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L’échelle des communautés

3. Activité et interaction médiatisées pour la Gestion de connaissances

3.3. Conséquences sur notre approche de l’activité

3.3.4. L’échelle des communautés

3.3.4.1. Notre choix de focalisation

Nous pouvons maintenant nous attacher dans de meilleures conditions à définir les groupes sociaux que nous choisissons de considérer, à travers quelle grille de lecture, et nos raisons pour ces choix. Comme nous l’avons annoncé au §2.3, notre niveau d’étude est celui « des communautés au sens large ».

Nous avons passé en revue les travaux scientifiques, notamment en amont du TCAO, concernant la question des communautés (par exemple [BROWN 94]) mettant en évidence théoriquement l’existence et le rôle de plusieurs catégories de communautés – que l’on peut caractériser comme communautés de pratique, communautés épistémiques ou « intensives en connaissances », communautés d’actions.

Les types de communautés qui vont sans doute être le plus intéressantes pour notre étude sont les Communautés d’action et les Communautés épistémiques. Les Communautés d’action, dont nous reparlerons au §3.3.6, peuvent être considérées comme « un type de communauté de pratique ou un stade particulier de leur développement dans lequel se déroule une délibération explicite tant sur la structure sociale que sur l’activité (la pratique) ». [ZACKLAD 03a]. D’autres auteurs comme

[COHENDET 03] ont de leur côté surtout étudié les communautés épistémiques, qui ont pour but explicite de produire de la connaissance et sont basées sur une intense circulation de connaissance codifiée. « A l’intérieur d’une communauté intensive en connaissances, le comportement des membres se caractérise comme dans toute communauté, par le respect des normes sociales qui sont définies, mais aussi dans ce contexte particulier par l’engagement volontaire dans la construction, l’échange, et le partage d’un répertoire de ressources cognitives communes » [DUPOUET 02].

En fait nous verrons que pratiquement tous les types de communautés et collectifs de métier sont susceptibles de nous intéresser, dès lors qu’ils évitent l’illusion déjà signalée d’une communauté dont les membres regarderaient « toujours et tous ensemble dans la même direction », mais qu’ils recherchent à des degrés divers une co-pensée explicite de leur sémantique, ce qui est très fréquent (nous définirons mieux au §3.3.5 ce caractère explicite). Comme nous avons fait l’hypothèse que c’est au niveau communautaire que des sémantiques partagées pourraient être co-créées sur le Web de la façon la plus utile et la plus efficace, dans cette approche ouverte conforme à l’esprit du Web nous n’aurions aucune raison d’être abusivement restrictif du point de vue de la typologie des communautés concernées. Pour s’en tenir à des groupes utilisant le Web, cela nous amène à nous intéresser à des groupes de toutes tailles, allant de groupes plus ou moins « fermés » utilisant l’infrastructure du Web (intranet, extranet), aussi bien qu’à des communautés plus « ouvertes » sur le Web délimitées par des contours associatifs ou professionnels (communautés des Logiciels Libres, réseaux d’entreprises, places de marché, etc.)

Cette échelle communautaire telle que nous la définissons nous permet de nous intéresser à des périmètres situés un cran au dessous de celui de l’échelle habituellement considérée comme « l’organisation », qui comporte en général trop d’activités ce qui diminue la lisibilité par les membres. L’échelle de la Communauté en englobe un nombre moindre, facilitant la conscience que les membres ont de ces activités et de leur adhésion aux motifs de ces activités. Le niveau de la communauté est aussi justifié par l’idée, souvent invoquée, selon laquelle il est plus facile de construire du sens entre des personnes qui sont en confiance, cette confiance s’appuyant notamment sur une relation structurée ayant une histoire et un devenir.

Comme nous l’avons vu au §3.3.3.5, dans notre approche, pour appartenir à une communauté qui se fixe une activité, il faut et il suffit que des acteurs participent à cette activité en en partageant le motif général. Dès que cette condition est réunie, le groupe entre dans le champ de notre étude, dans la mesure où il existe alors une possibilité d’activité socio sémantique en son sein. Le seul fait que des acteurs se reconnaissent dans une activité, même très générale, va permettre à des points de vue d’acteurs d’accéder à une existence sémantique, et potentiellement au partage d’une représentation artefactuelle21.

L’échelle de la Communauté n’exclut donc pas l’intérêt envers des groupes de taille petite ou moyenne, considérés selon une grille de micro-sociologie. Cette échelle de la communauté au sens large nous offre donc des ouvertures pour nous intéresser sur le terrain à des groupes qui n’ont pas forcément tous les traits caractéristiques des organisations, mais qui peuvent se contenter d’activités communes de commerce ou de partage d’information (par exemple des associations ou des groupes de fournisseurs ou d’usagers constituant ensemble des « pages jaunes » de ressources utilisables). Notre positionnement permet de s’intéresser à des groupes fort différents des grandes communautés que l’on cite généralement en référence. Nous en verrons un exemple au chapitre 7, avec l’idée d’usagers occasionnels amenés à choisir des services médicaux. Dans les petits groupes aussi, les acteurs sont aussi souvent concurrents entre eux et ont des problèmes parfois difficiles de repères et de sémantique commune. Ils peuvent n’avoir que peu d’objectifs en commun, si ce n’est justement certains motifs d’activité les poussant consciemment à des stratégies communautaires pour ces activités.

21 Dans le cas des acteurs que nous avons précédemment « communautarisés » en pensée sous le motif commun « d’usagers de la forêt », le fait de reconnaître la forêt comme ressource partagée va permettre de débloquer l’expression des points de vues d’acteurs sur cette ressource – le point de vue des chasseurs, celui des exploitants forestiers, etc. –, ouvrant la possibilité au niveau de la carte géographique d’exprimer artefactuellement des frontières, des itinéraires et des zones (de chasse, d’exploitation, de promenade sécurisée…), des règles de répartition (du temps, de l’espace…), des droits (de passage, d’usage…), des devoirs (de contribution financière, de préservation et d’entretien…), des

statu quo par rapport à des conflits, etc. Les acteurs pourront se servir de la carte et de sa légende comme d’un langage supportant leurs transactions communicationnelles symboliques autant que nécessaire.

Si l’on a affaire à une structure de communauté d’action [ZACKLAD 03a], les activités du groupe se déploieront par définition dans deux grandes dimensions indissociables et complémentaires : on distinguera alors d’une part des activités tournées vers l’extérieur pour des motifs de prestation et d’autre part des activités tournées vers l’intérieur pour des motifs d’intégration. Dans une communauté d’action, l’activité socio sémantique va se développer par rapport à ces deux types d’activités, la sémantique ainsi construite contribuant à la construction du « self » du groupe. Cela inclut de décider des politiques externes, des règles métier et de l’œuvre, sur la facette prestation, aussi bien que de l’organisation des rôles et de leur affectation à chaque acteur et sur la facette intégration.

3.3.4.2. Communautés et multi-appartenance

Comme nous l’avons vu au paragraphe 3.3.3.5 en identifiant deux sortes de communautés impliquées dans le système Agora, la diversité des activités peut correspondre à un découpage de communautés distinctes. Mais les acteurs peuvent appartenir à plusieurs de ces communautés à la fois, donc avoir plusieurs motifs en fonction de ces différentes activités. Le promeneur en forêt peut être aussi à l’occasion un cueilleur de champignons. Mais aussi, ce qui va particulièrement ici nous intéresser, le promeneur peut être un cartographe de la forêt. Il est impliqué dans une activité métier au premier degré, dans laquelle il aura éventuellement besoin de cartes pour se diriger, et en même temps il est potentiellement impliable dans l’activité socio sémantique d’actualisation de ces cartes.

C’est pourquoi en ce qui nous concerne, sur les terrains d’application que nous avons étudiés, nous avons souvent souligné la différence fondamentale entre l’activité métier « utilisatrice » des ontologies sémiotiques, et d’un autre côté l’activité socio sémantique lorsqu’elle vise explicitement la réalisation de l’artefact d’ontologie sémiotique. Il est intéressant de noter que chacune de ces activités peut être vue comme un agglomérat des réponses à un ensemble de situations problèmes, que l’on v retrouver ensuite comme usages possibles auquel l’artefact d’ontologie sémiotique peut amener des réponses.

Ainsi les entreprises constituant ensemble une Technopole peuvent être motivées par le souci de développer les synergies et les opportunités d’affaires ou de sous-traitance utilisant cette proximité (activité « métier»), et décider pour cela de s’engager dans une cartographie de leurs ressources pour que chacun sache « qui fait quoi » dans la communauté (activité socio sémantique). Dans l’activité métier, l’ontologie sémiotique cumulera les usages, par exemple d’aider à exposer les offres, à exprimer des besoins de compétences et à trouver les entreprises, de servir de base à un système d’alerte automatique en cas de nouvelles compétences, d’aider à organiser la prospection pour les commerciaux, d’apprendre les ressources de la technopole aux nouveaux embauchés, etc. La communauté des utilisateurs va donc regrouper des groupes et des sous-communautés dont les activités, les métiers, les profils, l’expérience et les motifs sont différents.

Une distinction précise du contour (en termes d’acteurs) et des activités de chacune des communautés concernées est donc importante. Et cela, d’autant plus qu’il peut arriver – c’est même fréquent – que les périmètres d’acteurs s’imbriquent ou se recouvrent étroitement. C’est le cas dans des applications telles que les « pages jaunes de compétences » des membres d’une communauté, dans l’hypothèses ou ce sont les personnes répertoriées, physiques ou morales, qui seraient amenées à enrichir elles-mêmes la carte des thèmes avec les mots-clés décrivant leurs compétences. Nous avons notamment été confronté à ce type de cas, ou nous avons appliqué la grille d’analyse des Communautés d’Action [ZACKLAD03a] pour désambiguïser les communautés en présence dans une application de Web socio sémantique [CAHIER 04a], [CAHIER 04b]22. Dans ce cas, nous avons utilisé en appui le modèle KBM (Knowledge-Based Marketplace, cf. §6.2) qui considère pour simplifier une communauté de « clients » et une communauté de « fournisseurs ». La seconde possède une structure de communauté d’action : elle doit vendre (motif de prestation) et pour cela communiquer son « offre » au travers d’un catalogue, en même temps qu’elle doit s’organiser (motif d’intégration) pour co-construire l’ontologie sémiotique servant de structure d’index de ce catalogue.

22 Une situation particulièrement intéressante est créée sur les terrains où le choix (démocratique, managérial…) va être de considérer que tous les acteurs sont appelés à être des éditeurs potentiels de la carte, et donc à participer à l’activité socio sémantique explicite.

Cette activité socio sémantique permet alors aux fournisseurs, dans un double mouvement synergique, de mieux réaliser leur activité vers l’extérieur et de mieux se construire en tant que communauté.

3.3.5. Activité socio sémantique implicite et explicite dans