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La « romanisation » et le financement des missions

CHAPITRE 1: LA CONSCIENCE MISSIONNAIRE CATHOLIQUE:

1.1 Le Saint-Siège et la conscience missionnaire

1.1.2 La « romanisation » et le financement des missions

La stratégie pontificale concourait à une plus grande emprise du Saint-Siège sur les activités des missionnaires actifs autour du globe. Phénomène désigné « romanisation » par Annie Lacroix-Riz, la centralisation de l'effort missionnaire catholique autour du Saint- Siège progressait surtout sous les pontificats de Pie XI et de Pie XII. Les deux papes cherchaient activement à regrouper les initiatives catholiques régionales autour d'un idéal spirituel supérieur et à assurer le financement des missions catholiques47.

À partir du Concordat de 1801, les missions catholiques étaient sous la protection de la République française. La Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi, un ministère du Saint-Siège fondé en 1622 et rétabli en 1815 en même temps que la Compagnie de Jésus, créait alors des circonscriptions ecclésiastiques, des vicariats, auxquels étaient nommés des missionnaires coopérant avec les autorités françaises48.

La France était le cœur financier des actions catholiques outre-mer. Dès sa fondation française par Pauline-Marie Jaricot en mai 1822, l'Œuvre de la Propagation de la Foi amassait des dons pour nourrir les entreprises de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi. L'Œuvre de Saint-Pierre-Apôtre, fondée en France par Stéphanie Bigard, quêtait dès 1839 pour promouvoir la formation d'un clergé indigène dans les missions. L'Œuvre de la Sainte-Enfance, qui fut organisée en France en 1842 par Mgr. Charles de Forbin-Janson, l'évêque de Nancy, finançait l'éducation catholique des enfants des missions en organisant des parrainages. Les œuvres caritatives françaises amassaient des montants considérables qu'elles administraient de Lyon. Les intermédiaires lyonnais transféraient une partie des montants au Saint-Siège basé à Rome. L'autre partie parvenait directement aux missions des missionnaires français49.

47 Annie Lacroix-Riz, « Le rôle du Vatican dans la colonisation de l'Afrique (1920-1938): de la romanisation des

missions à la conquête de l'Éthiopie », Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954-), T. 14e, no.1

(janv.-mars, 1994), p. 29.

48 Josef Metzler, « Foundation of the Congregation "de Propaganda Fide" by Gregory XV » dans Sacrae

congregationis de propaganda fide memoriam rerum: 350 ans au service des missions (1622-1972),

Tome 1: 1622-1700, Rome, Herder, 1971, pp. 79-111. Le Concordat de 1801 sanctionnait le protectorat français sur les missions catholiques jusqu'en 1904. Bernard Ardura, Le concordat entre Pie XII et Bonaparte, 15 juillet 1801:

Bicentenaire d'une réconciliation, Paris, Cerf, 2001, pp. 43-69.

49 Des œuvres semblables à celle de Mme Jaricot furent clandestinement organisées durant la Révolution française,

Au lendemain de la Première Guerre mondiale (1914-1918), la Troisième République française, dont les finances étaient mal-en-point, n'arrivait plus, aux yeux du Saint-Siège, à assurer la sécurité des missions. Le Saint-Siège, qui décourageait la collaboration de certains missionnaires avec les colonisateurs, centralisa les initiatives missionnaires50. Le nouveau Code de droit canonique de 1917 prépara un renforcement du

rôle de leader que la papauté voulait prendre pour stimuler, coordonner et financer les activités missionnaires catholiques à travers le monde51.

Dès sa nomination comme pontife, Pie XI, et son conseiller, Mgr. Van Rossum, donna le coup d'envoi à une romanisation prononcée sur la question missionnaire en centralisant les opérations financières en faveur des missions. Le 22 mai 1922, le Pape permit d'introduire un acte législatif motivant la réorganisation à Rome de l'Œuvre de la Propagation de la Foi autrefois basée à Lyon. Au grand damne du clergé français impuissant, le Saint-Siège profita de l'appui du clergé américain - dont la générosité était très grande - et fit volte-face à la France en centralisant pareillement les Œuvres de Saint- Pierre-Apôtre et de la Sainte-Enfance. À la faveur d'une nouvelle coopération entre le Vatican et un « Conseil des Missions » basé à Washington en 1921, le Saint-Siège prit le contrôle des moyens financiers qui alimentaient l'élan missionnaire catholique52.

l'originalité de multiplier son nombre de bienfaiteurs en demandant à chacun d'en recruter dix autres. Antoine Lestra, Histoire secrète de la Congrégation de Lyon: de la clandestinité à la fondation de la propagation de la foi , Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1967, pp. 95 à 98 et 295 à 334. Joseph Jolinon, Pauline Jaricot: Patronne des

chrétiens sociaux, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1957, pp. 131-148.

50 En vertu du protectorat français, les activités des missions étaient souvent mêlées aux affaires des colonisateurs.

Certains missionnaires tiraient parti de la protection qui leur était accordée par la France pour interférer dans des affaires judiciaires qui concernaient les nouveaux convertis. Dans ces conditions, les pouvoirs locaux avaient souvent raison d'associer les intérêts missionnaires de la papauté aux intérêts commerciaux des États. L'émergence de conflits nuisibles à la maturation des Églises incitait le Saint-Siège à réduire les contraintes imposées par le Concordat de 1801 et à décourager les missionnaires à coopérer avec les colonisateurs. Claude Prudhomme,

Missions chrétiennes et colonisation, XVIe-XXe siècle, Paris, Éditions du Cerf, 2004, pp. 53 à 66.

51 La préparation du Code de 1917 répondait aux décisions du premier Concile du Vatican (1869-1870) en matière de

division du pouvoir dans l'administration du Saint-Siège. Émile Jombart, Manuel de droit canon: conforme au Code

de 1917 et aux plus récentes décisions du Saint-Siège, Paris, Beauchesne et ses fils, 1949, pp. 135-182. Le Code de

droit canonique de 1917 était en vigueur jusqu'en 1983.

52 Les bienfaiteurs américains contribuaient à la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi depuis 1883.

Dès 1888, ils transféraient des montants de plus de 10 000$ américains par année. Les Américains étaient en première position des bienfaiteurs des missions dans le monde en 1925. Joseph P. Ryan, « Contribution to the Catholic Missionary Effort in China in the Twentieth Century », The Catholic Historical Review, vol. 31, no. 2 (juil., 1945), p. 171. Pour connaître l'opinion du corps épiscopal français de l'époque face à la politique francophobe du Saint-Siège, veuillez consulter Abbé Daniel, Le baptême de sang: histoire d'un complot au Vatican contre la

France, Paris, A. Michel, 1917, 225 p. Pour une étude historique sur les relations entre la France et le Vatican, voir

Joseph Hajjar, Le Vatican, la France et le catholicisme oriental (1878-1914): diplomatie et histoire de l'Église, Paris, Beauchesne, 1979, pp. 115 à 129.

Le Saint-Siège instaurait un ensemble de projets pour assurer la fidélité des missionnaires à son objectif spirituel. L'un d'entre eux, l'exposition missionnaire qui eut lieu dans les jardins du Vatican en 1925, connut un grand rayonnement. Environ 100 000 objets en provenance des missions furent exposés dans 24 pavillons pour éduquer les visiteurs sur l'ampleur du mouvement missionnaire. Un musée missionnaire annexé au palais du Latran fut fondé afin d'offrir aux supérieurs de mission un lieu où s'inspirer de différentes méthodes d'évangélisation53. L'année suivante, le Saint-Siège clarifia sa volonté de

multiplier le nombre de territoires ecclésiastiques dans le monde et d'améliorer la qualité de la formation des missionnaires. Des stages d'études à Rome dans le nouveau Séminaire de la Propagande inauguré en avril 1929 visaient, entre autres, à former un clergé indigène fidèle au pape et à sa doctrine54.

Le Saint-Siège guidait le zèle missionnaire, orchestrait les efforts des catholiques et leur rappelait leur obligation, en tant que membres de l'Église, d'encourager le développement des missions par les prières, les vocations et les aumônes. La canonisation en 1925 de la carmélite française Thérèse de Lisieux et sa nomination comme co-patronne des missions avec Saint-François-Xavier, un Jésuite qui avait précédemment été nommé patron de l'Œuvre de la Propagation de la Foi en 1904, animaient un mouvement populaire de dévotion pour les missions tout en fournissant un modèle de vie chrétienne inspirant. L'instauration, en 1926, du Dimanche des missions, une journée missionnaire observée dans le calendrier chrétien à l'avant-dernier dimanche d'octobre de chaque année, stimulait la conscience missionnaire des catholiques55.

53 Annie Lacroix-Riz, op. cit., pp. 36-39 et 41.

54 Le Collège de la Propagande, le Collège Saint-Pierre et l'Institut missionnaire étaient aussi des lieux d'enseignement

à Rome. La Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi organisait des cours de missiologie dès 1920 pour assurer une meilleure préparation du personnel missionnaire. André Seumois, « La S.C. "de Propaganda Fide" et les études missionnaires », dans Sacrae congregationis de propaganda fide memoriam rerum: 350 ans au service des

missions (1622-1972), Tome 3: 1815-1972, Rome, Herder, 1976, p. 459. Pie XI, « Encyclique Rerum Ecclesiae: Le

développement à donner aux missions (fév.,1926) », Le Siège apostolique et les missions, op. cit., pp. 73 à 95.

55 L'autobiographie de Thérèse de Lisieux se vendait à 2,5 millions d'exemplaires dans le monde entre 1898 et 1925.

Bernard Laluque propose une interprétation des raisons de la popularité de la carmélite dans Bernard Laluque, Un

docteur pour l'Église: Thérèse de Lisieux, Paris, Nouvelle Cité, 1987, p. 23. Pie XI, « Rescrit de la S. C. des Rites:

La mainmise sur les œuvres caritatives que le Saint-Siège acquérait dans les années 1920 modifiait la distribution des richesses accordées aux missions. En effet, les allocations aux missions françaises diminuaient de 35% suite à la centralisation de l'Œuvre de la Propagation de la Foi à Rome en 192256. Maître de ses moyens financiers, le Saint-Siège

souhaitait amorcer un vaste projet d'expansion des missions après avoir organisé l'État du Vatican en 192957.