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Mobiliser la ferveur canadienne-française pour l'Église du Xuzhou

CHAPITRE 2: LA PROCURE DES MISSIONS ÉTRANGÈRES DE CHINE:

2.2 Convaincre par l'œuvre d'art et la plume

2.2.3 Mobiliser la ferveur canadienne-française pour l'Église du Xuzhou

L'engagement pour la mission de Xuzhou, que le P. Lavoie et ses successeurs publicisaient grâce au musée d'art chinois et à la revue Le Brigand, était contagieux. Le procureur la justifiait: « Car ils sont bien à nous ces Chinois et ils ne sont que pour être menés à Dieu par nous »178. Convaincus, les scolastiques, les philosophes et les théologiens

de l'Académie personnalisaient aisément leur rôle dans la réussite du projet canadien- français qu'était la consolidation de l'Église du Xuzhou jusqu'à son autonomie.

Les recteurs de l'Académie étaient plutôt aimables à l'idée d'encourager l'entreprise lointaine. Ils accordaient facilement des permissions extraordinaires aux membres de la communauté religieuse désirant faire la visite des maisons pour solliciter des dons en faveur de la mission chinoise. Par exemple, le P. Brossard allait à l'occasion convaincre des travailleurs dans les bureaux de la rue St-Jacques, à Montréal. Des scolastiques secondaient le P. Lavoie dans sa responsabilité d'assister les candidats choisis pour la Chine à récolter des dons pour payer leurs frais de voyage jusqu'à Xuzhou. Mgr. Marin les incita à présenter le projet canadien-français à la semaine missiologique de 1936. Puisque chaque sou était compté, le P. D'Aragon récoltait, évaluait et vendait des vieux timbres dont le profit était versé à la Procure de Chine179.

177 La revue missionnaire fut garnie d'une table des matières en 1947. Le Brigand, no. 100 (janv., 1947), p. 1. Louis Bouchard, « Sur notre Œuvre », AJC, M-0007, Cl. 7, no. 124 (1947), pp. 1-3.

178 Wi Tei-fou (J.-Louis Lavoie), « Méditations géographiques », Le Brigand, no. 11 (oct., 1931), p. 3.

179 J.-Louis Lavoie, Corr. à Georges Marin, AJC, M-0007, Cl. 6, no 59 (4 janv., 1934), p. 2. Georges Marin, Corr. à Rosario Renaud, AJC, M-0007, Cl. 4, Marin Georges III (14 oct., 1934), p. 2. À l'occasion de la semaine missiologique de 1936, le supérieur provincial Dugré publia un article mentionnant la mission de Xuzhou présentant des encouragements à Mgr. Côté. Adélard Dugré, « Stratégie apostolique: la conversion par les chefs et les élites », dans Semaines d'études missionnaires du Canada, La conversion des infidèles: chronique, rapports, conférences et

communications, Québec, Secrétariat général de l'Union missionnaire du clergé, 1936, pp. 221-233. Les timbres-

poste valaient environ 0,50 cents l'unité au début des années 1930. Le service postal canadien mettait pareillement en circulation des timbres de collection dont la valeur atteignait un apogée en 1936. Voir le graphique de la valeur des timbres entre 1930 et 1940 dans Benoît Carrier, « Le service postal canadien », Thèse de Maîtrise, Université Laval, 1953, p. 27.

Les enseignants jésuites ne tardèrent pas à faire connaître le projet de Xuzhou à travers les collèges canadiens de la Compagnie de Jésus. Ils organisaient stratégiquement la publicité pour recruter des élèves à la vie religieuse et démontrer la pratique d'acheter son Salut en sauvant celui des Chinois. Des prêtres vendaient des cartes postales, des billets de tirage et des numéros du bulletin Le Brigand lors des récréations. Le système de parrainage popularisé par l'Œuvre de la Sainte-Enfance pour convaincre les jeunes Canadiens français d'aider les enfants des missions fut reproduit par les Jésuites du Québec et introduit dans leurs écoles en 1930. Chaque dollar donné permit l'« adoption » d'un « bébex »: un « petit Chinois » dont le portrait photographié au Xuzhou était envoyé au parrain ou à la marraine par le personnel de la Procure de Chine180. Convaincus par leurs professeurs de l'importance

de la mission de Xuzhou, des élèves canadiens-français du Collège Saint-Charles Garnier ont livré une séance théâtrale chinoise intitulée « Trois sagesses du vieux Wang » devant le cardinal J.-M. Rodrigue Villeneuve (1931-1947) et 1500 spectateurs en 1933181. L'appareil

cinématographique acheté par le P. Renaud permit aux missionnaires du Xuzhou de projeter des films dans les écoles et les couvents du Canada182.

La Procure de Chine centralisait à Québec, puis à Montréal, les initiatives publicitaires entamées et enrichies par les membres de l'Académie et les collèges de l'Ordre au Canada. Des fidèles regroupés à la maison Loyola innovaient en organisant des encans, 180 Le terme « bébex » était popularisé par le P. Lavoie. Comme l'Œuvre de la Sainte-Enfance, les Jésuites du Québec utilisaient des images apitoyantes pour promouvoir le parrainage des « bébex ». Henrietta Harrison, « "A Penny for the Little Chinese": The French Holy Childhood Association in China, 1843-1951 », The American Historical

Review, vol. 113, no. 1 (fév., 2008), pp. 79-80. L'« adoption » d'un Chinois demeurait à 1$ jusque dans les

années 1940. Le terme « bébex » apparut pour la première fois dans Le Brigand, no. 15 (avril, 1932), p. 8. Le P. Lavoie utilisait ce mot humoristique pour vanter la « qualité » des enfants du Xuzhou afin d'encourager les dons. 181 Le Palais Montcalm accueillit la pièce de théâtre à Québec. Anonyme, « Succès des élèves des Jésuites », L'Action

Catholique, 4 déc. 1933, p. 4. Le Collège Saint-Charles Garnier impliqua également ses élèves dans l'organisation

d'un grand bazar dont les fonds devaient être acheminés à la Procure de Chine en 1936. Georges Marin, Corr. au sup. provincial Dugré, AJC, M-0007, Cl. 4, Marin Georges VI (29 juil., 1936), p. 3.

182 Plusieurs communautés religieuses québécoises modernisaient leur publicité missionnaire par le cinéma. Le film

Premiers missionnaires canadiens en Mandchourie (1929) des Missions-Étrangères de Québec et le film sur les

martyrs japonais (1933) des Franciscains du Japon auraient rempli les salles du Québec. M. Serge Granger aurait trouvé le film de 1929, mais il serait actuellement trop endommagé pour être projeté. Serge Granger, « Le cinéma québécois et la Chine, 1930-1980 » dans Shenwen Li et al., Chine/Europe/Amérique, op. cit., p. 152. Pour davantage de précisions sur l'histoire de la publicité missionnaire québécoise, voir Dimitri Vezyroglou, « Les catholiques, le cinéma et la conquête des masses: le tournant de la fin des années 1920 », Revue d'histoire moderne et

des tombolas et des compétitions de jeux de cartes183. Le Dimanche des missions était le

moment idéal pour regrouper les fidèles et récolter des aumônes en faveur du projet de Xuzhou. Remarquant que les Canadiens français favorisaient les dons aux œuvres pontificales dans les églises du clergé séculier, le procureur organisait des cérémonies particulières mettant en vedette saint François-Xavier à la chapelle de la maison Loyola. La béatifiée Sainte-Thérèse de Lisieux, qui faisait la réussite des collectes des Jésuites américains, l'inspira également en 1933. De nombreuses célébrations religieuses étaient données en l'honneur de cette dernière. Une statue lui fut érigée et une Pieuse union des disciples de Sainte-Thérèse fut formée à Québec dans le but de diriger la grâce divine vers l'Église du Xuzhou. Dans un même ordre d'idée, le P. Lavoie priait le jeune Gérard Raymond, un jeune héros à qui les Canadiens français multipliaient les dévotions, et il le nomma symboliquement procureur de la Procure de Chine pour encourager les dons184.

Un public encore plus vaste était gagné en faveur de la Chine au moyen de la radiodiffusion. « Je parle de la Chine, rien que de la Chine, toujours de la Chine. Les gens écoutent de plus en plus nombreux et je crois que j'ai là une occasion merveilleuse de nous multiplier les amis »185, exprime le P. Lavoie. De cette manière, des membres des Voyageurs

du commerce et de l'Association catholique des cheminots, deux regroupements dirigés par les Jésuites du Québec, se sont ajoutés à la liste des bienfaiteurs significatifs de la mission. Les autorités des universités Laval et de Montréal déboursèrent pour la construction d'un hôpital chinois au Xuzhou. Les Enfants de Marie de Québec et de Montréal, d'autres regroupements des Jésuites du Québec, étaient mis à contribution pour la confection des vêtements des candidats partant pour la Chine186.

183 Une certaine Mme Lépine organisait des compétitions de bridge (jeu de cartes) sur la rue Turnbull, à Québec, pour financer le projet de Xuzhou. J.-Louis Lavoie, « Brigeandage », Le Brigand, no. 20 (fév., 1933), p. 2. Des bénévoles s'inspiraient des activités de financement longtemps initiées dans les paroisses québécoises. Louis Painchaud expose une analyse intéressante sur les racines de ces pratiques dans Louis Painchaud, Jeu, argent et religion: les bingos

paroissiaux, Thèse de maîtrise, Université Laval, 1975, pp. 47-67 et 86-93.

184 Les Jésuites de Boston avaient récolté environ 17 000$ américains en l'honneur de Sainte-Thérèse. Les Jésuites du Québec espéraient un effet semblable pour la mission de Xuzhou. Georges Marin, Corr. à J.-Louis Lavoie, AJC, M-0007, Cl. 4, Marin Georges III (12 mars, 1933), p. 2. Lucia Ferretti mentionne Gérard Raymond comme un exemple des jeunes héros nés du fort sentiment religieux au Québec. Il est décédé de la tuberculose alors qu'il aspirait à la vie religieuse. Lucia Ferretti, Brève histoire de l'Église catholique du Québec, Montréal, Boréal, 1999, p. 139.

185 J.-Louis Lavoie, Corr. à Georges Marin, AJC, M-0007, Cl. 6, no. 58 (3 déc., 1933), p. 5.

Les familles canadiennes-françaises étaient, semble-t-il, particulièrement réceptives à l'appel des fondations créées par la Procure de Chine pour seconder l'éducation d'apprentis chinois du Xuzhou à la vie religieuse. Plusieurs finançaient la formation du clergé indigène: il coûtait 50$ par année pour loger et nourrir un séminariste ou une religieuse. Le F. Aza Souligny raconta, par exemple, l'histoire d'un aspirant de la paroisse de Howkiachwang, le jeune Jean Pong, pour que des bienfaiteurs l'aident à devenir prêtre: « Je vous en parle, parce que de ce temps-ci tout le monde parle de la grande affaire du clergé indigène. Petit-Jean n'est pas le clergé indigène, mais il voudrait bien en être »187. Le

P. Lavoie constata que les gens étaient plus enclins à donner pour l'entretien d'un séminariste que pour la construction de bâtiments. Ce dernier remerciait régulièrement les donneurs et, content de les savoir partager le même objectif spirituel que le sien, il leur envoyait des photos des recrues chinoises. La mission de Xuzhou était présentée comme une entreprise collective et, du point de vue du procureur, l'Église canadienne-française devait faire preuve de sacrifices pour permettre l'épanouissement de l'Église du Xuzhou188.

L'éventail des astuces concrétisées par le P. Lavoie, par ses collègues et par ses successeurs, témoigne de la grande capacité d'adaptation des Jésuites du Québec pour capter la conscience missionnaire canadienne-française à l'aide de stratégies inspirées des autorités des œuvres pontificales et des divisions ecclésiastiques françaises et nord- américaines. Il démontre aussi l'originalité des moyens que les missionnaires du Xuzhou ont employés pour faire connaître leur projet et attirer les aumônes. Prouver la grandeur de la civilisation chinoise, censurer les propos diffamatoires et propager une image sympathisante du Chinois dans sa conversion et dans sa misère permettaient de multiplier les dons en provenance, surtout, du public francophone du Québec.