• Aucun résultat trouvé

Transactions Communicationnelles Symboliques (suite)

4. La référence centrale à l’Ingénierie des Connaissances

4.6. Documents et productions sémiotiques

4.6.7. Transactions Communicationnelles Symboliques (suite)

(suite)

La Théorie des transactions communicationnelles symboliques ou TCS [ZACKLAD 04], que nous avons déjà évoquée à plusieurs reprises, est apparue pour nous un point d’appui majeur. En effet elle effectue le lien entre d’une part les réflexions précédentes sur le document et l’approche artefactuelle de l’IC, et d’autre part la théorie de l’activité et les méthodes du TCAO évoquées au chapitre précédent.

29Le fait de décider ce qui est primaire ou secondaire reste relatif à des choix de modélisation, par rapport à l’usage escompté de ces ressources dans l’activité. On peut très bien imaginer une application Agoræ visant à catégoriser diverses ontologies ou RTO existantes, et dans ce cas ces RTO deviendraient les entités classées.

30 Ainsi, prenons l’une des ressources, par exemple la fiche « liste et calendrier des livrables » reliée au projet « APNEE : réseau d’alerte sur la qualité de l’air ». D’une part elle n’est pas la seule occurrence de ressource qui décrit ce projet : il peut exister aussi un texte détaillé, une présentation graphique, un agenda des réunions, une conférence audio, qui représentent autant d’occurrences de la même intention de définition ou de présentation. Les thèmes de la carte caractérisant l’entité « APNEE » comme attributs heuristiques (tel que le thème « Air », déjà noté) ne coïncideront pas, pour l’essentiel, avec les mots-clés ressortant de la fiche en question, tels qu’un outil de TAL, par exemple serait capable de les mettre en évidence.

Il est nécessaire de compléter les éléments déjà apportés sur la TCS dans plusieurs directions, à commencer par la notion de transaction. Notons tout d’abord que dans la TCS, les transactions assurent une articulation entre la dynamique des savoirs et la dynamique des relations. Elles ont pour but de permettre aux acteurs, à travers un certain nombre de stratégies utilisant en particulier les productions sémiotiques, de proposer leurs connaissances, de réduire leur ignorance et plus généralement de réduire leur interdépendance cognitive, mais aussi de diminuer les coûts de coordination. Les transactions peuvent inclure la notion de contrat, mais ne se réduisent pas à la notion de transaction qu’on rencontre par exemple dans le domaine juridico-commercial. En ce qui nous concerne, pour l’activité socio sémantique en particulier, les TCS peuvent porter à la fois31 :

- sur le versant épistémique, par exemple: a) un acteur ajoute une connaissance (un thème, une entité) à l’ontologie sémiotique ; b) deux acteurs négocient, en référence aux connaissances de domaine, un accord sur le nom ou le placement d’un thème dans la carte ; c) deux acteurs marquent leur désaccord (sans le résoudre) en établissant chacun leur position par des critères définitoires (nom, placement, éventuellement rattaché à la carte commune), etc.

- sur le versant relationnel, par exemple : a) un acteur affirme son soutien conditionnel ou sa confiance envers les connaissances posées par le groupe ou d’autres acteurs dans un certain point de vue ; b) un acteur pourtant en désaccord épistémique s’aligne sur le groupe; c) un acteur pourtant en accord épistémique proteste pour des raisons sociales, par exemple en fonction d’un conflit dans l’activité métier ; d) utilisation d’un vote ou d’un principe hiérarchique pour trancher des conflits, etc.

- sur des enjeux mixtes « croisant » les versants épistémique et relationnel, par exemple : a) un acteur accepte un rôle de supervision justifié par sa compétence sur un ensemble de thèmes, et gagne indirectement une certaine notoriété ; b) ou bien, il gagne ainsi un pouvoir accru dans l’organisation de l’activité métier utilisatrice de l’ontologie, etc.

Une seconde remarque est méthodologique : à partir des productions sémiotiques observées de la part des acteurs, la TCS constitue un cadre d’analyse qui permet de décrypter certains caractères, éventuellement récurrents, des productions sémiotiques constitutives des situations d’activité des acteurs. Dans notre cas, ces productions sémiotiques, qui sont d’essence langagière, sont la matière première de transactions relativement standardisées liées aux usages des ontologies sémiotiques (par exemple en fonction de rôles stéréotypés tels que « client » ou « fournisseur » dans le modèle KBM de « Place de marché à base de connaissances). Ainsi, « la proposition de voir les choses sous un autre point de vue » est constitutive de façon récurrente de productions sémiotiques intervenant dans beaucoup de transactions liées à l’activité socio sémantique32. Le cadre d’analyse selon la TCS permet ainsi de mieux penser les formes de standardisation qui peuvent être mises en œuvre au travers des outils d’IC/TCAO proposés, tel que l’outil Agoræ pour l’usage multiple (en recherche, dépôt et co-construction) que cet outil permet sur une ontologie sémiotique.

Comme nous l’avons vu en définissant les productions sémiotiques au §4.6.2, la TCS met l’accent sur la situation interactionnelle. Cette situation est le seul cadre susceptible de donner sens aux diverses productions sémiotiques mises en jeu par les acteurs. Analyser la transaction en terme de « productions sémiotiques » échangées entre acteurs de cette transaction, revient à désambiguïser la signification des inscriptions échangées, pour tenir compte de l’activité.

Malheureusement, le contenu sémiotique résultat de cette analyse est difficilement accessible explicitement, y compris aux acteurs directement concernés. Les compléments nécessaires sur la

31Les acteurs vivent et résolvent les problèmes en tant que totalités vécues qu’ils tentent de démonter en groupe dans une pratique langagière, davantage qu’à partir de grilles de catégories préconçues. En particulier, nous considérons qu’on ne peut traiter en général les problèmes socio sémantiques en séparant complètement des problèmes dus à l’activité sociale et aux groupes d’un côté, et d’un autre côté les aspects de langage et de sémantique servant aux acteurs à exprimer leurs activités dans le domaine. Il n’y a pas étanchéité entre d’un côté une « unité d’analyse » de l’activité, comme nous l’avons vu au §3.3.3 et d’un autre côté une « cellule de base » de la sémantique de domaine, avec des entités, des attributs de ces entités, des relations dans le domaine… C’est au contraire la recherche d’un langage adapté à l’activité socio sémantique prise dans sa globalité qui nous occupe au premier chef.

32 Que celles-ci aient lieu entre des « personnes » distinctes ou entre la même personne engagée avec elle-même dans un dialogue intérieur prolongé, cf. [ZACKLAD 05b].

signification ne peuvent en général être « encapsulés » avec le média de la production sémiotique afin d’aider à déterminer davantage son sens. Cependant, en particulier lorsqu’ils sont dans un cadre distribué qui les y incite, les acteurs peuvent s’y efforcer. L’enjeu pour eux va être alors, dans la réalité de la situation en train de se dérouler, de relever certains éléments interactionnels qui ont besoin d’être pensés et marqués artefactuellement, s’agissant pour beaucoup d’entre eux d’éléments éphémères qui sans ce marquage seraient rapidement oubliés. Pour inscrire ces nombreuses « prises » ou « saillances » liées à l’évolution de la situation transactionnelle, les acteurs ont besoin d’un artefact pérenne de mémorisation, de structuration et de partage, que nous avons appelé un « artefact d’interaction ».

Notons bien que les éléments remarquables de la situation le sont (remarquables) uniquement du en vertu de l’activité qui est en train de se dérouler (qui peut être une activité métier, mais aussi l’activité socio sémantique). Ces éléments remarquables sont des productions sémiotiques, ou des fragments de productions sémiotiques, qui, ainsi que nous l’avons vu au §4.6.2, ne s’inscrivent pas seulement dans les documents au sens classique de ce mot, mais aussi dans des personnes (leurs gestes, postures, dialogues, écrits…) et dans leur environnement. Ainsi, « la bruyère » dans l’exemple du §4.6.4 est un élément remarquable qui est inscrit dans l’environnement naturel, et qui ne prend sa signification que comme indice en rapport avec l’activité singulière à laquelle l’acteur est en train de se livrer.

Dans l’activité que déroulent les acteurs, des mots sont prononcés, des objets sont désignés, des documents sont consultés et réécrits, des accords sont enregistrés, etc. Dans l’activité non instrumentée, très souvent ces éléments remarquables du déroulement de la situation sont inscrits dans des productions sémiotiques non pérennes, que seuls les acteurs présents observent. Les acteurs sont en général bien placés pour évaluer l’intérêt qu’il pourrait y avoir à leur apposer des marques explicites et à les documentariser, afin d’avoir collectivement de meilleures prises sur leur activité.

C’est pourquoi il est important que nous disposions, grâce à la TCS, d’une théorie permettant d’organiser le champ de la situation interactionnelle, car elle propose une grille d’analyse réutilisable permettant d’organiser les inscriptions remarquables intervenant dans toute situation transactionnelle, et en particulier dans celles que nous étudions.

Notons pour terminer ce paragraphe que, dans l’activité socio sémantique autour d’une ontologie sémiotique, nous avons à faire à la fois :

- à un artefact à caractère universalisant (d’où, dans les TCS associées, un certain nombre de productions sémiotiques par lesquelles les acteurs se positionnent par rapport à des aspects de l’artefact, en en faisant usage, en apportant des modifications, ou en refusant au contraire l’usage de tout ou partie de l’artefact),

- mais aussi à des acteurs individualisés occupant des positions singulières en termes de savoirs, d’activités dans le domaine, de compétences, de rôles, de relations dans le groupe, etc. (d’où un certain nombre de productions sémiotiques par lesquelles ces acteurs échangent d’individu à individu, ou d’individu à groupe, par rapport à des aspects de l’artefact dont ces acteurs ou groupes se revendiquent nommément comme auteurs).

Dans notre champ d’études, cela entraîne deux grands types de situations transactionnelles récurrentes, impliquant tous deux d’assez fortes standardisations:

- D’une part, un certain type de production sémiotique est mis en jeu quand un membre de la communauté est confronté à l’ontologie comme à « l’artefact de référence », produit par la communauté (en oubliant provisoirement qu’elle représente aussi un construit historique de contributions individuelles). L’acteur est face à un document, qui est une carte hypertopique ou un fragment de celle-ci, qui prend son autorité et sa signification par rapport à l’usage qu’il en fait. Les productions sémiotiques que l’acteur produit sont des lectures et des réécritures guidées par l’artefact et dont le contenu sémiotique prend sa signification de par cet usage. L’acteur est alors engagé dans une transaction à caractère universalisant basée sur l’artefact de référence, selon un certain usage lié à son activité. Les signes de cet artefact (thèmes, entités, arcs de la carte…) prennent leur signification par rapport aux intentions d’usage de cet acteur,

qui elles-mêmes dépendent de son activité d’arrière plan du moment (recherche d’information, aide à la décision, recherche d’incohérences, construction, etc.).

- D’autre part, au niveau plus précisément de l’activité socio sémantique, quand il s’agit entre les membres du groupe d’interagir pour critiquer ou concevoir l’ontologie sémiotique, une autre forme de TCS concerne des acteurs singuliers qui ont la nécessité de dialoguer à propos des composants de l’artefact de référence qu’ils sont en train de co-construire. Ils réalisent notamment des accords définitoires, prennent acte de conflits non résolus par d’autres prises de positions définitoires, etc. Les productions sémiotiques qui composent alors leurs dialogues (commentaires, opération de construction, postures argumentatives, etc.) sont alors personnalisées et ont besoin de prendre pour support un « artefact d’interaction » (par exemple un forum, ou un dialogue sous forme d’annotations attachées aux composants de l’ontologie). Nous allons maintenant étudier plus en détail l’articulation de ces deux types d’artefact, « artefact de référence » et « artefact d’interactions » qui peuvent servir de supports privilégiés aux TCS dans notre contexte d’étude.