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Chapitre 2 – La prise en charge en Suède

4. Modalités de prise en charge en Suède

Il semble judicieux de décrire, dans un premier temps, la perception par les praticiens des patients et des organisations de travail dans lesquelles ils se situent. La perception des patients et de leur pathologie est susceptible d’influencer la manière dont les praticiens mettent en application le travail de prise en charge. Ainsi, le fait de discerner la manière dont les praticiens perçoivent les usagers permet de comprendre le cadre de référence dans lequel ils se situent.

4.1. Compréhension des patients de la part des praticiens

Alors que les acteurs font référence aux organisations de travail pathogènes pour expliquer la souffrance des usagers, ils mettent avant tout l’accent sur la fragilité du patient pour expliquer leur décompensation.

Les patients ont tendance à souffrir d’un niveau d’exigence très élevé, dont la conséquence est de perdre le contrôle. Habitués à un certain niveau de performance, ils s’acharnent généralement dans leur travail. Ils ne sont pas à l’écoute des signaux physiologiques. Ainsi, ils

ont tendance à ignorer les sensations de douleur, de fatigue et autres signaux d’alarme. L’épuisement peut être lié à un trouble sous-jacent, impliquant la difficulté à s’organiser et à interpréter des codes sociaux sur les lieux du travail. Des troubles d’Asperger ou d’attention peuvent être des syndromes provoquant une fragilité particulière.

Quant aux fonctions professionnelles potentiellement pathogènes, elles se caractérisent par des objectifs de travail opaques, avec une charge de travail particulièrement élevée. L’environnement de travail ne permettant pas d’offrir un temps de récupération nécessaire, il est marqué par des frontières poreuses entre la vie professionnelle et la vie privée. Par conséquent, les patients peinent à concilier vie professionnelle et familiale.

Il y a une surreprésentation de certains métiers. Les fonctions impliquant le contact récurrent avec d’autres personnes seraient des fonctions particulièrement pathogènes, notamment le métier du soin à la personne et de l’enseignement. Ainsi, l’environnement professionnel caractérisé par de l’open-space et l’absence d’un bureau personnel n’offre pas au patient la possibilité de reprendre son souffle et de recharger ses batteries. Les fonctions d’encadrement de niveau « middle management » présentent un danger particulier, dans la mesure où les usagers se situent dans une fonction, écrasés entre les demandes de la direction et la gestion des subordonnées.

La souffrance, quant à elle, est considérée comme une conséquence directe des réactions physiologiques liées au stress, impliquant l’axe hypothalamo-hypophyso-surrrénalien. La décompensation serait un effet des troubles du sommeil, qui perdurent depuis plusieurs mois. Alors que la chute survient après une période marquée par une charge de travail particulièrement élevée, elle coïncide avec un évènement singulièrement difficile (par exemple un divorce ou la naissance d’un enfant handicapé). Cet incident, comparé à un point de rupture, conduit le patient à épuiser ses ressources. Ainsi, la décompensation serait une conséquence d’une combinaison de dispositions personnelles du patient et de la présence de facteurs stressants dans sa vie privée et professionnelle.

Quant à la symptomatologie, les praticiens mettent l’accent sur le sentiment d’épuisement physique et mental suite aux troubles du sommeil. Ces symptômes sont souvent accompagnés de dysfonctionnements cognitifs, de douleurs somatiques et d’angoisse. Ces troubles, qui génèrent de la culpabilité chez les patients, peuvent provoquer des troubles phobiques, avec comme conséquence de l’isolement et des troubles dépressifs. Les patients ont souvent vécu avec ces symptômes pendant plusieurs mois, voire des années avant la survenue de la décompensation.

4.2. Le travail de prise en charge : visée diagnostique et inspiration des TCC de troisième vague

La réhabilitation est divisée en différentes étapes :

1. Examen psychologique et travail diagnostic. 2. Accueil des patients.

3. Travail de prise en charge en groupe avec un praticien et plusieurs patients. 4. Prise en charge individuelle entre praticien et patient.

4.2.1. Examen psychologique et travail diagnostic

La phase diagnostique du patient prend une place importante dans les différentes étapes de la prise en charge. Alors que les médecins sont davantage concernés par cette phase, les psychologues sont également impliqués dans l’examen psychologique du patient. Des outils quantitatifs, sous forme de questionnaires, servent de base dans la conduite des bilans. Des entretiens exploratoires, sous forme qualitative avec le patient, peuvent faire partie de l’évaluation.

Il est important de déterminer si la décompensation est liée aux éventuels troubles neurologiques ou de personnalité, dans la mesure où ces patients seront alors adressés à la psychiatrie. L’examen psychologique permet également de vérifier la comorbidité avec d’autres formes de syndromes, parfois présents chez les patients atteints par le syndrome d’épuisement.

Enfin, les praticiens peuvent procéder au prélèvement de sang pour mesurer le taux de catécholamines en matière d’indicateur du niveau de stress.

4.2.2. Accueil du patient

Dans la mesure où le programme de réhabilitation s’inscrit dans un programme rédigé sur mesure en fonction des besoins de chaque patient, les méthodes de prise en charge varient légèrement en fonction de chaque individu. La phase d’accueil se caractérise par une démarche de soutien et de compréhension de la souffrance du patient. Les praticiens mettent en place un environnement qui permet d’éloigner le patient des exigences, dans l’objectif de favoriser le repos et la récupération. Ainsi, le médecin peut prescrire des antidépresseurs, des somnifères et un arrêt de travail. Le praticien, principalement un physiothérapeute ou un ergonome, vise la mise en place d’une saine hygiène de vie. Il incite l’usager à instaurer une structure dans sa vie quotidienne, impliquant notamment des repas à heures fixes, le repos et le sommeil.

Compte tenu de la nécessité du patient de se situer dans un environnement sans contraintes, la prise en charge psychothérapeutique ne démarre pas pendant la phase d’accueil qui peut durer quelques jours voire des semaines en fonction de l’état du patient.

4.2.3. Travail de prise en charge

Les patients bénéficient d’un certain nombre de séances de travail, en individuel et en groupe. Elles impliquent les modules suivants :

• Séances collectives conduites par des praticiens extérieurs à l’institution, axées sur des techniques de relaxation, méditation, gestion de sommeil, qui-gong et tai-chi.

• Séances de psychothérapie sous forme individuelle et collective axées sur l’éducation, l’apprentissage et l’élargissement du répertoire comportemental et cognitif.

• Séances sur les techniques de gestion de l’énergie dans la vie quotidienne et avec l’objectif de préparer le retour au travail du salarié. Ces séances sont animées par le physiothérapeute/l’ergonome.

4.2.3.1. Séances de psychothérapie en groupe

Dans une logique éducative, le praticien vise l’apprentissage, pour les patients, des éléments ayant provoqué la décompensation. Le praticien met l’accent sur les conséquences du stress, son implication sur le système nerveux central ainsi que son impact sur le sommeil et la cognition. Ces séances permettent de transmettre aux patients les clés de compréhension liées à la survenue de leur pathologie. Elles cherchent à communiquer des astuces pour permettre au patient de gérer son quotidien.

Une partie de ces consultations sont animées sous forme de groupes de parole. Les patients échangent sur le vécu de leur décompensation. Ils font part de leur expérience, de leur pathologie. Ce dispositif cherche à désacraliser les troubles des usagers et à agir sur leur sentiment de honte et de culpabilité.

La compréhension des causes de la souffrance et les échanges avec des pairs procurent un sens à la souffrance des usagers, qui ont tendance à ne pas comprendre les causes de leur pathologie.

4.2.3.2. Prise en charge individuelle

Les consultations individuelles permettent d’adapter la prise en charge en fonction des problématiques de chaque individu. De manière générale, le nombre de séances n’excède pas 10 consultations. Schématiquement, elles se déroulent de la manière suivante :

• identification des stresseurs ;

• élargissement du répertoire des comportements ;

• travail avec un ergonome sur l’adaptation du poste de travail pour favoriser le retour à l’environnement professionnel.

Identification des stresseurs et gestion des ressources

Le praticien identifie un domaine spécifique lié à la problématique de l’individu. Compte tenu du nombre limité de séances, le praticien peut décider de se centrer sur une sphère spécifique de la vie du patient.

La phase initiale des séances individuelles consiste à repérer des stresseurs susceptibles d'avoir provoqué la décompensation. Impliquant souvent l’établissement d’un planning, les séances permettent de procurer au patient une certaine structuration de sa vie quotidienne. Le praticien, qui peut être psychologue/psychothérapeute, consultant en organisation ou physiothérapeute/ergonomiste, cherche à fournir des outils pragmatiques de la gestion de la vie quotidienne.

Alors que les séances avec le psychologue se concentrent sur le comportement et le ressenti de l’individu, les consultations avec l’ergonomiste/la physiothérapeute se centrent sur la manière dont l’individu gère ses ressources dans la vie privée et professionnelle. La spécificité des ergonomistes est d’impliquer l’employeur dans le processus de réhabilitation. Ils peuvent informer et éduquer l’employeur sur le réaménagement du poste de travail pour faciliter le retour du salarié à l’environnement professionnel.

Élargissement du répertoire des cognitions et comportements

Les séances avec les psychologues/psychothérapeutes/consultants en organisation sont très influencées par les thérapies comportementales et cognitives de « troisième vague ». Elles permettent au patient d’explorer ses valeurs, désirs et craintes. Avec l’aide d'exercices pratiques, le praticien et le salarié discernent ce qui est important dans la vie du patient. La méthode de prise en charge implique des techniques de méditation, de relaxation et de respiration. Le praticien invite le patient à s’exposer aux situations habituellement anxiogènes, à rester dans l’instant présent et à être à l’écoute des signaux physiologiques.

Par ailleurs, en vue de l’élargissement du répertoire des comportements, le praticien propose au patient des comportements alternatifs et plus économiques en matière de consommation d’énergie. Les séances cherchent à permettre au patient de gérer son énergie autrement, par exemple de s’accorder des espaces de repos.

Le travail d’exploration du passé s’avère parfois nécessaire, mais ne s’effectue jamais dans un premier temps. Tous les patients ne sont pas concernés par cette phase dans la prise en charge. Par ailleurs, cette étape a lieu dans les dernières phases de la réhabilitation. Dans certains cas, les psychologues peuvent préconiser au patient d’aborder cette partie en l’adressant vers un psychothérapeute qui exerce à l’extérieur de l’institution impliquée dans la réhabilitation.

Travail de réhabilitation centré sur le retour au travail

Les séances avec l’ergonome/physiothérapeute, axées sur le retour au travail, se centrent sur les gestes d’exécution au travail. Le patient est invité à raconter en détail comment il exécute son travail. Basé sur le récit du patient, le praticien procure à l’usager des astuces liées aux techniques d’adaptation, dans l’objectif de ne pas gaspiller son énergie. Le praticien peut impliquer l’employeur dans le processus de réhabilitation. Il peut être amené à adapter le poste de travail au salarié, pour faciliter son retour dans l’environnement professionnel. Généralement, le praticien préconise un retour à un poste impliquant un niveau d’exigence minimal, évitant le contact avec d’autres personnes. Ce travail de réaménagement consiste généralement à mettre en place un planning de reprise de l’activité professionnelle. Ce planning peut suivre différentes étapes, avec une reprise à 25 % du temps de travail sous forme de mi-temps thérapeutique, pour successivement prévoir une augmentation de 25 % par étape, puis finalement atteindre un travail à temps plein.