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Publicité missionnaire écrite et brigandage littéraire

CHAPITRE 2: LA PROCURE DES MISSIONS ÉTRANGÈRES DE CHINE:

2.2 Convaincre par l'œuvre d'art et la plume

2.2.2 Publicité missionnaire écrite et brigandage littéraire

Les Papes Pie XI et Pie XII considéraient la presse écrite comme un outil publicitaire très efficace pour convaincre une opinion publique de plus en plus alphabétisée de la nécessité d'observer les instructions pontificales162. Les Jésuites du Québec, qui

répondaient aux directives du Saint-Siège, publiaient surtout dans la langue de Molière. Non seulement les catholiques du Québec étaient majoritairement francophones, mais, à l'exception de Mgr. Marin et de Mgr. Côté qui ont exceptionnellement rédigé quelques lettres en anglais, les Jésuites attitrés à la mission de Xuzhou ne présentaient pas les compétences requises pour alimenter une publicité anglophone. L'Église canadienne- français était le destinataire principal de la publicité pour la mission chinoise163.

Les journaux canadiens-français étaient singulièrement sollicités par les Jésuites du Québec pour faire la promotion du projet de Xuzhou. L'Action catholique et Le Soleil acceptaient à l'occasion de publier des articles rédigés par des prêtres. À partir de 1931, le journal La Presse, dont le contenu atteignait environ 200 000 abonnés, accordait hebdomadairement un tiers de page à la Chine. Selon Rosario Renaud, des photos de presque tous les missionnaires du Xuzhou défilaient les unes après les autres sur sa page religieuse du samedi. Le journal Le Devoir doublait cet effort à partir de 1933 en diffusant une série d'articles rédigés pour sensibiliser la jeunesse et les professeurs universitaires au financement de la mission. Le sacre de Mgr. Côté comme premier évêque de Xuzhou y fut, par exemple, annoncé en première page. Cette visibilité avait l'avantage de décupler les efforts publicitaires entamés via les revues de la Compagnie de Jésus164.

objets qui composaient autrefois le musée d'art chinois est maintenant conservée à Québec au Musée de la Civilisation.

162 Pie XI, « Allocution au 1er Congrès international de l'Union missionnaire du clergé (juin, 1922) », dans Le Siège

apostolique et les missions, op. cit., pp. 59-61. Pie XII, « Encyclique Summi pontificatus (oct., 1939) », dans Le Siège apostolique et les missions, op. cit, pp. 150-151. En réponse aux directives pontificales, le clergé catholique

imposait des valeurs catholicisantes à la production littéraire québécoise. Caroline Barrett et Michel René, « Littérature de masse au Québec », The French Review, vol. LIII, no. 6 (mai, 1980), p. 874.

163 Georges Marin, Corr. à J.-Louis Lavoie, AJC, M-0007, Cl. 4, Corr. III et dossiers personnels des missionnaires, Marin Georges V (28 avril, 1935), p. 2. À propos de la prédominance de l'origine canadienne-française chez les recrues jésuites envoyées au Xuzhou, voir Jacques Langlais, op. cit., pp. 7-34.

164 Rosario Renaud, qui était le responsable de la publicité à l'Académie, envoyait régulièrement des articles aux journaux canadiens-français. Rosario Renaud, Corr. à Georges Marin, AJC, M-0007, Cl. 7, no. 64 (16 oct., 1931), p. 1. Rosario Renaud, Corr. à Édouard Goulet, AJC, M-0007, Cl. 7, no. 65 (13 fév., 1933), p. 3. Jean d'Auteuil Richard, « Notre neuvième évêque missionnaire », Le Devoir, 24 sept. 1935, pp. 1-3.

La conscience missionnaire était captée pour Xuzhou, mais la caisse de la Procure de Chine demeurait presque vide. Les journaux indépendants acceptaient gratuitement d'offrir des espaces publicitaires aux causes missionnaires, mais les revenus issus de cette publicité étaient insignifiants. Le P. Lavoie était d'avis qu'une publicité plus spécifique pouvait canaliser le zèle de l'Église canadienne-française. Inspiré par le violent brigandage qui l'avait convaincu de revenir au Canada, il choisissait « Le Brigand » comme thématique du premier numéro du bulletin missionnaire qu'on lui avait conseillé de produire pour nourrir la cause de Xuzhou. Le titre audacieux fut momentanément critiqué par le bureau de la censure du Saint-Siège. Un tel nom pouvait, semble-t-il, laisser une mauvaise impression sur les intentions de la revue. Mais, approuvé suivant sa première parution du 25 mars 1930, Le Brigand était apprécié des bienfaiteurs et des amis qui recevaient auparavant la « Lettre aux bienfaiteurs » de l'Académie. Le tirage de la revue élargissait rapidement le réseau des donneurs de la mission de Xuzhou; il passait, par exemple, d'environ 1400 exemplaires en 1930 à environ 5000 exemplaires en 1934165.

Le style de rédaction provocateur du P. Lavoie captait l'intérêt de plusieurs âmes généreuses qui lisaient Le Brigand. Un ton humoristique introduisait les prières et les récits fictifs qui réchauffaient la flamme apostolique du lecteur pour le préparer à entamer le cœur du sujet: la culture chinoise. Contes de Chine et histoires inspirées de faits vécus cherchaient à déconstruire les uns après les autres les préjugés que la majorité des Canadiens partageaient contre les Chinois. Le lâche, le malpropre et le fumeur d'opium de l'imaginaire canadien étaient habilement remplacés dans Le Brigand par le converti pratiquant fondamentalement bon et aidant à qui il fallait laisser sa chance166. Le P. Lavoie

s'évertuait à faire comprendre que la condition de vie chinoise était rude à l'apostolat et que les catholiques du Canada pouvaient observer leurs devoirs chrétiens en permettant aux 165 J.-Louis Lavoie, « Premier numéro », Le Brigand, no 1 (25 mars, 1930), pp. 1-2. J.-Louis Lavoie, Corr. à Georges

Marin, AJC, M-0007, Cl. 6, no 59 (4 janv., 1934), p. 1.

166 J.-Louis Lavoie, Corr. à Georges Marin, AJC, M-0007, Cl. 6, no 59 (4 janv., 1934), p. 1. Le P. Lavoie rédigeait aussi des topos sur les pratiques d'hygiène en Chine et sur la bravoure des soldats chinois. J.-Louis Lavoie, « Croquis de Chine », Le Brigand, no. 8 (mai, 1931), pp. 3-5. J.-Louis Lavoie, « Pourquoi je les aime », Le Brigand, no. 61 (fév., 1939), pp. 3-4. Le P. Lavoie ajoute: « Depuis quinze ans, à toute force, j'ai voulu exorciser l'un après l'autre un tas de préjugés que les fins-fins de par ici entretiennent contre la Chine ». Joseph-Louis Lavoie, Quand j'étais

habitants du Xuzhou d'atteindre le paradis. Voici, par exemple, ce que le P. Lavoie écrit en 1937 pour adoucir des idées préconçues et convaincre son lectorat d'agir religieusement:

Non, jamais un blanc ne se résoudra à admettre qu'en Chine l'on peut être beau et distingué. […] Dites au premier venu que vous arrivez de Chine. Il vous coupe la parole. Ah! On connaît ça, la Chine: des brigands, des femmes aux petits pieds, des hommes aux longues tresses, des fillettes qu'on abandonne, du riz qu'on fume et de l'opium qu'on mange, le ma-jong, des fers à repasser... Ne pourrait-on avec autant de justesse et d'ampleur peindre notre Canada, en le représentant sous la figure d'un castor occupé à bâtir des écluses dans du sirop d'érable? Sans doute, la Chine n'est pas parfaite. Mais les traits que notre ignorance se plaît à ramasser dans les bouges pour lui bâtir un visage ne pourront jamais constituer autre chose qu'un masque grossier et bouffon. Et je ne vois rien de spirituel à vouloir ajuster ce travestissement à un front respectable, incapable de prendre des allures de Mardis gras167.

Bien sûr, les leçons moralisatrices ne plaisaient pas à tous les lecteurs, mais la popularité du bulletin se maintenait puisque le procureur savait « prendre le pouls » des commentaires reçus et changer son fusil d'épaule pour attirer les sympathies et les dons avec le matériel à sa disposition168.

Les lettres reçues de Xuzhou étaient des incontournables pour nourrir le contenu de la revue missionnaire. Le P. Lavoie en faisait régulièrement la demande. Mgr. Marin insistait sur l'importance de sensibiliser les candidats formés à l'Académie à développer une plume intéressante. Lui-même écrivait abondamment. Le Brigand était le vecteur des nouvelles de Chine pour les bienfaiteurs et les amis inquiets. Les récits véridiques des Jésuites étaient autant de témoignages de la situation socio-politique chinoise qui, bien souvent, rapportaient les seules informations précises que les Canadiens français recevaient sur la vie en Chine. Inondations, sécheresses, famines, épidémies et bombardements ponctuaient les reportages des missionnaires sur les misères et les destructions qui retardaient leur travail d'évangélisation. Ces derniers faisaient connaître les difficultés rencontrées par l'Église du Xuzhou et les besoins qu'ils identifiaient pour assister les Chinois dans leur cheminement de fidèles catholiques ou dans leur formation en religion169.

167 J.-Louis Lavoie, « Inconnue », Le Brigand, no. 47 (fév., 1937), p. 2.

168 Rosario Renaud, Corr. à Georges Marin, AJC, M-0007, Cl. 6, no. 54 (30 janv., 1932), p. 5.

169 Georges Marin, Corr. à J.-Louis Lavoie, AJC, M-0007, Cl. 4, Corr. III et dossiers personnels des missionnaires, Marin Georges III (1 sept., 1933), pp. 1-2.

Les Jésuites du Québec choisissaient leurs meilleures lettres de Chine. Au besoin, le P. Lavoie améliorait ou censurait les témoignages. Par exemple, le récit du brigandage subi à Matsing par le P. Henri Plamondon le 2 août en 1932 fut rédigé en deux parties pour divertir les âmes charitables. Mgr. Marin écrit:

N'en parlez pas dans votre Brigand sauf quand il vous enverra ce second récit. Il veut d'abord apitoyer les gens sur son sort pour attirer quelques aumônes très légitimes, n'est-ce pas? Vous aurez ainsi de la matière pour deux numéros du Brigand. Il vous permet bien d'enjoliver son récit pourvu que vous respectiez absolument les faits qu'il donne, car il envoie un récit semblable à des amis et parents et il ne faudrait pas que les récits se contredisent170.

Le P. Lavoie répond:

J'ai reçu et publié le premier récit du brigandage du P. Plamondon. J'ai reçu le second aussi et je le publierai au prochain numéro, en le remaniant, car je ne voudrais pas donner aux gens l'impression que les Chinois sont des imbéciles que les missionnaires passent leur temps à rouler. Dites donc à ce Père de penser à cela dans sa correspondance171.

Les besoins financiers inquiétants de la mission justifiaient que des lettres soient reproduites dans Le Brigand pour provoquer la sympathie des lecteurs envers les Chinois172.

Le procureur effectuait de nombreuses comparaisons entre les efforts apostoliques des saints martyrs canadiens de la Nouvelle-France et ceux des Jésuites du Québec de la Chine. Très évidentes dans Le Brigand publié en l'honneur du Quatrième centenaire de la Compagnie de Jésus, celles-ci témoignaient vigoureusement de la capacité de la communauté religieuse à mener à terme le projet apostolique au Xuzhou. « 1649 n'est peut- être pas si loin qu'on pense de 1941 » écrit-il après avoir cité le récit de vie du P. Charles Garnier, un martyr de la Nouvelle-France. Le P. Lavoie appuyait ses démonstrations par des statistiques compilant les chapelles, les écoles et les catholiques de l'Église du Xuzhou173.

170 Ibid., p. 1.

171 J.-Louis Lavoie, Corr. à Georges Marin, AJC, M-0007, Cl. 6, no. 58 (3 déc., 1933), p. 1.

172 Les deux parties du récit du brigandage de Matsing se trouvent dans Henri Plamondon, « Une histoire de brigands »,

Le Brigand, no. 25 (nov., 1933), pp. 10-14. et dans J.-Louis Lavoie, « Échos et variétés », Le Brigand, no. 25

(déc., 1933), p. 9.

Le P. Lavoie supervisait la conception et la publication de six à sept numéros du bulletin Le Brigand chaque année. Aidé jusqu'en 1945 par deux auxiliaires laïcs salariés, le procureur répondait à tous les bienfaiteurs acheminant des dons à la Procure de Chine. Le P. Roy mettait occasionnellement la main à la pâte alors qu'il était supérieur de la maison Loyola entre 1931 et 1936. Trois semaines étaient considérées comme un record pour faire sortir un numéro. Deux, puis trois couleurs et des reliefs donnaient un aspect unique au bulletin missionnaire. Des dessins, des gravures et des illustrations sur la Chine étaient élaborés à l'Académie et à la Procure de Chine expressément selon les thématiques abordées. Des photographies touchantes étaient agencées à la revue à partir de 1936: des Chinois mendiants, des soldats de l'armée d'occupation japonaise, des scènes de destruction, etc174.

Le P. Lavoie demeurait sans gêne lorsqu'il sollicitait des dons pour ses collègues travaillant en Chine. Suite à une épidémie de grippe qui frappa le Québec en 1933, il alla même jusqu'à présenter humoristiquement le don comme un remède aux malades175. Il

masquait à peine son objectif de récolter des aumônes pour la mission. Brigander par l'écrit était tellement un talent qui le particularisait que, rédacteur anonyme, il gagna rapidement le sobriquet de sa signature « Le Brigand ». Certains bienfaiteurs, qui ne l'avaient jamais rencontré, l'imaginaient, semble-t-il, tel un grand gaillard armé176.

La revue missionnaire atteignait un large lectorat au Québec au moment où le P. Bouchard succéda au P. Lavoie à la tête de la Procure de Chine en 1945. Elle fut rajeunie d'une nouvelle couverture, d'une table des matières et de nouveaux styles. Les PP. Roger

Le Brigand, no. 79 (25 mars, 1941), pp. 9-10. Une chronologie complète des efforts des Jésuites de la Nouvelle-

France à la Chine fut publiée dans Le Brigand: quatre cents ans de missions de la Compagnie de Jésus, ordre

missionnaire, Québec, Procure des Missions de Chine, no. 72 (1940), pp. 2-18.

174 La première photographie qui apparaît dans la revue missionnaire en mai 1936 représente un jardin chinois. J.-Louis Lavoie, « Croquis », Le Brigand, no. 42 (mai, 1936), p. 6.

175 J.-Louis Lavoie, « Au vol », Le Brigand, no. 20 (fév., 1933), p. 12. L'épidémie de grippe de 1933 aurait atteint 30% de la population de la ville de Québec selon Rosario Renaud, Corr. à Édouard Goulet, AJC, M-0007, Cl.7, no.65 (13 fév., 1933), pp. 2-3.

176 Mgr. Marin précisait qu'il parlait « […] du Brigand, du journal, pas de la personne, car ce mot [était] devenu équivoque ». Georges Marin, Corr. à J.-Louis Lavoie, AJC, M-0007, Cl. 4, Corr. III et dossiers personnels des missionnaires, Marin Georges II (8 déc., 1931), p. 1.

Fortin, Guy Painchaud, Léo-Paul Bourassa, puis Gustave Gauvreau, Louis Beaulieu et Alphonse Boileau prirent la charge de sa conception. Comme le P. Lavoie, les nouveaux rédacteurs cherchaient à capter la conscience missionnaire de l'Église canadienne-française pour l'Église du Xuzhou177.