travail par la participation active à un mode de management pathogène (dont l’évaluation quantitative des performances, la « qualité totale », le « benchmarking »…) marqué par une communication mensongère et truquée, propre à une idéologie gestionnaire positiviste soumise au service de la production. Une explication du phénomène de zèle se situerait dans les stratégies de défense permettant à l’individu de tenir au quotidien, au prix de l'amputation d'une partie de sa pensée. La peur liée soit à la menace de la perte de l’emploi soit aux risques propres du métier peut avoir pour effet de scléroser la pensée du sujet qui activement occulte les raisons de la souffrance par le déni de la réalité qui le fait souffrir. Une des conséquences serait alors le concept de souffrance éthique. Cette forme de souffrance résulte des actes commis dans l’objectif d’obtenir de la reconnaissance dans le travail au prix de devoir agir contrairement à ses valeurs et son instance morale. Or, pour la société néolibérale dans laquelle la reconnaissance est devenue une véritable idéologie, voire un outil d’instrumentalisation par les organisations

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du travail (cf. Honneth, 1994), la souffrance éthique fournit une explication des phénomènes de décompensation6.

Alors que la psychodynamique du travail a déjà effectué plusieurs rapprochements avec l’École de Francfort par son dialogue avec Axel Honneth sur l’intrication de l’économie psychique et sociétale de la reconnaissance, la psychodynamique du travail entame une discussion liée aux travaux de Jürgen Habermas. Dans l’œuvre habermassienne, La technique et la science comme idéologie, en 1968 (la traduction française est sortie en 1973), l’auteur conçoit la place de la science et de la technologie dans les sociétés occidentales. Habermas argumente sur le fait que l’usage de la science et de la technologie serait un outil au service de la production et des avancées économiques, principalement au profit d’une classe dominante. La thèse de Habermas permet d’expliquer des phénomènes sociétaux actuels, également critiqués dans l’ouvrage de Dejours, qui portent sur la place du néolibéralisme et de son lien avec le tournant gestionnaire des années 1980.

5.1. La place de l’idéologie gestionnaire dans la souffrance au travail

La critique de l’idéologie gestionnaire dans la psychodynamique du travail concerne principalement les conséquences sur les organisations du travail et son mépris pour les sciences du travail.

Dans la société néolibérale, le système politique valorise principalement le progrès scientifique qui œuvre au profit de l’économie et de l’optimisation du fonctionnement des organisations du travail. Les sciences de gestion, étant initialement un outil de compréhension du monde de l’entreprise, deviennent désormais idéologiques par leur conception de l’économie et du développement de la production des biens et services.

Selon Gaulejac (Gaulejac, 2006), les sciences de gestion se fondent sur quatre paradigmes : • Le paradigme objectiviste, qui conçoit un langage basé sur des calculs pour gérer

les entreprises avec l'objectif de promouvoir une rentabilité financière.

6 Il est difficile d’omettre la question de souffrance éthique sans tenir compte de la thèse de doctorat de Duarte Rolo, en 2013, ainsi que le phénomène lié au clivage du Moi développé par Demaegdt (2014, 2015). Ces travaux seront développés ultérieurement (cf. chapitre 4).

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• Le paradigme fonctionnaliste, qui conçoit l’organisation comme un système biologique ou mécanique.

• Le paradigme expérimental, où l’objectivation est un gage de scientificité et de vérité. Un problème se résout « en fonction d’une rationalité issue de l’expertise » (idem, p. 31).

• Le paradigme utilitariste, où la pensée ne devient utile que dans la mesure où elle sert le système. La pensée critique devient alors inutile ou nuisible ce qui favorise une pensée unique.

Dans la logique de l’idéologie gestionnaire, on conçoit l’humain comme une simple ressource pour la société, mobilisable au service de l’économie. L’approche gestionnaire devient une idéologie dans la mesure où elle prône la construction d’un monde fondé sur l’idée de guerre économique, pour laquelle les différents acteurs de la société doivent se mobiliser pour la gagner à tout prix. Cette logique incite les sociétés (privées et publiques) à être dans une quête de performance et de productivité infinies, à toujours dépasser les objectifs, année après année, avec toujours moins de moyens. La conséquence de l’idéologie gestionnaire est une « course infernale vers le toujours plus, toujours mieux » (idem. p. 33).

Ce système oblige les sociétés à remporter des marchés en utilisant des pratiques « douteuses », dans une logique « d’affrontement permanent » (idem. p. 34) au service d’un capitalisme financier. Il est alors tributaire d’un phénomène marqué par la « lutte des places », qui favorise la compétition féroce dans l’objectif d’accéder aux meilleurs rangs du pouvoir. La conséquence en est l’exclusion pour ceux qui n’arrivent pas à se maintenir dans le circuit. Ce phénomène, qui n’est pas seulement réservé aux organisations privées, gagne également la fonction publique. Les hôpitaux, universités et le travail social sont touchés par cette idéologie en raison de l’introduction de programmes de qualité. Dès lors que l’idéologie gestionnaire prône des relations qui visent avant tout l’optimisation, la productivité et la performance, tout acteur est enjoint à s’adapter selon les exigences de l’économie. En revanche, l’idéologie gestionnaire serait incompatible avec les normes portant sur le respect des valeurs et de l’humanité. Dans la mesure où elle est fortement liée à un paradigme objectiviste et positiviste, les chiffres et tableaux de bord deviennent des outils d’objectivisation des coûts et

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bénéfices. Ainsi, toute décision est prise dans la logique de calculer de manière objective le niveau de profit et de rentabilité.

Les effets de cette forme de gestion aboutissent à des pratiques managériales, dans les organisations du travail, spécifiquement pathogènes pour les individus (Dejours, 2003a). La liste non exhaustive des pratiques est la suivante :

• L’évaluation quantitative des performances ; ce système n'attache aucune valeur au travail effectué en tant que tel, mais seulement au travail « délivré ». Lorsque chaque acteur est mesuré individuellement, couplé avec la menace du licenciement, cela conduit à la méfiance et aux conduites déloyales. Par conséquent, cette pratique a tendance à casser la coopération, empêchant le vivre ensemble et le travail collectif.

• L’obligation d’une qualité totale, qui part du principe relevant du Toyotisme « zéro déchets », vise une chimère, à savoir l’élimination des erreurs. Elle incite indirectement les travailleurs à cacher des anomalies (somme toute irréductibles) par la fraude et le mensonge pour ne pas se faire sanctionner, au détriment d’un coût psychique, dont la souffrance éthique.

5.2. Stratégies de défense

Parfois considérées comme la découverte la plus importante de la psychodynamique du travail, les stratégies de défense sont la conséquence de la tendance des personnes à ne pas subir passivement la souffrance engendrée par l’organisation du travail (Flottes et Molinier, 2012). La souffrance éthique, l’auto-accélération et les idéologies défensives font partie des stratégies des travailleurs pour tenir face à l’organisation du travail, responsable de souffrances.

Un travail « taylorisé », vidé de sens (il s’agirait d’un travail anti-sublimatoire7), à la fois soumis à des exigences de productivité, est susceptible d’induire un phénomène d’auto-accélération suite à l’engourdissement de la pensée du sujet (Dejours, 2004). Des cadences

7 Le concept psychanalytique de sublimation consiste à dévier la pulsion vers un objectif non sexuel au profit d’une activité socialement valorisée. Traditionnellement attribuée au travail scientifique ou artistique, la psychodynamique du travail conçoit que tout travail sublimatoire nécessite, dans un premier temps, la répression de la pulsion au prix de la frustration. En revanche, le travail accompli implique une transformation, à la fois sur le monde, mais également du sujet par l’accroissement de la subjectivité et le développement de nouveaux registres de sensibilité. Un travail anti-sublimatoire oblige l’individu à vivre dans la frustration, dans la mesure où le travail ne permet pas à l’individu de faire preuve de subjectivité et de créativité.

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infernales et la répétitivité de la tâche peuvent conduire à l’intensification de l’effort de la part du sujet, dans l’objectif d’arrêter les pensées et affects susceptibles d'entrer en conflit avec la concentration et la performance productive. L’individu réduit à un automate est alors amené à cesser son activité phantasmatique au prix de la répression pulsionnelle et d'un rétrécissement de la subjectivité. Ainsi, la structure de la tâche, vidée de créativité, est tributaire d’une forme d’hyperactivisme compulsif en guise de procédé autocalmant pour calmer l’angoisse et maintenir un équilibre psychique. La clinique du travail met l’accent sur la manière dont la structure de la tâche est un vecteur de l’hyperactivité qui, à son tour, devient source de souffrance et maladies somatiques.

Dans certaines situations, des défenses collectives peuvent avoir un rôle important dans la préservation de la santé mentale. Dans certains cas, elles se situent autour d’une radicalisation des défenses, induisant des idéologies défensives de métier. Elles apparaissent dans des situations extrêmes, sans espace de discussion et d’action en guise d’amélioration des conditions de travail. Le maintien de la cohésion entre agents se fait par la construction d’un ennemi commun. Dans les métiers à risque, la lutte contre la peur est susceptible de former des idéologies marquées par la virilité, colorée par le mépris contre les personnes perçues comme faibles, à savoir les hommes non virils ou peureux. Les idéologies défensives tributaires de la formation des clans entravent toute possibilité de discussion sur le travail et la réalité. Débouchant sur la violence, elles effacent les espaces de convivialité (Flottes, 2004).

Enfin, le clivage de soi reste à la base un concept propre à la psychanalyse. Il se caractérise par deux sphères opposées de la personnalité qui fonctionnent à l’insu l'une de l’autre. Ce phénomène est potentiellement enclin à apparaître dans certaines organisations du travail marquées par la violence relationnelle. Ces structures organisationnelles sont disposées à pousser les travailleurs à participer activement à un système qui encourage la discrimination, le racisme et les brimades. L’individu, qui participe aux comportements pervers au travail, peut avoirs recours à une défense de l’ordre du clivage forcé, caractérisé par un déni de ses comportements lorsqu’il est situé en dehors de la situation de travail (Dejours, 2012). Certaines personnes, qui affichent des attitudes et comportements sadiques au travail, peuvent alors instaurer une coupure entre leur personnalité affichée dans la sphère professionnelle et celle hors travail. La stratégie défensive sera la séparation entre deux modalités de fonctionnement psychiques qui coexistent chez le même individu et qui fonctionnent indépendamment l’une de l’autre.

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