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Des conflits militaires et des régimes instables

CHAPITRE 3: LES JÉSUITES DU QUÉBEC ET LA COMMUNAUTÉ CATHOLIQUE

3.3 Traité de missiologie: les obstacles à l'évangélisation du Xuzhou

3.3.2 Des conflits militaires et des régimes instables

Les Jésuites du Québec négociaient avec trois administrations différentes pour poursuivre leurs activités apostoliques en Chine entre 1931 et 1949. Ils rencontrèrent pour la première fois les hommes du Généralissime Jiang Jieshi lorsque, en 1927, l'Armée nationale révolutionnaire occupa les locaux de l'Église du Xuzhou pour se reposer avant de baser un gouvernement à Nanjing de 1928 à 1937. Le régime nationaliste local était peu collaborateur aux objectifs des Jésuites du Québec313.

La reconnaissance par Nanjing des terrains dotés à la préfecture apostolique de Xuzhou en 1931 constitua une difficulté majeure. Puisque la plupart des permis, qui avaient été acquis par les Jésuites français grâce aux traités des guerres de l'Opium, furent révisés par le nouveau gouvernement, les achats et les constructions qui furent complétés suite à l'adoption d'un nouveau règlement sur les cadastrations, le Règlement de 1928, durent être soumis à des normes strictes, qui dictaient l'obligation d'inscrire les terrains comme des

(1947), p. 5.

312 Philippe Côté, « Lettre aux bienfaiteurs », AJC, M-0007, Cl. 2, Côté Philippe II (28 oct., 1936), p. 2. Antonio Dragon, En mission parmi les Rouges, op. cit., pp. 31-32.

313 Mgr. Marin évoque le souvenir des razzias et du passage des troupes nationalistes au Xuzhou en 1927. Georges Marin, « Lettre aux bienfaiteurs », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 52 (5 janv., 1931), pp. 1-3.

locations plutôt que comme des acquisitions officielles. Pour cette raison, certains biens de l'héritage des Jésuites français demeuraient en litiges. Confronté à plusieurs impasses, Mgr. Marin insistait sur le fait que les versements de la Procure de Chine étaient conditionnels aux achats de nouveaux terrains314.

L'affaire de la reconnaissance d'un terrain de la paroisse de Fenghsien était un problème pesant315. L'emplacement, qui avait été acheté autour de 1913, abritait une école

catholique emmurée. Le chef du gouvernement local, M. Tong Yu-Kio, était catégorique dans son refus d'allouer le terrain à des œuvres religieuses même si cet usage respectait l'acte no°5 du Règlement de 1928. Occupée par des soldats du district, endommagée par les hommes du gouverneur de la ville, puis utilisée avec la permission du Bureau de l'Éducation local comme un espace de jeux par les élèves de l'école gouvernementale voisine, l'institution d'enseignement catholique qui y logeait fonctionnait dans l'insécurité. Le P. Augustin Gagnon, qui était alors le curé de Fenghsien, annulait à l'occasion ses vacances d'été pour éviter de perdre la propriété. Mgr. Marin, qui prenait la menace très au sérieux, contacta l'auditeur de la Délégation apostolique de Chine pour l'informer que si les responsables du gouvernement local « [...] gagnent leur point, ce sera[it] un précédent dangereux, non seulement pour nous, mais pour toutes les missions en Chine »316. Des actes

intimidants étaient dirigés contre l'Église catholique à Fenghsien jusqu'en 1937317.

Un procès pour un terrain de trois acres acheté près de la gare de train du Nord de la ville de Xuzhou, à Patzekiai, était encore plus décourageant. Mgr. Marin, qui souhaitait y bâtir le séminaire, perdit beaucoup de temps et d'argent pour le faire enregistrer. Le sous- 314 Augustin Haouisée, Corr. au sup. provincial Adélard Dugré, AJC, M-0007, Cl. 8, no. 76 (4 juil., 1931), p. 2. Georges

Marin, « Lettres annuelles de la mission de Suchow 1931-1932 », AJC, M-0007, Cl. 4, Marin Georges II (oct., 1932), p. 2. Georges Marin, Corr. au sup. provincial Adélard Dugré, AJC, M-0007, Cl. 4, Marin Georges IV (30 août, 1933), p. 2. Idem, (26 mai, 1935), p. 2.

315 Mgr. Marin nomma Sainte-Thérèse de Lisieux patronne de la paroisse de Fenghsien dans l'espoir que le dossier se règle plus rapidement. Wi Tei-fou (J.-Louis Lavoie), « Extraits d'une communication du R. P. Geo. Marin, S.J., Supérieur », Le Brigand, no. 11 (oct., 1931), pp. 10-11.

316 Georges Marin, Corr. à Mgr. Antoniutti, l'auditeur de la Délégation Apostolique, AJC, M-0007, Cl. 6, no. 57 (13 août, 1933), p. 1.

317 Georges Marin, Corr. au P. Verdier, AJC, M-0007, Cl. 6, no. 59 (17 mars, 1934), p. 1. Philippe Côté, Corr. au sup. provincial Adélard Dugré, AJC, M-0007, Cl. 2, Corr. III et dossiers personnels des missionnaires, Côté Philippe VIII (27 mai, 1936), p. 1. Émile Muller, « Sectio Tangchan: Relatio annua 1936-1937 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 147 (1937), p. 1.

préfet, M. Tchao Koang-tao, résistait à toutes les tentatives de faire reconnaître les papiers officiels qui avaient été signés par son prédécesseur, M. Wang Kong-Yu. Le mur érigé autour de la propriété fut démoli par les hommes du district. Puisque l'affaire faisait l'objet d'articles anti-catholiques calomnieux dans les journaux locaux, l'idée de bâtir fut abandonnée jusqu'à la conquête du territoire par l'armée nipponne en 1937318. En définitive,

Mgr. Côté prit la décision d'ériger le séminaire sur un autre terrain de la ville de Xuzhou en 1938.

L'occupation militaire japonaise annula les tensions sur la reconnaissance des terrains, mais l'avancée de l'armée nipponne exposa les biens de l'Église du Xuzhou à des dommages dont les réparations étaient très onéreuses. Le P. Aurélien Demers rapporte que « […] quelques villages chrétiens étaient complètement pillés par les soldats »319.

Rançonnés, les habitants du Xuzhou préféraient se cacher plutôt que de fréquenter les catéchuménats, les écoles ou le séminaire. Des locaux furent occupés, des montants d'argent furent réquisitionnés et des bâtiments du territoire ecclésiastique furent lourdement endommagés lors des affrontements armés. Le P. Gagnon insista, par exemple, en 1939, pour faire connaître aux bienfaiteurs canadiens-français « les besoins immédiats de la mission 1) 5000$ pour réparer la pro-cathédrale, bien endommagée par les bombes 2) 5000$ pour la résidence et le Collège [Saint-Louis-de-Gonzague] qui ont pas mal soufferts par la même cause 3) 10 000$ pour les chapelles des divers districts du vicariat détruites par l'incendie ou les bombes »320. Or, un total de seulement 66 036$ était transféré

par la Procure de Chine pour payer les dégâts pour toute la durée de la guerre sino- japonaise. Les Jésuites du Québec observaient les directives pontificales en restant quand même en Chine. Ils épuisaient leurs ressources à abriter et à encadrer de nombreux réfugiés jusqu'à ce qu'ils soient forcés par les autorités nipponnes à respecter un périmètre de quinze 318 Georges Marin, Corr. au sup. provincial Adélard Dugré, AJC, M-0007, Cl. 4, Corr. III et dossiers personnels des missionnaires, Marin Georges III (26 mai, 1935), pp. 1-2. Georges Marin, Corr. à Adrien Sansoucy, AJC, M-0007, Cl. 6, no. 65 (8 juin, 1935), p. 1.

319 Aurélien Demers, « Section Fonghsien: Relatio annua 1941-1942 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 152 (1942), p. 2. 320 Auguste Gagnon, « Sectio Tangshan: Relatio annua 1938-1939 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 149 (1939), p. 2. Par

exemple, des soldats nippons saisirent 675 yuans à la mission. Philippe Côté, Corr. au sup. provincial Émile Papillon, AJC, M-0007, Cl. 8, Côté Philippe II (24 sept., 1939), p. 2. L'armée japonaise démolit une église-école de la mission pour en réquisitionner les briques. Anonyme, « Sectio Tangshan: Relatio annua 1945-1946 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 156 (juin, 1946), p. 3.

à vingt kilomètres autour de leurs résidences paroissiales, puis à être internés de novembre 1943 à août 1945321. Pendant ce temps, la mission de Xuzhou s'endettait

de 165 000$ canadiens.

Somme toute, les dons des bienfaiteurs canadiens-français que la Procure de Chine transférait en Chine servaient davantage à réparer des dommages qu'à accélérer la consolidation du catholicisme. L'impossibilité de ravitailler correctement la mission pendant la guerre sino-japonaise aggrava la situation financière de l'Église du Xuzhou. Plusieurs catéchistes et de nombreux enseignants quittèrent les catéchuménats et les écoles lors de l'internement des Jésuites du Québec entre 1943 et 1945. Certains furent même engagés par l'armée japonaise qui offrait des salaires compétitifs pour organiser son régime d'occupation militaire. Les officiers nippons encourageaient notamment les regroupements de bandits qu'ils recrutaient comme mercenaires pour conserver leur autorité sur les campagnes du Xuzhou et l'Église en souffrait322.