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CHAPITRE 1: LA CONSCIENCE MISSIONNAIRE CATHOLIQUE:

1.3 L'Église catholique de Chine, ses avancées et ses reculs au Xuzhou

1.3.1 Des tirs de canons pour l'implantation

Les puissances européennes, et surtout la France qui était officiellement la protectrice des missions depuis le Concordat de 1801, insistaient, entre autres, pour inclure aux traités de Nanjing (1842) et de Beijing (1860) des clauses favorables au prosélytisme chrétien en Chine. Ces dernières visaient à protéger les missionnaires sous la juridiction de leur pays d'origine plutôt que sous la juridiction chinoise et à permettre l'achat de terrains en vue d'y bâtir des églises. Ces droits, qui avaient auparavant été refusés à plusieurs reprises par l'État chinois, incitaient la création de nombreuses missions chinoises90.

Les décisions du Saint-Siège en Chine ont, à ce moment, été prises au diapason des avancées coloniales. En effet, l'installation des missionnaires était souvent avantagée par l'acquisition de concessions par des pays européens. Alors que trois vicariats et trois diocèses couvraient le pays asiatique en 1810, les traités de Nanjing et de Beijing permirent à la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi de définir sur le même territoire 24 vicariats et un diocèse. Au moment du Concile du Vatican I (1870), Louis-Eugène Louvet nota que 267 missionnaires européens et 243 prêtres chinois étaient actifs en Chine91.

Puisque des religieux coopéraient avec des colonisateurs, les missionnaires étaient souvent perçus comme des représentants d'une autorité étrangère par les habitants du pays d'accueil. Certains Chinois, au nombre d'environ 740 000 vers 1900, auraient, d'ailleurs,

89 À propos de la querelle des rites, voir Xavier Walter, op. cit., 658 p. L'Empire chinois dut concéder face aux grandes

puissances. Les Britanniques obtinrent Hong Kong. Les Français reçurent Zikawei, un territoire près de la ville de Shanghai. Au sujet des contextes politique et économique des guerres de l'Opium, voir Carl Déry, Diplomatie,

rhétorique et canonnières: relations entre la Chine et l'Angleterre, de l'ambassade Macartney à la guerre de l'Opium, 1793-1842, Québec, Presses de l'Université Laval, 2007, 140 p.

90 Étienne Ducornet, L'Église et la Chine: histoire et défis, Paris, Éditions du Cerf, 2003, p. 11-23.

accepté la conversion au christianisme par désir d'obtenir la protection des missionnaires. D'autres s'enflammaient de xénophobie dans des mouvements anti-étrangers qui atteignirent un point culminant en 1899 avec la révolte des Boxeurs. Des églises furent détruites, des concessions furent assiégées et des chrétiens furent assassinés. Le christianisme aurait pu culbuter en Chine, mais une intervention des Huit Nations mit violemment fin à la rébellion par des exécutions publiques en 1901. Des indemnités imposées par les puissances coalisées ont, en partie, ensuite servi à remplir les caisses déficitaires des missions. De nouvelles églises et écoles furent construites avec les montants perçus. Les nouvelles institutions permirent d'encadrer de plus près la population méfiante et cela accéléra la pénétration étrangère sur le continent chinois92.

Après la chute de la dynastie mandchoue des Qing en octobre 1911 et l'échec de maintenir l'unité de la jeune République de Chine proclamée l'année suivante, l'État chinois sombra dans une période de chaos militaire alimentée par des factions politiques. De 1916 à 1928, treize gouvernements instables se succédèrent93. Les seigneurs de guerre, qui

s'affrontaient pour conserver leur influence sur les régions chinoises, avaient des manières très personnelles d'interagir avec les missionnaires. Généralement occupés par la question militaire, ils ne leur assuraient que peu de garanties de protection. Ce contexte politique était pourtant propice à l'expansion des activités apostoliques puisque peu de contraintes étaient imposées aux missionnaires. Au contraire, certains seigneurs de guerre appréciaient leur présence puisqu'ils assuraient à leurs frais des services sociaux qui soulageaient presque gratuitement les populations et, ainsi, favorisaient la stabilité de leur régime94.

92 Jacques Gernet a évalué à 450 millions de taels (monnaie chinoise) le total des indemnités revendiquées par les Huit

Nations (Allemagne, Empire austro-hongrois, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Russie). Jacques Gernet, Le monde chinois, Paris, Colin, 1972, pp. 526-528. Marie-Ina Bergeron, Le christianisme en Chine:

approches et stratégies, Lyon, Chalet, 1977, p. 112.

93 Yuan Shikai remplaça Sun Yat-sen comme président de la République de Chine en 1912. Sous sa tutelle militaire, la

Chine fut momentanément unifiée. Il plaça ses officiers aux ministères et aux postes officiels, ce qui lui assurait la direction principale des affaires de l'État. Après son décès soudain en 1916, la Chine sombra dans une crise de succession. Diana Lary, China's Republic, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, pp. 46-47. Selon Marten, le militarisme est le phénomène qui combla le vide étatique. Kimberly Marten, « Warlordism in Comparative Perspective », International Security, vol. 31, no. 3 (hiver, 2006/2007), p. 48.

94 Les missionnaires n'avaient plus à respecter les directives du ministère du Culte qui supervisait les activités de

Face au désir collectif chinois de changement que l'instabilité politique inspirait, les missionnaires ne manquaient pas, quand ils le pouvaient, de présenter le christianisme comme la solution aux problèmes du pays. Or, les tribunes chinoises s'enflammaient contre la présence des pouvoirs coloniaux en Chine. Une clause du Traité de Versailles (1919) transmettant des concessions allemandes de Chine à l'Empire japonais attisa une colère populaire qui éclata en un vaste mouvement de contestation anti-étrangère le 4 mai 1919 et qui alimenta des idées de réformes nationalistes parfois radicales puisées chez le marxisme- léninisme95. L'Église de Chine, qui était en grande partie dirigée par des prêtres étrangers,

entrevoyait le besoin de porte-paroles chinois: en d'autres mots, d'un clergé indigène d'origine chinoise.