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Chapitre 4 – La Psychothérapie

4. La psychanalyse

4.3. Le narcissisme et les relations d’objet

Le concept du narcissisme apparaît à plusieurs reprises dans l’œuvre freudienne avant d’être développé dans son essai Pour introduire le narcissisme (Freud, 1914a). Dans son corpus, Freud décrit le concept dans une logique d’économie pulsionnelle, qui ramène le sujet à répartir son investissement libidinal entre le moi et l’objet. Le narcissisme désigne alors la fixation et le placement narcissique de la libido. Le narcissisme normal correspond à l’investissement libidinal vers le moi à la personne, les cas psychopathologiques s’expliquent par le destin de la libido, « maintenue et étendue au moi » (Neau, 2012 ; p. 164). Dans cette logique, certaines pathologies s’expriment par l’incapacité du sujet à investir dans l’objet, dans la mesure où la libido reste intégralement investie vers le moi. (Neau, 2012).

Dans le développement du corpus freudien, le narcissisme reste avant tout une étape du développement, bien que son concept évolue au fil de ses textes. Freud distingue le « narcissisme primaire » du « narcissisme secondaire ». Le narcissisme secondaire constitue un processus psychopathologique, visible dans la psychose. Il constitue un retour de la libido sur le moi suite aux investissements objectaux insatisfaisants. En revanche, le narcissisme primaire désigne un état précoce du développement de l’enfant, période pendant laquelle

l’enfant place l’intégralité de la libido sur lui-même. Le narcissisme constitue alors une phase du développement libidinal, situé entre l’auto-érotisme et l’amour objectal. L’auto-érotisme constitue la période du développement pendant laquelle le sujet cherche de la gratification à partir du corps propre. Le narcissisme reste alors le résultat de l’attention portée par les parents sur l’enfant, au centre des soins. L’investissement objectal qui succède à la phase narcissique peut s’associer à des relations œdipiennes, tributaires de la menace de castration, ce qui reste souvent une conséquence des formes de réprimandes de l’extérieur. En résulte la création d’un moi idéal à partir duquel le sujet va comparer son moi réel. Selon Freud, la libido narcissique sera aussitôt déplacée sur le moi idéal. Par la formation du surmoi, qui constitue l’intériorisation des exigences et interdits parentaux, le sujet peut être amené à juger l’écart entre le moi actuel et le moi idéal, « parfois avec une infinie sévérité » (Neau, 2012, p. 166).

Chez les post-freudiens, le concept prend également des destins différents. Le narcissisme va alors souvent rejoindre la notion de l’amour-propre. Dans cet élan, Kohut va développer la notion du self (Kohut, 1974). Il développe une métapsychologie, où le self est composé d’un premier pôle d’un soi grandiose et d’un second pôle constitué par la construction d’une imago parentale idéalisée. Kohut caractérise la personnalité narcissique par un soi grandiose pathologique. Ainsi, dans le cadre du travail psychanalytique avec le patient, Kohut met l’accent sur la qualité des investissements du soi permettant la restauration du self endommagé par les défaillances des objets primaires. Des travaux cliniques aux États-Unis font référence au cadre pathologique des troubles narcissiques (Kohut, 1974). Ces troubles se caractérisent par la faiblesse du self, souvent liée à la crainte de perte de l’objet. Selon Kohut, les pathologies narcissiques se caractérisent par les objets narcissiques insuffisamment investis et exposés à une fragmentation temporaire. Les troubles narcissiques sont alors liés à l’angoisse du Moi de faire face à la fragmentation (Kohut, 1974). Kohut fait référence à la fragmentation partielle ou totale du self, endommageable par les défaillances des objets primaires.

« La principale source de malaise résulte donc de l’inaptitude du psychisme à régler l’estime de soi et à la maintenir à des niveaux normaux ; les expériences (pathogènes) spécifiques qui correspondent au domaine du narcissisme et parcourent une gamme qui va du sentiment de grandeur angoissé et de l’excitation, à un léger embarras et à un sentiment de contrainte ou à la honte, l’hypocondrie et la dépression » (Kohut, 1974, p. 28).

Les troubles narcissiques seraient marqués par la crainte de la perte de l’amour de l’objet ou de la perte de l’objet. Selon Kohut, la crainte de perte de l’amour de l’objet précéderait l’angoisse de castration, qui viendrait au second plan. Quant à la diminution de l’estime de soi chez le patient « malade du narcissisme », Kohut l’explique par la perte de l’admiration reçue de l’objet. Les maladies du narcissisme ne seraient pas toujours directement liées à un self insuffisant. Il s’agirait, souvent, plutôt d’une perturbation liée à une idéalisation paralysante ou bien d’une idéalisation tyrannique des personnes dans leur entourage. Ces phénomènes peuvent donner lieu à un « soi grandiose idéalisé ».

La restauration du self endommagé peut se faire par un transfert narcissique, pendant lequel le thérapeute procède au renforcement du moi du patient. Ainsi, dans la démarche psychothérapeutique, le thérapeute peut procéder, au début, à un renforcement narcissique, permettant au patient de restaurer un fonctionnement du self.

Grunberger, quant à lui, fait référence au terme de « l’apport narcissique » (Grunberger, 1971). Selon lui, le fœtus vit dans un état de régression narcissique de satisfaction spontanée. Après la naissance, la position de toute puissance est rompue et constitue un « traumatisme mal toléré » (Grunberger, 1971, p. 90). L’entourage du nourrisson pourra alors l’aider à reconstituer une unité narcissique en l’aimant. Cette unité sera alors proposée par l’extérieur sous forme d’apport. Selon Grunberger, l’analyste peut, par son apport narcissique, aider le sujet à supporter la frustration pulsionnelle propre au travail analytique, exacerbée par la régression narcissique propre au cadre analytique. Cet apport narcissique ne se constitue pas seulement par la position de l’analyste d’une neutralité bienveillante, mais également par « l’intérêt et attention exclusifs et à toute épreuve, avec la possibilité de fantasmatisation illimitée ; sans parler de la liberté absolue dont jouit l’analysé dans la cure et de son impunité, cette liberté potentielle et fantasmatique étant l’unique forme de liberté qui puisse convenir au narcissique. » (Grunberger, 1971, p. 92).

Dans cette logique, grâce à l’approbation du parent sur lequel l’enfant projette une toute- puissance narcissique, l’enfant arrive à récupérer une forme d’intégrité narcissique perdue dans sa prise de conscience de son mode néoténique. Grunberger soutient que « les parents soutiendront l’enfant par leurs apports narcissiques, que l’enfant saura solliciter à son tour sur un mode adéquat » (Grunberger, 1971, p. 208). À un degré supérieur d’évolution, l’enfant cherchera à se rendre indépendant du support narcissique qui provient des parents, pour se fournir lui-même ses propres ressources de valorisation narcissique. Cependant, Grunberger énonce que le sujet

névrosé aurait raté sa première tentative de valorisation, « vécu comme un traumatisme grave » (Grunberger, 1971, p. 211). La situation analytique permettrait de reprendre ce processus. La cure analytique mettrait alors à disposition de l’analysé l’intégrité narcissique par sa confirmation et revalorisation narcissique qui devrait rester sans failles tout au long de la cure.

Alors que les troubles narcissiques tiennent compte des relations dysfonctionnelles avec les parents, d’autres psychanalystes post-freudiens, comme Fairbairn, développent les théories sur les relations d’objet. Fairbairn, quant à lui, s’intéresse au lien précoce entre la mère et l’enfant. Par opposition à Freud qui conçoit que la pulsion est principalement à la recherche du plaisir, Fairbairn soutient que la pulsion est dans la recherche de l’objet (Fairbairn, 1974 cité par Vuaillat, 2003). Ainsi, les expériences traumatiques peuvent résulter d'une difficulté à investir de manière satisfaisante un objet. Suite à ses échanges avec Fairbairn, Bowlby élabore sa théorie de l’attachement. Bowlby entend alors le lien émotionnel spécifique entre le bébé et le donneur de soin (caregiver) pendant les débuts de sa vie (Bowlby, 1969). Il avance que le développement de l’attachement est important pour la santé mentale et donne lieu aux patterns, certains schémas qui restent ancrés et qui caractérisent la manière dont une personne se positionne vis-à-vis de son entourage et du monde en général. Alors que la relation insécure avec le donneur de soin est tributaire d'une relation d’attachement du même ordre, ces personnes seraient moins enclines à l’exploration de leur environnement et auraient tendance à développer une méfiance face à l’étranger. En revanche, un attachement sécure permettrait d’augmenter la résistance au stress et promouvoir la résilience (Pianta et al., 1990 cité par Tereno et al., 2007).

Alors que certains psychanalystes, notamment des post-freudiens tels que Grunberger, font référence au « trauma narcissique » qui nécessite une valorisation de la part du psychanalyste, qu’en est-il du trauma dans les œuvres des psychanalystes?

Il semblerait que le disciple de Freud, Ferenczi, ait été parmi les praticiens à avoir développé des écrits sur le trauma et le traumatisme. Le concept du trauma sera alors exposé dans la partie suivante.