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CHAPITRE 1: LA CONSCIENCE MISSIONNAIRE CATHOLIQUE:

1.2 L'Église catholique enracinée au Québec avec le concours des Jésuites

1.2.3 Une Église canadienne-française

En novembre 1908, le Pape Pie X (1903-1914) conféra à l'Église canadienne le statut d'Église autonome. L'organisation du territoire ecclésiastique - deux archidiocèses principaux dont les chefs-lieux étaient Toronto et Québec, auprès desquels celui d'Ottawa s'affirmait -, consacra une direction épiscopale majoritairement canadienne-française72.

Le clergé canadien-français était très influent dans la province majoritairement francophone du Québec. Répondant, entre autres, aux directives du Pape Pie XI, il reproduisait les réussites du Saint-Siège comme des expositions missionnaires qui furent organisées à Joliette (1927), Montréal (1930), Trois-Rivières (1935), Sherbrooke (1941) et Montréal (1942), et même à Gravelbourg (1944), en Saskatchewan. Des semaines missionnaires furent instaurées dans les années 1930 pour sensibiliser la population à l'aide de conférences. La presse missionnaire se multipliait en langue française. Des thématiques

70 Lucia Ferretti a calculé qu'en 1866 près de 4900 élèves étudiaient dans les nouvelles institutions du clergé

catholique du Québec. Lucia Ferretti, Brève histoire de l'Église catholique du Québec, Montréal, Boréal, 1999, p. 79. Le catéchisme était appris par cœur dans toutes les institutions d'enseignement et, dès 1855, il était le livre le plus répandu dans les écoles catholiques francophones pour faire la lecture. Dans les années 1920, il devint un outil puissant pour imposer la vision du monde du Saint-Siège. Raymond Brodeur et al., Les catéchismes

au Québec, 1702-1963, Québec, Presses de l'Université Laval, 1990, p. 184. L'instruction primaire rendue

obligatoire jusqu'à l'âge de quatorze ans par le gouvernement provincial du Québec assurait une emprise encore plus forte du clergé sur la jeunesse canadienne-française dès 1943. Brigitte Caulier, « Developing Christians, Catholics and Citizens: Quebec Churches and School Religion from the Turn of the Twentieth Century to 1960 », dans Michel Gauvreau et al. op. cit., p. 180.

71 En 1881, 86.1% des habitants du Canada étaient catholiques (1 170 718 catholiques sur 1 359 027 habitants)

et 91.7% des catholiques parlaient le français. L'Église catholique du Canada était donc à forte majorité canadienne- française. Ces chiffres sont tirés de Alexis de Barbezieux, L'Église catholique au Canada: sa naissance, son

développement, son organisation: précis historique et statistique publié à l'occasion du premier Concile plénier,

Québec, Imprimerie de l'Action sociale, 1909, 40 p.

72 La première province ecclésiastique au Canada survint en 1844. Le Canada de 1893 se composait de six

archidiocèses dont quatre étaient sous la direction du clergé canadien-français. Les deux autres étaient sous la direction de Canadiens anglophones d'origine irlandaise. Les clergés canadien-français et canadien-irlandais défendaient des positions différentes durant la crise des écoles francophones. En 1904, la nomination d'un évêque anglophone au diocèse de Sault-Sainte-Marie où la majorité de la population était francophone avait causé le mécontentement du corps épiscopal canadien-français. Pour davantage de précisions sur les conflits entre les clergés canadien-français et canadien-irlandais, voir Nive Voisine et al., op. cit., pp. 52-53, 89-90 et 108.

publicitaires suggérées par le Saint-Siège, comme la pitié et la charité, étaient mises en valeur. La participation aux succès des missions était présentée aux Canadiens français comme une initiative assurant une bonne place au paradis; un apostolat assez facile auprès d'une population déjà sensibilisée à l'idée chrétienne des indulgences73. Un modèle de

perfection guidait les actions de plusieurs bénévoles et bienfaiteurs: celui de la carmélite française Sainte-Thérèse de Lisieux qui était connue au Québec grâce à la publication de son autobiographie dès 1898. Cette dernière devint rapidement une héroïne auprès des Canadiens français qui lui rendaient de nombreuses dévotions74.

Les aumônes récoltées au Québec pour les œuvres pontificales reflétaient la vigueur de la conscience missionnaire canadienne-française. La branche canadienne de l'Œuvre de la Propagation de la Foi, qui ouvrit au Canada en 1836 par Mgr. Joseph Signay, l'archevêque de Québec (1833-1850), amassait déjà au-delà de 10 000$ canadiens en 1877. De 1920 à 1944, le diocèse de Québec enregistrait un total de près de 6 millions de dollars canadiens donnés à cette œuvre pontificale. À ce montant s'ajoutaient les contributions qui étaient faites aux branches canadiennes des œuvres de la Sainte-Enfance et de Saint-Pierre- Apôtre qui étaient centralisées à Rome après 1922. Alors que les revenus mondiaux de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi diminuaient drastiquement durant la Grande Dépression, les Canadiens - et les Américains - se classaient, toute proportion démographique gardée, parmi les bienfaiteurs aux missions les plus généreux au cours des années 193075.

73 Bulletin de l'Union missionnaire du clergé, vol. III, no. 7 (sept., 1946), p. 351. Le contenu détaillé des semaines

missionnaires se trouve dans Archange Godbout et al., La semaine missionnaire de Joliette, 4 au 10 juillet 1927, Québec, Imp. Charrier & Dugal, 1928, 656 p., dans Semaines d'études missionnaires du Canada, La conversion des

infidèles: chronique, rapports, conférences et communications, Québec, Secrétariat général de l'Union missionnaire

du clergé, 1936, 370 p. et dans Semaines d'études missionnaires du Canada, Introduction au problème des missions:

compte rendu in extenso des cours et conférences, Ottawa, Secrétariat des semaines d'études

missionnaires, 1934, 300 p.

74 Bernard Laluque, op. cit., pp. 23 à 27.

75 Annales de la propagation de la foi pour la province de Québec, no. 1 (fév., 1877), p. 11. De 1929 à 1938, les

bienfaiteurs du Québec donnaient entre 70 000$ et 120 000$ par année à l'Œuvre de la Propagation de la Foi. La branche canadienne de l'Œuvre de la Sainte-Enfance fut organisée à Québec en 1851. Elle ouvrit un bureau à Montréal l'année suivante. La branche canadienne de l'Union Saint-Pierre compléta le trio en 1925. Elle prit place au Grand séminaire de Montréal et fut intégrée à l'Œuvre de Saint-Pierre-Apôtre en 1928. Bulletin de l'Union

Les aumônes récoltées au Québec finançaient aussi la participation de communautés religieuses canadiennes-françaises au mouvement missionnaire mondial. Les membres de ces dernières étaient d'abord mandatés en renfort dans des missions en manque de personnel. Ils travaillaient à titre de subordonnés: c'est-à-dire qu'ils étaient assignés à des tâches supervisées par d'autres missionnaires responsables des administrations d'Églises locales. Cette situation perdurait jusqu'à ce que le cardinal Louis-Nazaire Bégin (1898-1925) considère les Canadiens français capables de prendre la responsabilité de missions approuvées par le Saint-Siège. La volonté du clergé du Québec de s'engager à l'étranger s'exprimait au moment où, sous Pie XI, le Saint-Siège élaborait son vaste plan de morcellement des divisions ecclésiastiques dans le monde pour favoriser l'évangélisation76.

Réceptive à l'idée de confier des territoires afin de permettre un meilleur travail apostolique auprès des populations, la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi accorda sa confiance aux missionnaires canadiens-français. De 1909 à 1925, quatre vicariats apostoliques furent attribués aux Oblats et aux Pères Blancs du Canada. Deux ans plus tard, un diocèse indien et une préfecture apostolique japonaise furent respectivement confiés aux Pères de Sainte-Croix et aux Franciscains canadiens. Les missionnaires des Missions-Étrangères du Pont-Viau obtinrent un vicariat en Mandchourie en 1929 et, en 1931, alors qu'un Dominicain canadien fut nommé à la tête d'un diocèse du Japon, les Jésuites du Québec prirent la direction de la préfecture apostolique de Xuzhou. Trois ans plus tard, un autre vicariat et une autre préfecture furent confiés à des missionnaires canadiens-français77.

L'Église canadienne-française soutenait plusieurs missions lointaines par les prières, les vocations et les aumônes. Cependant, la générosité des bienfaiteurs canadiens-français profitait davantage aux œuvres pontificales et aux missions qu'au clergé canadien qui

76 Environ 46 communautés religieuses alimentaient l'effort missionnaire canadien-français en 1930. Lionel Groulx,

Le Canada français missionnaire: une autre grande aventure, Montréal, Fides, 1962, pp. 81 et 482. Lucia Ferretti

estima que plus de 1200 missionnaires canadiens-français œuvraient dans les missions lointaines en 1932. Lucia Ferretti, op. cit., p. 118.

77 « Où sont nos missionnaires? 1932 », L'Action nationale, III, 4 (avril, 1934), p. 249, cité dans Nive Voisine et al.,

op. cit., p. 159. Den katolske kirke, « Chronology of Erections of Catholic Dioceses and Other Territorial

rencontrait quelques difficultés financières durant la Grande Dépression. Par exemple, les curés du Québec ne recevaient presque plus d'honoraires pour faire dire des messes dans leurs paroisses. En conséquence, le P. Édouard Goulet constata que les évêques du Canada parvinrent à retenir des aumônes destinées aux œuvres pontificales afin de sauver les diocèses de Régina et de Gravelbourg de la banqueroute78. Inquiets du fait que la popularité

des dons aux missions drainait les aumônes hors des caisses paroissiales, les évêques du Canada établirent en 1941 un règlement leur réservant le droit de limiter les quêtes des communautés religieuses dans leurs diocèses: une initiative qui eut peu d'impacts sur les finances de la Procure de Chine puisque l'économie canadienne était déjà relancée par l'industrie militaire qui répondait à la demande du second conflit mondial79.

Enracinée au Québec, l'Église catholique romaine portait un grand intérêt pour le projet missionnaire du Saint-Siège. Convaincus, les Canadiens français faisaient preuve d'une grande générosité pour les missions. Soutenu par les encouragements, les dons et la conviction divine qui l'animait, le clergé canadien-français se lançait dans plusieurs entreprises apostoliques à travers le monde. Les Jésuites participaient à ce mouvement. Ils étaient de fervents promoteurs de la conscience missionnaire au Québec.